Le principe est de raconter une bonne histoire (je ne vais pas vous répéter pour la Nième fois : une bonne BD, c'est 1) une bonne histoire, etc.). Et pour trouver une bonne histoire, il faut cogiter. Mais la venue des idées est assez mystérieuse. Si je savais d'où me viennent mes idées de scénarios, je puiserais là systématiquement : finies les prises de tête, les périodes où je suis "à sec", où je tourne en rond sans rien trouver, où je bute sur une scène qui bloque tout... Je rappelle - c'est ce que j'essaye de dire depuis le début de cette discussion - qu'un scénariste qui veut faire rêver ses lecteurs doit faire preuve d'imagination dans des histoires DE FICTION, et pas se cantonner à une relation historique et documentée de faits réels, type "Oncle Paul", que ce soit sur la guerre de Sécession ou telle période précise des années 50.
Il faudrait lire (ou relire) le livre de mon ami Gilles Ratier, titré Avant la case, qui décrit le "fonctionnement" intellectuel des scénaristes de BD, leur façon de faire, leurs méthodes de travail, à base d'interviewes des plus grands scénaristes du moment (y compris Cauvin d'ailleurs, puisqu'on parle de lui plus haut). On constate que des idées viennent comme ça, quand on ne s'y attend pas, où qu'on soit. Ou du moins, on réfléchit à une idée, ça ne vient pas, et tout à coup, quand on pense à autre chose, ou quand on fait un truc qui n'a rien à voir, par exemple on est au restaurant ou n'importe où ailleurs, ça vient, comme par enchantement... Je peux me promener dans la rue, regarder un arbre en fleur, et tout à coup, je ne sais pas pourquoi, me vient une idée... C'est comme ça... Et je suis tellement habitué à ce phénomène que maintenant, je ne m'inquiète plus comme autrefois : je sais qu'un jour, viendra une bonne idée, pour une histoire comme pour une scène. Et comme je trouve plus d'idées de scénarios que je ne publie d'albums, eh bien je me suis constitué une somme de bouts de papier sur lesquels je griffonne ces idées, pour plus tard... Aussi j'ai des réserves... Charlier faisait pareil, et je suis prêt à parier que d'autres font pareil...
Si vous êtes scénariste, vous pouvez aussi lire des tonnes de livres et de journaux, consulter Internet pendant des semaines, à la recherche d'une idée, d'une histoire. Mais il se peut que rien n'en sorte. Si vous racontez une histoire (de fiction) sur la guerre de Sécession (on parlait de l'exemple des Tuniques bleues), c'est une solution pratique et évidente de lire des livres sur la guerre de Sécession ! (c'est obligatoire aussi, au moment de rédiger le scénario, de se documenter). Mais si vous n'avez que cette solution de lire des livres sur tel ou tel sujet que vous traitez en BD, vous allez tourner en rond, et vous allez vous bloquer un jour vous-même dans votre recherche. C'est le drame de scénaristes "historiques" de s'en tenir strictement à une documentation sur le sujet qui les intéresse ; ils font oeuvre d'historiens, pas de scénaristes de BD de fiction; il faut voir au-delà, travailler sans oeillères. Charlier disait lui-même (je vous reproduis son propos de mémoire) : "Quand on cherche des idées, il faut attirer à soi tout le matériel possible". Quand il parlait de matériel, il ne parlait bien sûr pas de matériel de bureau : chaise, stylo, gomme ou (de son temps) machine à écrire. Il parlait de tout support, toute source d'idées, quels qu'ils soient ; il faut "ratisser large".
Damned, qui me connaît et qui connaît bien ma série Missions Kimono, d'autant qu'il a participé à la réalisation d'un épisode, peut admettre que chacune de mes histoires est une fiction, parfois inspirée de faits réels (et parfois qui précède des faits réels, d'ailleurs...) ; en tout cas, il peut confirmer aussi que mes points de départ n'ont souvent rien à voir avec l'aviation, mais que je les adapte au thème (le thème étant l'Aéronavale française et les interventions de nos porte-avions Clemenceau puis Charles de Gaulle). Exemple : les tomes 2 à 4 de Missions Kimono racontent les manigances françaises en Afrique noire pour organiser secrètement un coup d'Etat en douceur. Par exemple, les tomes 5 à 10 (long cycle...) ont pour thème le terrorisme islamiste anti-occidental, et les enquêtes pour arrêter le grand chef de ces terroristes, un certain Tarik Ben Kadar (qui est enlevé dans le tome 10 comme a failli être enlevé le vrai Ben Laden, il y a deux mois, d'où une étrange similitude entre fiction et réalité...). Par exemple, les tomes 11 et 12 (cycle court, cette fois) racontent une prise d'otages sur une plate-forme pétrolière offshore au large de l'Afrique, menée par des pirates venus en bateau et organisée en sous-main par des hommes d'affaires chinois. Dans le tome 1, il y a trois récits courts, dont l'un raconte le sort d'un cargo en perdition dans la tempête en Méditerranée et dont on découvre, à la fin, qu'il se livrait au trafic d'armes ; un autre récit raconte la tentative (réussie) d'attentat contre la fusée Ariane à Kourou. Vous remarquerez que dans ces résumés que je viens de faire, je ne parle pas une seule fois des avions de l'Aéronavale. Et pourtant, les pilotes de ces avions sont bien les héros, et nous avons bien affaire à une série d'aventures mettant en scène des avions de l'Aéronavale, à la satisfaction, me semble-t-il, de beaucoup de lecteurs passionnés d'aviation. Ca ne m'empêche pas d'être à l'écoute de ce que peuvent me raconter des pilotes de l'Aéronavale et qui ont forcément des tas d'idées de scénarios, en fonction de leurs expériences ; mais mes idées viennent de partout.
Tiens, j'aurais dû mettre ce texte dans le topic "Les secrets d'un scénario de BD"...
(texte modifié après coup pour corriger une faute...)