Michel Jacquemart a écrit:(les saisons sont estimées d'après les décors : neige, végétation...
Si j'avais le temps et la mémoire, je pourrais citer des exemples (autres que dans la série Lefranc) d'étourderies ou d'à peu près chez des dessinateurs qui font des décors comme ils le sentent sans tenir compte du moment de l'année où se déroule leur BD. Plein d'aventures peuvent aussi se dérouler à n'importe quel moment de l'année sans que ça joue sur le scénario, aussi ça n'est pas un indice (le dessinateur peut avoir choisi le printemps ou l'été, ou l'automne ou l'hiver, parce que ça l'arrangeait ou parce qu'il fallait bien choisir une saison pour une question de cohérence ou d'unité tout au long de son histoire, sans que ça ait une importance particulière ; souvent, il fait beau dans une BD, par commodité ou parce que du ciel bleu ou des images ensoleillées sont plus jolis à regarder ; on devine que c'est plutôt le printemps ou l'été, et s'il se met à pleuvoir par exemple, ça peut être pour une raison relative au scénario).
D'une façon générale, en tant que scénariste moi-même, et aussi en tant que lecteur, je ne comprends pas trop l'utilité ou l'intérêt de cette recherche de chronologie. A moins de jouer au "coin du pinailleur" comme dans la rubrique de feu la revue Bo Doï, et de trouver un cas où un personnage, évoluant en France par exemple, dirait : "Bonne année tout le monde !" - donc on est en hiver - et où l'on verrait des feuilles aux arbres ; je me souviens par exemple d'un Buck Danny qui se déroule pendant un carnaval de Rio (Sonny Tuckson montre à ses copains un costume de carnaval et dit que le groupe aéronaval se rend au Brésil) mais le porte-avions est dérouté et va finalement dans le grand nord arctique - ce qui fait rire les copains en pensant à Sonny qui a dépensé des dollars à s'acheter son costume de carnaval - ; or, le pack glaciaire, le très mauvais temps et les icebergs empêcheraient, en plein hiver, que le porte-avions puisse évoluer tranquillement aux latitudes où il se rend (il faut se resituer dans les années 60 ; on n'est pas en 2011 et à l'ère du réchauffement climatique). Bref, à part ce cas-là qui me vient à l'esprit, une histoire, c'est... une histoire et rien d'autre ; un album doit être pris et apprécié pour ce qu'il est indépendamment des autres et personnellement, sauf cas particulier relatif au scénario (et sauf erreur comme celle citée plus haut), je ne crois pas m'être posé un jour la question de la cohérence de la saison, et encore moins de l'époque dans une décennie où l'action se déroule quand je lisais un album, quelle que soit la série, et encore moins du rang qu'occupe cet album dans cette série... On est pris par l'aventure et on oublie le reste, point.
Bien sûr, vous faites ce que vous voulez et votre enquête peut se justifier de la part de fans de Lefranc, mais (je parle encore en tant que scénariste) elle ressemble à un travail d'entomologiste qui casse le charme et le plaisir de la lecture d'une BD, laquelle doit se faire au premier degré, et être considérée comme une simple détente, un loisir. Je suis par exemple en train d'écrire un scénario pour le prochain album de ma série Missions Kimono ; il va porter le numéro 13. Or, ça fait des années et des années que j'ai cette histoire en tête ; elle va donc se dérouler de nos jours (en 2011/2012), avec les avions en service à cette époque, mais j'aurais pu l'écrire et la publier en l'an 2000, ça n'aurait rien changé à l'histoire, en 1990 pareil, et l'album aurait pu avoir le numéro 1 ou 2 et non pas 13 ; c'est le hasard et les circonstances qui font que je la réalise maintenant, et elle aurait pu avoir le numéro 18 ou 22 si j'avais repoussé la réalisation à plus tard. De même, le long cycle sur le terrorisme islamiste, au sein de la même série Kimono, se déroule bien sûr après septembre 2001 (ce n'est d'ailleurs même pas dit, ça transparaît en filigrane), mais il se déroule en fait n'importe quand entre fin 2001 et disons 2005 à peu près ; mais à part ça, été ou hiver, 2001 ou 2002, ou 2004, alors là... j'ai fait ça au pif, comme ça venait, et ça n'a strictement aucune importance. Je crois savoir que Jacques Martin aussi avait sous le coude un certain nombre de scénarios qui dormaient dans ses tiroirs assez longtemps, et étaient publiés en fonction de divers paramètres qui n'ont rien à voir avec une chronologie. La plupart des scénaristes sont sans doute comme ça, d'ailleurs. Sauf cas particuliers, je répète (un auteur peut avoir prévu justement une chronologie stricte d'un album à l'autre). Alors, en dehors de ces cas particuliers, vouloir étiqueter, comme vous le faites, les albums qui découlent d'une inspiration et d'une forme d'improvisation, c'est faire cohabiter deux mondes inconciliables : l'imaginaire et le "terre à terre" ; l'esprit et le matériel ; la poésie et la négation de la poésie.