Jean-Marc a écrit:La presse généraliste française, elle, snobe la plupart du temps la BD et n'évoque quasiment que les parutions d'Astérix ou Blake et Mortimer.[/justify]
Je connais plusieurs journalistes et ai moi-même travaillé pour un quotidien de la presse généraliste : si vous saviez le nombre d'albums que reçoivent les journalistes...! C'est en rapport avec l'envahissement des librairies. Quand un journaliste reçoit un album en Service de Presse, il dit "Encore !..." avec un air blasé ou ironique devant cette marée (mais les journalistes spécialisés BD sont contents : ils gardent pour eux les albums, cela leur fait de la lecture - puis, quelque temps après, parfois ils revendent ces albums - reçus gratuitement, donc -, parce que ça finit par encombrer chez eux, et pour se faire un peu de blé... Véridique...).
Par ailleurs, les pages "Culture" des quotidiens et des hebdomadaires français - je ne connais pas la presse étrangère - traitent de tout (théâtre, cinéma, littérature, chanson, etc.) et il ne reste presque plus de place pour la BD. L'hebdo Marianne par exemple, a une double-page "Nouveautés" dans tous ces domaines culturels, et chaque nouveauté est traitée sous forme d'une colonne. Il y a presque à chaque fois une colonne sur une BD. Oui, mais ce n'est pas systématiquement chaque semaine. Et c'est une BD (sélectionnée comment ?) parmi des dizaines qui sortent chaque semaine ; quadrature du cercle...
Quoique vous en pensiez, il faut savoir aussi que dans l'esprit des responsables éditoriaux de la presse traditionnelle, beaucoup considèrent la BD comme un art mineur. Ou tout au moins comme quantité négligeable par rapport à tout ce qui se passe dans le monde et qu'ils ont à traiter dans les pages de leurs journaux. Cas de figure qui est arrivé aussi : au moment du bouclage d'un journal, le soir si c'est un quotidien, une publicité arrive in extremis. Priorité à cette pub : c'est ce qui fait vivre un journal ! Où la caser dans la pagination ? Il n'y a plus la place, il faut supprimer un article. On ne va pas supprimer l'édito du directeur, on ne va pas virer l'interview de Ségolène Royal, ni l'article sur l'explosion d'une maison à cause d'une fuite de gaz... Non, on va virer le truc qui ne sert à rien : la chronique BD par exemple. Et du coup, les journalistes qui préparent des articles "froids" comme une chronique littéraire sur une BD, préfèrent s'abstenir, sachant que ça n'a aucune priorité. Sans compter qu'il n'existe pas, à ma connaissance, de journaliste dont la seule fonction est de chroniquer des BD ; c'est en général un journaliste qui s'occupe d'autres sujets qui, accessoirement, parce que ça l'intéresse ou parce qu'il a quelques connaissances, rédige de temps en temps des "papiers" sur des albums ; oui, mais si l'actualité est telle qu'il est débordé par d'autres sujets brûlants, il laisse tomber la BD.
Il faut aussi prendre en considération les sensibilités des journalistes eux-mêmes ; y compris sensibilités politiques, qui peuvent jouer dans l'appréciation qu'ils ont de telle ou telle histoire. J'ai connu un journaliste, passionné de littérature et aussi de BD, qui rédigeait accessoirement des chroniques littéraires dans deux journaux (dont un grand) ; si vous saviez ce qu'il me disait penser de la BD traditionnelle, vous en seriez malades... Donc, ce n'est pas de lui qu'il fallait attendre des "papiers" sur la dernière nouveauté d'une série classique. Autre aspect : les journalistes regardent les albums et, avec leur sens critique, y voient pas mal de médiocrité, dans les dessins ou les scénarios. Alors que des passionnés, sur les forums, voient les mêmes albums comme des trucs intéressants, ou attendus, etc... Je ne vise pas un titre de BD en particulier ni un forum en particulier, mais si vous saviez aussi ce que j'entends dire, dans les rédactions, de la qualité des reprises de telle ou telle série célèbre, par de nouveaux auteurs, vous en seriez malades également... Ou alors, d'autres - j'en ai entendu aussi - disent qu'une reprise d'une série après la disparition d'un auteur reconnu n'est qu'une opération commerciale, une affaire de gros sous, et qu'il n'y a donc aucun intérêt artistique à en parler.
Enfin, les lecteurs de ces journaux cherchent prioritairement des infos sur l'actualité, la politique, les faits divers, les sports, etc, mais peut-être pas lire plein d'infos sur les BD qui sortent. Croyez bien que si c'était ça qui était recherché par les lecteurs, les "sondages-maison" effectués régulièrement par chaque rédaction l'auraient déjà signalé et les responsables auraient aussitôt fait ce qu'il faut pour satisfaire leurs lecteurs. Dans l'ouest de la France, savez-vous quelle est la page la plus lue du quotidien Ouest-France ? La page des obsèques... Dans les villages du fin fond de la Bretagne, cette page est lue en priorité ; puis on passe à la lecture des petits potins dans les villages alentours ; le reste du journal est survolé, et l'éventuelle chronique BD, elle passe plus ou moins à la trappe... Je connais personnellement deux journalistes BD qui travaillent pour le même journal, un très grand quotidien français, et qui aimeraient faire davantage de "papiers" sur la BD (autant pour parler des albums qui sortent que pour interviewer des auteurs par exemple) et qui n'y arrivent pas, le contenu rédactionnel étant arrêté et fixé, et la surface dévolue aux articles ainsi que les paginations étant par ailleurs réduites en raison de la crise (même dans un très grand journal ayant pignon sur rue). Autre raison : chaque rédaction sait très bien qu'il y a sur Internet tout ce qu'il faut comme sites et forums pour parler BD ; elle ne voit pas trop l'intérêt de faire "doublon". On connaît bien aussi la chute des ventes des journaux traditionnels.
Bref, tout additionné, les raisons qui font que les journaux ne parlent pas tellement de BD sont nombreuses, et ça explique aussi pourquoi les journalistes n'ont pas le temps ou envie de lire les BD qu'ils sont chargés de chroniquer dans les pages de leurs quotidiens ou hebdomadaires.
Et je ne vous parle pas d'affaires de copinage entre journalistes et auteurs ou éditeurs, qui faussent encore le jeu...