Lefranc, Alix, Jhen ... et les autres
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Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin

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Clovis Sangrail
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Raymond
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eleanore-clo

eleanore-clo
vieux sage
vieux sage

Le puits nubien est une BD ambiguë qui marie deux contraires : la laideur d'une vendetta et la beauté des lieux et des corps. La revanche est celle d'Arno sur l'infâme Month. Et tant les ruines égyptiennes que la campagne anglaise distillent un charme puissant. Et je ne parlerais pas de la plastique non botoxée des héroïnes Laughing

Cerise sur le gâteau, cette bande dessinée compte deux héroïnes, en miroir l'une de l’autre, une fille de chef et une modeste métayère, toutes les deux ayant le point commun d'être opposées au sinistre Lord Month.

La première, Tara, incarne la beauté exotique. Et je l'eus d'ailleurs bien davantage vu dans un décor océanien que dans la vallée du Nil. Néanmoins Alain Juillard est fidèle à une certaine réalité historique comme le démontre cette toile.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 800px-Nubian_women_at_Korti_%28cropped%29
Nubian women at Korti David Roberts (1842-1849)

Le dessinateur a néanmoins choisi la représentation la plus sensuelle, la plus déshabillée, pas forcément la plus courante...

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhen23
Femme Nubienne - Gillot - 1890

Ce choix a permis de donné corps à ce que j’appelle un fantasme masculin, la scène invraisemblable et grotesque de la balle de fusil coupant le fermoir du pagne.  gourdin

La jeune femme est coquette et porte deux magnifiques colliers et des bracelets. Sa coiffure est tressée selon la coutume de la Haute-Égypte.

La personnalité de l'héroïne me semble plus intéressante.
Comme le résume très bien Raymond, elle ne manque ni de cran, ni de souffle et ni de courage. Elle affronte les ennemis d'Arno avec quelques pierres, marche et nage sans frémir au milieu des serpents et n'hésite pas à plonger dans le puits pour sauver son amant. Fille de chef, elle en a elle même l'étoffe, preuve en est l'autorité dont elle fait preuve vis-à-vis d'un des guerriers de sa tribu.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhan69 Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhan70

Sa relation avec Arno est étrange. Elle s'inscrit facilement dans un rôle de substitut à Djeïla, sa cousine. Un effet de l’irrésistible séduction d'Arno ou un nouveau fantasme masculin qui veut que toutes les femmes ne peuvent s'empêcher de "tomber" dans les bras du vénitien… Evil or Very Mad

La suite de l'intrigue nous emmène en Angleterre où nous faisons la connaissance de Jane, une jeune fermière victime elle aussi des agissements de Month.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhan73

Clairement, les deux héroïnes ont la même personnalité. Malgré le viol Jane garde son sang froid et, avec un réalisme désabusé, explique à son grand-père le risque qu'il encourt en la vengeant.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhan71.

Elle essaie aussi de se faire respecter de son bourreau, ce qui démontre un beau courage. Elle échappe heureusement au syndrome de Stockholm.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhan72

Et la colère reste présente. Au point qu'elle se vend en échange de la mort de son bourreau. La phrase est d'ailleurs dramatique : "Jette le dans le puits et je serai ta femme". Comme s'il fallait un salaire pour que William fasse ce dont il rêvait depuis quelques pages. Je ne comprends pas cette érection de la femme en trophée gourdin .

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 A61

Et au final, Arno ne fait que terminer le travail commencé par Jane et William !

La colère de la fermière revient d'ailleurs quelques vignettes plus tard puisqu'elle urine sur le cadavre de son bourreau.

Un ouvrage donc fort où la mort est souvent présente.

Je vais conclure en ouvrant une parenthèse féministe (bien évidemment  Smile ) sur le droit de cuissage invoqué par Month. Voltaire l'évoque dans son Dictionnaire philosophique (1764) pour en dénoncer le vide juridique. Pour les curieux, je publie ci-dessous l'article. Au delà de sa qualité et de l'anticléricalisme habituel du grand écrivain, ne trouvez vous pas que certaines phrases ont de forts relents de sexisme  Rolling Eyes  ? Après, Voltaire et les femmes…  gourdin

CUISSAGE ou CULAGE. DROIT DE PRÉLIBATION, DE MARQUETTE, ETC.
...
Il est étonnant que dans l'Europe chrétienne on ait fait très longtemps une espèce de loi féodale, et que du moins on ait regardé comme un droit coutumier l'usage d'avoir le pucelage de sa vassale. La première nuit des noces de la fille au vilain appartenait sans contredit au seigneur. Ce droit s'établit comme celui de marcher avec un oiseau sur le poing, et de se faire encenser à la messe. Les seigneurs il est vrai, ne statuèrent pas que les femmes de leurs vilains leur appartiendraient, ils se bornèrent aux filles; la raison en est plausible. Les filles sont honteuses, il faut un peu de temps pour les apprivoiser. La majesté des lois les subjugue tout d'un coup; les jeunes fiancées donnaient donc sans résistance la première nuit de leurs noces au seigneur châtelain, ou au baron, quand il les jugeait dignes de cet honneur. On prétend que cette jurisprudence commença en Écosse; je le croirais volontiers: les seigneurs écossais avaient un pouvoir encore plus absolu sur leurs clans que les barons allemands et français sur leurs sujets. Il est indubitable que des abbés, des évêques, s'attribuèrent cette prérogative en qualité de seigneurs temporels: et il n'y a pas bien longtemps que des prélats se sont désistés de cet ancien privilège pour des redevances en argent, auxquelles ils avaient autant de droit qu'aux pucelages des filles. Mais remarquons bien que cet excès de tyrannie ne fut jamais approuvé par aucune loi publique. Si un seigneur ou un prélat avait assigné par-devant un tribunal réglé une fille fiancée à un de ses vassaux pour venir lui payer sa redevance, il eût perdu sans doute sa cause avec dépens. Saisissons cette occasion d'assurer qu'il n'y a jamais eu de peuple un peu civilisé qui ait établi des lois formelles contre les mœurs; je ne crois pas qu'il y en ait un seul exemple. Des abus s'établissent, on les tolère; ils passent en coutume; les voyageurs les prennent pour des lois fondamentales.
...
Quelques voyageurs prétendent qu'en Laponie des maris sont venus leur offrir leur femme par politesse: c'est une plus grande politesse à moi de les croire. Mais je leur soutiens qu'ils n'ont jamais trouvé cette loi dans le code de la Laponie, de même que vous ne trouverez ni dans les constitutions de l'Allemagne, ni dans les ordonnances des rois de France, ni dans les registres du parlement d'Angleterre, aucune loi positive qui adjuge le droit de cuissage aux barons.Des lois absurdes, ridicules, barbares, vous en trouverez partout; des lois contre les mœurs, nulle part.


Au final, Le puits nubien présente deux femmes profondément différentes. Et toutes les deux s'opposent à l’ignoble Lord Month. Elles en deviennent complémentaires, pièces d'un puzzle campant une opposition universelle à Month. Si ce choix révèle un Jacques Martin féministe, leur mise en scène porte un soupçon de machisme. Le maître se révèle ambigu, comme la BD !

Eléanore

Raymond

Raymond
Admin

Merci pour cette analyse !   pouce

Je n'avais pas évoqué le droit de cuissage car la ferme où vit Jane n'est pas la propriété de Douglas Month, et puis je crois que son attitude agressive ne s'explique pas vraiment par cette croyance, A mon avis, le Lord anglais aurait violé la jeune fermière de toute façon, même en sachant que cette ferme se trouve hors de ses terres. C'est un militaire qui croit au droit du plus fort et c'est donc un scélérat qui n'a aucune excuse (pour autant que la croyance au droit de cuissage puisse en être une ?).

Pour ce qui concerne le "machisme de la mise en scène", tu parles bien sûr de l'utilisation un peu excessive des scènes de nu dans cette BD ! Elles ne découlent pas de l'histoire elle-même mais bien des souhaits qui étaient émis par le rédacteur en chef de Vécu, journal dans lequel a été prépublié le Puits Nubien. Il fallait appâter le lecteur avec des images croustillantes et cette attitude relève plutôt du commerce que du machisme.


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eleanore-clo

eleanore-clo
vieux sage
vieux sage

Month fait partie des pires méchants de la galaxie des personnages martiniens  gourdin

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhen70

Il considère Jane comme un objet au point qu'il ne retient pas son nom  gun

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhen71

Eléanore

Raymond

Raymond
Admin

Mea culpa ! Je ne me souvenais pas de cette vignette,   jap

Il s'agit donc bien du droit de cuissage !


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dakota68


lecteur émérite
lecteur émérite

Pour rappel , il n'y a jamais eu de droit de cuissage  , le terme est un mythe nait de l'opposition entre les républicains et les royalistes pour décrier l'ancien régime et présenter celui ci et le moyen âge comme une période obscure et d'injustice face à une nouvelle structure civile , qui aurait elle incarné la liberté , la justice et l'égalité .

Par contre il est évident que de tout temps et encore de nos jours , on trouvera des êtres abusant de leurs fonctions , de leurs supériorités sociales ou physiques ( seigneurs soldats , simple laboureurs .... pour obtenir et abuser d'êtres plus faibles leurs satisfactions sexuelles , de nos jours on le nomme harcèlements sexuels ou viols selon le degré.

mais il est important de connaitre cette notion de mythe , cela n'enlève bien sur en rien , toute l'ignominie de ces actes.

eleanore-clo

eleanore-clo
vieux sage
vieux sage

Les termes juridiques évoquent le harcèlement sexuel (article 222-33 du code pénal : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000037289662/) et le viol (article 222-23 du code pénal : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043409305).
De nos jours et en France, Month eut été condamné à trois ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende au mieux, à 15 ans de réclusion criminelle au pire (ou pour le mieux de la société plutôt).

Eléanore

Raymond

Raymond
Admin

Le Lys et l'Ogre est un des plus beaux récits historiques de la série "Jhen". Il raconte l'incroyable folie de Gilles de Rais en tant que probable organisateur du "Mystère du siège d'Orléans", un gigantesque spectacle qui eût lieu probablement entre 1430 et 1440 dans cette ville. L'inquiétant connétable dut s'endetter pour organiser ce spectacle pharaonique et ce fût probablement le début d'un long processus qui le conduisit à sa ruine.
 
Les femmes ne jouent en fait qu'un rôle secondaire dans cette histoire qui nous raconte avant tout les relations entre Gilles de Rais, le Roi Charles VII et sa cour (en particulier sa jeune maîtresse Agnès Sorel) et le Dauphin Louis (futur Louis XI). Elles apparaissent donc assez peu mais leur rôle et la description de leur situation ne manque cependant pas d'intérêt.  
 
Le premier personnage féminin intéressant est sans aucun doute Sandrine, une jeune femme qui est devenue fille-mère quelques mois auparavant et qui fait ainsi partie de la couche la plus méprisée de la société médiévale. Elle survit tant bien que mal dans la ville d'Orléans et se consacre au sauvetage de jeunes garçons abandonnés, qui deviennent souvent la proie de prédateurs comme Gilles de Rais. On fait sa connaissance en pleine nuit, alors que Sandrine explique vainement à un prêtre qu'elle a trouvé un garçonnet en mauvaise posture et qu'il faut le sauver.
 
Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Lysogr14
 
Jhen s'attache aussitôt à cette femme belle et généreuse. Il lui demande également l'hospitalité car il s'est à nouveau brouillé avec Gilles de Rais et n'ose pas retourner dans son gîte habituel. Le jeune architecte doit toutefois insister pour arriver à ses fins et Sandrine n'est ainsi pas une femme légère. Mais une fois sur place, comme la chambre n'a pas assez de lits, Jhen et Sandrine vont tout de même partager la même couche.
 
Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Lysogr15
 
On pourrait presque en conclure que tout ceci n'est qu'une aventure galante de plus, mais Jhen se comporte tout de même d'une façon honorable. En découvrant comment survit la jeune femme, il lui propose d'emmener son enfant à la campagne, dans la ferme de son ami Parfait, un ex-moine que l'on a déjà découvert dans "les Ecorcheurs" puis dans "la Cathédrale". Sandrine n'est certes plus une femme que l'on épouse mais Jhen se préoccupe tout de même de son sort.
 
Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Lysogr16

Par la suite, on découvre plusieurs images de Jhen et Sandrine complètement dénudés et la nature de leur relation ne fait alors plus de doute. Jacques Martin évite toutefois d'y ajouter le moindre commentaires grivois. La relation entre les amants ne semble pas vraiment passionnée et Jhen reste assez respectueux envers la jeune femme. La lutte contre les méfaits de Gilles de Rais semble en fait être leur première priorité.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Lysogr17

A la fin de l'histoire, Jhen tient sa promesse et emmène Sandrine avec son enfant vers la demeure de son ami Parfait. La jeune femme n'est donc pas une simple "fille de passage". Remarquons aussi que Jhen prend la défense de Sandrine face aux propos méprisants des moines, en estimant qu'elle est probablement meilleure chrétienne que ces deux ecclésiastiques arrogants, et cette déclaration est assez révélatrice de ses sentiments profonds. La dernière page de l'album nous montre l'ermitage de Parfait, où Sandrine rencontre des femmes accueillantes et trouve facilement sa place. Pour une fois, Jacques Martin a choisi de nous montrer un happy end et Sandrine le méritait bien !   Wink

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Lysogr18

Dans cet album dominé par les entreprises de Gilles de Rais et par les intrigues de la Cour royale, la relation affectueuse entre Jhen et Sandrine pourrait sembler bien anecdotique mais l'auteur nous laisse quelques pistes qui suggèrent le contraire. La belle vie, c'est probablement surtout dans le havre de paix qui accueille les deux amoureux qu'elle se trouve. Jacques Martin serait-il capable d'être parfois optimiste ? La dernière page de l'album est en tout cas étonnante de paix et de beauté. 

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Lysogr19

A côté de cette liaison, il faut bien sûr commenter certaines intrigues de cour dans lesquelles les femmes sont impliquées, la principale étant l'avènement d'Agnès Sorel comme favorite du roi Charles VII.  Remarquons que Jacques Martin se permet un léger décalage dans le temps car la relation entre cette jeune femme et le roi n'a débuté (selon les historiens) qu'en 1443, donc bien après la représentation du "Mystère du Siège d'Orléans" (survenue 7 à 10 ans plus tôt). Le "maître" s'autorisait assez volontiers ce genre de liberté, mais on peut sinon constater que ce mini-événement de l'histoire de France est raconté avec réalisme. Notons aussi que lors de sa première rencontre avec le roi, Agnès Sorel n'a que 14 ans et que l'on verrait aujourd'hui cela comme un "abus sur une mineure", mais le Moyen Âge considérait les choses d'une façon différente. Les femmes se mariaient généralement très jeunes et le fait d'être la favorite d'un roi était par ailleurs une destinée fort enviable. Les préceptes religieux étaient certes contrariés mais ... lorsque l'on est puissant, c'est le genre d'inconvénient dont on s'accommode très bien.   Wink
.
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Jacques Martin nous montre en détail la naissance de cette liaison, lorsque le roi fait irruption dans la chambre de la demoiselle pendant la nuit. Il n'a pas grand chose à dire pour conquérir la jeune Agnès, qui a probablement tout de suite compris où était son intérêt.

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Et dès le lendemain matin, la liaison du roi avec la jeune Agnès devient officielle, au grand dam de la reine ! Il semble que dans la réalité, les choses aient quand même pris un peu plus de temps et que Charles VII ait d'abord fait admettre la demoiselle parmi les femmes d'honneur de son épouse. L'intronisation d'une favorite officielle était tout de même un événement qu'il fallait gérer avec une certaine habileté. Ce qui est authentique, en revanche, c'est la facilité avec laquelle Agnès Sorel a accepté son nouveau rôle, en prenant rapidement de l'aisance et aussi un certain pouvoir.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Lysogr22

Par la suite, Agnès assiste au spectacle organisé par Gilles de Rais aux côtés du roi et ce détail est certainement inexact, mais cela reste au fond très secondaire. Jacques Martin montre bien en revanche comment la jeune Agnès assume remarquablement son rôle, en se révélant courtoise et séduisante auprès du monarque. Elle même est probablement séduite par la puissance et le pouvoir du roi, mais elle abandonnera assez vite sa naïveté pour trouver enfin sa vraie place. Elle bouleversera alors les habitudes de la cour en s'habillant d'une façon spectaculaire, voir même extravagante, et en acquérant une  redoutable influence politique sur le roi et ses conseillers.

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D'autres images nous montrent l'impuissance de la reine Marie d'Anjou, qui est la mère du Dauphin Louis, et aussi la colère de Yolande d'Aragon qui est la mère de la reine. Relevons au passage que le futur Louis XI n'acceptera jamais ce pouvoir acquis par Agnès Sorel auprès du roi et qu'il la détestera toute sa vie. Il sera d'ailleurs suspecté d'avoir fait empoisonner la favorite en 1450, après l'accouchement de sa quatrième fille dans des circonstances troubles, mais Jacques Martin ne raconte bien sûr pas tout cela. Il se contente d'exposer le dépit du Dauphin Louis, dû à l'apparition d'Agnès Sorel tenant le bras de son père, ainsi que sa morose discussion avec sa mère.

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Tel est donc le Lys et l'Ogre, une histoire dans laquelle la femme du peuple (Sandrine) semble mieux s'en sortir à long terme que les femmes de haute noblesse, très puissantes pendant un certain temps puis réduites ensuite à presque rien à cause d'un caprice du roi. Cet album raconte aussi le victoire du Lys (symbole du Roi) contre l'Ogre (qui est bien sûr Gilles de Rais) et le thème majeur de ce récit est au fond l'éternelle lutte des hommes pour obtenir (ou garder) le pouvoir. Avec Agnès Sorel, les femmes vont bientôt y participer avec habileté et c'est une de ces étonnantes surprises que peut nous réserver le Moyen-Âge, une époque dominée par la force des mâles qui pouvait aussi accorder une certaine place à l'intelligence ou à la séduction.

On ne reverra hélas pas beaucoup la cour de France dans la série par la suite ! C'est un peu dommage car avec un personnage comme Agnès Sorel, le narrateur pourrait trouver d'étonnantes histoires. Mais peut-être que cela viendra un jour.  Wink



Dernière édition par Raymond le Jeu 7 Avr - 18:15, édité 1 fois


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eleanore-clo

eleanore-clo
vieux sage
vieux sage

Avec Le Lys et l'Ogre, Jacques Martin met en scène un Saint-Vincent-de-Paul féminin : Sandrine. En 1638, le prêtre fonde l'ordre des Enfants Trouvés, destiné à accueillir les enfants abandonnés dans la vue. Et presque deux siècles avant, nous découvrons une jeune femme qui veille sur ces orphelins. Elle travaille pour les autorités religieuses. Et sa besogne consiste à récupérer les enfants abandonnés avant que ceux-ci soient capturés par des esclavagistes ou des prédateurs.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhen22

On peut remarquer en passant qu'elle élève son enfant sans l'aide d'aucun père. Là aussi, la vie n'a pas été tendre. Et on ne peut que saluer le féminisme de Jacques Martin qui attire notre attention sur la détresse des mères célibataires.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhen20

Je ne partage absolument pas l'analyse de Raymond sur la relation de Sandrine avec Jhen. Il me semble que le héros franchit la frontière du harcèlement sexuel en s'imposant dans le lit de la jeune mère. Après Perrine dans Barbe bleue, voilà Sandrine, en attendant Maria dans L'alchimiste. Un vrai coureur de jupon  gourdin . Néanmoins, Jhen va se racheter en proposant à la jeune femme et à son enfant un refuge, la ferme de Parfait. Jhen a des côtés sombres et des côtés lumineux. Cette ambivalence le rend plus humain et plus proche du lecteur. Jhen n'est pas Tintin, l'homme parfait et irréaliste. Il est Haddock avec ses faiblesses et ses gloires. Jhen est bien plus "normal" qu'Alix et Lefranc. Peut être cela explique t'il l'attachement du maître pour son personnage, celui de la maturité et de la sagesse ?

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhen21

Concernant le destin de Sandrine, on remarque que le maître lui épargne le sort d'Ariana. Ouf ! Une de sauvée ! La "survivabilité" des Jhen-girls est plus élevée que celle des Alix-girls !

Venons en maintenant à la deuxième héroïne, Agnès Sorel. Le personnage a vraiment existé même si sa présence dans le scénario relève d'un anachronisme. Comme l'a souligné Raymond, la rencontre de Charles VII et de sa future amante date de 1443 alors que les représentations théâtrales du siège d'Orléans se terminent en 1440 avec la mort de Gilles de Rais. Pourquoi donc cet anachronisme ? Chaque membre du forum aura son interprétation et je suis d’ailleurs très curieuse de la connaître. Personnellement, j'y vois trois raisons possibles.

1) La première, la plus évidente, est la dénonciation des mœurs détestables de la cour. Finalement, Gilles de Rais n'est pas le seul noble exécrable. Et de plus, le monstre dévoile ici ses qualités : la générosité (le financement du spectacle), la fidélité (Jeanne d'Arc), la capacité oblative (Nicolas), le féminisme (en imposant une actrice), etc. Et face à ces qualités inattendues, Jacques Martin campe un pouvoir politique nauséabond. Ainsi, le roi et La Trémoille utilisent leur pouvoir et leur prestige pour abuser des femmes (#BalanceTonPorc). Et je ne parle pas du silence complice du grand chambellan face aux meurtres du Seigneur de Machecoul .

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhen84 Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhen83 Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhen85

2) Le deuxième raison me semble la construction d'un deuxième théâtre, en miroir des tréteaux assemblés par Jhen. La vie de cour relève d'une œuvre dramatique, d'une tragédie. Les relations entre les différents membres de la famille royale sont empreintes de tensions. Que ce soit les humiliations répétées de la reine de France, Marie d'Anjou, ou celles de sa mère, Yolande d'Aragon. Sans oublier la relation délétère entre Charles VII et son fils, le futur Louis XI.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhen78

Les meurtres familiaux et politiques sont omniprésents. Jacques Martin, spécialiste de l'histoire grecque a sans doute voulu ici "médiévaliser" le drame des Atrides.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhen82

Ainsi et comme le souligne si bien Raymond, le destin d'Agnès Sorel sera tragique. Elle meurt empoisonnée en 1450, onze années avant le roi, peut être victime d'une machination du Dauphin, le futur Louis XI. Son pouvoir était devenu trop grand. Telle Icare, elle s'est tuée en approchant trop près du soleil.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhen77

3) Du fait de l'anachronisme, la BD nous indique que la courtisane est âgée de 14 ans lorsqu'elle rencontre Charles VII. Là aussi, le maître veut induire un raisonnement chez le lecteur, celui de l'abus d'un corps non formé et qui va donc être malmené. Sauf que dans la réalité historique, la courtisane avait 21 ans. De plus, la majorité était à 12 ans au Moyen Âge (Esquisse d’un tableau géographique des droits-libertés pour les jeunes pré-majeurs en Europe - Rodolphe Doumouche - 2018).

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhen80

Après, je ne partage pas l'avis de Raymond lorsqu'il parle de sort enviable. Qu'une femme soit obligée de vendre ses charmes pour exister s'appelle de la prostitution. Certes, le client peut en venir à aimer la péripatéticienne et Hollywood a su exploiter cette idée dans le film Pretty Woman. Il n'en reste pas moins que c'est anormal. Pour essayer de faire comprendre mes propos, je vous propose de changer de sexe. Et est-ce que les hommes médiévaux doivent vendre leurs corps pour survivre ? Non sauf pour les jeunes violés par Gilles de Rais. Et est-ce normal ? Bien évidemment que non.

Incarnation de la beauté, Agnès Sorel servit de source d'inspiration au Diptyque de Melun (1452-1458). Sa représentation en vierge couronnée traduit sa rédemption et une vision apaisée de sa relation avec la cour.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhen79
La Vierge allaitant - Jean Fouquet - Musée des beaux arts Anvers

Raymond parle d'une tenue extravagante. Je ne partage pas cette vision masculine Smile et trouve au contraire que la courtisane a fière allure avec son splendide hennin.

Ce opus va aussi me permettre d'aborder le sujet des actrices dans les pièces de théâtre. Comme je l'ai indiqué plus haut dans ce fil, les femmes athéniennes ne pouvaient jouer dans les pièces. Et bien cette interdiction s'est prolongée durant tout le Moyen Âge.

Et lorsque Gilles de Rais demande à la sœur de Jeanne de jouer le rôle principal du "mystère", un des frères de la Sainte se sent obligé de rappeler la coutume :

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhen39 Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhen38

Mais Gilles de Rais décide de rompre avec la tradition. Qu'en déduire ? Qu'il est moderne et féministe ou qu'il veut tellement que son spectacle rende honneur à son ancienne sœur d'arme qu'il est prêt à tout pour améliorer le rendu de la reconstitution ?

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhen40

La metteuse en scène, autrice, comédienne et chercheuse Aurore Evain s'est penchée sur le sujet dans on ouvrage : L'apparition des actrices professionnelles en Europe (2001). Le premier engagement français date de 1545. Le contrat est passé à Bourges, devant un notaire, entre une comédienne, Marie Ferré, et un directeur de troupe, Antoine de L'Esperonnière. La jeune femme suivra la troupe pendant une année où elle jouera diverses pièces en échange de quoi elle sera nourrie, logée, soignée, et recevra « douze livres tournois ». Les anglais attendront 1660 pour voir une actrice interpréter Shakespeare. Souvenons-nous d'ailleurs du film Shakespeare in love (1998) où l'héroïne s'est grimée en homme pour pouvoir jouer. En fait, l'actrice émerge au XVIe siècle car le répertoire théâtral se diversifie et car aussi la figure du travesti devient sexuellement suspecte. Et parmi les grandes figures de cette époque, on peut retenir celle de Madeleine Béjart (1618-1673), compagne un temps de Molière.
Heureusement, cet ostracisme ne durera pas et certaines actrices devinrent des monstres sacrés, mondialement connus, comme Sarah Bernhardt (1844-1923).

Le lys et l'ogre est une BD scénique où les tragédiennnes tiennent un rôle majeur, que ce soit en dehors du théâtre (Sandrine), sur les tréteaux (la sœur de Jeanne d'Arc) ou dans la salle (Agnès Sorel). Jacques Martin construit un subtil jeu de miroir et nous offre une très belle œuvre, très cohérente et riche en nuances.

Eléanore

Raymond

Raymond
Admin

Merci pour tes recherches historiques sur le théâtre et les comédiens au Moyen Âge ! pouce  Je n'avais pas trop insisté sur cet usage de donner aux hommes le rôle des personnages féminins et il est vrai que cela permet à Jacques Martin donne un beau rôle à Gilles de Rais, pour une fois !  

Sinon, Jacques Martin s'est souvent permis de petits anachronismes lorsque cela pouvait lui être utile pour son récit. Il savait qu'il écrivait des œuvres de fiction et pour lui, la qualité de la narration et de la tension dramatique était plus importante que la rigueur des données historiques. Et pour ma part, je lui pardonne volontiers ces petites entorses. Wink

Pour ce qui concerne le statut de favorite du roi, je persiste à dire que c'était quand même une situation enviable. Elle était ardemment souhaitée par de nombreuses jeunes femmes (ou demoiselles) de la cour royale mais il est évident qu'il fallait aussi être à la hauteur, car cette position pouvait devenir très dangereuse. Il semble par exemple assez certain que la pauvre Agnès Sorel a été empoisonnée peu avant sa mort (il y a plusieurs suspect, dont bien sûr le futur Louis XI), et on ne badine donc pas avec le pouvoir.   Rolling Eyes

Quant à Jhen, s'est-il comporté comme un mufle vis-à-vis de Sandrine en s'introduisant chez elle ? Chacun aura son avis, mais je trouve que les habitudes séductrices du héros ne l'empêchent pas d'avoir aussi du cœur.


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eleanore-clo

eleanore-clo
vieux sage
vieux sage

Une vidéo de Stéphane Bern sur Agnès Sorel :



Eléanore

Raymond

Raymond
Admin

Merci eleanore ! Agnès Sorel est sans aucun doute un personnage intéressant.   Very Happy

Venons en à l'Apocalypse, une aventure étrange de Lefranc qui est devenu à la longue une sorte d'album testamentaire. Pour Jacques Martin, cette œuvre correspond un peu à ce que sont "les Bijoux de la Castafiore" pour Hergé, ou "Panade à Champignac" pour Franquin. Le récit contient en effet une tentative de déconstruction des aventures habituelles de Lefranc. Les recettes narratives habituelles fonctionnent un peu à vide et créent un faux suspense, et ceci suggère une prise de distance de l'auteur par rapport à son œuvre. Quelques lecteurs martinophiles admirent sans réserve cette bande dessinée ironique, tandis que d'autres y constatent avec perplexité que l'aventure y laisse beaucoup (trop ?) de place à la philosophie.  Wink

Fondamentalement, l'Apocalypse est un récit de science-fiction. L'album raconte en effet un voyage dans le futur effectué par Lefranc et Axel Borg, et ils sont accompagnés d'autres personnes également nées au 20ème siècle. Tout ce petit monde a été invités dans un coin perdu de l'Europe par une mystérieuse organisation (Pro Mundia) afin d'y réfléchir sur l'avenir de l'humanité, et les participants affrontent une série d'épreuves et de tests dont ils saisissent mal les finalités. Ils découvrent à la fin de l'histoire qu'ils ont fait un bref saut dans un lointain futur et ne savent pas que faire de ce qu'ils ont appris. Et finalement, Borg et Lefranc décident de refaire simplement ce qu'ils ont toujours fait : défendre (pour Lefranc) ou violer (pour Borg) la loi et l'ordre, et ainsi continuer à s'affronter !  

Comme cette exploration du futur est essentiellement une découverte personnelle du monde, peu de choses se passent entre Lefranc et ses compagnons de voyage. Le reporter fait toutefois la connaissance d'une célèbre comédienne qui se nomme Carine Clerc et elle semble très intéressée par Lefranc. C'est une jeune femme dont l'apparence est élégante, qui rit facilement et que l'on pourrait soupçonner d'être assez superficielle. Elle a aussi un vif esprit de répartie et elle se montre très habituée à briller dans les milieux mondains.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Apocal10

Les premières épreuves (surtout sportives) ne semblent pas être pénibles pour Carine Clerc qui continue à soigner sa présentation. Elle se montre aimable avec tout le monde et semble également un peu intéressée par Axel Borg. Mais les futurs voyageurs ne devinent pas du tout ce qui les attend.

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Certes, Lefranc se méfie et il commet même quelques imprudences (en essayant de s'enfuir), mais dans l'ensemble, peu de choses viennent troubler la préparation du grand voyage dans le temps. Puis lors d'une petite promenade sous un temps neigeux, Lefranc se retrouve seul à côté de Carine Clerc. Le héros se demande de façon humoristique si on va les prendre pour des amoureux et la jeune femme lui répond du tac au tac : "Avec vous, il n' a aucune chance ! Aucun danger ! " Lefranc est interpellé par cette petite pique et un flirt semble s'ébaucher. Carine est une séductrice et on se met à parler d'un éventuel baiser. On pourrait supposer qu'il y a ensuite un passage à l'acte mais Jacques Martin ne le montre pas. Et comme Lefranc est rarement empressé avec les dames, il faut admettre qu'il reste un gros doute.

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Des projections de nombreux films suivent cette rencontre et ils montrent aux invités des événements plus ou moins célèbres de l'Histoire européenne. Les "invités" de Pro Mundia sont fortement interpellés par ce qu'ils voient, car il y a parfois des scènes de leur propre enfance. Ils se retrouvent alors autour d'une table à discuter de ce qu'ils ont découvert. Lefranc parle d'une horreur tandis qu'un voisin évoque un véritable "matraquage". Carine Clerc garde pour sa part son sang froid. Elle ne rit plus et concède qu'elle ne peut chasser certaines images de son esprit, mais elle ne se laisse pas aller à aux manifestations d'émotions. Elle est plutôt une femme forte !

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Apocal13  Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Apocal14

Jacques Martin ne nous dit pas ce que découvre Carine Clerc pendant sa découverte de la future planète Terre, mais après son retour, elle ne semble pas avoir changé de priorités. Elle retrouve Lefranc et se remet aussitôt à flirter avec lui. Les relations amoureuses sont plus importantes pour elle que les questions philosophiques et politiques qui ont été posées par Pro Mundia. Elle est ainsi redevenue rieuse et séductrice et peut-être que Lefranc serait tombé dans le panneau si Axel Borg (ou plutôt Jacques Martin Wink ) n'était pas rapidement intervenu. L'éternel adversaire de Lefranc emmène donc au loin la jeune actrice et c'est pour elle quasiment un adieu. Carine Clerc n'a cette fois pas réussi à embobiner l'homme qu'elle voulait pour elle, mais elle garde toujours des ressources.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Apocal15

Lefranc et Axel Borg quittent ensuite le lieu d'accueil offert par Pro Mundia et ils prennent l'avion pour Paris. Et après avoir atterri à Roissy, ils retrouvent une dernière fois Carine Clerc qui reste toujours la même. Elle a trouvé un autre homme et se montre froide avec Lefranc, et on peut supposer qu'elle n'a pas de temps à perdre. On devine qu'il y a de l'intelligence et également des calculs derrière les sourires et les petits rires de Carine Clerc. C'est en fait une femme qui réussit une grande carrière et qui sait s'y prendre dans ses relations avec les hommes. Et dans le fond .... Lefranc lui a échappé de peu ! Merci Axel Borg !  Wink

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Et au bout de ce récit, je ne peux m'empêcher de percevoir une certaine misogynie dans ce portrait plutôt acide d'une actrice célèbre et séduisante. Il est évident que Jacques Martin ne manque pas sa cible, et que des personnages de ce genre existent réellement. Mais le lecteur ne peut pas s'empêcher de penser que cette femme superficielle et égoïste n'a rien compris à tout ce qu'elle avait vu et entendu. Il devient en fait tentant de la mépriser un peu mais ... il est clair que Carine Clerc ne manque pas d'intelligence, en particulier dans le domaine relationnel ou social. Elle a choisi ses priorités et préfère tout simplement ignorer certaines réalités désagréables.

Album testamentaire, dans lequel Jacques Martin se met à réfléchir au destin de l'humanité, l'Apocalypse ne donne pas un rôle très brillant aux femmes. A ceci s'ajoute la vision d'une humanité future devenue hermaphrodite, dans lequel la distinction entre hommes et femmes perd tout son sens, et il en ressort une vision assez glaçante du prochain millénaire. Pour l'auteur qui a répété en diverses circonstances combien cette histoire lui tenait à cœur, la description des périls (essentiellement la surpopulation) qui guettent l'humanité était primordiale et les solutions qu'il propose ne sont bien sûr qu'un pis-aller. Le sort des femmes n'était pas une question prioritaire. Et puis de toute façon, elles sont destinées à disparaître, tout comme les mâles bien sûr, et les questions liées au genre deviennent futiles. Et donc, le pessimisme de Jacques Martin ne vise pas spécialement les femmes mais bien l'être humain tout entier. J'ai pour ma part bien envie de faire comme Lefranc, ou comme Carine Clerc : occupons-nous plutôt de nos propres priorités, et ne regardons pas trop le futur !   Wink

Avouons-le, ce n'est pas un album que je relis souvent !


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eleanore-clo

eleanore-clo
vieux sage
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eleanore-clo a écrit:Une vidéo de Stéphane Bern sur Agnès Sorel :
...
Eléanore

La vidéo est un peu longue à regarder. Pour résumer, Stéphane Bern portraiture Agnès Sorel en évoquant différentes facettes de sa personnalité.
- Femme d’État, continuatrice des combats de Jeanne d'Arc, elle pousse Charles VII à combattre l'invasion anglaise en notamment à libérer la Normandie.
- Dirigeante-née, elle se crée un réseau de soutiens qu'elle convainc le roi de placer au sommet de l’État, le grand argentier de France Jacques Cœur ou le général Pierre de Brézé en étant les deux exemples les plus remarquables.
- Courtisane, elle se fait respecter puis aimer par le roi.
- Influenceuse, elle donne le ton quant à la mode vestimentaire.

L'anachronisme de Jacques Martin, qui lui permet de mettre en scène Agnès Sorel, constitue peut être un hommage à une quasi-reine de France.

Eléanore

eleanore-clo

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vieux sage

Avec L'apocalypse, Jacques Martin nous présente un personnage ambigu : Carine Clerc.
Elle sonne tellement vrai que je me demande si le maître ne s'est pas inspiré d'une personnalité réelle. J'ai parcouru vainement la toile pour essayer de trouver une comédienne célèbre des années 1980 mais je vois mal Sabine Azema ou toute autre artiste avoir été l'égérie de notre auteur fétiche. Après, j'ai une autre idée que je vous présenterai à la toute fin de ce mot  Twisted Evil .

Ambigu est le mot clé. En effet et comme le fait si bien remarquer Raymond, elle apparaît successivement superficielle, parleuse, intelligente, séductrice, résiliente, calculatrice, etc. Notre comédienne accumule donc les qualificatifs, dont certains s'opposent d'ailleurs à d'autres.

Durant tout l'ouvrage, l'auteur décrit un personnage gai, d'une singulière légèreté et trop insistante dans sa relation avec les hommes. De plus, concernant son nom d'artiste, l'allitération sur la consonne C fait précieux.
Son rire est travesti en un leitmotiv qui va nous accompagner au fil des pages. Je me suis d'ailleurs amusée à dénombrer 12 "Hi !" dans la BD. Bien décidée à "croquer" le journaliste, Carine Clerc va essayer de s'imposer à chaque rencontre avec Lefranc. Tout les prétextes sont bons. Et si elle passe du coq à l'âne en jetant son dévolu sur l'écrivain Pierre Nailly en page 46, elle n'en laisse pas moins la porte ouverte à une future rencontre…
 
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Tous ces badinages pourraient paraître futiles ou inutiles alors qu'ils installent des moments de relâchement dans une intrigue lourde et oppressante. La comédienne ne serait-elle alors qu'un outil scénaristique ? Comme Raymond, je ne le pense pas. C'est une vraie héroïne. Et c'est pourquoi j'ai évoqué une ambiguïté la concernant.

Tout d'abord, elle surclasse aisément la plupart des invités de Pro Mundia. Et loin d'être écrasée par l'ambiance étouffante du huit-clos montagnard, elle fait au final plus que bonne figure. Alors que Borg ne fait qu'acheter un chapeau durant cette aventure  Smile,  la comédienne a au moins l'énergie de se lancer dans un vaudeville  Laughing . Dans un hôtel où la passivité est générale, elle regarde du côté de Lefranc qui est le seul à tenter de s'évader.

Venons en maintenant aux visites dans le passé. Celles-ci confirment la stature d'héroïne. Chaque incursion est signifiante et Jacques Martin ne donne les détails de ces expériences que pour les principaux protagonistes. Bien évidemment, notre comédienne "bénéficie" de cette attention du maître. Et on ne peut pas dire que ces pages du scénario soient anodines. Dans celles consacrées au journaliste, le maître construit un pont entre les deux pans principaux de son œuvre, l'antiquité romaine et Alix à gauche, le monde contemporain et Lefranc à droite. Un grand moment donc. Et il en est de même avec Borg. Avec la fable de l'enfant perdu, le maître poursuit sa dédiabolisation de l'adversaire principal du héros de la série en lui construisant une enfance sensible. Et l'habituel dipôle se transforme en un système ternaire, avec l'holocauste en gonfalon pour Carine Clerc. Le personnage ne peut donc pas se résumer à une certaine futilité. Dans la montagne comme sur les planches, elle joue un rôle. Comme l'a si bien théorisé Diderot dans le paradoxe sur le comédien, son apparence ne reflète absolument pas ses émotions.

Au final, la ravissante idiote ne cacherait-elle pas au final une nature plus riche ?

Du coup, je me demande si on ne peut pas rechercher d'autres feintes, elles aussi bien cachées dans la BD. A ce sujet, Raymond a cité Les bijoux de la Castafiore, une œuvre où les faits ne sont jamais ce qu'ils semblent être. Et je partage cette parenté. De plus, L'apocalypse dégage une fragrance d’irréalité. Partant de là, la frontière entre une intrigue bien visible et des messages cachés me semble plus que poreuse.

J'ai déjà évoqué le lien entre Alix et Lefranc.

Ne peut-on aussi évoquer le thème de l'uranisme ? Les perpétuelles avances de Carine Clerc occupent le premier plan pour mieux dissimuler une bienveillance à l'égard des gays. Elle se manifeste d'abord avec la transformation du décès accidentel d'Antinoüs en un meurtre. Le jeune amant d'Hadrien devient la victime d'un système. La mort de Louis II de Bavière, roi ouvertement homosexuel, relève de la même problématique. Le raccourci (biaisé mais réel) entre la transgression des us et la sanction suprême est clairement représenté deux fois. On peut asseoir le raisonnement autrement. Ne trouvez-vous pas étrange que le maître ait choisi ces deux évènements parmi une multitude d'autres ? Et il est possible d'enfoncer encore plus le clou en se rapportant aux dernières pages du conte. Le remède aux maux induits par certaines relations sexuelles extrêmes se trouve dans le futur. En imaginant une population devenue hermaphrodite, le maître "pansexualise" et "pacifie" la relation entre les êtres.

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Je vais maintenant profiter de ce billet pour signaler deux autres sens cachés, non liés cette fois à notre thème des femmes dans l’œuvre de Jacques Martin.

Le premier tient à la présence insolite de la cathédrale de Cologne au milieu d'un champ. Tout le monde pense évidemment à sa homologue chartraine.

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Mais surtout, l'évocation de sa destruction pour laisser la place à une agriculture vivrière s'inscrit en opposition avec le miracle de la multiplication des pains. La religion n'est plus nourricière. Elle s'oppose au contraire à la survie de l'humanité  Shocked .

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Un autre message se dissimule dans la mystérieuse apparition du traîneau royal. On peut y voir une réponse aux propos d'Axel Borg sur la réalité de Pro Mundia. Mais on peut aussi y percevoir une critique de la société moderne et aussi l'autojustification de l'utilisation d'une BD forcément imaginaire comme vecteur de vérités.

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Et donc, pour boucler la boucle et revenir au thème des femmes dans l'œuvre de Jaques Martin, quelle pourrait être la signification cachée de la présence de Carine Clerc dans L'apocalypse ?

Déjà, qu'en pensent les membres du forum ?
Me concernant et en partant du principe que l'hôtel mystérieux est une sorte d'Arche de Noé, la comédienne en devient le représentant d'une espèce, les femmes ! Il en fallait bien une  Twisted Evil  !  Bon. C'est un peu tordu par les cheveux. Du coup, je vous propose de remplacer la teneur cachée par un clin d’œil caché. Et si Jacques Martin avait voulu rendre intégrer une de ses connaissances dans la BD ? L’allitération sur la consonne C, la forme du visage, la couleur et la coiffure des cheveux me font vous proposer Chantal Chaillet, l'épouse de Gilles Chaillet !

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Dans une BD aussi abracadabrante, tout n'est-il pas possible ?  Wink

Au final, cette BD quelque peu ésotérique adopte un regard ambigu sur les femmes. Et chacun, en fonction de sa sensibilité, pourra y voir une œuvre sexiste ou féministe.

Eléanore

Raymond

Raymond
Admin

Donc, ton hypothèse c'est CC = CC.   Wink

En fait, je ne connais pas du tout Chantal Defachelle-Chaillet et il m'est impossible de me prononcer sur cette idée. Si le personnage de Carine Clerc avait été inspiré par elle, cela impliquerait une sorte de collaboration malicieuse entre Jacques Martin et Gilles Chaillet. Ce n'est pas impossible mais j'aurais pour ma part plutôt évoqué certaines actrices françaises oubliées du XXème siècle, comme Gaby Morlay ou Danielle Darrieux, qui manifestaient le même genre d'indépendance, de gaité et d'assurance dans leur vie de vedette. Elles appartiennent bien sûr une génération plus ancienne que celle de Sabine Azéma mais leur temps de célébrité correspond assez bien à celui de la jeunesse de Jacques Martin. Cette suggestion est cependant elle aussi totalement hypothétique.

Je dirais finalement que Carine Clerc est un personnage inventé, même si elle a de lointains modèles qui ne sont pas forcément des actrices. Quant à son visage, on peut bien sûr se demander si Gilles Chaillet s'est inspiré de son épouse mais j'ai un peu de peine à le croire.

J'aime bien ton allusion au Paradoxe sur le Comédien car on peut se demander si Carine Clerc "joue un rôle" ou si elle est vraiment ce qu'elle montre en société. C'est un vrai débat et peut-être y a t-il chez elle un mélange des deux. A force de jouer son rôle de vedette, elle est probablement devenue comme ça, c'est à dire superficielle, mondaine mais pas forcément sotte, un peu comme l'était Jean-Claude Brialy. Elle ne mène pas une double vie et elle s'identifie finalement à son rôle.

Quant à la présence de l'uranisme (je ne connaissais pas ce terme), c'est vrai qu'elle n'est pas négligeable dans l'Apocalypse mais Jacques Martin va bien au delà en imaginant une société humaine hermaphrodite et détachée de certaines passions amoureuses ! Brrrr ... cela m'effraie ! Jacques Martin est parfois impitoyable. pale


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Raymond

Raymond
Admin

Et nous retrouvons enfin Alix avec cette aventure sulfureuse qui s'intitule Le Cheval de Troie. Les femmes y jouent un rôle un peu maléfique et il est donc intéressant d'en parler. Nous sommes en plein dans notre sujet !  Wink  

Au départ de l'intrigue, il y a bien sûr l'hasardeuse hypothèse que ce fameux cheval en bois puisse encore exister au temps de Jules César, plus de 1'000 ans après les événements racontés dans l'Iliade. Et même si c'est fort improbable, Jacques Martin ne s'est pas privé d'imaginer une belle histoire, comportant divers complots et affrontements criminels afin de s'emparer de ce vestige historique. Et puis très vite, la lutte pour ce cheval de bois passe à l'arrière-plan afin de mieux s'intéresser à un deuxième conflit : celui de l'héritage d'Horatius ! Le vieux général romain souhaite adopter le jeune grec Héraklion, afin de lui léguer tous ses biens, mais pour arriver à ses fins, il doit affronter sa terrible et vénéneuse belle sœur qui se nomme Hermia. Cette dernière veut s'emparer de toute la fortune d'Horatius en lui faisant épouser sa propre fille Daphné. Et pour obtenir cette fortune, tous les coups deviennent permis !

Avouons-le, la lecture de cette étrange histoire a toujours suscité chez moi des sentiments contradictoires. Par certains côtés, l'aventure d'Alix est très belle car le héros visite plusieurs sites célèbres de la Grèce antique, que Jacques Martin dessine par ailleurs d'une façon splendide. Mais d'un autre côté, l'affrontement d'Horatius (soutenu par Alix) et de son horripilante belle-sœur pollue hideusement ce beau voyage maritime autour du monde hellénique. Pour cette raison, j'ai toujours ressenti une sorte d'incompréhension, et surtout un très gros sentiment d'irritation qui était réveillé par la question suivante : " Mais pourquoi Horatius ne se débarrasse t-il pas manu militari de cette épouvantable mégère ?" Après tout, Horatius est le gouverneur de la province de Pergame et il y possède les pleins pouvoirs ! Il pourrait expulser aussi sûrement que légalement son horrible belle soeur ... mais il ne le fait pas ! C'est d'autant plus incompréhensible qu'Horatius n'est pas amoureux de la jeune Daphné (malgré sa beauté) et qu'il n'a semble t-il fait aucune promesse ? Alors pourquoi se laisse t-il enfermer dans une sorte de piège psychologique ? Et comment Hermia arrive t-elle à exercer sur lui une telle emprise ?

Il est donc intéressant de discuter d'Hermia, cette épouvantable belle-soeur d'Horatius, qui parait au départ assez ordinaire. Certes. lorsqu'elle rencontre Alix et Héraklion à Epidaure, Jacques Martin nous informe tout de suite qu'elle est l'instigatrice des multiples tentatives d'enlèvement et d'assassinat commis pendant la première partie de leur voyage. "Tant d'argent dépensé en pure perte" s'exclame Hermia ! Et elle conclut : "il faudra que je m'occupe moi-même de cette affaire" ! Cette promesse ne laisse rien augurer de bon.

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Hermia arrive à convaincre Horatius qu'elle n'est pas une criminelle et il est bien est étonnant que le général manque à ce point de lucidité. Toutefois, même si elle prend garde aux mots qu'elle emploie en face de son beau-frère, Hermia n'arrive pas à cacher son dépit en voyant Héraklion. Elle repère également tout de suite Alix et annonce que c'est "un bel adversaire à affronter". Hermia ne masque pas sa colère et on se demande pourquoi Horatius n'entend pas tout cela ?

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La haine d'Hermia envers Alix et Héraklion est donc manifeste, et elle est encore plus évidente dans le bateau qui emmène Horatius et sa suite vers Priène. Elle y fait face à son beau-frère et essaie de faire boire à Heraklion un breuvage suspect. Le jeune grec refuse, évidemment, et Hermia éclate de rage en insultant Heraklion. "Goûte-le toi-même, espèce de morveux" s'exclame t-elle. Face à cela, le général romain se contente d'être surpris ! Il ne met pas en garde la terrible matrone contre son attitude impulsive et malveillante, et Horatius n'y comprend vraiment rien. Serait-il devenu sénile ?

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Les seuls propos capables d'ébranler Horatius sont ceux qui l'empêchent formellement d'adopter Heraklion ! Ce point sera d'ailleurs plus tard le déclenchement du drame final. Mais au départ, l'affrontement entre Hermia et Horatius reste relativement feutré. "Que tu refuses d'épouser ma fille en est une autre (chose) que nul ne peut admettre" affirme avec force Hermia, mais Horatius tient bon et ne s'énerve pas. Il est sûr de ses prérogatives et refuse, en estimant qu'il contrôle encore les agissements d'Hermia

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Alix est en revanche plus lucide, et il constate le même jour qu'Hermia marchande avec Adroclès. Il ne connait pas les détails du complot mais il sait qu'Heraklion est en danger. Mais pourquoi Horatius ne l'écoute t-il pas ? Les lecteurs ont sinon compris que la matrone vient d'acheter divers poisons et que cette femme est réellement un monstre dangereux. Il y a ainsi dans les drames et les romans des personnages que l'on adore détester ! Et avec Hermia, nous sommes bien servis !   Wink

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Puis le drame éclate ! Héraklion est enlevé par les étranges "hommes-chevaux" (qui veulent surtout détruire le cheval de Troie) et Hermia est bien sûr l'instigatrice de ce méfait. D'une façon hypocrite, l'odieuse matrone essaie de se décharger de cette responsabilité avant de fixer ses conditions : Horatius doit renoncer à adopter Héraklion et se marier sans attendre avec Daphné. Le général romain parait alors abasourdi et ne parvient même pas à se mettre en colère. "Je vais réfléchir" répond-il, puis il met en garde sa belle-sœur contre le moindre incident qui pourrait arriver au jeune grec. Horatius comprend-il enfin ce qui se passe ? Pas tout de suite semble t-il, car il médite longuement pendant le reste de la journée ! il se rend en tout cas bien compte qu'il a perdu le contrôle de la situation et ceci va le pousser au désespoir.

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Avant l'enlèvement d'Heraklion, Horatius possédait le pouvoir politique et il avait presque toutes les cartes en main. Mais il a sous-estimé Hermia ! Et pourquoi n'a t-il pas réagi face à un danger qui semblait évident et qui avait été remarqué par Alix ? Parce qu'il était sous emprise, bien sûr, et qu'il était dominé par une femme de sa famille, une matrone orgueilleuse qu'il connaissait depuis longtemps et à qui il n'a jamais su dire non ! Peut-être qu'Horatius est d'origine plébéienne et que ceci l'a incité à être modeste face à une femme de plus noble origine ? Mais peu importe, au fond ! Quelle qu'en soit l'explication, Horatius s'est montré incapable d'être le chef de famille. Il s'est comporté en homme faible, tandis qu'Hermia s'est montrée toute puissante et totalement dénuée de scrupule. Cette dernière possède indiscutablement une bonne intelligence manœuvrière et une certaine habileté relationnelle, associée à une volonté de fer, et l'on retrouve en fait chez elle toutes les qualités que l'on pouvait attribuer jadis à Arbacès. Jacques Martin aime animer des personnages de ce genre et c'est la seconde fois (après Maia) qu'il donne à une femme ce rôle central de la traîtresse, de l'ennemie toute-puissante et de la mégère dangereuse et criminelle. Hermia est un personnage horrible, mais sa fin le sera également !

Le pauvre Horatius arrive en effet à réagir et à sauver Heraklion, mais il le fait en homme faible, en se sacrifiant pendant la cérémonie de mariage. Le général ordonne à ses hommes de verrouiller les portes du temple puis il allume un gigantesque incendie, condamnant ainsi à mort Hermia, sa fille Daphné et tous les témoins de circonstance qu'il s'est mis à haïr. Ce suicide inattendu permet bien sûr à Jacques Martin de dessiner quelques scènes spectaculaires, mais c'est aussi la terrifiante fin d'un général qui n'a jamais su gouverner sa propre maison. Quant à l'éventuelle morale de cette sombre histoire ... je n'oserai pas dire qu'il y en a une, mais j'ai ma petite idée sur la question (voir plus loin) !   Wink

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Et que penser finalement de cette terrible aventure, et de ces personnages excessifs qui succombent à leurs passions ? Il est bien évident qu'Horatius, Hermia ou Daphné sont avant tout les acteurs d'un monstrueux mélodrame, mais on ne peut s'empêcher de penser que de tels caractères (et de telles situations) peuvent aussi exister dans la réalité. Le grand raconteur d'histoires qu'est Jacques Martin est en tous cas assez habile pour nous le faire croire, et j'admets d'ailleurs qu'une femme très volontaire puisse exercer une très grande emprise sur tous les membres de sa famille. Ce qui est inhabituel, en revanche, c'est que la personne dominante d'une famille soit aussi ouvertement malveillante envers les autres, sans même chercher d'excuse, et on touche là bien sûr aux limites du réalisme. Hermia est davantage une puissante invention romanesque qu'une créature réelle, même si elle peut évoquer par moment quelqu'un de connu ! Et peut-être y a t-il aussi derrière cette création d'auteur une petite dose de misogynie, que l'on peut toutefois pardonner à l'auteur car les méchants sont tout de même plus souvent masculins que féminins dans les histoires d'Alix. L'invention d'Hermia pourrait ainsi être un simple corollaire du principe de l'égalité des sexes, mais peut-être que cette idée ne va pas plaire à tout le monde.  Wink

Et enfin, pour en revenir à l'album lui-même, j'aime assez relire le Cheval de Troie car il propose une agréable ballade maritime autour de la Grèce, mais je continue à m'énerver devant la stupidité d'Horatius qui est au fond une très (voir trop) belle illustration du fameux principe de Peter. Vous connaissez en fait déjà cette idée : à force de monter dans une hiérarchie, on finit toujours par atteindre son niveau d'incompétence et alors ... ça fait très mal. Mais il vaut mieux constater cela dans un album d'Alix que dans la réalité, bien sûr !   Twisted Evil


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Raymond

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Ajoutons encore un petit mot au sujet de Daphné, la fille d'Hermia qui suit respectueusement sa mère tout au long de l'intrigue du Cheval de Troie ! On la voit si souvent qu'il est impossible de ne pas parler de ce deuxième personnage féminin.  

En première lecture, cette jeune femme ne frappe pas vraiment notre regard. Daphné semble effet presque transparente derrière sa mère qui accapare toute l'attention, et elle ne fait de plus que répéter (avec son propre style) les propos d'Hermia. Les deux femmes forment ainsi un curieux duo. Il y a d'abord la volcanique et méchante Hermia, puis à côté d'elle la douce et patiente Daphné, que l'on pourrait presque supposer gentille. Peu de choses permettent réellement de les séparer et ce n'est au fond pas très flatteur pour Daphné. Mais il faut admettre qu'elle utilise intelligemment sa beauté pour tromper son entourage. Il est par exemple intéressant de constater comment elle regarde Alix avec beaucoup d'aplomb et en gardant les yeux grands ouverts, afin d'éventuellement le séduire, tout en appuyant (sans trop insister) les déclarations d'Hermia. Son discours devient ainsi ambigu et on se demande vraiment si elle met gentiment en garde Alix ou si elle profère simplement une menace.

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Vis-à-vis des interlocuteurs d'Hermia, Daphné prend volontiers une attitude conciliante. Elle cherche souvent à excuser les emportements (voir même les menaces) proférés par sa mère et on pourrait presque en déduire qu'elle est douce et raisonnable. Il est plus vraisemblable qu'elle essaie de séduire Horatius avec cette attitude (même si ce dernier n'a d'yeux que pour Héraklion) et il est en fait bien difficile de savoir ce qu'elle pense. Selon Daphné, toutes ces querelles ne sont au fond que des "malentendus" mais ... est-elle vraiment sincère dans son discours ?

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Ce qui est certain, c'est que Daphné participe au complot organisé par Hermia et Adroclès, qui a pour but d'enlever Héraklion et de tuer Alix. Elle n'émet pas la moindre remarque pour atténuer la férocité du projet et elle appuie donc tacitement les entreprises criminelle de sa mère. Daphné devient ainsi elle-même une criminelle et le fait d'être sous l'influence de sa génitrice ne saurait vraiment tout excuser. Son discours apaisant devant Horatius relève plutôt de l'hypocrisie et de la tromperie, même si on pourrait se demander s'il n'y a pas chez elle une petite part d'immaturité dans son comportement ?

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Peut-être en raison de sa jeunesse (elle n'est probablement qu'une adolescente), on aurait tendance à chercher des excuses à la belle Daphné. Et de fait, son attitude s'explique probablement par un mélange de malveillance et d'immaturité. Mais en prenant clairement le parti de sa mère, et surtout en soutenant sans équivoque ses entreprises criminelles, Daphné fait un choix conscient et définitif que l'on n'a pas envie de lui pardonner. Son attitude hypocrite la rend même peut-être encore plus odieuse qu'Hermia qui est impulsive et qui cherche moins à déguiser ses sentiments. 

Daphné est en fait le genre de criminelle que l'on retrouve souvent de nos jours devant un tribunal. Ce genre de personnage ambigu permet bien sûr aux avocats de formuler des interprétations diverses et contradictoires, afin de mieux l'accuser ou l'excuser, de toute bonne foi, tant la réalité de son caractère est au fond difficile à comprendre et à classifier. Cette personnalité trouble est donc bien vue de la part de Jacques Martin, qui fait preuve d'une certaine finesse en concevant ce personnage.

Mais décidément ... les femmes n'ont pas le beau rôle dans le "Cheval de Troie" !   Very Happy


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vieux sage
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En créant ses héroïnes dans Le cheval de Troie, Jacques Martin fait preuve d'éclectisme. Il rassemble une matrone factieuse et une jeune femme avenante. Le maître se renouvelle néanmoins. A contrario de Maia, l'amante de Spartacus, Hermia fait partie de la haute société romaine. De plus, son pouvoir de nuisance tangente avec la géopolitique. Elle s'allie ainsi avec les hommes-chevaux dans une reprise du siège de Troie.

De toute façon, Troie a toujours été une affaire de femmes !

Euripide fut le premier à le dire lorsqu'il nous explique l'origine du conflit dans sa tragédie Les Troyennes. Les déesses Héra, Athéna et Aphrodite se disputaient une pomme sur laquelle était écrit "A la plus belle". Le prince troyen Pâris fut invité à les départager et choisit Aphrodite. Et celle-ci, reconnaissante, lui offrit en récompense la plus belle femme du monde, l'épouse du roi de Sparte. Pâris enleva alors Hélène et la ramena à Troie. Et du coup, Ménélas rassembla les armées de plusieurs cités pour rechercher sa femme...

Les interventions féminines ne s'arrêtent pas. Agamemnon et Achille se disputèrent la prisonnière Briséis. La coalition achéenne menaça d'éclater et Athéna dut retenir le glaive d'Achille alors qu'il allait frapper Agamemnon.  

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Minerva trattiene Achille dall'uccidere Agamennone Tiepolo - Villa Valmarana Vicenza

Quant aux assiégés, ils bénéficièrent du soutien d'Aphrodite. Par exemple, elle sauva son fils, Enée, lors d'un des nombreux duels entre achéens et troyens.  

Et le roi des hommes, Ainéias, eût sans doute péri, si la fille de Zeus, Aphroditè, ne l'eût aperçu : car elle était sa mère, l'ayant conçu d'Ankhisès, comme il paissait ses bœufs. Elle jeta ses bras blancs autour de son fils bien-aimé et l'enveloppa des plis de son péplos éclatant, afin de le garantir des traits, et de peur qu'un des guerriers Danaens enfonçât l'airain dans sa poitrine et lui arrachât l'âme. Et elle enleva hors de la mêlée son fils bien-aimé (Homère, Iliade, chant V, vers 311 à 317, traduction de Leconte de Lisle)

Cerise sur le gâteau (grec Smile ), Hélène fut à deux doigts de faire échouer le stratagème des assiégeants comme en témoigne cet extrait du chant 4 de L’Odyssée.

Ce héros [Ulysse] courageux osa s'introduire dans le cheval de bois au moyen duquel nous pénétrâmes, nous, les plus braves des Grecs, pour porter aux Troyens le carnage et la mort. Inspirée sans doute par un dieu qui voulait combler de gloire les Troyens, tu vins, ô Hélène, suivie du divin Déiphobe, près de nos creuses embûches, et tu en fis trois fois le tour en les touchant de tes blanches mains, et tu appelas par leurs noms les plus illustres des Grecs en imitant la voix de leurs épouses. Assis au milieu des guerriers, moi, Diomède et le divin Ulysse, nous t'entendîmes appeler. A ces accents, le fils de Tydée et moi nous nous élançâmes tout à coup pour sortir ou du moins pour répondre du fond de notre retraite ; mais Ulysse nous arrêta ; il contint notre ardeur, et tous les autres fils des Achéens gardèrent un profond silence. Anticlus seul voulut t'adresser la parole ; mais Ulysse de ses mains robustes lui ferma fortement la bouche et le retint jusqu'au moment où Minerve-Pallas t'éloigna de ces lieux. C'est ainsi que ce héros sauva l'armée. » (traduction de Bareste)

Jacques Martin s'inscrit donc dans un corpus mythologique où les femmes ont des rôles majeurs. En créant Hermia et Daphné, il ne fait donc que poursuivre le travail de ses illustres prédécesseurs Very Happy  Il eut néanmoins pu choisir des protagonistes positives. Faut-il y voir un souci de parité comme le mentionne Raymond ? Hum. Je ne le pense pas car la règle eut dû s'appliquer à la série Lefranc. Et dans les titres que je connais, aucune anti-héroïne n'y figure. Je crois plutôt que l'explication est à rechercher du côté de la mythologie. Héra était rancunière et elle poursuivit Énée de sa rancune jusqu'en Italie (chant 12 de l'Énéide). La pomme (de discorde) fut créée par la déesse Éris. Et Athéna était la divinité du combat. Le moins qu'on puisse dire est qu'Hermia et Daphné avaient des modèles  Laughing .

En tout cas, les agissements d'Hermia ont leur écho dans la réalité historique. Et Jacques Martin, féru de culture antique, s'est peut être aussi inspiré d'Agrippine la Jeune, une femme politique ambitieuse qui n'hésita pas à empoisonner son mari, l'empereur Claude, pour favoriser l'accès au trône de son fils, Néron.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Agrippina_Minor_Landesmuseum_W%C3%BCrttemberg

Comme l'a si bien Raymond, l'influence de la matrone sur Horatius peut apparaître incompréhensible. D'après l'historien allemand, spécialiste de l'antiquité, Helmut Halfmann (Éphèse et Pergame Urbanisme et commanditaires en Asie Mineure romaine 2004), Pergame a également sans aucun doute servi de premier siège du gouverneur de la province d’Asie. Partant de là, on voit mal le Sénat confier une responsabilité majeure à une personnalité effacée. Néanmoins, l'Histoire regorge d'emprises similaires : celle de Raspoutine sur la cour impériale russe en constitue une parfaite illustration. Et plus proche de nous et de ce fil, Agnès Sorel poussa Charles VII à libérer la Normandie  Wink . Le général Horatius aurait-il pu résister à sa belle-sœur ? Pour essayer de répondre à cette question, je vous propose de nous replonger dans Les légions perdues où le gouverneur de la Gaule Cisalpine voit en lui un rustaud.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Ab15

En fait, notre personnage est peut être tout simplement dépassé par sa mission, ce qui expliquerait sa faiblesse. Si diriger une expédition en Afrique (La griffe noire) ou conquérir une forteresse (Le dernier spartiate) sont à sa portée, gouverner toute la partie asiatique de l'Empire romain ne l'est plus. Le principe de Peter tout simplement  Smile .

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 800px-Principe_de_peter

L'amour (filial) d'Horatius pour Héraklion semble aussi extrême. Faut-il y voir la mise en œuvre rigide de la promesse faite à la toute fin du Dernier Spartiate ? Je suis dubitative.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Ab14

En tout cas, face à une femme de l'envergure d'Hermia, Horatius n'avait aucune chance. Après, la finalité de la matrone est noble même si les moyens employés ne le sont pas. Dans une société patriarcale, la position sociale d'une romaine dépend de celle de son époux. Pour donner un exemple, le titre honorifique d'Augusta n'est donnée qu'aux compagnes des empereurs car le pouvoir suprême ne peut être tenu que par un homme. L'insistance de l'anti-héroïne à vouloir marier sa fille est là. Une femme romaine ne peut exister par elle même et dépend du bon vouloir et des revenus de son conjoint. Un travers qui s'est malheureusement propagé à travers toute l'histoire humaine, avec plus ou moins de douceur. Aussi, vouloir obtenir un beau mariage pour son enfant n'est-il pas faire preuve d'amour filial ?

Quant à Daphné, ce n'est pas une Alix-girl au sens où elle n'est pas amoureuse d'Alix. Si Raymond hésite quant à l'interprétation des deux vignettes ci-dessous, j'y vois clairement un duel à fleuret moucheté.

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D'une façon générale, je suis d'accord que cette jeune femme apparaît très effacée, comme écrasée par la personnalité dominatrice de sa mère. On ne sait rien de ses sentiments. Est-ce qu'elle aime Horatius ou se contente d'obéir à sa génitrice ? Les trois plans de la prodigieuse perspective ci-dessous illustrent parfaitement le positionnement et l'importance des personnages. Horatius fait d'abord face à Hermia qui cache Daphné avec son corps.

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La fin de la BD est apocalyptique. Horatius révèle la traîtrise de sa belle sœur et purifie par la mort et le feu. Brrr.
Cette intrigue s'inspire très librement de La terre des pharaons, un film de Howard Hawks dans lequel l'épouse traîtresse de Khéops est enterrée vivante dans la pyramide où va reposer son époux.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Image10

La conclusion s'inspire aussi du rite hindou du Sati par lequel une veuve meurt sur le bûcher crématoire de son époux.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Muhammad_Qasim_Bride

Bon, tout cela est bien sinistre. En tout cas, ipso facto, les deux principales (anti)héroïnes disparaissent à la fin de l'étape. Un grand classique du maître. Mais pourquoi donc ce choix répété ? Qu'en pensent les autres membres du forum ?

Pour nous changer les idées, je vous propose de nous tourner vers le troisième personnage féminin. Et oui... Troisième. Vous avez bien lu  Cool
Car la BD met en scène une autre femme, la pythie ! L'oracle semble avoir la cinquantaine et sa prophétie dévoile bien évidemment la suite du scénario. Comme le dit si bien Greg dans La bulle de si-c'était-vrai, les scénaristes de BD ont tous les atouts pour délivrer des prophéties exactes  Smile .

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Image17

D'ailleurs, Jacques Martin joue ici avec son lecteur. Car le prêtre aux cheveux gris, situé à la droite de la prêtresse, lui ressemble beaucoup…

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Image15

Eléanore

Raymond

Raymond
Admin

Merci pour cette présentation très mythologique (et féministe) du Cheval de Troie !    pouce

Je me demande si le prêtre aux cheveux gris qui est à droite de la pythie ressemble tant que cela à Jacques Martin ? Il n'y a en revanche pas de doute que la pythie parle bien avec sa voix.   Very Happy

Tu nous montres sinon une intéressante image de Daphné et Hermia en face d'Horatius, que l'on peut interpréter de diverses façons.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Cheval29

Daphné aime t-elle vraiment Horatius ? En voyant son sourire un peu malveillant, je mets maintenant en doute cette hypothèse. En fait, elle ne cherche même plus à plaire au pauvre général car elle sait ce qui va se passer. Horatius n'aura pas le choix car Héraklion va lui être enlevé. Et Daphné est au fond aussi féroce que sa mère.

Finalement, Horatius avait peut-être raison. Il valait mieux faire disparaître ces deux femmes dans un immense brasier !   Wink


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Raymond

Raymond
Admin

Au début des années 1990, Jacques Martin se retrouve dans une situation assez singulière.

Le Maître est alors en conflit avec son éditeur (Casterman) et il ne peut plus facilement publier de nouvelles aventures d'Alix. Mais comme il a toujours rêvé de dessiner l'Histoire de la Grèce Antique, il décide de créer une nouvelle série dont le héros sera Orion, un jeune guerrier athénien vivant pendant le siècle de Périclès. Et de fait, on peut considérer que ce nouveau personnage est simplement un "Alix de nationalité grecque" puis qu'il est à la fois juste, courageux, intelligent, évoluant dans un cadre réaliste et toujours prêt à affronter de nouvelles aventures. Le premier album d'Orion est donc publié en 1990 chez un petit éditeur et il s'intitule le Lac sacré. On peut sans risque affirmer que c'est un chef d'œuvre, le dernier en fait d'une longue carrière.

Orion est un aventurier solitaire mais il rencontre dans ce premier album une compagne qui se nomme Hilona, dont il va assez vite tomber amoureux. C'est un important changement par rapport aux singuliers duos masculins que l'on trouvait dans Alix ou Lefranc et, à cet égard, on peut admettre que la femme acquiert dans Orion une place un peu plus importante, même si la série reste avant tout une histoire d'hommes. 

Intéressons-nous maintenant à cette jeune Hilona, qu'Orion rencontre à Sparte ! Il est en fait venu dans cette cité en tant qu'espion et il y rencontre assez vite cette jeune esclave qui séduit immédiatement le héros. Le premier contact est assez bref et Hilona ne semble pas lui attribuer beaucoup d'importance. Orion est en revanche très intéressé et il annonce aussitôt qu'il se souviendra de cette rencontre.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Lac-sa10

Orion a en fait pour mission de provoquer une révolte des esclaves (ou plutôt des ilotes) de Sparte, afin d'attirer leurs guerriers dans une longue chasse et de donner à Athènes un temps de répit avant la guerre civile qui semble inévitable. Le héros cherche donc à revoir Hilona, afin de pouvoir nouer des liens avec ses camarades esclaves. Il va très vite bénéficier de circonstances favorables, grâce à une "chasse aux ilotes" qui est organisée par la cité. Hilona se montre habile pendant ce moment dangereux et prend des décisions rapides avant de s'enfuir. Elle se révèle également généreuse en emmenant avec elle une vieille esclave handicapée et malade, que tout le monde dédaigne.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Lac-sa11

Au cours de sa fuite nocturne, Hilona rencontre Orion et se montre un peu méfiante avec le jeune guerrier qu'elle ne reconnait pas. Faute d'une meilleure solution, et apprenant qu'Orion n'est pas un spartiate, elle décide de lui faire confiance. Un premier lien est ainsi noué et le guerrier athénien a dès lors trouvé une excellente alliée. Hilona possède en effet de bonnes relations avec les autres ilotes, probablement à cause de sa droiture et de son habileté à survivre.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Lac-sa12

Le jour suivant, Orion fait davantage connaissance avec Hilona, puis il rencontre d'autres ilotes à qui il propose un projet collectif d'évasion. Le héros admire au passage la beauté et la vivacité de la jeune esclave, tandis que celle-ci lui accorde plus de crédit. Ils explorent ensemble une grotte qui se prolonge jusqu'à une petite source située hors de la ville. Ils découvrent ainsi le moyen de s'évader et la suite devient prévisible !

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Lac-sa13

Dès la nuit suivante, Orion et Hilona s'enfuient de Sparte avec un groupe d'ilotes et la jeune amie d'Orion passe alors à l'arrière-plan du récit. Jacques Martin raconte en effet une longue fuite à travers le Péloponnèse, ainsi que les manœuvres des guerriers spartiates qui les prennent en chasse. Une série d'affrontements et d'événement déciment peu à peu le petit groupe du fuyards qui parvient un beau soir au bord du fameux "lac sacré". L'affection d'Hilona envers Orion s'est bien sûr renforcée après toutes ces aventures et elle se serre tendrement contre Orion pendant la nuit. Il n'y a cependant aucun érotisme dans cette scène qui montre un sentiment amoureux encore natif. On peut aussi y voir une tentative de se réconforter après une longue suite d'événements cruels et épuisants.

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Le lendemain, Orion et ses camarades découvrent un lac sacré encerclé par les guerriers spartiates et ils sont prisonniers d'un piège qui semble mortel. Toutefois, comme l'eau du lac est sacrée, leurs ennemis ne peuvent pas les attaquer tant que les évadés restent dans le temple ou qu'ils gardent les pieds dans l'eau. Le jeune grec imagine alors de s'enfuir par la rivière qui draine l'eau du lac en direction de la mer. Cette nouvelle évasion s'accompagne à nouveau d'une suite d'épreuves, pendant lesquelles Hilona fait preuve de vigueur et d'une étonnante résistance. Et lorsque les survivants arrivent au bord de la mer, la jeune hilote arrive encore à suivre Orion qui nage à toute vitesse vers un bateau qui devrait leur permettre de s'échapper. Une fois arrivés sur le bateau, les deux amoureux constatent que tous leurs compagnons sont morts ou prisonniers et l'énergie de la jeune femme est réellement étonnante.

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Et c'est ainsi qu'Orion et Hilona arrivent finalement à Athènes, après une relativement courte (et chanceuse) navigation. Orion y est accueilli comme un héros tandis que la réaction de Périclès envers la jeune ilote se révèle bien plus froide. "Mais ce n'est pas une femme grecque" s'exclame t-il ! Orion impose à Périclès de pouvoir garder Hilona avec lui, mais des considérations politiques vont très vite contrecarrer son désir. Le général spartiate arrive en effet à son tour devant les murs d'Athènes et il se met à négocier avec le stratège athénien. Périclès accepte de leur livrer Hilona en échange du départ des spartiates et il le fait en cachant tout cela à Orion.

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La bravoure et l'intelligence d'Hilona n'auront donc pas suffit pour la protéger des manœuvres d'un politicien ... qui était sensé la défendre. Elle n'a commis aucune faute, excepté celle d'être née ilote, et le récit de Jacques Martin se révèle bien impitoyable. Cette maltraitance de la jeune amie d'Orion semble toutefois très réaliste si l'on se réfère au statut des esclaves qui existait dans la Grèce antique. Il ne fait par ailleurs aucun doute que Jacques Martin s'indigne lui aussi de l'abandon d'Hilona et il raconte avec éloquence la violente dispute qui survient ensuite entre Périclès et Orion, lorsque ce dernier apprend que la femme qu'il aime (et qui l'a beaucoup aidée) a été livrée aux spartiates. "Vois. J'offre ma poitrine à tes coups " s'exclame Périclès en réponse aux reproches d'Orion. Il y a une certaine noblesse dans cette attitude, mais elle cherche surtout à cacher une triste réalité et un réel déshonneur. Périclès a tout de même trahi l'amitié d'Orion et la confiance d'Hilona !

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A travers la révolte d'Orion (qui s'enfuit d'Athènes en blâmant Périclès), Jacques Martin s'indigne donc du mépris que les grecs portaient aux esclaves et aussi aux femmes. Et vu ainsi, le récit m'apparait plutôt "féministe", si j'ose employer ce terme. Sinon, le Lac sacré appartient à cette belle série de récits antiques et pessimistes des années 80, où le sort funeste de certains personnages martiniens semble s'apparenter au fameux Destin qui accable les personnages des tragédies grecques. Hilona n'avait dès le départ aucune chance, malgré la bonne volonté d'Orion, et on s'en rendra encore mieux compte dans la deuxième aventure d'Orion qui s'intitule "Le Styx" (on en parlera bientôt Wink ).

il y a sinon un deuxième personnage féminin important dans "le Lac sacré" ! Il s'agit d'Aspasie, qui est la compagne de Périclès, mais ce texte commence à devenir un peu long et je vous parlerai d'elle dans un deuxième message, que j'écrirai en principe demain matin.


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Avec Le lac sacré, je souhaite aborder une nouvelle facette scénaristique de Jacques Martin, la transformation d'une héroïne en joli pot de fleur. Est-ce volontaire ou involontaire ? Chaque membre du forum verra probablement midi à sa porte  Smile . Par exemple, Raymond a évoqué un passage à l'arrière-plan du récit, ce qui est une autre vision Rolling Eyes .

Le décès rituel de la Martin-girl en conclusion de la BD se transforme en une lente et salvatrice chute (enfin, dans ce tome mais le suivant permettra un retour à la "normale"  Crying or Very sad  ).

Il s'agit bien évidemment d'Hilona. Nous faisons sa connaissance en page 14.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhan80

Le personnage prend rapidement de l'ampleur. Comme indiqué dans le message précédent, elle est habile, généreuse, droite, résiliente (habile à survivre), belle, vivace, pleine de vigueur et de résistance. Oui. Elle est surtout courageuse et fait preuve d'un magnifique suprématie. Son aptitude naturelle à commander et décider est à la base du sauvetage de la vieille hilote en page 15.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhan81

En page 18, nous découvrons la cheffe d'un réseau de résistance qui, dans l'ombre, mène la lutte. Une belle héroïne dont on pense qu'elle va se révéler l'égale d'Orion dans la suite de la BD...

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhan82

Ainsi, en page 20, nous assistons à une revue des "troupes".

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Et puis, sans qu'on s'y attende, tout se brise. Hilona se transforme en une suiveuse d'Orion. Et en page 29, le jeune homme explique que les femmes peuvent marcher à pied puis il confie la commandement du groupe le plus "faible" à un homme surgit d'on ne sait où ? La faible femme Hilona n'y arriverait certainement pas  gun

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhan83 Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhan85

En page 32, le guerrier bénéficie du réconfort d'une couverture ! Il est vrai que la nuit semble quelque peu fraîche  Laughing

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Page 34, Hilona se révèle un excellent réveil matin. Sa place au foyer du héros est ainsi toute trouvée lol!

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Et en pages 38 et 39, le mâle protecteur Orion s'inquiète pour sa compagne.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhan88 Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhan89

Pour ceux qui auraient des doutes quant à la place d'Hilona dans l'esprit d'Orion, la réponse suivante est d'ailleurs instructive. Il eut pu répondre : "ma compagne" or il et choisit "une fille". La jeune femme n'est plus son égale. Elle est discrètement devenue son trophée.

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Bon, heureusement, il se rattrape en page 42 en refusant la séparation. D'un autre côté, on peut comprendre qu'il n'apprécie pas qu'on lui retire sa conquête  Smile .

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhan91

Le jeune homme se révèle d'ailleurs un "seigneur et maître" fidèle en page 46 puisqu'il refuse les substituts proposés par Périclès.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhan92

Et enfin, nous voyons Orion partir à la recherche d'Hilona en page 48.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhan93

Le lac sacré n'est pas vraiment une BD optimiste. Face à des spartiates violents et impitoyables, Périclès apparaît calculateur et menteur. Et la place des femmes est une fois de plus désespérante. Hilona n'est qu'un pion dans le jeux des hommes.

Comme l'a introduit Raymond, la BD présente une autre figure féminine. Il s'agit d'Aspasie, la compagne de Périclès. Nous aurons d'ailleurs l'occasion de revenir plus longuement sur cette personnalité dans le(s) billet(s) relatifs au deuxième opus d'Orion : Le styx.
Telle une mère maquerelle, Aspasie va "offrir" à Orion les nymphes pouvant lui faire oublier Hilona. Je vous propose de revenir sur une scène emblématique mais vue cette fois-ci sous un autre angle.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Orion10

Cet étrange comportement correspond à une réalité historique, évoquée d'ailleurs par l'historien grec Plutarque dans La vie des hommes illustres  : "... quoique sa vie ne fut certainement point un modèle de décence et d’honnêteté, puisqu’elle nourrissait des jeunes filles, qui se donnaient au premier venu. ( traduction Pierron). En fait, Aspasie exerçait la profession d'hétaïre. Une hétaïre est une dame éduquée et de haut niveau social proposant aux hommes puissants de la cité sa compagnie ainsi que des services sexuels  Rolling Eyes .

Pour conclure et en revenir à Sparte, nous pouvons signaler (une fois de plus) que la démocratie athénienne ne bénéficiait qu'aux hommes. Les droits des citoyennes avoisinaient ceux des métèques et des esclaves. Au contraire, la belliqueuse cité du Péloponnèse traitait également les deux sexes. Ainsi, les ressortissantes étaient éduquées, pouvaient posséder et hériter un bien, etc. Et en raison de l'absence fréquente des hommes occupés à faire la guerre, elles géraient la maisonnée et encadraient les hilotes (serfs publics en charge de la culture des champs et autres tâches domestiques).
Au final, je vous propose d'écouter cette courte et érudite chronique de Clémentine Portier-Kaltenbach, qui allie pédagogie et humour :
https://www.europe1.fr/emissions/dans-lintimite-de-lhistoire/les-spartiates-des-femmes-pas-comme-les-autres-4069923.  

Finalement, à travers le personnage d'Hilona, Jacques Martin dévoile deux traits de sa personnalité : l'abolitionnisme  Very Happy et le sexisme Crying or Very sad . Je ne partage donc totalement pas la vision de Raymond...  Smile Le lac sacré témoigne d'un machisme discret mais indiscutable.

Tout cela n'est pas très gai. Aussi,je vous propose d'aller faire un petit tour ailleurs pour nous remonter le moral :

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhen102

Et je vous propose un petit jeu. De quel ouvrage est extraite cette vignette ? Les réponses doivent être au format caché  Laughing


Eléanore

Raymond

Raymond
Admin

Une fois de plus, nous ne sommes pas d'accord !   Very Happy

Bravo en tout cas pour ton ironie, même si je ne partage pas tes conclusions ! Wink Je ne pense pas en effet qu'au cours du récit, Jacques Martin transforme Hilona en une sorte de "pot de fleur". Il est vrai que la jeune ilote apparait très peu pendant la longue course à travers le Péloponnèse, et je pense que c'est simplement pour l'auteur une commodité de narration. Jacques Martin a en effet bien décrit au début du livre les relations qui se tissaient entre Orion et Hilona et il a correctement mis ce fil narratif au second plan lorsque le récit s'est transformé en une longue scène de poursuite. C'est au fond logique, même s'il aurait certes pu montrer un peu plus Hilona pendant cette chasse des fugitifs, mais le Lac sacré n'est pas seulement une histoire d'amour. Par ailleurs, Jacques Martin a plusieurs fois déclaré que le format d'album en 48 pages ne lui permettait de raconter tout ce qu'il voulait et c'est probablement ce qui s'est passé pendant les scènes d'action. Remarquons en passant qu'Hilona réapparait dès que les fugitifs arrivent au Lac sacré et qu'elle ne quitte dès lors plus Orion jusqu'à la fin de la poursuite. Elle reste donc bien présente pendant toute l'aventure.

Par ailleurs, la conclusion du récit donne tout de même à Hilona un rôle essentiel, même si on ne la voit presque plus dans les images. Son absence, et aussi l'injustice de son sort, poussent Orion à la révolte, avant qu'il ne parte à sa recherche. L'auteur montre au fond que les grecs accordent une place secondaire aux femmes, mais il n'en est pas responsable lui-même. De même, Hilona ne commande pas le groupe des fugitifs qui essaient de rejoindre le Lac sacré et c'est assez logique, puisque la société grecque n'était pas égalitaire au niveau des sexes, y compris chez les ilotes. Peut être qu'une narratrice féministe aurait donné une rôle plus important à Hilona, mais ce choix aurait été fait au détriment de la vraisemblance. Les grecs n'étaient en effet pas féministes.

L'apparition d'Aspasie révèle par ailleurs un autre type de femme grecque, à la fois intelligente et pleine de ressources. On découvre en même temps que Périclès n'était pas un homme isolé et indépendant des femmes. Dès son apparition, la favorite du stratège se révèle en effet être une redoutable femme de pouvoir. Elle sait tout ce que Périclès prépare et parle donc à Orion avec beaucoup d'assurance !

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Lac-sa18

Puis après le retour d'Orion, lorsque Périclès informe Orion du sort d'Ilona, Aspasie réapparait entourée de belles jeunes femmes. Elle les offre à Orion en récompense pour les services rendus à la cité d'Athènes et le héros refuse, bien sûr. Cette scène montre en tout cas le rôle actif que joue Aspasie au niveau de la direction d'Athènes. Et finalement, ce ne sont pas les hommes qui trahissent Hilona mais bien tout ceux qui gouvernent Athènes, femmes y comprises.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Lac-sa19

Après cela, Orion et Périclès se disputent et le stratège d'Athènes est passablement ébranlé par ce qu'il a entendu. Aspasie devient dès lors sa consolatrice et cela montre bien l'emprise qu'elle exerce sur son homme. Même si le dirigeant athénien essaie ensuite de cacher ce moment de faiblesse, on peut admettre que Périclès et Aspasie partagent beaucoup de choses, y compris le pouvoir. Et en racontant cela, Jacques Martin ne fait que rapporter des faits admis sur le plan historique. Aspasie n'était pas simplement une hétaïre. Elle était aussi la compagne, et peut-être l'épouse, de Périclès.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Lac-sa20

Il me semble pour conclure que Jacques Martin essaie avant tout de décrire la vie des grecs telle qu'elle devait être pendant l'Antiquité, avec ses côtés sombres (mépris des esclaves, subordination fréquente des femmes) et ses aspects plus prestigieux (beauté des monuments et de la civilisation d'Athènes). Pour ce qui concerne les femmes, la présence imposante d'Aspasie équilibre un peu la place modeste que les grecs attribuent à Hilona, malgré toutes ses qualités. Et puis il y a cette admirable vieille ilote qui se sacrifie pendant la poursuite des fugitifs à travers le Péloponnèse, afin de ne pas ralentir ses compagnons. Toute esclave qu'elle soit, elle fait preuve de générosité et d'une admirable dignité et je trouve cette scène tout à fait émouvante !

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Lac-sa21

Certes, Jacques Martin était dans la vie quotidienne un mâle dominateur, ce que les féministes désignent comme un macho (que je suis moi aussi, probablement). Mais lorsqu'il se transformait en auteur, le maître pouvait faire preuve d'une finesse psychologique et d'une habileté narrative étonnante. Dans le Lac sacré, il prend volontiers le parti des faibles et des opprimés, et donc des femmes, tout en gardant au récit un aspect totalement réaliste. Je ne trouve donc pas que l'on puisse lui faire beaucoup de reproches dans cette belle BD historique.


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Raymond

Raymond
Admin

J'ai oublié de répondre à la devinette ! il y avait donc cette image d'Uderzo.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Astzor32

La réponse n'est pas difficile.   Wink

Spoiler:


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Raymond

Raymond
Admin

La semaine passée, j'ai présenté "Le Lac sacré" comme le "dernier chef d'œuvre de Jacques Martin". Il ne faut cependant pas oublier Le Secret des Templiers, un album également publié en 1990, qui reste à ce jour une des meilleures aventures de Jhen.  

Cet opus raconte la recherche d'un trésor qui se trouve à proximité de l'ancien Hermitage où vit Parfait, moine défroqué et vieil ami de Jhen que l'on a déjà vu dans "les Ecorcheurs". Plusieurs femmes vivent avec lui dans cet Hermitage et parmi elles se trouve Maria, une jeune italienne que Jhen avait emmenée lorsqu'il quittait l'Italie, à la fin de "l'Alchimiste". Elle y apparaissait comme une jeune fille vive et entreprenante, n'ayant plus de famille et elle s'était pour cette raison attachée à Jhen.

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Maria n'aurait pu être qu'une amourette de passage mais, à force d'insistance, elle était arrivée à convaincre Jhen de l'emmener avec lui. Séduit par sa légèreté et son optimisme, et par ses faibles exigences, le héros s'était attaché à cette jeune fille et l'avait prise sur son cheval. La dernière image de l'Alchimiste montrait les deux amoureux assis sur un destrier, marchant le long d'un chemin qui les emmenait vers la France, et c'était une conclusion qui laissait augurer quelques promesses !

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Au début de "Secret des Templiers, on retrouve Maria qui est devenue une habitante de l'Hermitage ! Cet endroit est un peu paradisiaque et la vie y est vraiment paisible. Le moine Parfait s'y consacre à son travail et à sa famille, et c'est une belle image du bonheur quotidien.

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Je ne m'attarderai pas sur l'intrigue de l'album, qui raconte une prise en otage des occupants de l'Hermitage par trois voyageurs de passage, suivie d'une recherche du trésor des Templiers. Je m'intéresserai surtout à Maria, qui devient dans cet album curieusement discrète et silencieuse,. Au début, cela parait normal car elle est elle aussi prisonnière des preneurs d'otages. Elle n'ose donc pas trop se manifester lorsque Jhen vient la visiter et cette prudence est justifiée.

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Maria est plutôt maligne et elle arrive à expliquer sa triste situation à Jhen, en lui chuchotant quelques mots sur la prise d'otages. Jhen repart alors à cheval, bien décidé à délivrer les otages aussitôt qu'il le pourra. Les bandits ne se sont pas rendus compte de cette discrète communication et ils seront plus tard vaincus par le héros, qui a su faire alliance avec quelques moines combatifs.

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Et puis étonnamment, après cette brève intrigue, on ne revoit presque plus Maria dans le reste de l'aventure ! Jhen reste certes à l'Hermitage mais il se consacre surtout à la recherche du trésor des Templiers. Le héros aime t-il vraiment Maria qui n'apparait que très brièvement dans quelques cases où elle reste silencieuse ? On peut se le demander. Jacques Martin nous raconte certes une intrigue assez touffue, qui fait intervenir Gilles de Rais et le Dauphin Louis, mais les femmes semblent étrangement perdre toute importance. Elles ne jouent plus qu'un rôle décoratif.

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Ce n'est qu'à la fin de l'album. lorsque l'aventure est finie, que l'on revoit enfin Maria. Elle est alors dans le lit de Jhen et on se demande si c'est sa seule fonction. Bien sûr, elle n'est pas une épouse. C'est plutôt une "amie" du héros et on s'interroge alors sur le sens que ce mot peut avoir pour Jhen.

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Puis l'album se termine avec une image surprenante. Au moment de quitter l'Hermitage, Jhen prend en effet Maria en croupe et l'emmène avec lui vers de nouvelles aventures. Jacques Martin semble ainsi donner une certaine importance à la jeune femme mais on se demande tout de même pourquoi, si on pense au rôle qu'elle a joué dans le Secret des Templiers ?

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Par la suite, on ne reverra plus Maria dans aucun album et c'est une discontinuité qui reste aujourd'hui bien étonnante!  Certes, chaque aventure de Jhen doit d'abord être lue pour elle-même ! Par ailleurs, Maria n'est au fond qu'un personnage assez secondaire, mais Jacques Martin fait habituellement attention à ce que les albums se suivent d'une façon logique. Pourquoi ne raconte t-il alors aucune intrigue cohérente avec la dernière image du Secret des Templiers ? Cela pourrait en partie s'expliquer par le grand nombre d'années (environ 10 ans) qui fût nécessaire à l'auteur avant de commencer l'aventure suivante, intitulée "l'Archange". Peut-être qu'en l'an 2000, le "maître" avait oublié certains de ses anciens projets ? C'est une hypothèse assez logique mais on pourrait aussi en déduire que pour l'auteur, le personnage de Maria n'avait aucune importance.

Et finalement, s'il fallait formuler une explication, j'aurais tendance à dire que Jacques Martin était bien plus doué pour raconter le malheur que le bonheur. Qu'aurait-il pu en effet raconter sur l'intimité de Jhen, dans cette aventure paisible autour de l'Hermitage, en dehors du bonheur du héros de retrouver Maria. L'auteur n'avait au fond pas grand chose à rapporter sur ces retrouvailles et il en a résulté une frappante mise en retrait du monde féminin, alors que l'on pouvait attendre autre chose. Qu'on le veuille ou non, les aventures de Jhen sont bien des histoires d'hommes, même si on trouve parfois quelques images qui évoquent habilement un bonheur familial.

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Je ne parlerai pas des autres femmes de l'Hermitage, dont les présences sont encore plus discrètes que celle de Maria, mais ceci ne m'empêchera pas de continuer à apprécier cet album assez riche en trouvailles et en références historiques. Mais peut-être qu'eleanore-clo s'attardera un peu plus que moi sur les aspects historiques du Secret des Templiers ?   Wink


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eleanore-clo

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vieux sage
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Le secret des templiers m'a séduite. L'intrigue est moins sombre que celle des Écorcheurs ou de Barbe-Bleue. Comme l'a signalé Raymond, elle se déroule dans un cadre enchanteur. Une dominante de couleur verte exalte l'âme bucolique des lieux. Et la BD est éminemment morale avec une fin très positive.

J'ai aussi apprécié le délicat équilibre des pouvoirs qui m'a fait penser à Montesquieu. Jacques Martin construit un subtil triangle entre le pouvoir religieux (les moines), le pouvoir féodal (Gilles de Rais) et le libre-arbitre (la petite communauté de Parfait). A ce sujet, la présence de religieux armés m'a beaucoup surprise. Le fait est néanmoins tout à fait plausible comme en témoigne cette vidéo de Benjamin Brillaud sur l'abbaye de Corbie : https://fb.watch/cyRRV51kRY/. Dès le Xème siècle, l'abbé fit construire des remparts, s'arrogea des pouvoirs militaires et juridiques et obligea les seigneurs vassaux de l'abbaye.

Côté templiers, le maître prend beaucoup de distance avec la BD homonyme parue vingt-cinq années avant dans le magasine Pilote : Le secret des templiers. Le couple Martin/Pleyers nous donne une vision plutôt positive et syncrétique de l'Ordre, bien différente de celle adoptée par Charlier/Mitacq.

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En tout cas, l'intrigue est on ne plus martinienne avec la présence d'un souterrain (le temple), d'un lieu isolé (la ferme), d'une conjuration (Philippe le Bel), de lieux (un petit peu) escarpés (la falaise au-dessus du lac) et de savants (les moines) ! Le Secret des templiers s'inscrit donc dans la lignée du Mystère Borg ou encore du Dernier Spartiate Very Happy.

Les femmes occupent une place relativement mineure dans cet opus. De plus, Jacques Martin n'introduit pas de nouveaux personnages. Nous retrouvons donc Fabienne (La cathédrale) et Maria (L'alchimiste). Raymond évoque une héroïne maligne. Je complète en la qualifiant de rusée  Very Happy . Notons que le lettrage des chuchotements détonne quelque peu Wink  .

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J'ai enfin remarqué que Maria porte la coiffe de manière aléatoire. Sachant que ce port traduit une relation conjugale, que faut-il en  déduire de sa relation avec Jhen ? L'amour libre ?

Bien que relativement absente dans Le secret des templiers, les femmes construisent ici une discrète passerelle entre les séries Lefranc et Jhen. Dans les deux vignettes ci-dessous, extraites de La crypte et du Secret des templiers, nous voyons les héros se lever tôt alors que leurs compagnes semblent moins matutinales   Smile !

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhen28 Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Jhen25

Venons en maintenant aux relations de l'Ordre du Temple avec la gente féminine. Je me suis appuyée sur les travaux du médiévaliste Alain Demurger et plus particulièrement sur son ouvrage Les Templiers - Une chevalerie chrétienne au Moyen Âge (2008).

La règle interdisait que les femmes intègrent l'ordre : "Perillouze choze est la compaignie de feme, car le diable ancien, par compaignie de feme a degeté [détourné] plusors dou droit sentier de paradis. Dames por sorors [sœurs] de ci en avant [désormais] ne soient receües en la maison dou Temple."
Néanmoins cette règle ne fut pas toujours respectée notamment parce que les postulantes amenaient avec elles leurs biens... Ainsi, en 1196, Ermengarde d'Oluja, une noble catalane fit don de son château et de la ville de Vallfongondan lors de son admission dans l'ordre.
Par ailleurs, l'ordre acceptait les couples mariés : “Se les homes qui sont mariés demandent la confrairie et le benefice et les oraisons de la maison en tel maniere les vos otroions a recevoir, que l'un et l'autre après sa mort vos otroit la partie de son bien et tout quant que de ci en avant conquistra. Entretant il doivent mener honeste vie et estudier de bien faire as freres. Mais il ne doivent mie porter blanches robes, ne blans manteaus ; mès se le baron muert ançois que sa feme, li frere doivent prendre la partie de ses biens, et de l'autre partie ait la dame le sostenement de sa vie ; que ce ne sembleroit pas droit a nos que tels confreres deussent habiter en une maison aveuc les freres qui ont a Dieu promis chasteé.

L'ordre du Temple était donc un ordre sexiste à l'image d'un Moyen Age où le statut des femmes était peu reconnu.

Au final, Jacques Martin nous livre un beau scénario, toujours aussi magnifiquement illustré par Jean Pleyers. Les héroïnes jouent un rôle marginal dans cette bande dessinée très masculine. Après, entre une congrégation d'hommes et un criminel pédophile, il ne restait guère d'espace à une récit féministe  Laughing .

Eléanore

Raymond

Raymond
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Parlons maintenant du Styx, la deuxième aventure d'Orion qui est une des histoires les plus hasardeuses que Jacques Martin ait jamais pu imaginer.

Au départ, Orion entend un récit improbable, d'une dimension presque légendaire, dont l'héroïne est la fille d'un roi grec. Elle se nomme Xouria et elle a autrefois été condamnée par son père, dont le nom est Lycos et qui est un potentat orgueilleux. Désireux de punir la possible trahison de sa fille (qui s'était compromise avec des comploteurs), Lycos lui a imposé un châtiment exemplaire : celui d'être livrée vivante à un lion féroce, qui était de plus irrité par la mort de sa femelle. 

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Attachée à une colonne, Xouria voit d'abord avec horreur le lion s'approcher d'elle, prêt à la dévorer. mais ce qui l'attend est encore plus horrible ! Au lieu de la tuer comme on pouvait le prévoir, le lion viole la jeune femme. Et le lendemain, Xouria toujours vivante essaie de se suicider en se jetant dans un lac. Elle est toutefois sauvée de la noyade par un berger et elle se retrouve dès lors condamnée à vivre loin de la société des hommes, accablée par la honte d'avoir été polluée par un animal.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Styx-x10

En relisant cette histoire pénible, je me suis demandé comment Jacques Martin avait pu imaginer un châtiment aussi monstrueux envers une femme ? Mais très vite, je me suis rappelé que le viol est un acte bien fréquente des hommes ! Il y a parfois la volonté de punir, mais c'est bien plus souvent destiné à faire peur, ou à montrer que l'on est le plus fort, ou par plaisir d'humilier l'autre. Ce comportement lâche et cruel se multiplie souvent pendant les guerres (comme celle qui a lieu actuellement en Ukraine) et cet aspect de "loi du plus fort" est malheureusement récurrent dans la société humaine. Bien sûr, Jacques Martin lui apporte une horreur supplémentaire avec la bestialité et j'avoue en avoir été un peu choqué, même si la mythologie grecque est remplie d'histoire de dieux qui se déguisent en animaux pour avoir des rapports sexuels avec des femmes. Le père d'Alix pouvait parfois se révéler impitoyable.

Après son viol, Xouria tombe enceinte et cette maternité est bien sûr inimaginable. Elle est en fait scientifiquement impossible. La fécondation de l'ovule d'un mammifère par le spermatozoïde d'une espèce très différente est toujours vouée à l'échec (heureusement dans le fond), mais Jacques Martin ne se laisse pas arrêter par cette invraisemblance. Il imagine donc que Xouria soit tombée enceinte après son viol par un lion, et que la jeune femme ait dès lors vécu comme un animal sauvage. Elle accouche après quelques mois d'un être mi-homme mi-lion, qui lui même grandit vite (les lions ont une vie plus courte que les humains) et qui s'accouple ensuite avec d'autre femmes pour engendrer une kyrielle de créatures qui ne sont "ni des hommes ni des bêtes", sans que cela s'arrête ! Hum, hum ! 

Et finalement, vingt ou trente ans plus tard, Xouria se retrouve entourée d'une horde "d'hommes-lions" (je ne peux pas les appeler autrement), qui ont la particularité d'être très vigoureux et féroces au combat. Ces hommes-lions sont capables d'anéantir toute une cohorte de soldats spartiates et cette nouvelle force armée va donner une dangereuse idée à Orion. Pour sa part, le roi Lycos qui l'accompagne a bien vieilli et il souhaite revoir sa fille. Il se rend avec Orion dans le repaire de Xouria, et cette dernière l'accueille avec un mélange de haine et de dignité. La scène est assez brève et Jacques Martin ne nous dit ensuite plus rien sur cette relation père-fille, qui ne peut être que conflictuelle.

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Il y a sinon peu de choses à dire au sujet de Xouria, qui est simplement une victime dans cette histoire. Elle ne tue pas son père lorsque ce dernier vient chercher refuge dans la grotte des hommes-lions, et bien qu'elle soit en quelque sorte la "matrone des lieux", elle continue ensuite à subir les événements. Les décisions stratégiques, comme le pacte que les hommes-lions concluent avec Orion, sont prises par le chef de la horde et Xouria est en fait devenue une vieille femme à laquelle Jacques Martin ne s'intéresse pas beaucoup. Elle périt probablement à la fin de l'aventure, lors du massacre des femmes et des hommes-lions par les soldats grecs, mais ce point n'est pas vraiment précisé par l'auteur. 

Heureusement, d'autres femmes jouent un rôle plus actif dans le Styx ! C'est en particulier le cas de la redoutable Aspasie, une femme de pouvoir qui est de plus la maîtresse de Périclès. Au départ, lorsque Orion revient à Athènes pour rencontrer Périclès et lui proposer une alliance avec les hommes-lions. Aspasie se contente de taquiner le stratège athénien. En réalité, elle lui rappelle aussi quels sont ses véritables objectifs, qui sont d'ordre stratégique.

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Périclès partage tout avec Aspasie, y compris le pouvoir, et on découvre que c'est bien sa femme qui conçoit un plan destiné à régler le problème des hommes-lion. L'idée est en fait toute simple ! Plutôt que de combattre les spartiates avec l'aide des hommes-lions, Aspasie préfère exterminer ces derniers en faisant alliance avec leurs ennemis traditionnels spartiates ! "Ton idée est diabolique, Aspasie" s'exclame Périclès, et cette déclaration confirme non seulement l'importance, mais aussi la perfidie de la compagne du chef athénien. Derrière son apparence rieuse et mondaine, Aspasie est une redoutable comploteuse.

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Mais qu'est-ce qui anime Aspasie ? Est-ce la soif du pouvoir ? Ou alors la cruauté de la chasseuse qui joue avec ses proies ? La grande dame d'Athènes (qui était en fait une métèque, au sens grec du terme) se livre à une intéressante confidence un peu plus tard, pendant une petite conversation privée avec son amant Périclès. Le stratège athénien athénien lui demande : "Tu te sens donc aussi puissante qu'Athéna ?" et elle répond : "point pour la cité, mais pour toi, oui." Comment interpréter une telle déclaration, qui contient d'abord un message amoureux ? Aspasie évoque t-elle simplement son statut de "métèque" (car elle n'était pas née à Athènes) ou annonce t-elle son intention de ne se battre que pour son amant ? C'est bien sûr un beau trait d'esprit, mais aussi une déclaration équivoque qui lui permet diverses échappatoires, et encore une réponse malicieuse qui manifeste l'étendue de sa puissance. Aspasie est ainsi une femme parvenue, brillante et heureuse, dont le pouvoir ne semble pas avoir de limite. Elle inspire la crainte en même temps qu'elle séduit ses contemporains, et les lecteurs. 

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 8 Styx-a12

Aspasie est un personnage historique que l'on peut comprendre de diverses manières, et le portrait de cette femme de pouvoir imaginé par Jacques Martin me parait aussi réaliste que séduisant. En quelques phrases, Aspasie se montre intelligente, malicieuse, cynique, dominatrice, et surtout capable de faire des choix stratégiques. Son premier objectif est le bien de la cité tandis le sort des individus ne la préoccupe pas beaucoup. Elle raisonne en fait de la même manière que Périclès (qui est plus soucieux), et elle y ajoute une petite touche d'humour et de cruauté. C'est à mon avis un très beau personnage féminin.

Face à cette brillante femme du monde, la pauvre Hilona n'obtient cette fois que la portion congrue. Son apparition assez brève survient lorsqu'Orion pénètre dans la caverne des hommes-lions. Le héros y retrouve la jeune ilote qui a été faite prisonnière par ces créatures semi-humaine et qui (nouvelle horreur) a été mise enceinte par l'un ces monstres. Pauvre Hilona, rien ne lui sera épargné !

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Curieusement, Orion ne semble pas révolté (ni dégoûté) par le malheureux sort de la femme qu'il aime ! il fait le projet d'emmener avec lui Hilona une fois sa grossesse terminée, et décide en attendant de se consacrer à son projet politique (l'alliance d'Athènes avec les hommes-lions). Il quitte donc assez vite de la caverne, sans réaliser qu'il ne reverra jamais Hilona. La jeune ilote périt en effet à la fin de l'album, lorsque les femmes et les enfants-lion sont massacrés par les soldats grecs, et l'énergique Hilona qui avait séduit Orion par son dynamisme (dans "le Lac sacré") n'est plus que ombre d'elle même. Et encore une fois, une jeune femme est sacrifiée à la fin de l'histoire par Jacques Martin, probablement parce qu'il ne savait pas qu'en faire !

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A part tout cela, il faut rappeler que Le Styx n'est pas un album comme les autres ! C'est en effet le dernier album dessiné par Jacques Martin, qui a d'ailleurs dû être aidé par Christophe Simon pour réaliser les dernières pages. Certaines images dévoilent les problèmes oculaires qui accablaient le dessinateur pendant les années 90, et ces maladresses  inhabituelles sont en fait émouvantes. Jacques Martin a lutté jusqu'au bout pour travailler et ce livre en est la preuve. Cette attitude incite au respect !

Mais bien sûr, en analysant les rôles que l'auteur attribue aux femmes, et après avoir salué le magnifique personnage d'Aspasie, on constate qu'elles sont en majorité des victimes impuissantes et qu'elles finissent tragiquement. Il ne fallait pas qu'Orion trouve le bonheur avec une compagne, je pense, et l'Antiquité était par ailleurs souvent cruelle avec les femmes, bien sûr, mais l'auteur pouvait aussi imaginer des issues moins pessimiste. Cette noirceur du récit est révélatrice de certains penchants de l'auteur.

Après le Styx, Jacques Martin ne se consacre plus qu'au scénario et au découpage de ses bandes dessinées, en laissant le dessin de ses séries à ses élèves. Il crée encore d'intéressants personnages féminins pendant les années 90, et certaines de ces dames méritent à mon avis d'être présentées aussi dans ce sujet. Notre petit feuilleton n'est donc pas encore tout à fait terminé ... mais il faudra s'habituer à ce que le dessin soit parfois moins joli. Les dessinateurs de cette époque n'ont en effet pas toujours été à la hauteur du maître.   Wink


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