Lefranc, Alix, Jhen ... et les autres
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Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin

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Clovis Sangrail
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Raymond
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eleanore-clo

eleanore-clo
vieux sage
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Bonsoir Clovis Sangrail

1000% d'accord Very Happy

Eléanore

Raymond

Raymond
Admin

J'imagine que les technocrates ayant pris la décision de changer la couverture étaient non seulement incultes, mais également immatures. En fait, ils n'étaient peut-être même pas nés lorsque l'album à été publié en 1965.


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Et toujours ... Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 10 Charli10
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Raymond

Raymond
Admin

Parlons maintenant d'un album de Lefranc qui est paru en 1998 et qui s'intitule le Vol du Spirit. C'est le dernier album de Lefranc qui ait été dessiné par Gilles de Chaillet car Jacques Martin s'est montré insatisfait de la qualité de son dessin. L'album suivant fût pour cette raison dessiné par Christophe Simon.

C'est une aventure curieuse, que l'on peu diviser en trois parties inégales. Il y a d'abord une séquence américaine de 15 pages, racontant un exploit d'Axel Borg, qui réussit à dérober l'avion historique de Charles Lindbergh, au nez et à la barbe de la police américaine. il y a ensuite une longue partie irlandaise (la plus intéressante), qui raconte l'enquête effectuée par Lefranc pour retrouver l'avion volé, ainsi que son face à face malicieux avec une sympathique irlandaise nommée Maureen. Tout cela fait un peu plus de 20 pages. Et puis il y a une troisième partie aérienne, pendant laquelle Lefranc traverse lui aussi l'Atlantique en pilotant le fameux "Spirit of Saint-Louis". C'est un exploit mais c'est paradoxalement le moment le moins intéressant du récit. Jacques Martin liquide cette partie "héroïque" en 5 petites pages qui n'offrent pas de véritable suspense.

Je vais bien sûr me consacrer à la seconde partie de l'album, qui rend hommage à la verte Irlande et qui ressemble un peu à une comédie américaine, à la manière de Preston Sturges. La rencontre de Lefranc et Maureen est en effet un petit vaudeville et l'enquête de Lefranc n'est quasiment plus qu'un prétexte pour mieux animer leur affrontement.

Cette rencontre de Guy Lefranc et Maureen Kinley survient lors d'un petit accident de la route, qui est dû (il faut bien le dire) à la maladresse du journaliste français. Ce dernier ne se montre pas très adroit en conduisant sa roulotte, tirée par un cheval, et tandis Maureen circule à bicyclette, elle est renversée sur la chaussée en essayant de dépasser la roulotte. Elle n'en subit heureusement aucun dommage physique et se relève promptement, animée par une certaine colère.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 10 Vol-sp10

"Vous avez vu la culotte de Maureen Kinley, c'est une honte !" s'exclame avec irritation la jeune irlandaise. "Mais je vous assure, ce que j'ai vu est très joli" lui rétorque Lefranc et cette tentative de faire de l'humour énerve Maureen. "Et mufle par dessus le marché ! Tenez !" déclare t-elle en lui administrant une baffe. Lefranc s'excuse alors, avant d'annoncer à Maureen qu'il va l'aider. Et dans un mouvement souple, le reporter enlace Maureen en lui donnant un baiser sur la bouche. 

Il est clair que l'on a déjà vu ce genre de scène dans diverses comédies américaines ! Le baiser du héros est supposé calmer (et séduire) sur le champ la belle dame irritée et ... c'est au fond totalement irréaliste, il faut l'admettre. C'est aussi un peu vaniteux et "macho". Mais voilà ! "Le Vol du Spirit" est une sorte de vaudeville américain et il en suit logiquement les règles. Et ainsi Maureen est séduite par Lefranc, un peu miraculeusement. Elle en oublie aussitôt sa colère.  Cool

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 10 Vol-sp11           Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 10 Vol-sp12

Maureen décide alors d'aider Lefranc dans son enquête et elle l'emmène dans la ferme de ses parents, au milieu de la verte campagne du Connemara. Et en entrant dans la cuisine familiale, elle annonce : "Je vous amène un Frenchie que j'ai invité à loger dans la maison. Le premier qui rit, je l'assomme avec la vieille bassine. Compris." Avec ce comportement, Maureen montre d'abord qu'elle sait s'imposer en société. Elle fait par ailleurs preuve d'une belle et sympathique franchise, et ses rapports avec Lefranc vont être ainsi marqués par un mélange d'humour et d'affection. De son côté, le français se tient plus à distance de la jeune femme, en lui répondant volontiers sur un ton ironique.

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Lefranc retrouve rapidement des traces de la présence d'Axel Borg, mais il doit veiller à ne pas être trop rapidement reconnu. Et afin de pouvoir s'approcher sans danger de l'avion recherché, le journaliste accepte d'être grimé par la jeune irlandaise qui s'en donne à cœur joie. Le vaudeville se poursuit ainsi avec vivacité et bonne humeur. Et tandis que Lefranc se fait friser les cheveux, Maureen rit volontiers sous cape. "Mille tonnerre ! J'ai l'air complètement stupide !" s'exclame le reporter, et c'est presque toute son enquête qui devient une véritable parodie.

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Notons au passage qu'au cours de cet affrontement mi-sentimental mi-humoristique, Maureen prend complètement sa revanche! Elle le fait même un certain panache ! La belle irlandaise dévoile ainsi une réelle malice, associée à une belle finesse d'esprit, et Lefranc ne peut que compter les points perdus. "Vous voulez me rendre plus grotesque ! Vous êtes très vilaine, Maureen" dit-il d'une manière presque résignée. On a déjà entendu de semblables remarques chez Cary Grant ou Gary Cooper. Eh oui, toujours la comédie américaine !   Wink

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Lefranc et Maureen font cependant la paix après cette séquence mémorable ! Et tandis que le français se prépare à dérober à son tour le "Spirit of Saint-Louis", au nez et à la barbe d'Axel Borg, Lefranc avoue à Maureen : "Vous êtes un amour". La paix est donc déclarée ! Mais y a t-il aussi de l'amour ? De la part de Lefranc, rien n'est moins sûr, car il ne pense qu'à s'en aller, mais de la part de Maureen ... je dirais qui oui ... probablement ... même si eleanore-clo sera peut-être d'un autre avis.   Wink

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Et Lefranc se rend donc chez Axel Borg, pour récupérer l'avion dérobé. Le machiavélique aventurier ne reconnait pas le reporter, jusqu'à ce que ce dernier mette en route le Spirit et se prépare à s'envoler vers l'Atlantique. Axel Borg sort son pistolet, mais Maureen intervient aussitôt, aidée par une seconde jeune femme. Elles administrent alors avec force de terribles coups de balais et coups de bâton sur le gangster, qui ne comprend plus ce qui lui arrive et qui finit par s'écrouler. Cette combativité et cette efficacité sont assez étonnantes de la part d'une jeune femme qui ne possède rien d'autre que son énergie et son courage, et cela signifie que Maureen possède bien l'envergure d'une héroïne de roman.


Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 10 Vol-sp18

Et Lefranc s'envole donc vers l'Amérique, à bord du vieux "Spirit" de Charles Lindbergh. Et tandis que son avion s'élève péniblement par dessus les vagues de l'océan, Maureen s'inquiète et s'exclame une dernière fois, transportée par ses émotions : "Il va s'écraser ! Quelle folie ! J'aurais dû l'empêcher !" crie la jeune femme. Puis Lefranc franchit l'obstacle, et le Spirit s'éloigne lentement vers l'horizon pendant que Maureen continue à crier : "Viva ! il a réussi ! Viva mon Frenchie !" Et c'est la dernière image de l'irlandaise que nous montre Jacques Martin. Maureen y reste toujours aussi énergique, enthousiaste et sentimentale, même si elle devine peut-être qu'elle ne reverra jamais son Lefranc.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 10 Vol-sp19

Je trouve qu'un aussi beau personnage aurait mérité de réapparaître dans la série (beaucoup plus que Jeanjean par exemple) mais Jacques Martin ne le souhaitait manifestement pas. Il y avait peut-être de la part du père de Lefranc l'intention de ne pas trop favoriser un personnage féminin susceptible de voler la vedette à son héros (ce que Maureen réussit presque à faire au cours de cet album). Il y avait probablement aussi chez Jacques Martin l'envie d'oublier "le Vol du Spirit", un album dont il n'était pas vraiment satisfait à cause de son dessin. Et ainsi, quel qu'en soit la raison véritable, Maureen n'est jamais revenue dans la série. C'est en peu dommage, car son caractère un peu fantasque amenait beaucoup d'humour et de piment dans l'intrigue.

Sinon, Jacques Martin s'est peut-être inspiré du modèle de certaines actrices américaines (comme Katharine Hepburn ... ou Maureen O'Hara dans "l'Homme tranquille") pour imaginer son personnage, mais il est clair que cette jeune et dynamique irlandaise est une vraie réussite narrative. Et si on met de côté le baiser de Lefranc pendant leur première rencontre, le portrait de Maureen me parait exempt de toute pensée machiste. Jacques Martin était donc capable d'imaginer des personnages inhabituels (par rapport à son œuvre) et d'introduire dans ses récits un humour adulte quand il le voulait. Le maître ne répétera hélas pas souvent ce genre de création mais il est clair qu'en fin de carrière, lorsqu'il n'avait plus de compte à rendre à un rédacteur en chef vétilleux, Jacques Martin pouvait créer d'étonnants personnages féminins.


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Clovis Sangrail

Clovis Sangrail
bédéphile pointu
bédéphile pointu

Raymond a écrit:
Et Lefranc se rend donc chez Axel Borg, pour récupérer l'avion dérobé. Le machiavélique aventurier ne reconnait pas le reporter, jusqu'à ce que ce dernier mette en route le Spirit et se prépare à s'envoler vers l'Atlantique. Axel Borg sort son pistolet, mais Maureen intervient aussitôt, aidée par une seconde jeune femme. Elles administrent alors avec force de terribles coups de balais et coups de bâton sur le gangster, qui ne comprend plus ce qui lui arrive et qui finit par s'écrouler. Cette combativité et cette efficacité sont assez étonnantes de la part d'une jeune femme qui ne possède rien d'autre que son énergie et son courage, et cela signifie que Maureen possède bien l'envergure d'une héroïne de roman.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 10 Vol-sp18

Cette scène contribue d'ailleurs à cette ambiance de "comédie à l'américaine" ou de vaudeville que tu soulignes très judicieusement par ailleurs. On est effectivement complètement dans la farce (dans cette séquence de l'histoire — toute la 1re partie "américaine" étant plutôt une parodie de film d'action blockbuster), avec Axel Borg battu à coups de balai : aussi improbable que drôle.

Maureen est certainement un personnage attachant, que Martin sort tout de même comme un lapin du chapeau (cet accident entre un vélo et Lefranc en roulotte !  clown, mais quelque part, toute cette aventure est basée sur des coïncidences, des "comme par hasard" et autres péripéties pas croyables), mais qui donne un "peps" ma foi sympathique à cette aventure.

eleanore-clo

eleanore-clo
vieux sage
vieux sage

Plus haut dans ce fil, j'ai proposé un petit concours. Les participants devaient trouver la BD de Jacques Martin s'inspirant d'une œuvre culturelle connue. Et bien, il s'agit du Vol du Spirit.  
Quant à l’œuvre ayant inspirée le maître et pour garder un peu de suspens, je vais d'abord afficher la photographie du modèle de Maureen puis, en mode caché, explorer les autres références réutilisées dans la BD. En tout cas, je tiens à féliciter Raymond qui a entrevu la solution.

Voici déjà sa photographie.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 10 ZilLxmynOSpL6W1bLJCgdZZ1wTv Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 10 A98

Elle s'appelle aussi Maureen et est bien évidemment irlandaise. Et le moins qu'on puisse dire, c'est que le personnage de Jacques Martin et cette femme ont un certain air de ressemblance qui va au-delà de la couleur des cheveux et du style de coiffure.
Allez, je bascule en mode caché.

Spoiler:

Alors, que pensez-vous de ma théorie ?

Pour changer de registre, Raymond m'a demandé mon avis sur les sentiments de Maureen envers Lefranc… Il est clair que le début de leur relation est invraisemblable. La causalité entre la gifle, le baiser et la soudaine tendresse m’apparaît chimérique.
Après, la scène où la jeune femme grime Lefranc me semble significative. Je crois qu'une femme qui aime un homme ne peut s'empêcher de vouloir le changer, le parfaire… Certes, le journaliste est le demandeur du changement. Il souhaite pouvoir rentrer dans la ferme de Borg sans que ce dernier le reconnaisse. Mais la gaélique prend beaucoup de plaisir à faire le travail. Et au-delà du facétieux nez de clown, j'ai remarqué la pose de lentilles bleues qui changent la couleur des yeux de Lefranc et lui donnent une couleur locale, plus à même de séduire une autochtone. Et il en est de même avec la teinture en roux des cheveux du journaliste qui en deviennent peut être plus beaux  aux yeux d'une femme de la verte Érin ?
Enfin la lettre finale et son invitation renvoient à l'idée d'une romance (irlandaise)...  Very Happy .

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 10 A108

Pour conclure et en revenir aux fanfreluches  Smile , le chapeau noir de Maureen surprend. Après, l'idée a fait école et Gibrat l'a adopté quatre années plus tard lorsqu'il représente l'héroïne du Vol du corbeau avec un superbe et voyant béret rouge. Mais pourquoi donc Chaillet a-t-il fait ce choix ? Pour ma part, j'eus pensé à une casquette. La seule référence que je vois est le Fédora porté par Sarah Bernhardt dans la pièce éponyme de Sardou et par les militantes féministes au début du 20ème siècle. Peut être que les membres du forum ont d'autres idées ?  

Eléanore

eleanore-clo

eleanore-clo
vieux sage
vieux sage

Bonsoir
J'ai clarifié mon message précédent en le corrigeant (partie en gras et en italique) Embarassed
Désolée
Eléanore

Raymond

Raymond
Admin

Merci de toutes ces remarques ! Je ne connaissais pas le village de Cong mais le parallèle entre les deux récits est en effet assez frappant.   Very Happy

On peut donc légitimement supposer que Jacques Martin avait vu l'Homme tranquille dans le passé, et qu'il avait envie de refaire une histoire semblable dans Lefranc. Mais il a aussi mélangé plusieurs récits, car il y a d'abord le "vol" (au sens de dérober) de l'avion puis à la fin la traversée de l'Atlantique par Lefranc. Jacques Martin ne voulait pas raconter seulement une comédie.

Sinon, par rapport à la "comédie irlandaise", Jacques Martin se révèle tout de même plus fin (et beaucoup moins "macho") que John Ford, car ce dernier ridiculise franchement le personnage féminin interprété par Maureen O'Hara. Le film américain nous montrer en effet une véritable furie, qui reçoit d'ailleurs une fessée devant tout le village à la fin du film. J'imagine que l'on n'oserais plus refaire un film pareil de nos jours.  Wink

Je comprends en tout cas un peu mieux pourquoi Jacques Martin montre dans son récit la roulotte tirée par un cheval. J'ai traversé le Connemara et le Kerry (donc l'Irlande profonde)  à la fin des années 70 et je n'ai jamais de calèche sur la route. Il y avait de jolis paysages mais ce n'était pas un pays arriéré. L'idée d'emprunter un cheval et une roulotte pour passer inaperçu en Irlande ne tient donc pas debout. C'est tout le contraire !


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Kimono


bédéphile pointu
bédéphile pointu

Raymond a écrit:Merci de toutes ces remarques ! Je ne connaissais pas le village de Cong mais le parallèle entre les deux récits est en effet assez frappant.   Very Happy



Sinon, par rapport à la "comédie irlandaise", Jacques Martin se révèle tout de même plus fin (et beaucoup moins "macho") que John Ford, car ce dernier ridiculise franchement le personnage féminin interprété par Maureen O'Hara. Le film américain nous montrer en effet une véritable furie, qui reçoit d'ailleurs une fessée devant tout le village à la fin du film. J'imagine que l'on n'oserais plus refaire un film pareil de nos jours.  Wink

Je comprends en tout cas un peu mieux pourquoi Jacques Martin montre dans son récit la roulotte tirée par un cheval. J'ai traversé le Connemara et le Kerry (donc l'Irlande profonde)  à la fin des années 70 et je n'ai jamais de calèche sur la route. Il y avait de jolis paysages mais ce n'était pas un pays arriéré. L'idée d'emprunter un cheval et une roulotte pour passer inaperçu en Irlande ne tient donc pas debout.

Oui, eleanor-clo, brillant parallèle ! La référence à Maureen O'Hara est évidente ! Je n'avais pas lu Le Vol du Spirit, mais l'idée en est assez remarquable. Raymond, le film L'Homme Tranquille respire en effet un solide machisme, celui des deux grands amis John Ford et John Wayne, dont la fessée à "la gonzesse" reflète bien les idées de sa dernière période (il a montré plus de nuances dans des films antérieurs). J'ai fait un tour d'Irlande moi aussi à la même époque que toi, et les locations de roulottes avec un cheval étaient très à la mode dans les offices de tourisme locaux. Jacques Martin a peut-être essayé la chose et voulu cette référence.
Vaste et passionnant sujet, sur la Cléopâtre de J. M. en particulier, j'y reviendrai.

eleanore-clo

eleanore-clo
vieux sage
vieux sage

Raymond a écrit:

Sinon, par rapport à la "comédie irlandaise", Jacques Martin se révèle tout de même plus fin (et beaucoup moins "macho") que John Ford, car ce dernier ridiculise franchement le personnage féminin interprété par Maureen O'Hara. Le film américain nous montrer en effet une véritable furie, qui reçoit d'ailleurs une fessée devant tout le village à la fin du film. J'imagine que l'on n'oserais plus refaire un film pareil de nos jours.  Wink

Sauf erreur de ma part, la scène citée par Raymond est dans le film McLintock : https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Grand_McLintock. Dans L'homme tranquille, et dans le même registre, John Wayne tire Maureen O'Hara devant un village hilare Evil or Very Mad



Sur le fond, on peut s'interroger sur le véhiculé des images. John Ford a voulu faire un ode à ses racines irlandaises. Et quel regard le spectateur moderne va-t-il poser sur tous les clichés du film ? Un peuple alcoolique ? Des bagarres stupides ? Des commères omniprésentes ? Sur le fond, je pense qu'il faut se méfier de la rétroactivité des jugements. Au collège, on m'a appris que Colbert fut un grand ministre de Louis XIV. Aujourd'hui, on voit en lui le rédacteur du Code noir autorisant l'esclavage dans les Antilles françaises. A New-York, la célèbre statue de Théodore Roosevelt devant le Musée d'Histoire Naturelle (très présente dans le film La nuit au musée) a été retirée car le président était sculpté à cheval et entouré d'un indien et d'un afro-américain. D'ailleurs, étrangement, Jules Ferry, ardent soutien de la colonisation de l'Afrique, échappe à la critique. Bref, du grand n'importe quoi.

Et pour conclure, oui, Jacques Martin se révèle féministe dans Le vol du Spirit. Et l'héroïne ne meurt pas à la fin de l'intrigue. Il présente donc son deuxième visage (cf. le message n°148 de ce fil, celui relatif à La crypte).

Eléanore

Kimono


bédéphile pointu
bédéphile pointu

Oui, eleanor-clo, ça devient abusif, ce regard moralisant rétroactif sur l'Histoire tourne au délire pieux ou castrateur. Le savoir n'est pas un tribunal. Même en leur temps Théodore Roosevelt ou Colbert n'étaient pas considérés comme des petits saints, et nous avons aussi de quoi être heurtés par leurs actes, mais la censure de leurs statues  ne sert à rien et ne relève pas du savoir véritable.
Du moins, il me semble que Jacques Martin n'est presque jamais tombé dans ces niaiseries : même si Alix n'a pas eu qu'à se louer du césarisme des Romains, il s'inclinait devant la haute culture de l'"oikoumène" et préfèrait valider celui-ci. J'aime son traitement lucide de Cléopâtre, sans mièvrerie ni glamour liquoreux. Elle devait se battre pour survivre, dès l'enfance, et tout autant ensuite, par n'importe quel moyen. Il faut que je relise l'album. Y reviendrai ! Indéniablement, les femmes sont "effacées" de ses premiers Alix, mais il ne faut pas oublier ce qui a été dit plus haut : le puritanisme extraordinaire des règles françaises (les Belges en souffraient) sur les "illustrés pour la jeunesse" de 1945 à 1970. Un des premiers à rompre le tabou fut Franquin avec Seccotine, jeune fille gracieuse et très active, copieusement bombardée de clichés par le macho Fantasio, mais plutôt défendue par Spirou...



Dernière édition par Kimono le Mer 29 Juin - 21:44, édité 1 fois

Raymond

Raymond
Admin

Je crois qu'eleanore-clo a raison ! La scène de la fessée administrée par John Wayne ne se trouve probablement pas dans l'Homme tranquille, mais plutôt dans le Grand Mc-Lintock. Ceci-dit, mais Maureen O'Hara (que l'on retrouve dans les deux films) est quand même pas mal rudoyée dans le film irlandais.

Ma mémoire me joue des tours, mais cela fait quand même plus de 30 ans que je n'ai pas revu l'Homme tranquille.  Very Happy

Quant à Jacques Martin, il fait plutôt partie des dessinateurs qui ont réussi à faire basculer les choses. L'introduction d'un personnage féminin très fort (la reine Adrea) dans le Dernier Spartiate a été une véritable transgression pour le journal Tintin en 1966. Et l'introduction d'une jeune indigène avec des seins nus dans dans les Proies du Volcan en 1977 fût un pari bien audacieux, que le père d'Alix n'a réussi qu'en faisant preuve de ruse, en apportant ses planches à la dernière minute, directement à l'imprimerie.


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Raymond

Raymond
Admin

Je vais maintenant me permettre d'avancer dans le sujet, en parlant cette fois de la Chute d'Icare. Le dessin de Rafael Morales y est hélas assez médiocre (à l'exception des décors) mais le scénario de Jacques Martin est bien construit et plein d'intérêt. Et puis (ce qui ne gâche rien), on y trouve deux personnages féminins très intéressants, dont on on va tout de suite discuter !

Au début de l'histoire, Alix accoste sur l'île imaginaire d'Icarios afin d'y retrouver ses amis Numa Sadulus et Archeloa (qui se sont mariés), et le récit commence avec les effusions traditionnelles. Archeloa est devenue une belle dame romaine (c'est du moins ce que j'imagine car le dessin ... hum hum !) qui a gardé une grande amitié pour Alix. Jacques Martin nous fait ensuite visiter cette vieille île grecque qui a été intégrée dans le monde romain.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 10 Chute-11

Et tandis qu'Alix et Enak se promènent dans la cité d'Icarios, Archeloa se révèle être une parfaite hôtesse. Elle évite habilement certains conflits et fait preuve d'un vrai sens de la diplomatie face aux personnes qu'elle rencontre. Si on se souvient de l'adolescente impulsive, rebelle et provoquante que nous montrait le récit de "l'Enfant grec", il faut admettre que la transformation du personnage est assez frappante.

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Et lorsque le soir tombe, et que Numa Sadulus montre à Alix le beau paysage que l'on voit depuis sa terrasse, Archeloa reste élégamment étendue sur sa couche, en adoptant une posture plutôt hiératique. Quelle assurance, et quelle élégance ! La chenille est devenue papillon, pourrait-on dire ?   Wink

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Par la suite, l'intrigue raconte le siège puis la conquête de la ville d'Icarios par Arbacès, qui commande une armée de pirates grecs. Comme Numa Sadulus est lui aussi un agent de Pompée (on l'a auparavant découvert dans "Vercingétorix"), Archeloa ne risque rien et sa demeure n'est pas pillée, tandis qu'Alix et ses compagnons doivent d'enfuir loin de l'île d'Icarios. Archeloa est donc en sécurité mais elle s'indigne de cette alliance entre Arbacès et Numa Sadulus, qu'elle trouve contre nature . "Quelle infamie" s'exclame t-elle et l'adolescente grecque, qui était réellement "une exclue", est maintenant devenue une notable, partisane de l'ordre et de la justice. Et lorsque qu'après une nuit de beuverie, Arbacès et Numa Sadulus se réveillent péniblement, Archeloa les sermonne en faisant appel à leur dignité, ce qui réveille d'ailleurs une certaine colère chez Arbacès. La jeune femme fait donc preuve de fierté et d'un courage réel en face d'un bandit potentiellement très dangereux.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 10 Chute-14            Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 10 Chute-16


J'avance sinon rapidement dans le récit pour arriver vers la fin de l'aventure, quand les troupes romaines de Quintus Arenus libèrent la ville d'Icarios du joug des pirates. C'est alors au tour d'Alix de venir en aide à Archeloa, à qui il promet sa protection. Et on découvre alors une femme déçue par le comportement de son mari ! "C'est mois la disparition de Numa qui m'affecte que sa trahison" dit-elle, en montrant ainsi une véritable dignité. Elle refuse de se plaindre et reconnait seulement éprouver une certaine déception.

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Archeloa décide finalement de partir pour Rome, où elle pourra vivre dans la maison de son mari. Elle abandonne la plupart des vêtement et des bibelots qui se sont entassés dans sa demeure d'Icarios et décide d'entamer une nouvelle vie. Et tandis qu'Archeloa se trouve sur le pont du navire, ses serviteurs viennent la supplier de les emmener avec elle. En bonne matrone, à la fois bienveillante et responsable, elle affranchit ses esclaves en leur laissant une petite somme d'argent, et en permettant à ceux qui le souhaitent de l'accompagner à Rome. Quelle noblesse chez cette grande dame ! Dans cette aventure, malgré les dangers et toutes les difficultés, Archeloa garde un comportement digne et bienveillant de bout en bout.

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A la fois mûre, sensible et responsable, Archeloa n'est donc pas une "Alix girl" dont le temps d'apparition se limite à un seul album. Jacques Martin a très habilement fait évoluer son personnage, peut-être avec l'idée de garder dans sa besace une amie fidèle et intelligente de son héros. Quel dommage toutefois qu'elle soit si mal dessinée par Morales car il est très probable que Jacques Martin aurait cherché à l'embellir physiquement. Les actes sont certes plus importants que l'apparence, mais le visage d'une personne révèle généralement aussi le caractère et l'hygiène de vie d'une personne. Hélas, les faciès que nous dessine Rafael Morales sont souvent assez ingrats.

C'est un beau personnage féminin que les successeurs de Jacques Martin pourraient intelligemment réutiliser, mais je me fais certainement des illusions.   Rolling Eyes

Voilà ! Je mets déjà en ligne cette première partie car le post devient long. Dans la deuxième partie, je parlerai bien sûr de Julia.


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Raymond

Raymond
Admin

Parlons maintenant de Julia, qui est la fille du légat romain de l'île d'Icarios. Alix la rencontre alors qu'il rend visite à Caro Curtius, afin de le prévenir de certaines constatations inquiétantes, et Julia s'impose d'emblée dans la conversation. Alix lui répond assez froidement, mais il doit cependant suivre la jeune romaine qui l'emmène visiter certains lieux cachés dans la forteresse !

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 10 Chute-19

Julia amène ses invités dans une salle thermale et leur propose de se baigner avec elle dans la grande vasque qui contient une eau vivifiante. "Les femme ne se baignent pas avec les hommes" lui répond Alix, et un domestique propose alors de ramener Alix et Enak en dehors de la forteresse. "Fais comme il te plait, puisque ces garçons se conduisent comme des eunuques"" persifle Julia, et le lecteur comprend d'emblée que la jeune romaine est une manipulatrice. Elle a en tout cas jeté son dévolu sur Alix et ne pense bien sûr qu'à satisfaire ses appétits sexuels.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 10 Chute-20

Alix se consacre ensuite entièrement au danger qui s'est abattu sur l'île d'Icarios, à cause l'invasion des pirates ! Il peut ainsi tranquillement repousser les avances de Julia mais cette dernière ne renonce pas à séduire le héros. Elle décide alors de s'habiller comme une amazone et de combattre comme un homme, et son père finit par accepter ce nouveau caprice. "J'espère que tu apporteras plus d'aide que de soucis à Alix et ses compagnons" lui répond le légat avec ironie, et Julia va dès lors suivre les pas d'Alix avec obstination, quelque soit le danger qui se présente. Elle ne manque en tout cas pas de suite dans les idées !

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 10 Chute-21

Après cette scène, la situation militaire se complique car Arbacès et ses pirates arrivent à pénétrer dans la cité. Ils commencent à piller la ville et à commettre les pires exactions, tandis que le légat et sa famille se font eux aussi massacrer. Alix et ses amis se retrouvent acculés en haut des remparts et ils n'ont plus qu'une seule échappatoire : sauter du haut des murs dans les eaux du port d'Icarios. Et lorsque Alix lui donne l'ordre se sauter, Julia n'hésite pas une seconde ! Elle plonge dans la mer et nage ensuite en direction d'un bateau à moitié abandonné. Alix et Enak la suivent et ... il faut bien admettre que la jeune romaine ne manque pas de cran, ni de ressources physiques !  

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Julia monte ensuite sur le pont du bateau afin d'attirer vers elle les marins, et que ceux-ci ne voient pas Alix et Enak leur tendre un piège. Les trois marins sont donc fait prisonniers par Alix, avant d'être ligotés et jetés à fond de cale. Plus tard, après que le navire se soit éloigné d'Icarios, Alix décide de se débarrasser de ces trois marins encombrants. Julia les fait alors monter sur le pont, puis elle les pousse dans la mer toujours attachés les uns aux autres. Les marins sont sur le point de se noyer mais ils arrivent néanmoins à monter dans la barque de sauvetage. Puis ils s'exclament : "Ah la garce ! C'est elle la plus terrible ! Les deux garçons sont beaucoup moins féroces !"   Eh oui, la diablesse ne manque pas de tempérament.  Wink

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La nuit suivante, tandis qu'Enak s'est endormi dans la soute du navire, Julia fait à nouveau des propositions sexuelles à Alix qui, sur le moment, semble rester muet. Jacques Martin ne nous montre pas ce qui se passe ensuite et chacun pourra faire ses propres suppositions. En y réfléchissant bien, je ne vois pas comment Alix aurait pu résister à la tempêtueuse Julia car il n'avait plus d'échappatoire  ... mais Jacques Martin n'avait envie de raconter ce genre de galipette.   Smile

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Alix et ses amis arrivent ensuite dans le port de Délos et ils y rencontrent le procurateur Quintus Arenus. Ce dernier est un militaire assez vaniteux et Julia décide aussitôt de le séduire. Le procurateur commande une impressionnante flotte armée et Julia y voit un moyen de se venger des pirates. Elle obtient rapidement ce qu'elle veut et deux jours plus tard, des navires romains se dirigent vers l'île d'Icarios. Mais pour obtenir cela, Julia est devenue l'amante du vieux militaire.

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Quintus Arenus et ses soldats reprennent donc la ville d'Icarios et Arbacès s'enfuit. La victoire est presque trop facile et Julia commence déjà à s'ennuyer de la présence du procurateur. Elle retourne voir Alix en lui demandant de pouvoir rester auprès de lui, mais ce dernier refuse ! "Tu l'abandonnes traîtreusement" lui déclare t-il. "il serait temps que tu retournes vers Quintus Arenius car sa fureur pourrait devenir dangereuse" ajoute t-il encore et Julia se retrouve ainsi prise au piège. Les connaisseurs d'Alix savent déjà que la fougueuse jeune femme n'échappera pas à son morne destin, puisqu'elle réapparaitra plus tard (dans l'album Roma Roma) en tant qu'épouse de Quintus Arenus, mais ce nouveau statut ne l'empêchera pas de garder tout son tempérament.

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En fait, Julia va faire contre mauvaise fortune bon cœur ! Et ses adieux à Alix vont curieusement se révéler pleins d'enthousiasme, un peu trop d'ailleurs si on regarde la tête que présente à ce moment-là Quintus Arenius ! "Ah Julia, tu es toujours aussi pleine de feu et d'élan" lui répond Alix, et il ajoute habilement " je gage que Quintus Arenius saura tirer tout le profit d'une nature telle que la tienne. Lorsqu'il aura obtenu son divorce, à Rome, ce sera un homme comblé". Et le procurateur se calme aussitôt. Alix n'est pas son rival par rapport à Julia et cette dernière accepte son sort.

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Julia est donc un personnage assez trouble et, personnellement, je ne sais pas si je l'apprécie ou si je la déteste. Il est probable que les sentiments d'Alix sont assez comparables. L'énergie et le tempérament fougueux de cette jeune femme pourraient être sympathiques mais elle est aussi une arriviste sans scrupule et une libertine sans grande intelligence. Alix la tolère plus ou moins en tant qu'amie, même si son comportement impulsif et son absence de barrières morales rendent Julia assez peu fiable. C'est au fond sûr le genre de personne que l'on rencontre parfois dans la vraie vie. Elle n'est en fait ni bonne ni méchante, même si cette femme égoïste se préoccupe uniquement de satisfaire ses envies d'une manière immédiate. Ce genre de femme est à mon avis une belle création de la part de Jacques Martin. Il n'est donc pas surprenant qu'on la retrouve plus tard dans Roma Roma, car avec Julia tout peut arriver. A Rome, elle se révélera être une véritable amie mais ... elle sera toujours aussi peu fiable. 

Et si on compare la destinée des deux principales héroïnes de la Chute d'Icare, il y a d'une part le vilain petit canard (Archeloa) qui devient progressivement une grande dame, et d'autre part la ravissante fille du procurateur (Julia) qui devient hélas une gourgandine et qui mène sa vie sentimentale sans aucune intelligence. La plus belle des deux est donc finalement Archeloa et ce choix très moral révèle de façon significative le monde intérieur de Jacques Martin. Le "maître" avait des principes et il leur était fidèle.

J'espère sinon qu'eleanore-clo ne m'en voudra pas de lui avoir fait lire cet album qui, par certains côtés, est un peu mal fichu (sur le plan du dessin bien sûr). Cet album offre tout de même une intéressante suite à la grande saga d'Alix, avec des personnages qui apparaissent ou qui réapparaissent, un peu comme dans le monde réel, et qui évoluent parfois de façon surprenante. Pour ma part, je ne me lasse jamais de découvrir ces rebondissements, même s'ils sont souvent dominé par une morale assez pessimiste.


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eleanore-clo

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vieux sage
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Je confie ne pas avoir été très inspirée par La chute d'Icare  Embarassed . Aussi ai-je éprouvé quelques difficultés à compléter le très exhaustif message de Raymond. Mon billet sera donc court et j'en suis désolée.

Court ne signifie pas apathique et je vais commencer par quelques lignes relevant du "brûlot", et dont j'espère qu'elles n'aviveront pas trop les passions  Twisted Evil .
Me concernant donc, le point le plus surprenant de cette BD est la danse des assaillants. Jacques Martin ose mettre en scène des hommes nus. Bien évidemment, cela n'est pas choquant dans le contexte de la Grèce antique (les athlètes) mais la problématique est tout autre dans la prude BD franco-belge. Certes la tonalité a évolué à partir des années 80, du fait de l'arrivée d'un lectorat plus adulte et de rédacteurs en chefs plus licencieux. Raymond l'a expliqué plus haut dans ce fil en citant la revue Vécu. Néanmoins, et c'est la citoyenne qui parle, les corps complaisamment exposés étaient souvent féminins, ce qui correspondait aux fantasmes d'un public majoritairement masculin  Rolling Eyes . Or, dans La chute d'Icare, le maître et Moralès focalisent sur des hommes nus. Ce qui ne correspond pas aux us et coutume du théâtre antique. Bon, vous me direz que la statue dominant le port est nue et que la danse y fait référence. Mais quand même. Partant de là, je dirais qu'indirectement, la BD est féministe car traitant paritairement des corps.

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Concernant Archeloa, j'eus évoqué la chrysalide s'étant transformée en papillon. La jeune androgyne de L'Enfant Grec s'est métamorphosée. Épouse de Numa Sadulus, elle assume parfaitement son rôle de maîtresse de maison. Et elle a aussi gardé ses qualités morales. De la même façon qu'elle a dénoncé les crimes d'Hykarion, elle embrasse sans hésiter la cause romaine face aux troupes d'Arbacès, même si cela doit lui coûter son mariage. Et cerise sur le gâteau (grec), l'héroïne reste une fidèle amie d'Alix. Côté dessin, on peut remarquer le profil grec de l'héroïne et je mets en parallèle le profil de la Vénus de Milo du Louvre et Archeola.

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Juliia est une héroïne à part car elle est ambiguë. Ambiguë et pas trouble car je ne doute pas de son sens moral. Elle fait ainsi preuve de volonté, d'une grande vaillance et d'une belle résilience.
Certes, Martin nous la dépeint comme changeante dans ses relations : Alix puis le gouverneur puis Alix ! Ce qui vaut à Raymond d'employer le substantif gourgandine. Néanmoins, j'y vois plutôt le libre arbitre d'une femme qui s'affranchit du qu'en-dira-t-on. Notre personnage démontre donc surtout une forte personnalité.
Ensuite et surtout, l'héroïne m’apparaît dégagée de tous les préjugés sociétaux. Elle choisit de s'affranchir de l'autorité du pater familias pour lutter contre les envahisseurs de l'île. Et elle choisit aussi librement ses amants sans se sentir prisonnière de la relation. Sa relation avec Quintus Arenus ne relève donc pas de la recherche d'un protecteur mais plutôt d'une offre entre égaux et frères/sœurs d'armes.
Le choix du prénom est très signifiant. Julia nous fait bien évidemment penser à Caius Iulius Caesar qui a lui aussi été victime de pirates (capturé puis libéré contre rançon) et qui s'est de même auto-affranchi des usages (en franchissant le Rubicon notamment).
Au final, ce qui est reproché à une femme le serait-il à un homme ? Le regard porté sur Julia serait-il identique si c'était un personnage masculin. Ainsi, les remarques des marins confrontés à cette femme atypique sont clairement sexistes avec leur lot de sous-entendus sexuels.

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En tout cas, Archéola et Julia échappent au sort funeste des Alix-girls  Very Happy .

Pour finir en beauté, et prendre un peu de distance par rapport au dessin de Moralès, je vous invite à contempler la magnifique toile de Brueghel appelée aussi La chute D'Icare :

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Eléanore

Raymond

Raymond
Admin

La Chute d'Icare est un des albums de Jacques Martin sur lequel on possède le plus de déclarations du maître. L'auteur s'est en effet expliqué en détail sur cette œuvre dans le petit fascicule collector intitulé Icarios, publié presque en même temps que l'album de BD.

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Et on apprends ainsi que la scène qui choque eleanore (les hommes nus debout devant les remparts) est inspirée d'un fait réel, raconté par Thucydide. Dans la réalité, les assiégeants ne s'étaient pas dénudés pour tromper l'ennemi, mais plutôt parce qu'ils trouvaient que le siège durait depuis trop longtemps.  Les soldats souffraient de l'absence de leurs femmes et leur abstinence sexuelle devenait insupportable. Ils ne songeaient plus à prendre la vile, mais simplement à assouvir leurs désirs. Et un jour, ils se sont déshabillés et mis debout devant les remparts, en prenant des poses suggestives et en réclamant des femmes aux assiégés. Les femmes de la ville se sont bien sûr précipités en haut des remparts pour voir le spectacle.   Wink  L'histoire s'est terminés plutôt pacifiquement, car les assaillants sont repartis bredouilles. Jacques martin a décidé d'adapter cette anecdote, en imaginant que c'était une ruse d'Arbacès, qui lui permettait finalement de s'emparer de la ville.

La réalité est parfois plus étonnante que la fiction.   

Sinon tu as tout à fait raison ! Avec cette anecdote, Jacques Martin établit une situation de parité entre hommes et femmes. Mais ce qui l'amusait le plus, c'est bien sûr que l'anecdote était réelle.     Smile


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Raymond

Raymond
Admin

Sinon, pour répondre à eleanore clo, OUI, je reprocherai autant à un homme qu'à une femme de vendre son corps pour arriver à ses fins ! Julia n'a pas beaucoup de scrupules et je ne la considère pas simplement comme une "femme libre". C'est une demoiselle de la haute société qui adhère au principe de la "loi du plus fort" et qui est prête à tout pour arriver à ses fins. Elle est parfois habile mais, comme le fait remarquer Alix, elle "agit plus par pulsions que par raison". Son absence de morale la rend imprudente. Elle se fait d'ailleurs prendre au piège et elle est finalement presque contrainte d'épouser Quintus Arenus. Et à cette occasion-là, c'est bien Alix qui manœuvre d'une façon très habile.

J'en reviens donc à ce que j'ai déjà dit. C'est un personnage trouble, et elle n'évolue pas par la suite de la même manière qu'Archeloa.


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Raymond

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Admin

Parlons maintenant du 23ème tome des aventures d'Alix, qui s'intitule le Fleuve de Jade. C'est un des moins bons albums scénarisés par Jacques Martin, à mon avis, mais il ne manque pas d'intérêt si on se focalise sur les personnages féminins. J'ai donc finalement retenu dans ma sélection cette aventure qui est souvent peu appréciée.

Le premier sujet d'intérêt, c'est bien sûr d'y retrouver la superbe et fascinante Cléopâtre ! Au début du récit, la reine reçoit un envoyé du prince de Meroé, qui souhaite marier sa fille. Ce prince souhaite curieusement lui faire épouser Enak, par ailleurs considéré comme un "prince de Menkhara", et Cléopâtre reçoit une gros coffre rempli d'or et de bijoux pour jouer un rôle d'entremetteuse.  "C'est bien ! Tu as gagné" déclare t-elle royalement à l'envoyé de Djerkao. La pharaonne ne dédaigne bien sûr pas la possibilité d'acquérir à nouveau une petite fortune.

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Toujours aussi royale et entreprenante, la belle descendante de Ptolémée invite Alix et Enak à Alexandrie afin de leur proposer cette surprenante alliance avec Djerkao, Normalement, Alix et Enak devraient refuser (Enak s'étrangle d'ailleurs en entendant la nouvelle), mais le charisme et l'intelligence de la pharaonne arrivent tout de même à leur faire accepter une petite concession. Alix et Enak iront donc simplement "rendre visite" à Djerkao. Eh oui ! Cléopâtre est une reine à laquelle il est impossible de résister.

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Les deux "romains" sont ensuite hébergés d'une façon fastueuse, avant de partir à bord d'un navire vers le sud du Nil. Et la conclusion de Cléopâtre après leur visite est impitoyablement réaliste ! "Parfait, je suis payée ! Maintenant, que ces deux nigauds aillent se faire croquer par ce fauve qu'est Djerkao ! Après tout, ce n'est plus mon affaire" conclut-elle cyniquement. Caramba ! C'est cela, une femme de pouvoir !

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Une fois arrivés au palais de Djerkao, Alix et Enak se retrouvent pris au piège. Ils s'évadent et se font pourchasser par le prince, puis ils errent dans le désert avant de tomber dans les griffes d'un marchand d'esclaves. Et à la fin de leur périple, ils arrivent à Alexandrie dans un triste état, ligotés et complètement déshydratés. Cléopâtre les prend en pitié et après avoir un peu caché son jeu (le temps de faire venir ses soldats), elle libère Alix et Enak de leurs liens. Elle fait également exécuter l'implacable marchand (en le noyant dans le Nil) et renforce ainsi son prestige. Et surtout, elle gagne la reconnaissance d'Alix.

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"Me remercier, mon cher Alix, c'est si facile !" répond elle ensuite à Alix en le rejoignant dans son bain, et "en s'offrant comme une prostituée". Eleanore-clo nous a déjà expliqué que ce n'était pas une faveur exceptionnelle que Cléopâtre accordait à ses invités (voir le message N° 223 de ce sujet) mais Jacques Martin n'hésite par cette fois à nous le montrer explicitement. Et puisque cela correspond simplement à la réalité, on ne lui reprochera pas de nous montrer cette case pleine de sous-entendus érotiques.   Wink

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Dans cet album, Jacques Martin affine donc un peu le portrait de Cléopâtre, tout en restant cohérent avec ce qu'il avait déjà décrit dans "Ô Alexandrie". La pharaonne est une femme de pouvoir relativement dénuée de scrupule, mais elle conserve habilement son apparence royale et son charisme, même lorsqu'elle fait preuve de vénalité ou de férocité.

A côté de cette "maîtresse-femme", on découvre à l'opposé une "femme victime" du Fleuve de Jade. La princesse Markha, fille du prince Djerkao, n'est probablement pas très séduisante si on en croit le désappointement d'Enak, et le dessin de Morales ne nuance pas cette appréciation. Markha semble simplement exécuter les ordres de son père et son personnage apparait au départ un peu falot. Elle ne brille pas en société et n'existe que par son titre de princesse et sa valeur marchande, si j'ose dire.

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Mais une fois qu'elle se retrouve seule avec Alix et Enak, la jeune princesse fait rapidement preuve de vivacité et d'une belle audace. Elle se baigne sans la moindre gêne en compagnie des deux hommes (je devrais plutôt dire "des adolescents") et commence à faire alliance avec eux. "Moi non plus, je ne désire pas me marier" dit-elle à Enak en entrant dans la piscine et la conversation s'engage facilement. Markha propose alors aux deux "romains* de les aider à s'évader et Alix lui fait pleinement confiance. Il n'a en fait pas compris ce que Markha veut réellement faire.

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Quelques nuits plus tard, Alix et Enak s'évadent du palais de Djerkao grâce à un petit incendie qui a mobiiisé toute l'attention des gardes. Ils retrouvent ensuite Markha qui est déjà embarquée sur le navire destiné à leur fuite, et la jeune égyptienne les contraint à l'emmener avec eux. Elle espère ainsi suivre Alix jusqu'à Rome, ce qui n'est pas du goût des deux fuyards. Mais ils n'ont pas vraiment le choix !

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Au début du voyage, Markha se révèle plutôt utile aux deux évadés. Après quelques jours de navigation, et elle leur propose de s'arrêter dans le domaine de la "reine Herka" où ils sont accueillis de façon festive. Puis ils brûlent leur navire, afin d'effacer toute trace de leur passage et partent en direction du désert. Markha suppose que son père va  renoncer à les poursuivre mais elle se trompe lourdement. Djerkao arrive sur place tandis que le navire brûle encore, et une poursuite s'engage à travers le désert.

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Le petit groupe arrive tout de même à échapper au chars de Djerkao et continue ensuite son voyage vers le sud. Des tensions commencent à apparaître entre Markha et les jeunes romains tandis qu'ils arrivent au bord d'un fleuve verdâtre ! La jeune égyptienne est quand même une princesse, et elle marque ostensiblement son dégoût lorsqu'un jeune berger africain (nommé Madoo) lui fait explicitement des propositions de mariage. Elle frappe même le jeune berger et c'est le début d'un drame !

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Markha est lasse en effet de fuir vers le sud et de vivre misérablement. Elle décide alors d'abandonner ses compagnons et de repartir vers Méroé, pour retrouver sa famille, malgré les remarques acerbes d'Alix. "Markha ! Toi rester avec Madoo, sinon toi mourir ! Moi aussi sorcier" crie le berger africain, mais la princesse ne veut rien entendre. Elle frappe Madoo et fait démarrer son char qui est tiré par des chevaux. 

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Les buffles de Madoo empêchent toutefois le char de quitter le bord du fleuve et ils encerclent vers la princesse. Le cocher n'arrive dès lors plus à diriger le char qui dévale en direction du fleuve verdâtre et boueux. Les chevaux se précipitent finalement dans l'eau gluante du "Fleuve de Jade" dont Markha n'arrive plus à s'échapper. Elle se noie sous les yeux horrifiés d'Alix et d'Enak. Cette fin était-elle nécessaire ? On peut en tout cas en conclure que la malédiction des "Alix girls" a encore frappé !   Cool

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Hautaine et un peu frivole, Markha n'éveillait pas vraiment la sympathie du lecteur mais, quand on y pense, son seul tort était peut-être de se profiler comme une potentielle compagne d'Enak ou d'Alix. Une telle issue était bien sûr inacceptable. Par ailleurs, la mort d'une jeune femme est un rebondissement dramatique fort utile pour accentuer la tension dramatique d'une aventure. La princesse égyptienne ne pouvait probablement pas connaître un autre destin. Et puis ... il y a aussi la loi des séries !  Wink

Les femmes égyptiennes occupent donc une place importante dans le Fleuve de Jade et leurs rôles sont agréablement contrastés. Et si la princesse Markha n'est finalement qu'une malheureuse victime, la grande bénéficiaire de cette implacable aventure est bien sûr la belle et puissante Cléopâtre, qui a su gérer les homme et les situations avec une belle intelligence manœuvrière. Serait-ce au fond cela, le féminisme ?    Cool


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Kimono


bédéphile pointu
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Très bonne analyse et conclusion, Raymond ! Un album que je n'avais jamais lu, et qui atteste encore une fois du sens aigu de Jacques Martin des enjeux pour Cléopâtre en cette Egypte vacillante qui peut l'entraîner dans sa chute (et qui le fera, malgré tout son génie !).

eleanore-clo

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vieux sage
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Avec Le fleuve de jade Jacques Martin met en scène deux reines/princesses dont une nouvelle. Abondance de biens ne nuit pas  Very Happy . Et Raymond ayant (comme à son habitude  bise ) parfaitement présenté les deux héroïnes, je vais (comme à mon habitude  Smile ) vous emmener dans une autre direction...

Et pour commencer, je vous propose de comparer Saïs (Le prince du Nil), Cléopâtre (O Alexandrie et Le fleuve de jade) et Markha (Le fleuve de jade).

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Tout d'abord, ces trois femmes détiennent ou sont proches du pouvoir. Cléopâtre, de par son mariage avec Ptolémée XIII, devient codirigeante de l'Égypte. Saïs est la sœur du roi de Sakhara, Ramès. Et enfin, Markha est la sœur (et pas la fille ?) de Djerkao, le prince de Méroé. Or, les reines de Méroé, les candaces, ont souvent dirigé leur pays notamment à l'époque d'Alix.

Les trois héroïnes sont jeunes et âgées d'une vingtaine d'années. Ces femmes d’État commandent, avec plus ou moins de bienveillance et leurs confidentes et servantes n'ont plus qu'à obéir. On peut néanmoins remarquer l'existence d'une fidèle confidente tant chez Saïs (Maoukh) que chez Cléopâtre (Amoussia et Syrenia). Markha est beaucoup plus hautaine.

Elles sont originaires de contrées fort différentes. Cléopâtre est née dans le delta du Nil alors que Saïs et Markha sont nubiennes, plus d'un millier de km en amont du fleuve.
Les coloristes successifs du maître leur ont conféré une carnation sombre qui traduit le lien entre le Moyen-Orient et l'Afrique Subsaharienne.

Et l'Imperium romanum pèse sur leur destinée. D'un point de vue strictement historique, Cléopâtre, amante de Jules César puis de Marc Antoine, pourrait être qualifiée d'égypto-romaine. Quand à Saïs et Markha, elles appartiennent au royaume de Méroé. Un état situé aux limes de l'Empire et qui a combattu Rome avant qu'un accord ne soit trouvé entre Auguste et une de ses reines Amanirenas.

Et quel ont été les relations de ses trois femmes avec Alix ?

Clairement, aucune n'est insensible  Rolling Eyes  .
Saïs est passionnément amoureuse du jeune gaulois, d'un amour pur, total. De son côté, Cléopâtre est attirée par Alix et va jusqu'à partager sa couche ou plutôt son bain ! Enfin, Markha, censée épouser Enak, préférerait de loin suivre le héros jusqu'à Rome !

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Comme l'a partiellement signalé Raymond, les trois femmes rencontreront le sort de toutes les Alix-girls  Crying or Very sad même si le maître ne met pas en scène la célébrissime morsure de Cléopâtre par un serpent.

Au final, Jacques Martin reproduit le même modèle, avec à chaque fois des petites variations liées au contexte historique le plus souvent.

Ne peut-on généraliser et dire que le maître avait quelques catégories d'héroïnes et qu'il piochait, au gré des scénarios, dans l'une ou l'autre ? jfty, au début de ce fil (message n°15), a dénombré trois typologies : "les compagnes de fortune et d'infortune" (Lydia, Malua, etc.), "les dangereuses mégères" (Mia, Hermia, etc.) et "les reines et princesses" (Adréa, Saïs, etc.). Clairement, Markha, la nouvelle héroïne, rentre dans la troisième catégorie.

Mais cette classification peut aller au-delà d'Alix et s'applique à Lefranc. Belinda du Repère du Loup n'est-elle pas une compagne de fortune ? Maureen du Vol du Spirit appartient aussi à ce rang. Laura Lane, la sorcière des Portes de l'Enfer, ne pourrait-elle rentrer dans une division "femmes de pouvoir" qui engloberait "les reines et princesses" ?

Du côté de Jhen, Ariana des Écorcheurs relève clairement des "compagnes d'infortune". La mère supérieure de La cathédrale et à terme Clara sont des "femmes de pouvoir".

Et il en est de même pour Djeïla et Tara dans L'Œil de Khéops et Le Puits Nubien.

Quant à la déchéance d'Hilona dans Le lac sacré, elle traduit un changement de statut. "Femme de pouvoir" chez les hilotes, elle devient une "compagne de fortune et d'infortune".

Voilà une théorie éléanoresque que je soumets à votre sagacité. En tout cas, j'en fait don à Patrick Gaumer qui pourra l'intégrer dans la réimpression de sa monographie Laughing !

Eléanore

Raymond

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Admin

Je ne suis hélas pas vraiment d'accord avec eleanore !   deso

Il me semble que Jacques Martin a plutôt essayé de varier les caractères de ses personnages féminins et que l'on ne peut pas tout ramener à trois catégories, même si un certain nombre de femmes peuvent correspondre à ce concept.

Cléopâtre me semble par exemple "hors catégorie" ! C'est une femme qui n'est pas vraiment amoureuse d'Alix et elle est de plus un personnage historique. Jacques Martin essaie le mieux possible de la faire ressembler à ce qu'elle pouvait être à son époque, indépendamment des archétypes. Elle meurt 20 ans après sa première rencontre avec Alix et ce trépas relève donc d'une autre cause que de la présence de notre héros (le responsable en est surtout Octave-Auguste).

Belinda est également très difficilement classifiable car elle ne se comporte pas du tout en compagne de Lefranc. Elle est très réservée et surtout dévouée à sa propre famille. Elle n'essaie de protéger Lefranc que par simple souci de justice. Je la considère également "hors catégorie" car elle n'entretient aucun lien particulier avec le  héros.

Laura Lane pourrait être inquiétante par certains côtés mais elle est plutôt bienveillante et ne peut pas être considérée comme une mégère. Ce n'est pas non plus une "femme de pouvoir" ou une reine car elle se contente d'essayer de protéger les siens et n'a pas pour ambition de diriger le monde.

On pourrait aussi parler d'Archeleoa, qui est beaucoup plus complexe qu'une simple "Alix girl" (c'est un personnage "trans") et qui évolue d'une façon intéressante au fil du temps.

Quant à Maureen, ce n'est pas du tout une compagne d'infortune car l'histoire qu'elle vit avec Lefranc relève plus de la comédie que de l'aventure. Pour moi, avec sa vivacité et sa malice, elle représente une autre catégorie à elle toute seule ! C'est un personnage de vaudeville.

Il y a bien sûr quelques personnages typiques qui réapparaissent d'une façon prévisibles (la reine, la mégère, la jeune fille séduite par Alix), mais Jacques Martin est aussi capable de créer des caractères féminins assez originaux. Il essaie en fait de ne pas trop se répéter et il y arrive parfois assez bien.


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Kimono


bédéphile pointu
bédéphile pointu

Vu de loin, car j'ai pas mal de relecture à faire des albums de Jacques Martin, il me semble en effet qu'il cherchait à varier les personnages féminins, selon mes souvenirs des publications dans la presse jeunesse jadis.
Justement je viens de relire Ô Alexandrie, ce beau classique. Ce qui est un peu dommage, c'est l'"égyptianisation" de Cléopâtre, puisque c'était en fait une Grecque. Notre auteur aurait dû en toute rigueur la dessiner comme Archéloa, dont la coiffure à chignon et bandeaux et la couleur de peau claire correspond beaucoup mieux à ce que nous savons de cette reine hellénistique et à ses portraits. Il semble avoir adhéré au look "pittoresque" des films hollywoodiens (Claudette Colbert, Elisabeth Taylor entre autres). Le père, le roi-pharaon Ptolémée XII Aulète (le Joueur de Flûte), est lui plus réaliste, la peau claire et l'apparence d'un Grec, d'autant que cette famille excluait le métissage avec les Egyptiens et pratiquait la consanguinité. Mais bon, on n'est pas dans un ouvrage historique. Ce père est d'ailleurs réaliste aussi par son autorité bafouée, personnage faible et velléitaire déjà vassalisé par Rome. Cléopâtre apparaît consciente qu'elle n'échappera pas à la tutelle de Rome et veut en sauver sa dynastie, c'est très bien vu, la sauver aussi de son insupportable et indigne jeune frère, pourtant pharaon en titre. Son élimination n'est que retardée. En parlant à la reine du "grand consul" César, Alix annonce bien sûr le futur, d'autant que Cléopâtre affirme adorer les hommes mûrs comme lui (du coup son petit crush pour Alix ne devient qu'une passade sans sérieux). Toutefois rien à l'époque n'autorise à prévoir la venue de César en Egypte, il ne s'imposera qu'à la poursuite de Pompée, puis en éliminant Ptolémée XIII et Ptolémée XIV. Avouons-le, les invraisemblances de la narration ne manquent pas, notamment avec Qâa, mais ce que J. M. réussit parfaitement, c'est à créer une atmosphère, ici celle de l'incertitude du sort de nos héros, menacés aussi bien par le complot des prêtres que par la haine de Ptolémée XIII et l'arbitraire de Cléopâtre "protectrice" surtout intéressée par le trésor. Très beaux décors finement reconstitués ! Je compte poursuivre le cycle cléopâtresque, bien sûr.

Raymond

Raymond
Admin

Le "Fleuve de Jade" est hélas moins réussi que "Ô Alexandrie" mais Cléopâtre y reste bien la même : à la fois impériale et séduisante !

Mais passons à l'Ultimatum, qui sera le dernier titre de la longue série d'œuvres "disséquées" dans ce sujet. C'est un album parfois critiqué (il n'y a qu'à lire le sujet consacré aux moins bons Lefranc) mais j'en garde pour ma part un bon souvenir, en particulier parce qu'on y fait une belle visite de Bruges et aussi parce qu'on y découvre la sympathique cousine de Lefranc.

Cette cousine se nomme Sophie Saintelm et c'est une journaliste qui est encore en période d'apprentissage. Elle accompagne Lefranc à Bruges dans le but d'y réaliser un reportage photographique et cette demoiselle a un esprit assez vif. En parlant d'un tableau volé, elle réplique d'une façon malicieuse à son mentor et Lefranc lui répond qu'elle a l'esprit mal tourné. "C'est très vilain" ajoute t-il d'une manière un peu ridicule et le héros nous apparait soudain un peu vieillot !

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Sophie est donc pleine d'esprit et elle ne manque par ailleurs pas d'énergie. C'est ainsi qu'elle s'engage résolument avec Lefranc dans une longue poursuite derrière un criminel qui a agressé un passant devant le canal. L'action directe ne lui fait vraiment pas peur !

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Cette énergie se manifeste aussi en pleine nuit, lorsqu'elle découvre deux inconnus qui trafiquent autour de la voiture de Lefranc. "Qu'est-ce que vous faites, voleurs !" s'écrie t-elle violemment, et les deux individus prennent aussitôt la fuite ! Sophie ne s'en laisse pas conter !

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De plus, elle est par moment assez perspicace et Lefranc lui même doit reconnaître qu'elle ferait une bonne détective. Elle remarque très finement les détails significatifs, comme par exemple l'antenne télescopique qui se trouve sur le toit d'un couple flamand assez bizarre, qui a manifestement quelque chose à cacher, et Lefranc ne peut que l'admettre. Bien que Sophie soit inexpérimentée, il n'y a absolument rien à lui reprocher.

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Et puis elle fait preuve d'une véritable malice lorsqu'elle se retrouve dans une situation délicate. C'est ainsi que lorsqu'elle est interpellée par un marin dans un port, parce qu'il lui est interdit de prendre des photos, elle trouve immédiatement une réponse qui lui redonne de l'ascendant. "Soyez gentil et oubliez cela ! En remerciement, je vous donnerai un gros bisou !" Sophie est certes un peu effrontée, mais elle s'en tire ainsi sans grand dommage.

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Et enfin, lorsque son rôle semble prendre fin, elle n'hésite pas à revenir dans la partie de son propre chef. Lefranc étant en effet parti sans elle en Angleterre, parce que que l'affaire devenait trop dangereuse, Sophie lui téléphone afin de lui proposer de nouvelles investigations à Bruges. Malgré sa réticence, Lefranc est obligé de reconnaître le bien-fondé de ses propositions, et Sophie reprend aussitôt sa propre enquête.

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Cette piste suivie par Sophie se révèle prometteuse et Lefranc abandonne alors sa collaboration avec la police anglaise pour retourner à Bruges. Non seulement la jeune cousine a eu le nez fin, mais en plus sa contribution à l'enquête devient décisive.

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Et tandis que l'enquête avance, Sophie se retrouve soudainement face à Axel Borg. Ce dernier ne se déplace pas pour rien et Lefranc réalise ainsi qu'il est sur la bonne voie, grâce à Sophie. La jeune apprentie sait prendre de bonne initiatives et Lefranc ne peut que s'incliner !  Wink

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Sophie est donc un personnage intéressant, qui n'est pas une simple groupie ni une suiveuse des enquêtes de Lefranc. Elle s'impose facilement dans la conversation et elle sait prendre des initiatives intelligentes. Elle est par ailleurs une agréable coéquipière de Lefranc et il est probable que Jacques Martin souhaitait qu'elle en devienne la collaboratrice régulière. Et vu ainsi, il est tout-à-fait logique qu'elle réapparaisse dans l'aventure suivante qui s'intitule La Momie bleue, d'abord en tant que compagne d'un voyage d'agrément que Lefranc fait en Egypte avec Jeanjean. Les visites étant terminées, elle quitte dans un premier temps le reporter pour retourner en Europe puis, apprenant que Lefranc s'est engagé dans une enquête complexe, elle revient à Louxor en "free lance", avec l'intention de faire un reportage photographique. Le héros est surpris et même un peu inquiet, mais il lui est impossible de convaincre la jeune cousine de repartir. Sophie sait très bien ce qu'elle veut !

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Mieux encore ! Comme Lefranc a commencé son enquête avec une jeune et ravissante guide égyptienne, cette dernière (nommée Soad) se permet de faire quelques allusions ironiques face à Sophie. "Vous êtes donc sa petite cousine ... Je comprends maintenant mieux son appréhension" déclare Soad ! Et la réplique de Sophie fuse immédiatement, d'une façon piquante, sous la forme d'aspersion d'un liquide parfumé dans l'œil de l'égyptienne. Les deux demoiselles se jaugent et s'affrontent, alors que Lefranc préfère s'éclipser. C'est une belle scène de vaudeville !    Very Happy

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Une chose est certaine ! Lorsque Sophie est présente, on ne s'ennuie pas. Malheureusement, la jeune cousine n'est plus réapparue après la Momie bleue pour une raison toute simple. Devant le peu de succès de cet album, le "comité Martin" a décidé de mettre fin aux aventures "contemporaines" de Lefranc. Depuis lors, toutes les histoires de la série sont de style "vintage", ce qui signifie qu'elles se passent pendant les années 50 et que les aventures s'intercalent le plus souvent entre la Grande Menace, qui date de 1952, et l'Ouragan de Feu qui date de 1959. Ce choix permet d'apporter à la série un parfum agréablement nostalgique et historique, mais il interdit hélas l'apparition d'un personnage contemporain comme Sophie. Et pour ma part, c'est une décision que je regrette de temps en temps !

Sophie est donc un personnage que j'apprécie beaucoup, qui n'appartient pas vraiment aux 3 catégories proposées par jfty. Elle en effet n'est pas une reine, pas une mégère, pas une camarade d'infortune ni une victime de son amour pour le héros. Elle est par certains côtés assez proche de Maureen, grâce à son caractère piquant et à ses initiatives pertinentes, et c'est un autre personnage que j'aimerai revoir parfois dans la série. Avec Sophie en effet, les enquêtes sont rarement ennuyeuses.    Very Happy


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eleanore-clo

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vieux sage
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Sophie, Emma, Alice et Brenda. L'ultimatum regorge d'héroïnes. Et leurs personnalités sont très différentes.

Concernant Sophie, la cousine de Lefranc, Raymond a parlé d'une personnalité malicieuse, énergique et futée. Je partage son avis. Je perçois aussi une apprentie journaliste, ambitieuse et volontaire,  désireuse apparait bien décidée à convaincre son cousin et maitre de ses talents de futur grand reporter.

Au début, le héros se comporte comme un professeur, quelque peu surprotecteur. Mais il va bien devoir s'en remettre à son élève après que le bain glacé dans les eaux de la Manche l'ait cloué au lit.

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De son côté, l'héroïne n'hésite pas à payer de sa personne pour sortir des situations les plus délicates !

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Carin la dessine jeune, avec des tenues décontractées et un sempiternel bonnet orange. L'ultimatum date de 2004 et on peut se demander si Le vol du corbeau (Gibrat), sorti 2 années auparavant, et plus particulièrement le béret rouge de Jeanne n'ont pas fait école ?

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Mais L'ultimatum ce n'est pas que Sophie. Venons en donc à Emma, l'épouse du professeur Van Klint, le "méchant" (?) de service. Elle incarne une femme d'un autre temps dont le rôle principal est d'être la maitresse de maison. Tout cela est d'ailleurs fort logique vu son âge.  

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Effacée ne signifie pas inexistante et le personnage est clairement aimé de son mari. Aussi, le couple se retrouvera dans la mort car rien ne semble pouvoir les séparer.

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Venons-en maintenant à Alice, le joli pot de fleur de l'étape. Effacée, photographe de mode, le maître a bien peu de considération pour cette héroïne de papier. Au point que le colonel Norton lui volera un baiser  Rolling Eyes . Le charme des françaises semble irrésistible outre-manche   Rolling Eyes  

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Et il ne faut surtout pas oublier Brenda  Very Happy . Avec cette figure, Jacques Martin retranscrit le parapluie bulgare dans son univers. L'arme passe donc des services secrets bulgares à leur homologues britanniques. L'espionne est clairement une femme d'action et son bras ne tremble pas lorsqu'il s'agit de sauver Lefranc, ce qui est d'ailleurs physiologiquement impossible vue la posture du bras et le poids du parapluie Smile

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En tout cas, en digne émule de John Steed (Chapeau melon et bottes de cuir), elle apprécie les vieilles voitures britanniques Laughing

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Avec L'ultimatum, Jacques Martin nous présente plusieurs personnages féminins, tous différents les uns des autres, chacune avec ses caractéristiques. L'auteur alterne le féminisme (Sophie, Brenda), le sexisme (Alice) et le convenu (Emma). Chaque lecteur pourra donc y retrouver sa tasse de thé !

Poursuivons maintenant par La momie bleue.

Soad est une très belle héroïne dont le parcours dans le BD est l'exact inverse de celui d'Hilona dans Le lac sacré. Et elle n'est pas que ravissante  Smile  !

Le scénario nous l'introduit comme une des (innombrables?) guide du Club Nil.

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Puis rapidement, nous allons le découvrir comme patriote et cultivée. Une citoyenne de premier ordre pourrait-on dire  Very Happy .

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La progression ne s'arrête pas là et, à le recours au tutoiement (demandé par Lefranc) nous rapproche de la jeune égyptienne. Et nous la découvrons patiente et capable de beaux rapprochements ("les pharaons ont toute l'éternité devant eux")

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Puis, la momie bleue voit en Soad une l'incarnation d'une des princesses de la cour de Ramsès II, Nefert. En ouvrant une parenthèse, il semble d'ailleurs que Nefert s'appellerait plutôt Néfertari II et qu'elle serait une des filles du pharaon.

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La métamorphose du personnage ne s'arrête pas là car nous la découvrons quelques vignettes plus loin capable d'écrire des hiéroglyphes. Un Champollion féminin en quelque sorte !

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Planche après planche, Soad devient la protectrice de la momie.

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Et au final, la jeune guide est devenue une aventurière qui n'hésite pas à affronter des hommes armés pour récupérer un trésor de son pays !

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Le Club Nil a perdu une guide et la saga Lefranc a gagné une héroïne.

La momie bleue met aussi en scène Sophie. Concernant la relation entre la cousine de Lefranc et la guide, Raymond a parlé de vaudeville. Personnellement, je trouve surtout que la scène de l'eau de toilette est sexiste. A ce sujet je trouve complètement ridicule la rivalité entre Soad et Sophie. Pour une raison que je ne m'explique pas, Jacques Martin s'est cru obligé de transformer la première rencontre entre les deux héroïnes en un trio où deux femmes se disputent les yeux d'un homme  boxe2 . Et le clin d'œil à Alix est on ne peut plus sot. Sophie cousine de Lefranc serait jalouse. Hum. Hum.

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Il est l'heure de conclure (enfin, peut être pas, vous verrez dans les semaines à venir  Very Happy ). Que peut-on retenir de la position de Jacques Martin vis-à-vis des femmes ? Elle me semble finalement dans la droite ligne de l'évolution de la BD franco-belge. Le deuxième sexe fut d'abord absent. Alix L'intrépide ou La grande menace affichent clairement la couleur. Puis, des héroïnes sont apparues, certainement plus rapidement que dans le courant général et Adréa (1967) parle à mon cœur. Album après album, des femmes ont occupé le devant de la scène et on peut presque qualifier de féministe O Alexandrie ou Le vol du Spirit. Néanmoins, Jacques Martin n'a jamais fait le saut ultime consistant à créer une figure pérenne. Et, comme signalé à maintes et maintes reprises, le maître a toujours pris soin de faire disparaitre ses héroïnes après chaque album, de façon violente la plupart du temps. Toute règle méritant exception, on remarquera néanmoins que certains personnages comme Archeola perdurent sur deux opus.

Je tiens à remercier Raymond pour avoir ouvert ce sujet et lancé ce dialogue masculin-féminin entre lui et moi. J'espère que les membres du forum ont apprécié cet échange, policé et toujours de bon niveau. Ma position, même si certains ont surement pensé le contraire  Rolling Eyes, fut celle d'une féministe sage, loin des excès du mouvement #MeToo qui desservent une cause pourtant d'actualité, comme le démontre la régression sociale majeure des femmes en Afghanistan et dans de nombreux pays.

Me concernant, l'écriture de cette chronique a représenté un investissement de plusieurs centaines d'heures : lecture des BD, recherches sur Internet, analyse des œuvres, construction de théories, lecture d'articles voire même de livres, photographies des BD, travail sur les images, écriture et réécriture du billet, etc. Je termine mon apport courbaturée  Laughing mais surtout ravie. Je comprends aussi bien mieux maintenant le travail que représente la tenue du forum et en rend grâce à Raymond  bise . Ce fil fut aussi un enrichissement personnel considérable. En novembre, lorsque les premiers messages furent écrits, ma connaissance de l’œuvre de Jacques Martin était lacunaire. Alix commençait au Dernier Spartiate et s'arrêtait à Iorix le Grand, Lefranc se réduisait aux 4 premiers opus. Et je connaissais très mal les séries Jhen et Arno, sans même parler de Kéos ou d'Orion dont j'ignorais l'existence. Je connais maintenant mieux le maître et mesure l'immense étendue de son travail tant en quantité qu'en qualité. Je comprend désormais parfaitement pourquoi il appartient au panthéon de la BD. Et de nouvelles BD m'ont séduite comme Le spectre de Carthage, L'enfant Grec, O Alexandrie, Le secret des templiers ou l'Arme absolue. Elles trônent désormais dans ma minuscule bibliothèque et je suis heureuse de pouvoir les lire et relire  Very Happy .

Eléanore

Raymond

Raymond
Admin

Merci de toutes ces remarques, eleanore !     pouce

Que dirai-je pour ma part pour conclure ? Rien de bien nouveau par rapport à tout ce qui a été dit, mais je vais quand même essayer de le résumer ici !

En premier, et eleanore-clo l'a déjà bien expliqué, il y a un monde de différence entre le journal Tintin des années 50, qui demandait des BD moralisatrices et expurgées de toute image adulte, et les albums de BD des années 2000 dans lesquels l'auteur disposait d'une grande liberté pour raconter tout ce qu'il avait envie. La place des femmes s'est donc  progressivement élargie au fil du temps dans les aventures d'Alix et de Lefranc, et des personnages féminins intéressants sont apparus dès la fin des années 60, alors qu'elles étaient quasi absentes auparavant. Jacques Martin voulait cependant que ses albums restent "tout public", c'est à dire lisibles aussi bien par les enfants que par les adultes, et ce choix a entretenu une très nette prudence pour tout ce qui concernait les femmes ou la violence, du moins dans ses histoires d'Alix ou de Lefranc. Jhen et Arno, qui ont été créés bien plus tard, ont eu presque d'emblée un public plus adulte et l'auteur y a montré plus d'audace, particulièrement dans Jhen.

La seconde remarque, c'est que Jacques Martin montrait bien plus d'audace en tant qu'artiste qu'en tant que père de famille. Il menait sa vie privée en respectant une morale très classique, fondée sur le travail et sur la famille, mais il racontait volontiers dans ses BD (en particulier dans Jhen) des situations plus audacieuses, voir même scabreuses. L'histoire d'Archeloa (dans l'Enfant grec) est assez exemplaire de cet humanisme qu'il pouvait atteindre en écrivant des histoires selon son cœur et son imagination. Il éprouvait par ailleurs un malin plaisir à transgresser certaines idées traditionnelles (Keos est une transgression manifeste de l'enseignement biblique qu'il avait reçu) et il s'accordait ainsi une très grande liberté d'inspiration, pour le meilleur (bien souvent) ou pour le pire (parfois).

Et c'est ainsi que vis à vis des femmes, Jacques Martin a pu montrer divers visages, parfois franchement sexiste (dans certaines histoires de Jhen), mais aussi parfois plus progressiste, voir presque féministe (dans certaines aventures d'Alix). Et tandis que l'homme en lui même était un patriarche plutôt traditionnel, au tempérament autoritaire, capable d'être un peu misogyne, l'artiste possédait une imagination et une audace qui lui permettaient de dépasser ses propres préjugés. Son œuvre (donc ses bandes dessinées) était clairement la chose la plus importante de sa vie et il y a mis toute son âme, avec tout ce que cela peut impliquer d'excessif ou d'ambigu. Les femmes n'y sont pas ainsi toujours bien traitées (c'est un euphémisme), mais la quête d'idéal du dessinateur l'a aussi amené à imaginer des femmes surprenantes, voir même admirables. Et pour ma part, c'est de ces créations-là dont j'ai envie de me souvenir.

Je remercie beaucoup eleanore-clo de m'avoir accompagné (et parfois contredit) dans cette longue réflexion, qui demandait il est vrai un certain travail. Mais pour ma part, c'est toujours un plaisir de relire les albums du maître, et d'y trouver des images, ou des anecdotes, auxquelles je n'avais pas fait attention jusque-là. J'ai le sentiment de ne pas avoir perdu mon temps.

Je vais maintenant m'accorder une petite pause bien méritée, à moins que quelque ne me pousse à nouveau dans une grande réflexion interminable, mais pas trop vite j'espère.    Wink


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Godot

Godot
docteur honoris causa
docteur honoris causa

Un remerciement tout particulier à eleanore-clo pour le travail de colosse qu'elle a réalisé. Déjà d'avoir lu toutes ces histoires, puis d'avoir effectué une analyse pertinente, nourrie de références.

J'ai trouvé agréable d'avoir un avis nouveau et différent, parfois débattu avec le spécialiste Raymond.

Merci à vous deux qui avaient rondement mené ce sujet.

Pour ma part, je me suis contenté de le lire, car je suis un très grand admirateur de Lefranc et particulièrement jusqu'à la Cible. J'ai bien sûr lu la suite des Lefranc avec plaisir. Par contre, Ccla fait un moment que je n'ai plus relu d'Alix, alors mes souvenirs sont assez lointains. Et pour les autres séries? Je ne les ai pas lues... ou peut être pas encore Wink

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