Sophie, Emma, Alice et Brenda.
L'ultimatum regorge d'héroïnes. Et leurs personnalités sont très différentes.
Concernant Sophie, la cousine de Lefranc, Raymond a parlé d'une personnalité malicieuse, énergique et futée. Je partage son avis. Je perçois aussi une apprentie journaliste, ambitieuse et volontaire, désireuse apparait bien décidée à convaincre son cousin et maitre de ses talents de futur grand reporter.
Au début, le héros se comporte comme un professeur, quelque peu surprotecteur. Mais il va bien devoir s'en remettre à son élève après que le bain glacé dans les eaux de la Manche l'ait cloué au lit.
De son côté, l'héroïne n'hésite pas à payer de sa personne pour sortir des situations les plus délicates !
Carin la dessine jeune, avec des tenues décontractées et un sempiternel bonnet orange.
L'ultimatum date de 2004 et on peut se demander si
Le vol du corbeau (Gibrat), sorti 2 années auparavant, et plus particulièrement le béret rouge de Jeanne n'ont pas fait école ?
Mais
L'ultimatum ce n'est pas que Sophie. Venons en donc à Emma, l'épouse du professeur Van Klint, le "méchant" (?) de service. Elle incarne une femme d'un autre temps dont le rôle principal est d'être la maitresse de maison. Tout cela est d'ailleurs fort logique vu son âge.
Effacée ne signifie pas inexistante et le personnage est clairement aimé de son mari. Aussi, le couple se retrouvera dans la mort car rien ne semble pouvoir les séparer.
Venons-en maintenant à Alice, le joli pot de fleur de l'étape. Effacée, photographe de mode, le maître a bien peu de considération pour cette héroïne de papier. Au point que le colonel Norton lui volera un baiser
. Le charme des françaises semble irrésistible outre-manche
Et il ne faut surtout pas oublier Brenda
. Avec cette figure, Jacques Martin retranscrit le parapluie bulgare dans son univers. L'arme passe donc des services secrets bulgares à leur homologues britanniques. L'espionne est clairement une femme d'action et son bras ne tremble pas lorsqu'il s'agit de sauver Lefranc, ce qui est d'ailleurs
physiologiquement impossible vue la posture du bras et le poids du parapluie
En tout cas, en digne émule de John Steed (Chapeau melon et bottes de cuir), elle apprécie les vieilles voitures britanniques
Avec
L'ultimatum, Jacques Martin nous présente plusieurs personnages féminins, tous différents les uns des autres, chacune avec ses caractéristiques. L'auteur alterne le féminisme (Sophie, Brenda), le sexisme (Alice) et le convenu (Emma). Chaque lecteur pourra donc y retrouver sa tasse de thé !
Poursuivons maintenant par
La momie bleue.
Soad est une très belle héroïne dont le parcours dans le BD est
l'exact inverse de celui d'Hilona dans
Le lac sacré. Et elle n'est pas que ravissante
!
Le scénario nous l'introduit comme une des (innombrables?) guide du Club Nil.
Puis rapidement, nous allons le découvrir comme patriote et cultivée. Une citoyenne de premier ordre pourrait-on dire
.
La progression ne s'arrête pas là et, à le recours au tutoiement (demandé par Lefranc) nous rapproche de la jeune égyptienne. Et nous la découvrons patiente et capable de beaux rapprochements ("les pharaons ont toute l'éternité devant eux")
Puis, la momie bleue voit en Soad une l'incarnation d'une des princesses de la cour de Ramsès II, Nefert. En ouvrant une parenthèse, il semble d'ailleurs que Nefert s'appellerait plutôt Néfertari II et qu'elle serait une des filles du pharaon.
La métamorphose du personnage ne s'arrête pas là car nous la découvrons quelques vignettes plus loin capable d'écrire des hiéroglyphes. Un Champollion féminin en quelque sorte !
Planche après planche, Soad devient la protectrice de la momie.
Et au final, la jeune guide est devenue une aventurière qui n'hésite pas à affronter des hommes armés pour récupérer un trésor de son pays !
Le Club Nil a perdu une guide et la saga
Lefranc a gagné une héroïne.
La momie bleue met aussi en scène Sophie. Concernant la relation entre la cousine de Lefranc et la guide, Raymond a parlé de vaudeville. Personnellement, je trouve surtout que la scène de l'eau de toilette est sexiste. A ce sujet je trouve complètement ridicule la rivalité entre Soad et Sophie. Pour une raison que je ne m'explique pas, Jacques Martin s'est cru obligé de transformer la première rencontre entre les deux héroïnes en un trio où deux femmes se disputent les yeux d'un homme
. Et le clin d'œil à Alix est on ne peut plus sot. Sophie cousine de Lefranc serait jalouse. Hum. Hum.
Il est l'heure de conclure (enfin, peut être pas, vous verrez dans les semaines à venir
). Que peut-on retenir de la position de Jacques Martin vis-à-vis des femmes ? Elle me semble finalement dans la droite ligne de l'évolution de la BD franco-belge. Le deuxième sexe fut d'abord absent.
Alix L'intrépide ou
La grande menace affichent clairement la couleur. Puis, des héroïnes sont apparues, certainement plus rapidement que dans le courant général et Adréa (1967) parle à mon cœur. Album après album, des femmes ont occupé le devant de la scène et on peut presque qualifier de féministe
O Alexandrie ou
Le vol du Spirit. Néanmoins, Jacques Martin n'a jamais fait le saut ultime consistant à créer une figure pérenne. Et, comme signalé à maintes et maintes reprises, le maître a toujours pris soin de faire disparaitre ses héroïnes après chaque album, de façon violente la plupart du temps. Toute règle méritant exception, on remarquera néanmoins que certains personnages comme Archeola perdurent sur deux opus.
Je tiens à remercier Raymond pour avoir ouvert ce sujet et lancé ce dialogue masculin-féminin entre lui et moi. J'espère que les membres du forum ont apprécié cet échange, policé et toujours de bon niveau. Ma position, même si certains ont surement pensé le contraire
, fut celle d'une féministe sage, loin des excès du mouvement #MeToo qui desservent une cause pourtant d'actualité, comme le démontre la régression sociale majeure des femmes en Afghanistan et dans de nombreux pays.
Me concernant, l'écriture de cette chronique a représenté un investissement de plusieurs centaines d'heures : lecture des BD, recherches sur Internet, analyse des œuvres, construction de théories, lecture d'articles voire même de livres, photographies des BD, travail sur les images, écriture et réécriture du billet, etc. Je termine mon apport courbaturée
mais surtout ravie. Je comprends aussi bien mieux maintenant le travail que représente la tenue du forum et en rend grâce à Raymond
. Ce fil fut aussi un enrichissement personnel considérable. En novembre, lorsque les premiers messages furent écrits, ma connaissance de l’œuvre de Jacques Martin était lacunaire.
Alix commençait au
Dernier Spartiate et s'arrêtait à
Iorix le Grand,
Lefranc se réduisait aux 4 premiers opus. Et je connaissais très mal les séries
Jhen et
Arno, sans même parler de
Kéos ou d'
Orion dont j'ignorais l'existence. Je connais maintenant mieux le maître et mesure l'immense étendue de son travail tant en quantité qu'en qualité. Je comprend désormais parfaitement pourquoi il appartient au panthéon de la BD. Et de nouvelles BD m'ont séduite comme
Le spectre de Carthage,
L'enfant Grec,
O Alexandrie,
Le secret des templiers ou
l'Arme absolue. Elles trônent désormais dans ma minuscule bibliothèque et je suis heureuse de pouvoir les lire et relire
.
Eléanore