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Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin

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Clovis Sangrail
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Raymond
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eleanore-clo

eleanore-clo
vieux sage
vieux sage

Ma bibliothèque est volontairement gracile et ne comprend que trois albums d'Alix. Parmi ceux-ci figure mon Graal, Le dernier spartiate. Et bien évidemment Adréa est une des raisons de ce choix.

Au-delà des faits mis en évidence par l'auteur, j'aimerais tout d'abord me pencher sur le statut d'Adréa. Dans un monde d'hommes, elle a su garder le pouvoir, très probablement légué par son ancien époux. C'est un évènement rare voire rarissime dans l'Histoire marquée par la loi salique.  
La deuxième évidence est que cette femme est très active. Côté politique, Adréa ne se contente pas de gérer l'héritage du passé mais porte la vision d'une grandeur grecque retrouvée. Ce n'est pas la veuve d'un roi, ni la future épouse d'Alcidas, mais une femme libre qui décide en pleine connaissance de cause et agit selon ses idéaux. Et côté famille, la reine veille attentivement à l'éducation d'Héraklion, comme en témoigne d'ailleurs son ultime geste.
Jacques Martin dépeint donc une femme moderne capable de régner tout en éduquant son enfant.

Venons en maintenant à sa personnalité. Clairement, le caractère de la reine est entier. Et elle ignore les compromis. Ainsi, elle aime Alix envers et contre tous, et elle prend tous les risques pour sauver notre héros. On peut y voir de l'ubris, j'y vois du courage et de la droiture. Dans un autre registre, on pourrait dire que la décision de noyer les esclaves est cruelle et injuste. Je perçois plutôt dans cette décision, le choix de la cheffe de guerre. N'oublions pas non plus que l'intrigue du dernier spartiate se déroule au 1er siècle avant notre ère, une époque où la vie humaine ne valait pas grand chose.

Côté physique, Jacques Martin représente la reine sous les traits d'une femme plutôt jeune, ce qui est plausible vu l'âge d'Heraklion et l'âge alors des primipares. Du coup, l'écart avec Alix se réduit ce qui rend plus plausible cette étrange attirance.
Sur le plan gestuel, les postures d'Adréa sont toujours empreintes de noblesse, ce qui renforce sa dignité et sa royauté.

Au final, Adréa est une héroïne au plein sens du terme et les ressorts de l'action sont partagés entre Alix et la reine.
Une BD féministe ?

Eléanore

Raymond

Raymond
Admin

C'est intéressant. Pour toi, il n'y a aucun aspect masculin dans le caractère d'Adréa. Tu la vois simplement comme une femme de pouvoir, qui a une forte personnalité, et pas comme une émanation de l'imagination Jacques Martin.  Wink

Il est clair qu'il y a eu pas mal de femmes de ce genre dans l'histoire, comme Cléopâtre, Théodora ou Catherine II de Russie. Adréa doit en fait affronter les mêmes difficultés que ces personnages historiques, mais elle reste tout de même une mère attentionnée, contrairement à certaines des reines que j'ai mentionnées.

Il peut être intéressant de relire ce que Jacques Martin lui-même affirmait à propos de ce personnage. Dans Avec Alix, il la décrit comme "une descendante d'Agamemnon, (qui) désire avant tout que la culture grecque retrouve son influence passée; elle poursuit un idéal d'ordre et de beauté". Elle n'est donc pas la simple despote d'une petite ville grecque. Elle a une ascendance royale et se sent investie d'une certaine mission.

Ce qui est certain, c'est qu'elle a adopté les préjugés de son époque, par exemple au sujet des esclaves, et c'est en grand partie à ce sujet qu'Alix s'oppose à elle. Mais Alix est-il un personnage réaliste ? Ce n'est pas sûr. Very Happy


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eleanore-clo

eleanore-clo
vieux sage
vieux sage

Il me semble qu'Adréa ne peut pas être une version féminine de Jacques Martin. Et ce pour une raison d'ailleurs très féminine Laughing
En effet, dans toutes les photographies du maître, jamais, au grand jamais, on ne le voit coquet.
Alors qu'Adréa fait attention à ses toilettes. Sa silhouette et sa beauté sont magnifiquement mises en valeur. Et de plus, elle passe haut la main l'examen imposé par l'auteur : incarner Athéna de manière convaincante. Son casque est ainsi porté avec élégance, ce que tout le monde en conviendra, est une gageure.

Éléanore

Raymond

Raymond
Admin

Tu as écrit plus haut que le Dernier Spartiate pourrait être un album féministe et c'est bien sûr un paradoxe amusant. Il est cependant clair que cela n'a jamais été l'idée de départ de Jacques Martin, qui était tout de même dans la vie un mâle dominant.  

Mais il est évident qu'en temps que créateur de personnage, Jacques Martin savait abandonner quand il le fallait ses idéologies et ses convictions. Et je pense en fait qu'il s'est tout simplement identifié à son personnage féminin. En racontant l'histoire d'Adréa, il a oublié la plupart de ses préjugés et il s'est intéressé à la structure psychologique et à la logique de cette "reine spartiate". Les créateurs obtiennent parfois ainsi une sorte de voyance qui n'a rien d'intellectuel, et qui relève plutôt de l'imagination.

Le fait que tu revendiques cette reine comme un personnage féministe est en tout cas un hommage à la qualité de son récit.  Very Happy


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Raymond

Raymond
Admin

Les membres ne se battent pas pour dire quelque chose sur la reine Adréa, mais je laisse le sujet encore ouvert un ou deux jours sur le Dernier Spartiate, avant d'avancer un peu plus loin. Wink


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eleanore-clo

eleanore-clo
vieux sage
vieux sage

Pour inscrire la réflexion dans l'Histoire de la BD, on peut remarquer que Le dernier spartiate parait en 1966 dans le Journal de Tintin. Et que…
Et que…
Puis 120 fois de suite "Et que.." car il faut garder le suspens pour que l'information suivante, hyper stratégique et vitale pour notre analyse platonicienne en cours, ne soit pas immédiatement visible à l'écran et qu'un petit appel à l'ascenseur soit nécessaire Laughing
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Et que…
Astérix et Cléopâtre parait en 1963 dans Pilote.
Ne trouvez-vous que l'on pourrait comparer les deux BDs ?
L'antiquité d'abord, bien évidemment.
Deux grandes reines également confrontées au déclin de leur nation, déclin concomitant avec la montée en puissance de la République Romaine.
L'intervention des légions en toute fin avec des résultats quelque peu différents  lol! .
Deux belles femmes même si le nez de Cléopâtre est un peu long (merci Pascal  Smile ).
Deux superbes édifices, la forteresse spartiate d'un côté et le palais égyptien de l'autre.
Des esclaves maltraités quoique la potion magique change la donne du côté d'Astérix  pouce .
Des souterrains dangereux et mortels, que ce soit sous la forteresse grecque ou dans la pyramide.
Deux très grands scénaristes et deux très grands dessinateurs, même si Jacques Martin a tenu les deux rôles pour Alix.
Et on pourrait poursuivre…
A vous de jouer  Very Happy
D'ailleurs, je propose, si Raymond en est d'accord  Question , un petit jeu. La règle en est simple. Donner le nom d'une héroïne majeure de la BD apparue avant 1966, héroïne je dis bien, et donc pas un joli pot de fleur décorant l'appartement du héros.

Eléanore

Godot

Godot
docteur honoris causa
docteur honoris causa

Raymond a écrit:Les membres ne se battent pas pour dire quelque chose sur la reine Adréa, mais je laisse le sujet encore ouvert un ou deux jours sur le Dernier Spartiate, avant d'avancer un peu plus loin. Wink

Vu que cela fait des lustres que je n'ai plus lu Dernier Spartiate, je devrai le relire. Il me reste plus qu'à trouver le temps  Rolling Eyes

eleanore-clo a écrit:Pour inscrire la réflexion dans l'Histoire de la BD, on peut remarquer que Le dernier spartiate parait en 1966 dans le Journal de Tintin. Et que…

[...]

Astérix et Cléopâtre parait en 1963 dans Pilote.
Ne trouvez-vous que l'on pourrait comparer les deux BDs ?
L'antiquité d'abord, bien évidemment.
Deux grandes reines également confrontées au déclin de leur nation, déclin concomitant avec la montée en puissance de la République Romaine.
L'intervention des légions en toute fin avec des résultats quelque peu différents  lol! .
Deux belles femmes même si le nez de Cléopâtre est un peu long (merci Pascal  Smile ).
Deux superbes édifices, la forteresse spartiate d'un côté et le palais égyptien de l'autre.
Des esclaves maltraités quoique la potion magique change la donne du côté d'Astérix  pouce .
Des souterrains dangereux et mortels, que ce soit sous la forteresse grecque ou dans la pyramide.
Deux très grands scénaristes et deux très grands dessinateurs, même si Jacques Martin a tenu les deux rôles pour Alix.
Et on pourrait poursuivre…
A vous de jouer  Very Happy

[...]


Belle comparaison, même si Astérix lorgne plus du côté de l'humour.

eleanore-clo a écrit:

[...]

D'ailleurs, je propose, si Raymond en est d'accord  Question , un petit jeu. La règle en est simple. Donner le nom d'une héroïne majeure de la BD apparue avant 1966, héroïne je dis bien, et donc pas un joli pot de fleur décorant l'appartement du héros.

Eléanore

Barbarella de Jean-Claude Forest ? (1962)

Raymond

Raymond
Admin

Je suis bien sûr d'accord pour le petit jeu !  Wink

Il n'y a effectivement pas de reine ayant un grand rôle dans une BD franco-belge créée avant 1963 qui me vienne à l'esprit.  jap

Mais il y a quand même eu quelques personnages féminins intéressants, même dans la BD franco-belge.  

Prenons par exemple Seccotine, la jeune journaliste qui apparait dans plusieurs aventures de Spirou et Fantasio, dessinées pendant les années 50. C'est bien sûr un personnage humoristique mais c'est surtout une jeune femme intelligente et pleine de vivacité, souvent audacieuse et débrouillarde, qui n'est pas inférieure aux deux héros de la série et qui n'est presque jamais ridicule. C'est un très beau personnage créé par Franquin, du moins à mon avis !

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 2 Seccot10

Bien sûr, on peut discuter si c'est un personnage important ? A mon avis oui ! Seccotine a été un personnage récurrent de la série Spirou pendant des années, et puis elle est la véritable héroïne du Nid des Marsupilamis, un des chefs d'œuvre de Franquin.  Wink


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Raymond

Raymond
Admin

Et si on quitte le domaine de la BD franco-belge, c'est encore plus simple car il y a toute la BD américaine des années 30 et 40. Elle était en grande partie destinée aux adultes et il y avait donc moins d'interdits par rapport aux femmes que dans les journaux Spirou et Tintin.

J'adore par exemple le personnage d'Aleta, l'épouse de Prince Valiant qui est tout sauf un "pot de fleur". Elle est d'abord une reine, même si elle règne sur des îles méditerranéennes fictives, et elle se défend fort bien en face de Prince Valiant qui n'a pas la tâche facile.  Wink

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 2 Aleta_10

Certes, Hal Foster a parfois un humour qui n'est pas exempt d'une certaine misogynie, mais Aleta est quand même un personnage très vivant. Elle apporte d'ailleurs beaucoup de réalisme, ainsi qu'un ton assez adulte à la saga de Prince Valiant.

Sinon, je ne vais pas accumuler ici les héroïnes américaines, comme Winnie Winkle ou Connie, qui ont des séries à leur propre nom et qui sont des personnages souvent intéressants. Wink


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eleanore-clo

eleanore-clo
vieux sage
vieux sage

Bonjour

Effectivement, la BD américaine se révèle plus féministe que la franco-belge. Et les héroïnes y apparaissent très tôt. On pense à Minnie et Daisy dans l'univers Disney, ou, plus adulte (ce qui est un comble Laughing ), à Lucy dans les Peanuts.

Côté français, je pense à Maud, l'héroïne des Pionniers de l'Espérance, une série crée en 1945 par Lecureux et Poïvet.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 2 Pionniers7-555x725

Eléanore

Raymond

Raymond
Admin

Mais passons maintenant à l'album suivant, puisqu'il n'y a pas d'autre intervention à propos d'Adréa !  Very Happy

C'est en 1967 que Jacques Martin commence à publier le Tombeau Etrusque dans le journal Tintin. L'album parait l'année suivante et cette BD est le troisième opus de  "l'âge d'or" d'Alix !

Lidia, le personnage féminin de cette histoire, illumine l'œuvre et lui donne un net supplément d'intérêt. Cette jeune femme semblait n'être au départ qu'un personnage de circonstance (la sœur d'Octave) mais elle a pris par la suite un rôle important dans toute "la franchise", ce dernier terme désignant pour moi l'ensemble des œuvres qui concernent Alix ( série principale et secondaires en bande dessinée, petits romans, dessins animés, jeux etc.).

C'est en tout cas une femme de haute lignée, qui semble avoir toute les qualités : beauté physique, noblesse de caractère, intelligence, forte personnalité (qui peut devenir combative) et parfois un véritable charisme. J'imagine que Jacques Martin s'est là aussi un peu identifié à Lidia, en imaginant son discours et ses réactions pendant cette aventure.

Au début de l'histoire, elle apparait comme une jeune patricienne élégante qui a le sens des responsabilités. Elle n'est qu'une invitée dans la villa de son cousin Tullius mais elle semble tout de même diriger parfois la maisonnée. Son port altier, ses interventions pleines de caractère et son intelligence lui donnent un peu l'aspect d'une jeune matrone.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 2 Tombea10

Elle sait aussi préserver sa dignité et recherche toujours ce qui est bien sur le plan de la morale et de la société. C'est ainsi qu'elle fait face d'une façon hautaine aux manœuvres du perfide Brutus, lorsque ce dernier cherche à lui plaire. Et grâce à son courage, Livia se retrouve toujours du bon côté !

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 2 Tombea11

Lidia accompagne ensuite Alix, lorsque ce dernier repart pour Rome, et elle se révèle être une cavalière intrépide. Et lorsque son frère Octave est menacé par les molochistes, elle se bat avec une fureur presque sauvage. La jeune romaine n'est donc pas seulement une potiche qui séduit grâce à sa belle apparence. En toute circonstance, elle séduit le lecteur par sa noble attitude et son fort tempérament.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 2 Tombea12                    Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 2 Tombea13

Par ailleurs, Lidia n'est pas simplement une protagoniste de cette belle aventure. Elle est aussi l'enjeu d'une lutte assez âpre entre Alix et Brutus, qui cherchent tous les deux à conquérir son cœur. Certes, Alix apparait parfois un peu sec dans cet album ... mais la suite de la saga montrera que son intérêt pour la sœur d'Octave était bien réel.  Wink  De son côté, Lidia cache beaucoup moins son affection pour le héros et il est tentant de penser que cet album raconte tout simplement les débuts d'une histoire d'amour.

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Et c'est ainsi qu'en relisant l'album ces derniers jours, en m'intéressant surtout à Lidia, il m'est venu progressivement une idée insistante. Je vous ai montré ci-dessus quelques image de la séduisante Aleta, l'épouse de Prince Valiant, et il est bien connu que ce magnifique personnage de reine était une sorte d'idéal féminin pour son créateur (Hal Foster). Et s'il en était de même pour Lidia !  Idea Elle possède en effet tout un tas de qualités qui paraissent importantes pour Jacques Martin ! De plus, son tempérament n'est pas très éloigné de celui de son auteur et il y a ainsi de bonnes raisons de penser que Lidia est une représentation de la femme romaine idéale. On peut bien sûr débattre de cette idée.

C'est à mon avis le plus beau personnage féminin imaginé par Jacques Martin ... mais j'imagine qu'il y aura quelques contestations sur ce dernier point.   Cool


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eleanore-clo

eleanore-clo
vieux sage
vieux sage

Bonjour

Le trio amoureux, ou plutôt l'amour non partagé de Brutus pour Lidia, constitue un ressort majeur de l'intrigue du Tombeau étrusque. Je regrette d'ailleurs que Jacques Martin n'ait pas exploré davantage l'idée d'un trio amoureux, même s'il sème des indices comme en page 17 où Lidia s'exclame : "Si tu reviens avec l'enfant, tu auras mérité cette reconnaissance"... Clairement, Octavie la jeune est consciente de son charme et de son influence sur Brutus. Et elle en joue ! Il est clair que la censure n'eut pas laissé l'auteur aller plus loin dans la description d'une relation à trois dans une BD destinée à la jeunesse.

Incontestablement, Lidia constitue en effet un des personnages phares de l'opus. Et elle surclasse aisément son futur empereur de frère, Octave. Ainsi, l'aigle glorifie Octave sans qu'il y soit pour grand chose alors que tous les succès de Lidia sont dus à ses mérites et à son tempérament. J'ai aussi remarqué la scène du poignard en page 33 où elle n'hésite pas à prendre des risques pour sauver son petit frère, qui l'appelle d'ailleurs étrangement petite sœur dans la même planche. Lidia ne subit pas l'action mais y contribue par ses décisions. Son courage est réel comme le démontre le saut à cheval de la cascade en page 27, la descente de l’échelle en pierre en page 45 ou encore la protection des enfants en page 61. L'héroïne s'inscrit dans la grande tradition des grandes figures féminines romaines. On pense à Cornélia Africana, le fille de Scipion l'Africain, ou à Agrippine la jeune, l'épouse de Néron.

Lidia n'est encore qu'une grande adolescente dans Le tombeau étrusque : des formes peu prononcées et un visage encore androgyne. Ses habits restent modestes et ses bijoux se réduisent à un bandeau faisant office de serre-tête. Une très jeune femme donc mais qui exerce un fort pouvoir de séduction sur Brutus. Là encore, Jacques Martin prend des risques avec la censure même si nous ne sommes absolument pas en présence de Lolita. Une très jeune femme donc mais qui assume pleinement un rôle de matrone. Elle va tout faire pour sauver son cousin Claudius, aux mains des molochistes et elle fera front lorsqu'Antonia sombre dans le désespoir. Et c'est tout naturellement que Tullius le maître de la villa demande à Lidia de s'occuper du blessé en page 23.

Les relations d'Alix avec Lidia sont très platoniques mais, étant une commère invétérée  siffle , j'ai remarqué que la couverture représente les deux héros se tenant par la main... Et ce sous le regard souriant d'une statue. Bon, vous allez me dire que notre gaulois ne fait que guider Octavie dans un temple peu lumineux et que le sourire dans la statuaire étrusque est fréquent (le sarcophage des époux...). Bon. mais enfin. Quand même !  Wink

Au final, Lidia est un personnage majeur de l'intrigue au point que Brutus déclare à Alix en page 63 :  "Ce n'est pas toi qui m'a vaincu. C'est elle."

Une fois de plus donc, une femme tire vers le haut un album de Jacques Martin Laughing. D'ailleurs, étant une hérétique qui cache (à peine) son jeu  Smile, je fais commencer l'âge d'or de la série Alix au Dernier spartiate.

Eléanore

Raymond

Raymond
Admin

Oui, il est vrai que les femmes peuvent tirer vers le haut certaines histoires de Jacques Martin. Ce sont bien des personnages féminins qui donnent de l'attrait à des albums comme le Dernier Spartiate ou le Tombeau Etrusque, mais cela n'a pas toujours été le cas par la suite. On y viendra bientôt.   Very Happy

Sinon, il est vrai que ce "trio amoureux" n'est pas évident. Même l'image de la couverture de l'album n'évoque pas vraiment une relation affectueuse entre Alix et Lidia. Ils se tiennent la main, certes, mais j'ai plutôt l'impression que cela provient d'un énervement d'Alix qui tire Lidia par le bras, car elle n'avance pas assez vite. Le héros veut fuir les molochistes (dont l'ombre menaçante nous indique qu'ils sont tous proches) tandis que Lidia ne semble pas aussi pressée, curieusement.   Wink

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 2 Tombea17

Par contre, quelques cases admirables de Jacques Martin soulèvent réellement des interrogations. C'est en particulier le cas à la fin de l'histoire, lorsque Brutus git sur le sol après qu'un éclair ait entraîné l'effondrement du tumulus. Brutus implore Lidia de ne pas ouvrir la porte et ... sa manière de lui parler laisse entendre qu'il y a autrefois eu de l'amitié entre eux. Le visage de Lidia reste cependant impénétrable.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 2 Tombea18

Tout de suite après, la porte s'effondre (enfoncée par Alix), et Lidia tombe dans les bras du héros. L'ambiguïté n'a donc pas duré très longtemps.  Smile  Puis il y a de nouveau une case remarquable, qui semble bien résumer tout l'album. Brutus s'adresse une dernière fois à Alix en lui déclarant : " ce n'est pas toi qui m'a vaincu, c'est elle !". Le trio relationnel est ainsi bien réel, même si les sentiments d'Alix restent encore mystérieux dans l'album. Ce sont en fait des déclarations plus tardives d'Alix (dans Roma Roma) qui dévoileront complètement ses sentiments pour Lidia.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 2 Tombea19

Avec cette dernière image, plusieurs interprétations sont possibles et l'album est ainsi d'une grande richesse narrative.  Very Happy


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Raymond

Raymond
Admin

Jacques Martin idéalise nettement le personnage de Lidia et c'est bien pour cette raison qu'elle nous fascine (ou du moins qu'elle me fascine).  Wink

Mais comment les femmes scénaristes de bandes dessinées ont-elles vu le même personnage ? Eh bien, il est surprenant de constater qu'elles peuvent être assez féroces.  

C'est le cas en particulier de Valérie Mangin, qui fait apparaître Lidia (ou plutôt Olivia) dans plusieurs albums de la série Alix Senator. Je m'intéresserai tout naturellement à la trilogie des "rapaces" (les trois premiers albums) car cette œuvre est en fait une intéressante postface du "Tombeau Etrusque". Cet aspect concerne non seulement le personnage de Lidia, mais aussi le fameux mystère de l'aigle qui sacre le jeune Octave-Auguste comme "le plus grand des plus grands", en déposant un morceau de pain dans la paume de sa main. L'interprétation par Valérie Mangin de cette scène est nettement plus ironique que celle de Jacques Martin.

Pour ce qui concerne Lidia, elle apparait à la fin de la Conjuration des Rapaces, le 3ème tome d'Alix Senator. Elle a bien sûr pris de l'âge (au moins 30 ans de plus) et elle a hélas perdu toute sa superbe. Lidia est en effet devenue une vieille femme pleurnicheuse et pas du tout séduisante. Elle est de plus complètement dominée par son frère, et donc totalement incapable de s'affirmer. J'ai eu de la peine à y reconnaître la jeune femme fière et intrépide qui suit Alix dans ses cavalcades, mais il est vrai que la vieillesse peut parfois être un terrible naufrage.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 2 Conjur10

Dans Alix Senator, Lidia est non seulement dominée par Auguste, mais elle a aussi perdu ses facultés de jugement. Elle fait par exemple entièrement confiance à l'ignoble Livie, l'épouse d'Auguste qui passe son temps à comploter contre ce dernier, et Lidia ne comprend plus grand chose. Qu'est donc devenue la faculté innée de Lidia à faire les bons choix ? Malgré sa bonne fortune (apparente ?), elle semble avoir été brisée par la vie.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 2 Conjur11

Dans le petit dossier qui accompagne "l'édition de luxe" de la Conjuration des Rapaces, Valérie Mangin expose très bien le personnage de Lidia tel qu'il avait été conçu par Jacques Martin. Elle confronte aussi ce personnage aux données historiques qui sont connues sur Octavie, l'unique sœur d'Auguste, mais ces textes n'expliquent pas pourquoi la scénariste a donné un caractère aussi faible à une noble patricienne comme Lidia. Valérie Mangin a probablement éprouvé un certain plaisir à détruire le mythe.   Rolling Eyes

Certes, la conception du personnage présentée par Valérie Mangin pourrait apparaître comme logique (en fonction de ce qu'elle a vécu pendant 30 ans) mais on aurait quand même pu imaginer une autre évolution. Seulement ... voilà voilà, Alix Senator est une BD très pessimiste.  Cool


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eleanore-clo

eleanore-clo
vieux sage
vieux sage

Quel saut dans le temps et les personnalités ! affraid

Du coup, j'ai relu les trois premiers tomes d'Alix Senator et propose un autre regard sur l'évolution du personnage Smile, un regard féminin bien évidemment  Laughing

John Acton, historien et homme politique anglais, a écrit en 1887 : Power tends to corrupt, and absolute power corrupts absolutely.
Le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument.

Partant de là, nous pouvons nous interroger sur les vies de Lidia et d'Alix. Alix est devenu sénateur. L'aventurier, libre de ses choix et de ses alliances, est devenu un notable. Il connaît le pouvoir et ses nécessaires compromis. Le revers de la médaille est qu'Alix a perdu une partie de son innocence. Dans Le dernier pharaon, nous le voyons menacer de mort le bibliothécaire et ce sans remords. Dans La conjuration des rapaces, imperturbable, il assiste à l'assassinat collectif de Césarion.

Lidia est restée égale à elle-même, pure, généreuse, etc. Cependant, comme le souligne Raymond, la jeune femme a vieilli. Elle a vécu trente années de plus dans un empire impitoyable, ayant érigé la cruauté en banalité, il n'est qu'à voir les jeux du cirque. Lidia ne pouvait donc que perdre son assurance et devenir plus fragile.  
De plus, la différence avec Livie nous éclaire. Autant la mère de Tibère est manipulatrice, sans scrupule et infidèle d'esprit, autant Lidia a gardé sa grandeur d'âme.

Et donc, au final, Lidia ne serait-elle pas plus vertueuse qu'Alix, plus noble de cœur ?

Après opposer Alix et Lidia me semble un contre-sens. On pourrait dire que la vie les a à la fois rapprochés (Titus) et éloignés. Le destin commun à beaucoup de couples...

Eléanore

Raymond

Raymond
Admin

Effectivement, c'est une autre manière de comprendre les choses.  Very Happy

L'admirateur de Lidia (que je suis) lui pardonne assez mal sa relative déchéance (et surtout la perte de son charisme), tandis que tu ressens pour ta part le besoin de la défendre.  Wink

Je connaissais déjà la citation de John Acton mais je croyais qu'elle était due à un auteur français. Tu fais donc bien de préciser son origine. Je trouvais qu'elle s'appliquait admirablement à certains tyrans comme Staline ou Ceaucescu mais je n'oserai pas l'appliquer sur Alix, car ce dernier reste quand même assez équilibré dans ses réactions. Octave-Auguste, par contre ... on peut se le demander.


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Raymond

Raymond
Admin

On retrouve aussi le personnage d'Octavie (le véritable nom de Lidia) dans la splendide série romanesque intitulée "Les Maîtres de Rome", qui a été écrite par Colleen McCullough. Cette gigantesque saga historique très documentée (qui englobe pas moins de 10 romans) est bien présentée par Michel Eloy dans son fameux site intitulé "Peplum". Son résumé se trouve sur cette page :

http://peplums.info/pep39v.htm#ccu

On y retrouve donc Octavie mais surtout à la fin de la saga, dans le dernier roman intitulé Antoine et Cléopâtre. C'est pour faire court un livre qui prend totalement le parti d'Octave-Auguste, par rapport à la guerre qu'il a mené contre Marc Antoine. Colleen McCullough loue en effet sans réserve l'intelligence manœuvrière et le charisme d'Octave (comme elle l'avait fait pour Jules César dans ses romans précédents) tandis que Marc-Antoine n'y tient qu'un rôle assez médiocre, malgré ses amours avec Cléopâtre,

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 2 Mccull10

Colleen McCullough présente sinon Octavie comme une femme assez tendre et très maternelle. Elle est intelligente mais peu combative, et de plus totalement dévouée à son frère. Elle est souvent victime de cet implacable monde d'hommes qu'était la Rome antique (en particulier lorsqu'elle est abandonnée par Marc-Antoine dont elle était sincèrement amoureuse), mais elle garde sa dignité en se consacrant à l'éducation de la nombreuse progéniture engendrée pas la maison julienne.

Bien sûr, Colleen McCullough interprète à sa manière le personnage d'Octavie mais sa version est intéressante car elle tient scrupuleusement compte des données historiques. Sa présentation du personnage rejoint par ailleurs la description qui a été faite par Plutarque et il faut se rappeler qu'Octavie était de son vivant très appréciée et admirée par les romains. Il était donc logique de lui laisser le rôle d'une noble mère de famille.

C'est en tout cas une description d'Octavie qui est plus sympathique que la présentation faite par Valérie Mangin.

Il est bien sûr probable que l'on retrouve encore ce personnage dans d'autres sagas historiques, mais je suis loin de tout connaître.  jap


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Lidia / Octavie la jeune est aussi une des héroïnes d'un roman de Françoise Changernagor : Les dames de Rome, qui raconte la jeunesse de Séléné, la fille de Marc-Antoine et Cléopâtre.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 2 9782253177418-001-T

Françoise Chandernagor s'inscrit dans la continuité de Jacques Martin et y présente une femme forte. Voici quelques extraits campant le personnage.

Le premier décrit la maison d'Octavie, un joyeux capharnaüm d'enfants issus des différents mariages d'Octavie et d'orphelins prestigieux lui ayant été confiés.

Il y avait là, en effet, les filles aînées du premier mariage de la Domina avec un vieux patricien dont elle était restée bientôt veuve : Marcella, seize ans, et Claudia, onze. Il y avait aussi leur frère, Marcus Marcellus, douze ans, qui venait de figurer à cheval auprès de son oncle Octave dans le Triomphe sur l’Égypte.

Il y avait encore Iullus, Iullus Antonius, quatorze ans, fils orphelin d’Antoine et de sa première femme Fulvia – Iullus qu’aucune parenté ne liait aux trois autres, mais qui était, comme eux, le demi-frère des cadettes d’Octavie, les filles que la Domina avait eues, en secondes noces, de Marc Antoine : Prima, un an de moins que les petits Égyptiens, et Antonia, huit ans.

Il y avait enfin ceux qu’ensemble ils appelaient « nos cousins » : Julie, la fille d’Octave et de sa première femme – neuf ans et demi, comme Prima et comme Drusus, le fils de Livie et de Nero, son premier mari. Drusus, dont le grand frère Tibère allait, lui, sur ses treize ans…

On s’y perd, hein ? On s’embrouille ? Pas étonnant ! C’était une famille recomposée. Et nombreuse, très nombreuse, par-dessus le marché ! Depuis que les jumeaux de Cléopâtre avaient rejoint la maison, ils n’étaient pas moins de onze enfants de huit à seize ans qui grandissaient dans les courettes du Palatin, à l’ombre de l’austère demeure du Prince.

Cette fratrie à géométrie variable déconcertera jusqu’aux historiens antiques : Tacite lui-même s’égare à deux ou trois reprises dans cette famille à tiroirs, où les enfants non plus ne savaient pas vraiment ce qu’ils étaient les uns pour les autres, mais trouvaient à longueur d’année de quoi se chamailler, se réconcilier, se défier et s’aimer sans sortir du groupe. Déjà, ils formaient un monde à part, enchanté et hermétique, où les rares étrangers admis étaient des « promis ».

Faisaient ainsi partie de la bande la toute petite Vipsania, fille unique d’Agrippa, promise à Tibère, et Lucius, quinze ans, fils de Domitius « Barberousse », fiancé à la jeune Prima. Quant aux autres, qu’un jour leurs familles accoupleront entre eux tels des chiens de bonne race pour ne pas perdre une goutte de leur sang précieux, celui du Prince, jamais ils ne s’évaderont du cercle magique de leur enfance. Tournoyant jusqu’au vertige, jusqu’à l’inceste.


On découvre ainsi le statut de Lidia. Elle incarne ainsi un outil politique au service des puissants. Elle est donc mariée au consul Caius Claudius Marcellus puis à Marc-Antoine et enfin à Alix  Smile. Le mariage et les alliances qui en résultent sont au cœur de la politique romaine. Et aussi l’éducation car Lidia, matrone parfaite, élève non seulement ses propres enfants mais les orphelins prestigieux qui lui ont été confiés. Elle va faire d'eux de parfaits patriciens romains, en leur apprenant le grec, une langue parlée par les élites, ou en les endurcissant :

Les enfants du Palatin, qu’Octavie faisait éduquer dans le grec le plus chic, le plus attique.


Il n’y avait rien d’horrible dans le traitement infligé à des criminels, c’est ce qu’Octavie avait expliqué à sa benjamine. Un bon citoyen devait regarder leur châtiment sans trembler, et même en se réjouissant que l’ordre règne : « Et puis, tu n’es pas une poltronne, qui tourne de l’œil à la première goutte de sang ! Souviens-toi de tes ancêtres, Antonia. »


Octavie est une domina éveillée et tient un cercle où elle invite à dîner l'élite intellectuelle romaine.

Sur ses lits de table s’allongeaient des octaviens de toujours et d’anciens antoniens, des patriciens philosophes et des poètes épicuriens. Pour le rayonnement, sa société égalait alors celle de Mécène, qui, ayant renoncé aux fonctions officielles, prétendait maintenant se consacrer aux arts.

Certes, Octavie était moins riche que lui, mais sa compagnie semblait plus douce – Mécène dirigeait encore la police secrète tandis que, chez elle, on pouvait se croire libre. Du reste, leurs goûts différaient ; si le chef du renseignement patronnait les auteurs bien-pensants, les tenants du bon goût latin, s’il voulait remettre à la mode le panégyrique et l’épopée, la sœur du Prince protégeait les jeunes élégiaques qui chantaient l’amour. Elle pensionnait aussi les « asiatisants », les maniéristes, les hermétiques, tous les littérateurs raffinés qui avaient fui Alexandrie abaissée.


Octavie démontre aussi un beau caractère. Elle a élevé son frère Octave et a réussi à maintenir un équilibre précaire entre les deux membres du triumvirat, le futur Auguste et Marc-Antoine. Et malgré le fait d'avoir côtoyé les puissants du monde, elle semble avoir gardé sa grande noblesse.

Jamais le temps. Octavie n’a plus jamais le temps de jouer avec les petits. À cause de Livie. D’Octave, de Mécène, d’Agrippa. À cause du Sénat. Son trousseau de clés pendu à sa ceinture comme une matrone d’autrefois (quelle comédie, mon cher frère, quelle comédie), son voile de mousseline flottant autour de son chignon, Octavie court à travers la ville et la maison. Elle passe des réceptions mondaines aux travaux d’aiguille sans cesser de démonter des intrigues, de pousser des carrières, d’échafauder des stratégies.

Loin d’être la niaise sentimentale que la propagande impériale érigera en modèle des épouses romaines, la sœur d’Octave est une femme forte, comme Marc Antoine les aimait : la première femme de l’Imperator d’Orient, Fulvia, ne commandait-elle pas une armée au temps des guerres d’Italie ? Cléopâtre ne gouvernait-elle pas le plus grand royaume du monde ? Elle, Octavie, avait réussi pendant sept ans à maintenir l’apparence de la concorde entre deux hommes que tout opposait. Elle avait suggéré des traités, imposé des trêves. Plaidé, plaidé sans relâche pour la paix. Parce qu’elle ne voulait renoncer à aucun d’eux. Ne pouvait pas choisir : en Octave, elle aimait se retrouver ; avec Antoine, elle aimait se perdre.

« Quand je te l’ai donné pour mari, je n’avais pas prévu que tu t’attacherais à ce bellâtre ! protestait son frère à l’époque.

– Tu aurais dû : toutes les femmes sont folles de lui.

– Mais tu n’es pas comme toutes les femmes ! Pas toi… »

Son « petit frère » était le premier enfant qu’elle eût élevé. Quand leur mère, Atia, en se remariant, les avait confiés à leur grand-mère pour suivre son époux en Asie, Octave avait quatre ans, Octavie dix. Elle l’avait consolé, soigné (il était toujours malade), elle s’asseyait près de son lit, calmait ses terreurs (dieux, qu’il était peureux en ce temps-là, un rien le faisait trembler !) ; puis, comme elle ne voulait pas qu’il se fît fouetter par son précepteur, battre par ces maîtres à la main leste qui dégoûtent les enfants de la lecture, elle lui avait elle-même appris ses lettres. Plus tard, à la mort de leur grand-mère, lorsqu’elle avait dû épouser un pompéien de bonne famille, le vieux consul Marcellus, elle avait continué à surveiller les études de l’enfant solitaire qui n’ouvrait son cœur qu’à elle.


Octavie est une sœur exemplaire, une belle-sœur merveilleuse, mais elle est faible comme une nourrice avec ses protégés : ils ne respectent rien, courent partout, jouent du matin au soir… Je ne suis pas surprise qu’ils l’adorent, elle les gâte tellement ! Ce ne sont que caresses et friandises. Elle a formé leur palais avant d’éduquer leur bouche ! Elle est si bonne… »

Après avoir lu toutes ces belles phrases, je suis certaine que vous direz, avec moi, que Valérie Mangin aurait pu la présenter différemment  Laughing

Eléanore

Raymond

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Superbe portrait ! Merci pour cette description détaillée pouce  !  

Françoise Chandernagor va bien plus loin que Colleen McCullough mais son personnage reste tout de même assez réaliste. Olivia était en effet une maîtresse-femme, car elle a protégé son frère Octave pendant toute son enfance, puis elle l'a magistralement épaulé lorsque ce dernier est arrivé à l'âge adulte et qu'il avait des responsabilités politiques. Il m'est bien difficile d'imaginer qu'une telle femme manquât alors de tempérament et qu'elle soit finalement dominée (et même humiliée) par Livie et Octave.

Valérie Mangin aurait pu mieux faire ! Tu as bien raison !   Wink  

Mais je vois une explication toute simple à ce décevant portrait de Lidia que l'on trouve dans "la Conjuration des Rapaces" : Valérie Mangin aime plutôt maltraiter ses personnages, en particulier ceux que l'on trouve dans Alix Senator.

Comme j'avais réagi assez souvent contre cette "maltraitance", Stéphane m'avait proposé il y a 2 ans d'interviewer moi même Valérie Mangin sur ce sujet. Cette dernière m'avait alors répondu très habilement et je n'ai pu qu'accepter cette argumentation.   deso

Tu trouveras ci-dessous un lien vers cette interview :

http://alixmag.canalblog.com/archives/2019/09/09/37624111.html


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Bonjour

D'une façon générale, je partage l'avis de Raymond sur la tonalité choisie par Valérie Mangin. Et, appréciant les BD positives, je n'ai jamais pu aller au-delà du troisième tome d'Alix Senator. Je pourrais aussi reprocher ce mariage de la carpe et du lapin, où Alix oscille entre une paternité affectueuse et maladroite d'un côté, et un cynisme violent de l'autre.

Pour en revenir à Octavie la jeune, je vous invite à écouter les 47 premières minutes d'une émission de Franck Ferrand relative à Octavie la jeune. Il convient de noter la participation érudite de Danielle Porte, célèbre latiniste, historienne et spécialiste des époques césarienne et augustéenne (https://fr.wikipedia.org/wiki/Danielle_Porte).
Lidia y est présentée comme une grande, une très grande patricienne  Very Happy .



Ainsi Valérie Mangin n'aurait pas respecté l'Histoire. Un contresens étonnant de la part d'une scénariste revendiquant une plus grande fidélité aux annales confused affraid .

Eléanore

Raymond

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Admin

Cette présentation du personnage d'Octavie par Danièle Porte rejoint très bien la description qui est faite par Françoise Chandernagor, et elle parait plus que vraisemblable. Elle concorde également avec les faits relatés par Plutarque. Merci pour toutes ces infos ! pouce

Sinon, en fouinant sur le Web, j'ai retrouvé un buste (donc un portrait) de la véritable Lidia/Octavie. C'est assez différent du visage imaginé par Jacques Martin et cela vous intéressera probablement de le voir.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 2 Octavi10

Voilà, on en a probablement terminé avec Lidia et je passerai demain à l'album suivant, à moins que vous n'ayez encore quelques idées.  Wink


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Raymond

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Passons maintenant au Dieu Sauvage, un autre grand album ... qui est aussi mon préféré.   Very Happy

Cette histoire nous permet de retrouver Adrea et il faut absolument reparler d'elle. On peut en effet admettre que cette reine est le personnage principal de l'album. Peu d'entre vous, je pense, contesteront cette idée.

C'est en effet pour revoir Adréa qu'Alix et ses amis (même s'ils ne le savent pas au départ) font un long voyage vers la Cyrénaïque, puis qu'ils partent dans le désert à la poursuite d'Heraklion. Le "Dieu sauvage est presque une histoire d'aller-retour et le nœud de l'intrigue se dévoile vraiment lorsqu'Alix retrouve la fière Adréa, prématurément vieillie et parvenue au seuil de la mort. C'est une scène émouvante et spectaculaire, qui est surtout pleine d'humanité.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 2 Dieu-s14

Mais comment cette orgueilleuse souveraine est-elle devenue aussi rapidement une vieille femme déchue (car il ne s'est pas écoulé plus de 1 ou 2 ans depuis la conclusion du Dernier Spartiate) ? Jacques Martin raconte très simplement ce phénomène en deux images. La reine a d'abord suivi passivement ses derniers fidèles vers la Cyrénaïque, puis une fois arrivée à destination, elle s'est couchée dans un lit et n'a plus quitté sa chambre. On peut deviner qu'elle n'a presque rien mangé et qu'elle s'est volontairement laissée mourir. Ce processus désigne une maladie qui se nomme une dépression, et il peut facilement être mortel.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 2 Dieu-s15

Avec cette fin de vie d'Adréa, ce ne sont plus nos visions de la femme qui sont en jeu dans cet album, mais bien la question de la destinée humaine. Qu'est-ce qu'une vie réussie ? Et pourquoi vivons-nous ? Parvenue à la fin de son existence, Adréa se souvient de ses illusions de jeune fille et il en résulte une courte séquence qui contient deux images vraiment mémorables. Elles font partie des plus fortes images que l'on puisse trouver dans toute la saga d'Alix.

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Remarquons au passage qu'au seuil de la mort, Adréa semble légèrement apaisée. A t-elle réussi son passage sur terre ? Nul ne peut répondre et cette question n'a au fond pas d'importance. Parvenue au seuil de l'indicible, la vieille reine ne se préoccupe plus des questions de gloire, sexe ou de pouvoir. Elle quitte notre monde simplement et modestement, avec une dignité admirable.

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Avec cet album, Jacques Martin a complété avec justesse et sensibilité le portrait du plus beau personnage féminin qu'il ait conçu, et on peut dire qu'il a vraiment fait tout juste. On ne retrouvera pas souvent des personnages de femme aussi bien sentis dans le reste de son œuvre. C'est d'ailleurs peut être aussi pour cela qu'il persiste cette notion d'un âge d'or à la fin des années 60, qui a plus tard tellement énervé l'auteur d'Alix. Il existe peut-être des albums ultérieurs qui sont mieux dessinés que le Dieu Sauvage (quoique ... Rolling Eyes ), mais ils n'ont par contre plus la même humanité.  Wink


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Bonjour

Le dieu sauvage et Le dernier spartiate se répondent, comme un écho dans une grotte. Adréa est morte d'avoir aimé la Grèce et d'avoir vu son rêve brisé par la puissance romaine.
Néanmoins, il me semble qu'il ne faut pas s'arrêter sur une note aussi sombre. En effet, une autre héroïne va reprendre à son compte le rêve de la reine spartiate. Il s'agit bien évidemment d'Héra.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 2 1969-dieu-sauvage-hera-amoureuse-alix

La princesse porte le rêve de l'indépendance de la Cyrénaïque. Toute aussi déterminée que sa devancière, Héra peut être cruelle : elle ordonne la captivité d'Alix (page 35 : Désormais il n'est plus question de te rendre la liberté), manigance son meurtre (page 41 Je le tuerai de ma main, et page 44 : Mieux vaut le laisser partir et l"égorger dans le désert) et lance sa traque (page 47 : Si personne ne peut le pourchasser, moi je le ferai, seule s'il le faut, mais je le ferai !). La ressemblance s'arrête là car, a contrario d'Adréa, Héra n'aime pas Alix. Et je ne vois aucune ambiguïté dans le baiser de la paix de la page 56. N'oublions pas non plus qu'elle se promet à Haron en échange de sa loyauté (page 44 : C'est à cette seule condition que j’accepterai de devenir ton épouse)...

Héra succède donc à Adréa. Elle porte le même projet politique et connaitra le même désespoir puisque la Cyrénaïque sera romaine puis byzantine jusqu'au 7ème siècle après JC.

Eléanore.

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En complément de mon premier message, je vous propose de revenir sur la relation dissymétrique entre Adréa et Alix. Bien évidemment, c'est un amour non partagé. Mais aussi, Alix est par deux fois l'ultime goutte d'eau causant le décès de la reine, parce qu'il aide les romains à conquérir la forteresse spartiate et aussi parce que le soutien indéfectible de la souveraine spartiate provoque l'ire d'Héra, ire parachevant la lente agonie d'Adréa. Donc Alix a bien involontairement et indirectement tué Adréa. Alors que celle-ci l'a sauvé. Quel paradoxe. Oui. Nous sommes clairement dans une tragédie grecque !

Un autre point fort intéressant est le choix par Jacques Martin du prénom Héra. Le caractère de l'épouse jalouse et colérique de Zeus a clairement déteint sur celui de la princesse. On ne peut d'ailleurs que s'interroger sur le choix de ce prénom. Pourquoi diantre Massima, le patriote cyrénéen a choisi un prénom d'origine étrangère pour sa fille ? Aurait il épousé une grecque ?

Éléanore

Raymond

Raymond
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Intéressantes questions, mais je ne répondrai pas à tout en même temps !  

Commençons avec Héra, l'autre maîtresse-femme du Dieu Sauvage. il faut bien avouer qu'à son sujet, je n'ai pas le même regard que toi.  Wink  

Tu penses par exemple qu'Héra n'est pas amoureuse d'Alix et je pense pour ma part exactement le contraire. Bien sûr, Héra n'avoue jamais ses sentiments d'une façon explicite. De plus, elle se montre presque constamment hostile au jeune gallo-romain et projette de le tuer. Mais au delà de cette attitude agressive, il y a des signes qui ne trompent pas et qui sont très bien dessinés (et mis en scène) par Jacques Martin.

Prenons par exemple le "baiser de paix" sur la dernière page de l'album ! Le discours d'Héra n'est vraiment pas ordinaire. Pourquoi dit-elle par exemple : "j'aurais tant voulu que tu restes parmi nous" ? Cette tournure de phrase n'évoque pas de simples considérations politiques ou sécuritaires, mais plutôt un véritable sentiment. Après cela, en donnant un baiser à Alix, Héra ferme les yeux et elle est certainement très émue. Sur l'image suivante, elle dit : "Maintenant partons ... mais partons vite !" et son visage exprime nettement de la douleur. Héra semble alors déchirée par une grande émotion car elle sait qu'elle ne reverra jamais Alix. Mais comment ne pas déduire que ce qu'elle éprouve à ce moment, c'est une grande affection, et même probablement un amour qu'elle n'a jamais voulu admettre. Bien sûr, Héra a manifesté de la haine envers Alix pendant le bref séjour de ce dernier chez les cyrénéens, mais cette haine ne provenait-elle pas d'un déni initial de ses sentiments amoureux, par peur de subir le même destin qu'Adréa ? Il y a parfois peu de choses qui séparent la haine de l'amour, et Héra ne le comprend qu'au moment où elle dit adieu à Alix.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 2 Dieu-s18

Et en adoptant cette idée qu'Héra est secrètement (ou plutôt inconsciemment) amoureuse d'Alix, presque toutes les discussions entre Héra et Alix peuvent se comprendre d'une nouvelle manière. Il y a bien sûr des messages explicites, qui sont totalement logiques, mais aussi des messages sentimentaux bien plus ambigus. Comment ne pas penser à une signification alternative en lisant l'avertissement qu'Héra lance à Alix, au moment où ce dernier va entrer dans la chambre d'Adréa. "Sache qu'il n'en sera pas de même avec moi" dit-elle, et c'est un véritable défi ! Elle se compare d'emblée à Adréa car elle a au fond le même problème. Comment lutter contre ses sentiments affectueux envers Alix ?

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 2 Dieu-s19

Il en est de même lorsqu'Héra s'isole avec Adréa pour lui demander de maudire Alix. Pourquoi une telle véhémence ? Pourquoi une telle passion haineuse envers un jeune romain qui ne lui a au fond jamais fait de mal ? Bien au contraire, Alix lui a ramené son père et elle devrait lui être reconnaissante. Mais Héra explose de colère, et elle essaie donc de détruire ce jeune homme qui l'attire et qui lui fait peur en même temps. Elle n'agit pas au nom d'un calcul politique, ou selon des règles de prudence, et elle veut un résultat immédiat. Héra est gouvernée par la passion, et par un sentiment encore confus qui lui fait peur, et qu'elle ne veut pas chercher à comprendre.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 2 Dieu-s20

Que ce soit de la haine ou de l'amour (ou les deux probablement), il me parait indéniable qu'Héra éprouve des sentiments très forts envers Alix. Pour ma part, je pense que ce sont des sentiments amoureux, mais j'attends avec curiosité d'autres interprétations de ces face à face très intéressants entre Alix et Héra, que Jacques Martin nous raconte avec une malice non dissimulée !  Very Happy


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