Le styx met en scène plusieurs personnages féminins :
- Hilona, l'aimée d'Orion,
- Xouria, la mère de la tribu des hommes-lions,
- Aspasie la compagne de Périclès et
- le pythie de Delphes.
Jacques Martin réserve une sombre fin à Hilona. Les Orion-girls et les Alix-girls partagent malheureusement des destins tragiques . Ce nouvel opus d'Orion montre la lente déchéance de l'héroïne. Celle qui s'était dressée contre une oppression esclavagiste n'est plus que l'ombre d'elle-même. Elle subit passivement son sort et son décès ne bénéficie pas, si l'on peut le dire ainsi, d'une mise en scène. Nulle velléité de révolte n'agite la protagoniste. Alors que l'hilote avait monté un réseau de résistance au cœur même de Sparte, elle semble ici bien apathique. Et son trépas et sa disparition physique ne font que refléter son effacement humain et politique. Quant à l'amour d'Orion, quant à son appui indéfectible, on comprend que l'aventure ou la politique intéressent bien davantage le héros . Thorgal eut agit autrement
Raymond voit dans cet évanouissement le manque d'intérêt de l'auteur pour Hilona. Mais le même sort guette toutes les héroïnes. Ne peut-on alors raisonner autrement ? Une héroïne présente sur plusieurs album pourrait concurrencer les seconds rôles masculins comme Enak ou Jeanjean et par-là même affaiblir un des piliers du mythe martinien...
Xouria incarne la folie. Folie d'un père qui condamne aveuglément l'enfant qu'il aimait. Folie d'une fille qui vit et revit son viol tous les jours en contemplant son royaume et ses sujets. L'attachement de la mère tutélaire à sa tribu rappelle aussi le syndrome de Stockholm où la victime prend fait et cause pour son bourreau.
Bien d'autres regards sont possibles. Dans le billet relatif à L'œil de Khéops, j'ai démontré le lien entre les séries Arno et Chevalier Ardent. Et bien, là encore, on peut construire une passerelle. Aussi, je vous propose d'ouvrir Le journal de Tintin n°1205 et de nous plonger dans un conte médiéval appelé La dame aux yeux pers.
En s'égarant, Chevalier Ardent découvre une petite communauté vivant isolée. Elle est dirigée par une très belle femme qui s'imagine vivre dans un conte de fée. Et son rêve est protégé par un chevalier à tête de lion...
Clairement, les deux histoires présentent maints points communs. Martin a visiblement lu Craenhals .
L'idée d'un monstre avec un corps d'homme et une tête de lion est de toute façon déjà présente dans la mythologie, mais renversée puisque la manticore a un corps de lion et une tête humaine.
Manticore from the Rochester Bestiary (c. 1230–1240)
Le terrible châtiment de Xouria peut encore être interprété autrement. A la toute fin du Secret des templiers, Jacques Martin affiche son syncrétisme lorsque l'abbé lie toutes les religions :
Et bien il en est de même dans Le Styx. En effet, si je vous demande le nom d'une femme livrée en supplice aux lions, de qui me parlerez-vous ? De Xouria ? Allons . Plus probablement, vous évoquerez Sainte-Blandine. Cette jeune chrétienne refusa d'abjurer sa foi et fut condamnée à être dévorée par des fauves. Venons en maintenant à un autre culte, plus antique, celui des dieux de l'Olympe et plus précisément celui d'un de leurs enfants, Héraclès. Car le premier de ses douze travaux consista à tuer le lion qui terrorisait la région de Némée. Lion dont il revêtit la peau ce qui lui confère une vague ressemblance avec les descendants de Xouria.
Le martyre de Sainte-Blandine - Portail de l'église Sainte-Blandine - Lyon / Ercole e l'idra (Hercule et l'hydre) (1475) - Pollaiolo - Galeries des Offices
Et donc, dans Le Styx, Jacques Martin rapproche et fusionne deux cultes. La BD démontre, une fois de plus, l'universalité du maître. L'auteur se nourrit de toute la culture humaine. On retrouve cette caractéristique dans le choix de ses héros. Khéos appartient au berceau de notre civilisation alors que Lefranc vit à notre époque. On retrouve aussi cette universalité dans la série Alix puisque le jeune gaulois voyage bien au-delà de la mare nostrum, jusqu’en Afrique et en Asie.
Venons en maintenant à Aspasie. Le maître en fait la figure de proue d'un système politique machiavélique, où la raison d’État cautionne le mensonge et la destruction des rêves individuels.
Mais qui est ce personnage ? D'un point de vue historique, elle fut l'amante de Périclès. Raymond, à raison, emploie un autre substantif : "maîtresse". Or ce substantif porte une une notion d'autorité, qui semble ici parfaitement adaptée. En effet, l'influence de la première dame sur la politique de la cité fut immense. L'historien grec Plutarque s'en fait l'écho dans sa La vie des hommes illustres : "On accuse donc Périclès d’avoir fait décréter la guerre contre les Samiens dans l’intérêt des Milésiens, à la prière d’Aspasie." (traduction Pierron). Et Plutarque présente Aspasie sous un jour plutôt flatteur : Quant à Aspasie, on dit que Périclès la rechercha comme une femme d’esprit, et qui avait l’intelligence des choses politiques. Socrate allait souvent chez elle avec ses amis ; et ceux qui la fréquentaient y conduisaient même leurs femmes, pour qu’elles entendissent sa conversation… " (ibid). Enfin l'historien rapporte une relation harmonieuse entre les amants : Quoi qu’il en soit, il est évident que ce qui attira Périclès auprès d’elle, ce fut plutôt de l’amour. Il avait une femme… Plus tard, comme ils ne se plaisaient point, lui et elle, dans la société l’un de l’autre, il la céda, elle y consentant, à un autre mari, et il épousa Aspasie, qu’il aima éperdument ; car tous les jours, en sortant pouf aller sur la place publique, ou en rentrant chez lui, il la saluait, dit-on, d’un baiser. (ibid.)
Jacques Martin connaissait donc parfaitement son sujet et a fait preuve d'une grande fidélité à la réalité historique .
Raymond a rappelé qu'Aspasie est née en dehors d'Athènes. Avec intelligence et volonté, elle s'est élevée au dessus de son statut de métèque et à mis ses talents au service de sa cité d'adoption. Le styx nous la dépeint machiavélique. Mais n'est-elle pas tout simplement au diapason d'une société rude où le sens de l’État (la Cité plutôt) passe avant l'intérêt des individus ?
La Pythie n'occupe que très peu de vignettes. Et pourtant ! Comme dans Le cheval de Troie, on ne peut qu'être admiratif devant ses talents ! Brasidias est donc bien ingrat ou bien sot face à tant de clairvoyance.
Avec Le Styx, Jacques Martin s'empare de mythes et les tord à sa façon pour mieux les dénoncer. Les centaures, mi-chevaux mi-hommes, qui incarnaient la sagesse (Chiron) ou la ruse (Nessos), ont cédé le devant de la scène à la tribu de Xouria, dont les membres font surtout preuve de force. Et l'idéal de la démocratie athénienne est maculé. Ses dirigeants apparaissent cyniques et insensibles.
La leçon qu'on peut en tirer ne serait-elle pas que le maître refuse tout credo ? Qu'il prône l'individualisme plutôt que l'adhésion aveugle à des civilisations imparfaites. Cette approche apparaît très américaine. La liberté et le héros priment sur la société et la culture .
Et malheureusement, ce héros est toujours un homme
Eléanore
- Hilona, l'aimée d'Orion,
- Xouria, la mère de la tribu des hommes-lions,
- Aspasie la compagne de Périclès et
- le pythie de Delphes.
Jacques Martin réserve une sombre fin à Hilona. Les Orion-girls et les Alix-girls partagent malheureusement des destins tragiques . Ce nouvel opus d'Orion montre la lente déchéance de l'héroïne. Celle qui s'était dressée contre une oppression esclavagiste n'est plus que l'ombre d'elle-même. Elle subit passivement son sort et son décès ne bénéficie pas, si l'on peut le dire ainsi, d'une mise en scène. Nulle velléité de révolte n'agite la protagoniste. Alors que l'hilote avait monté un réseau de résistance au cœur même de Sparte, elle semble ici bien apathique. Et son trépas et sa disparition physique ne font que refléter son effacement humain et politique. Quant à l'amour d'Orion, quant à son appui indéfectible, on comprend que l'aventure ou la politique intéressent bien davantage le héros . Thorgal eut agit autrement
Raymond voit dans cet évanouissement le manque d'intérêt de l'auteur pour Hilona. Mais le même sort guette toutes les héroïnes. Ne peut-on alors raisonner autrement ? Une héroïne présente sur plusieurs album pourrait concurrencer les seconds rôles masculins comme Enak ou Jeanjean et par-là même affaiblir un des piliers du mythe martinien...
Xouria incarne la folie. Folie d'un père qui condamne aveuglément l'enfant qu'il aimait. Folie d'une fille qui vit et revit son viol tous les jours en contemplant son royaume et ses sujets. L'attachement de la mère tutélaire à sa tribu rappelle aussi le syndrome de Stockholm où la victime prend fait et cause pour son bourreau.
Bien d'autres regards sont possibles. Dans le billet relatif à L'œil de Khéops, j'ai démontré le lien entre les séries Arno et Chevalier Ardent. Et bien, là encore, on peut construire une passerelle. Aussi, je vous propose d'ouvrir Le journal de Tintin n°1205 et de nous plonger dans un conte médiéval appelé La dame aux yeux pers.
En s'égarant, Chevalier Ardent découvre une petite communauté vivant isolée. Elle est dirigée par une très belle femme qui s'imagine vivre dans un conte de fée. Et son rêve est protégé par un chevalier à tête de lion...
Clairement, les deux histoires présentent maints points communs. Martin a visiblement lu Craenhals .
L'idée d'un monstre avec un corps d'homme et une tête de lion est de toute façon déjà présente dans la mythologie, mais renversée puisque la manticore a un corps de lion et une tête humaine.
Manticore from the Rochester Bestiary (c. 1230–1240)
Le terrible châtiment de Xouria peut encore être interprété autrement. A la toute fin du Secret des templiers, Jacques Martin affiche son syncrétisme lorsque l'abbé lie toutes les religions :
Et bien il en est de même dans Le Styx. En effet, si je vous demande le nom d'une femme livrée en supplice aux lions, de qui me parlerez-vous ? De Xouria ? Allons . Plus probablement, vous évoquerez Sainte-Blandine. Cette jeune chrétienne refusa d'abjurer sa foi et fut condamnée à être dévorée par des fauves. Venons en maintenant à un autre culte, plus antique, celui des dieux de l'Olympe et plus précisément celui d'un de leurs enfants, Héraclès. Car le premier de ses douze travaux consista à tuer le lion qui terrorisait la région de Némée. Lion dont il revêtit la peau ce qui lui confère une vague ressemblance avec les descendants de Xouria.
Le martyre de Sainte-Blandine - Portail de l'église Sainte-Blandine - Lyon / Ercole e l'idra (Hercule et l'hydre) (1475) - Pollaiolo - Galeries des Offices
Et donc, dans Le Styx, Jacques Martin rapproche et fusionne deux cultes. La BD démontre, une fois de plus, l'universalité du maître. L'auteur se nourrit de toute la culture humaine. On retrouve cette caractéristique dans le choix de ses héros. Khéos appartient au berceau de notre civilisation alors que Lefranc vit à notre époque. On retrouve aussi cette universalité dans la série Alix puisque le jeune gaulois voyage bien au-delà de la mare nostrum, jusqu’en Afrique et en Asie.
Venons en maintenant à Aspasie. Le maître en fait la figure de proue d'un système politique machiavélique, où la raison d’État cautionne le mensonge et la destruction des rêves individuels.
Mais qui est ce personnage ? D'un point de vue historique, elle fut l'amante de Périclès. Raymond, à raison, emploie un autre substantif : "maîtresse". Or ce substantif porte une une notion d'autorité, qui semble ici parfaitement adaptée. En effet, l'influence de la première dame sur la politique de la cité fut immense. L'historien grec Plutarque s'en fait l'écho dans sa La vie des hommes illustres : "On accuse donc Périclès d’avoir fait décréter la guerre contre les Samiens dans l’intérêt des Milésiens, à la prière d’Aspasie." (traduction Pierron). Et Plutarque présente Aspasie sous un jour plutôt flatteur : Quant à Aspasie, on dit que Périclès la rechercha comme une femme d’esprit, et qui avait l’intelligence des choses politiques. Socrate allait souvent chez elle avec ses amis ; et ceux qui la fréquentaient y conduisaient même leurs femmes, pour qu’elles entendissent sa conversation… " (ibid). Enfin l'historien rapporte une relation harmonieuse entre les amants : Quoi qu’il en soit, il est évident que ce qui attira Périclès auprès d’elle, ce fut plutôt de l’amour. Il avait une femme… Plus tard, comme ils ne se plaisaient point, lui et elle, dans la société l’un de l’autre, il la céda, elle y consentant, à un autre mari, et il épousa Aspasie, qu’il aima éperdument ; car tous les jours, en sortant pouf aller sur la place publique, ou en rentrant chez lui, il la saluait, dit-on, d’un baiser. (ibid.)
Jacques Martin connaissait donc parfaitement son sujet et a fait preuve d'une grande fidélité à la réalité historique .
Raymond a rappelé qu'Aspasie est née en dehors d'Athènes. Avec intelligence et volonté, elle s'est élevée au dessus de son statut de métèque et à mis ses talents au service de sa cité d'adoption. Le styx nous la dépeint machiavélique. Mais n'est-elle pas tout simplement au diapason d'une société rude où le sens de l’État (la Cité plutôt) passe avant l'intérêt des individus ?
La Pythie n'occupe que très peu de vignettes. Et pourtant ! Comme dans Le cheval de Troie, on ne peut qu'être admiratif devant ses talents ! Brasidias est donc bien ingrat ou bien sot face à tant de clairvoyance.
Avec Le Styx, Jacques Martin s'empare de mythes et les tord à sa façon pour mieux les dénoncer. Les centaures, mi-chevaux mi-hommes, qui incarnaient la sagesse (Chiron) ou la ruse (Nessos), ont cédé le devant de la scène à la tribu de Xouria, dont les membres font surtout preuve de force. Et l'idéal de la démocratie athénienne est maculé. Ses dirigeants apparaissent cyniques et insensibles.
La leçon qu'on peut en tirer ne serait-elle pas que le maître refuse tout credo ? Qu'il prône l'individualisme plutôt que l'adhésion aveugle à des civilisations imparfaites. Cette approche apparaît très américaine. La liberté et le héros priment sur la société et la culture .
Et malheureusement, ce héros est toujours un homme
Eléanore