Lefranc, Alix, Jhen ... et les autres
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Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin

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Raymond
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Raymond

Raymond
Admin

Il y a relativement peu d'histoires d'amour dans les histoires de Jacques Martin, pour diverses raisons d'ailleurs (envie de privilégier l'aventure, censure de la BD "enfantine" etc.). Cette restriction n'a cependant jamais existé pour Jhen, qui est une création plus tardive. Dans cette série moyenâgeuse, les personnages vivent en effet des relations amoureuses complètes et explicites, qui sont de plus assumées d'une façon toute naturelle. Cette tendance donne d'ailleurs aux albums de Jhen un charme singulier et on la retrouve très bien dans les Ecorcheurs, le troisième opus de la série qui ne fût jamais prépublié dans Tintin. Ce n'était pas du hasard, car la série était devenue bien trop "adulte" pour ce journal. Wink

Mais présentons d'abord les héros de cette relation sentimentale. Du côté masculin, l'amant n'est pas Jhen lui-même et ce rôle est dévolu à un moine impulsif et rustique qui se nomme Parfait. Relevons au passage que ce personnage avait pour modèle le dessinateur Paul Cuvelier, un homme qui fût à la fois le grand ami de Jacques Martin et le premier "maître" de dessin de Jean Pleyers. La ressemblance entre Parfait et Paul Cuvelier me semble être très partielle mais cet hommage graphique a été revendiqué par les auteurs et il n'y a pas lieu d'en discuter.

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Du côté féminin, l'héroïne est une jeune femme nommé Ariana qui est en fait une vraie marginale. Elle vit en effet près des murs de La Gore où elle a été recueillie par une "marâtre", parce qu'on la considérait comme une sorcière (en raison de sa beauté). Et dès la première prise de contact, Parfait s'enflamme pour cette jeune demoiselle qui semble avoir besoin de protection, même si cette dernière en nie l'évidence.

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Le récit principal s'intéresse bien sûr aux effort que déploie Jhen pour défendre la petite cité contre le siège (et les assauts) entrepris par une armée d'écorcheurs, mais l'histoire d'amour qui se développe entre Parfait et Ariana offre un agréable contrepoint à cette trame guerrière. Jacques Martin nous raconte alors une relation qui évolue sur un mode romantique, avec une première étape très chaste pendant laquelle Ariana se contente d'observer son prétendant. Et ce n'est que pendant la nuit suivante que le jeune moine, (comme Julien Sorel dans le "Rouge et le Noir") ose saisir la main de la jeune fille en attendant sa réaction. Ariana en est-elle consciente ? Les images ne nous donnent pas de réponse mais Jacques Martin prend manifestement un certain plaisir à nous dévoiler ces progressifs tâtonnements amoureux.

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Pendant les jours suivants, on découvre Parfait en train de faire une cour empressée à la jeune fille. Il accumule les allusions et les belles paroles et, comme il ne subit aucune rebuffade, ses propos et ses gestes deviennent bien sûr de plus en plus hardis.

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Et c'est ainsi que quelques jours plus tard, Jhen se réveille au matin en constatant que le lit de Parfait est vide (ce dernier a d'ailleurs déposé un mannequin dans la couche pour sauver les apparences). Dès son retour, le moine avoue facilement à Jhen son escapade nocturne chez Ariana et les termes qu'il utilise ne laissent presque aucune équivoque. Il y a eu des relations charnelles que Jacques Martin choisit habilement de ne pas montrer, afin d'éviter toute vulgarité. D'une façon tout à fait classique, l'auteur privilégie les aspects sentimentaux de cette liaison.

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Je m'attarde volontairement sur cette intrigue anecdotique parce qu'il est très rare que Jacques Martin raconte en détail des amourettes. Il s'intéresse dans cet album à toutes les étapes de la naissance des sentiments amoureux et je ne connais pas d'autre exemple de ce genre dans toute son œuvre. En tout cas, grâce à cette approche minutieuse, l'auteur donne beaucoup de crédibilité à son récit et surtout, il permet au lecteur de s'attacher à ses deux personnages.

Mais au fait, que peut-on dire d'Ariana elle-même ? Il faut bien avouer que l'on sait peu de chose sur son histoire et sur son caractère. Elle possède manifestement une certaine fierté, puisqu'elle affirme d'emblée (au début du récit) qu'elle n'a pas besoin d'un protecteur. Et puis plus tard, c'est même avec une certaine majesté qu'elle accueille Parfait dans sa demeure, comme si elle était la maîtresse de la maison. A ce moment, c'est elle qui domine la situation.

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Par la suite, au fil de ses rencontres avec Parfait, Ariana garde une certaine grâce et un relatif équilibre. Tout se passe en fait très bien pour elle jusqu'à ce qu'elle soit repérée par la foule lors d'un défilé religieux. "La sorcière ! La mauvaise femelle est parmi nous ! " s'écrient plusieurs femmes dans le cortège. Et Ariana redevient aussitôt la paria qui a été rejetée par les siens. Rien ne permet à ce sujet d'affirmer qu'elle puisse être une sorcière, car la marâtre a bien expliqué à Jhen que seule sa beauté lui a attiré l'inimitié des autres femmes de la cité, mais il est tout de même impossible à la demoiselle de répondre à cette accusation. Ariana devient dès lors une victime.

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Et le drame survient quelques jours plus tard, lorsque Jhen affronte en combat singulier le chef des écorcheurs. Ariana monte sur les remparts pour mieux voir ce combat et elle est aussitôt repérée par le chef des bandits. Ce dernier propose alors de lever le siège si on accepte de lui livrer la jeune femme et cela devient presque une condamnation pour elle. Mais pourquoi a t-elle été aussi curieuse, alors que les événements précédents démontraient qu'elle avait intérêt à se cacher ? Il y a là bien sûr de la légèreté, voir même une insouciance, qui sont liées à son âge et à ses sentiments amoureux. Mais il y a aussi une grande imprudence et une véritable naïveté par rapport à la réalité de sa situation.

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Ariana fuit donc la ville afin de ne pas être livrée aux écorcheurs et elle va trouver la mort au cours de cette expédition. Bien sûr, si on se rappelle le siège acharné et les sanglantes batailles qui ont eu lieu tout autour de la ville, cette issue mortelle n'est pas une grosse surprise. On pourrait même considérer que ce n'est qu'un petit drame supplémentaire, mais le chagrin de Parfait domine la fin de l'aventure. La femme qu'il aimait est morte et Jacques Martin donne une telle place à ce drame qu'il égale presque l'horreur de la bataille et des massacres dus aux écorcheurs.

La petite histoire (Parfait et Ariana) se perd donc dans la grande histoire (les écorcheurs) tout en lui donnant un supplément d'humanité. Mais oserai-je ajouter qu'Ariana n'était pas très douée pour survivre ? Cette affirmation apparait un peu trop cynique, mais il me semble tout de même qu'on ne peut pas réduire Ariana à un simple statut de victime. C'est aussi une femme qui dérange, qui est imprudente et qui sort beaucoup trop des conventions. Elle est certes bien trop férocement punie mais son expulsion de la cité paraissait tout de même évitable.  

On pourrait ainsi faire beaucoup de suppositions sur Ariana, qui est un beau personnage dramatique, mais je n'en dirai pas plus. Relevons au passage qu'elle sera bien vite oubliée par son amant dans les albums suivants, mais la vie est comme ça ! Parfait et Ariana ne sont pas Roméo et Juliette et Jacques Martin aime terminer ses histoires sur des constats réalistes. Les écorcheurs ne font pas exception à la règle.  Wink


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eleanore-clo

eleanore-clo
vieux sage
vieux sage

Les écorcheurs est une BD qui écorche le lecteur  Smile . La violence sourd de chaque page de l'intrigue. Et l'heureuse conclusion au siège de la bourgade semble démontrer que seul le mal peut soigner le mal affraid

La place des femmes se réduit à la portion congrue. Nous avons là une BD d'hommes qui combattent et tuent. Heureusement, les deux (et pas une) héroïnes sont plus paisibles et de plus, leurs caractères apparaissent fort attachants.

Dame Mathilde campe l'archétype de la maternité. Elle sauve un bébé inconnu des loups et l'élève comme sa propre fille. Et les dernières vignettes démontrent une fois de plus sa bonté puisqu'elle prend Parfait sous son aile au point de lui chercher une nouvelle compagne.

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Je trouve d'ailleurs cette vignette légèrement sexiste. Certes, on ne va pas demander à Parfait un deuil éternel mais je trouve que sa phrase a un arrière goût d'une de perdue, dix de retrouvées.

Pour en revenir à notre paysanne, il est claire qu'elle fait preuve de beaucoup de jugeote. Ce en quoi, elle rappelle Mathilde, l'héroïne de La chambre des dames. Sachant que le chef d’œuvre de Jeanne Bourin fut publié cinq années avant Les écorcheurs, on peut se demander si Jacques Martin n'a pas été influencé lorsqu'il a choisi le prénom de son personnage. Voici en tout cas ce qu'écrivait la grande romancière à propos de son héroïne. Le premier passage est au tout début du livre et raconte le réveil de Mathilde. Le second extrait conclut l'ouvrage. Je les ai choisis car on y retrouve aussi l'amour maternel et le soutien apporté par la religion  Very Happy

Elle soupira, prit des mains de Maroie un miroir d'étain poil où elle observa un moment ses traits avant d'y poser, du bout des doigts, une touche de fard blanc, fait de froment broyé, délayé dans de l'eau de rose, qu'elle étala de façon uniforme avec l'habileté que confère l'habitude. Si elle ne portait pas de cicatrices sur sa peau, de façon visible, c'était au fond d'elle même, en son âme, à des profondeurs où l’œil humain ne pouvait les déceler qu'il s'en trouvait.
Au demeurant, avec cette tendresse dénuée de fermeté qu'elle vouait au Seigneur, son plus sûr appui demeurait le vaste, l'immense amour qu'elle éprouvait pour ses enfants. Ses autres sentiments ne lui étaient pas d'un grand secours, tant s'en fallait !
...
Allons, ce ne serait pas encore pour cette fois ! L'été, d'ailleurs, n'était pas fini et elle avait un rôle important à assumer jusqu'au lendemain soir. Il s'agissait de ne pas faiblir, de se tenir en main. Ensuite... ensuite, elle s'en remettait à la grâce de Dieu !"


Venons en maintenant à notre girl de l'étape : Ariana. Avec cette jeune femme, Jacques Martin retrouve ses habitudes meurtrières  affraid et il ne manque pas de tuer son personnage à la fin de la BD. Chassez le naturel, il revient au galop  Rolling Eyes .

Parlons déjà de son prénom. Ariana fait bien évidemment penser à Ariane, la fille du roi Minos, qui donne à Thésée le fil qui lui permettra de ressortir du labyrinthe après avoir tué le minotaure. Et clairement, Ariana va donner à Parfait le fil qui lui permettra de s'émanciper d'une vie monacale dont on voit bien qu'elle ne lui convient pas. Et si Parfait n'abandonne pas Ariana à Naxos, leur romance se terminera aussi par une séparation, celle apportée par la mort.

Pleyers dessine une belle jeune femme. Sa silhouette est fine et son visage respire la fraîcheur.
Côté habillement, elle ne porte aucune coiffe. D'après les codes sociaux médiévaux, cette absence signifie qu'Ariane n'est pas mariée. Du coup, je vais ouvrir une parenthèse et vous présenter quelques-uns des couvre-chefs du Moyen Âge tardif.

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J'ai bien évidemment gardé la vedette, le hennin, apparu au XIVème siècle, pour la fin de ce panorama  Laughing

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Portrait de jeune fille coiffée d'un hennin conique, Hans Memling

Pour en revenir à Ariana et à sa personnalité, la jeune femme fait preuve d'un grand courage. Elle n'a peur ni des villageois ni des loups. Et elle n'hésite pas à prendre des risques en encourageant Jhen durant son duel face au chef des écorcheurs. Malheureusement, les habitants de La Gore n'apprécient pas l’héroïne. Ils la traitent de sorcière et veulent lui faire un bien mauvais sort.

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Raymond explique cet anathème par la beauté de la jeune femme et la jalousie des villageoises, ce que les vignettes suivantes corroborent.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 6 Jhan77 Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 6 Jhan76

Mais Dame Mathilde se retrouve aussi au banc des accusées. Et le dialogue ci-dessous mentionne deux sorcières. La beauté d'Ariana n'explique donc pas tout.

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Dans un article publié dans le journal Le Monde du 12 juillet 2020, l'historien Robert Muchembled trace le portrait robot des sorcières.
"Selon les statistiques, 80 % des sorcières étaient des femmes, en particulier des femmes âgées, pour la plupart des paysannes illettrées parlant uniquement le patois de leur région. Elles n’étaient pas révoltées contre la religion, contrairement à ce qu’a écrit l’historien Jules Michelet. Mises en marge de la société, elles étaient tout au plus amères et mécontentes de leur sort, monnayant leurs « pouvoirs » contre un peu d’argent. Non seulement elles sont accusées de faire de la magie traditionnelle : guérir, traire une vache à distance, faire tomber la pluie, envoyer des sorts pour gâter une récolte, tomber amoureux, etc. Mais elles sont aussi accusées d’avoir vendu leur âme au diable pour obtenir leurs pouvoirs. En somme, c’est la coïncidence établie par les théologiens entre la magie traditionnelle des guérisseurs et la démonologie nouvelle qui a causé la mort de ces pauvres femmes."
Peut être que le seul et unique crime de Dame Mathilde et d'Ariana est qu'elles vivent en dehors de La Gore, indépendamment, en femmes libres ?

La chasse aux sorcières revêt deux aspect, le sexisme médiéval et la chasse aux démons.  

On peut déjà remarquer le socle millénaire de la misogynie. Par exemple, Dieu a créé directement l'homme tandis que la femme est extraite de l'homme. Ainsi, le Livre de la Genèse affirme : Alors le Seigneur Dieu modela l’homme avec la poussière tirée du sol ; il insuffla dans ses narines le souffle de vie, et l’homme devint un être vivant  puis : Avec la côte qu’il avait prise à l’homme, il façonna une femme et il l’amena vers l’homme..
Le corps féminin a toujours suscité l’opprobre de l’Église. Dans La vie des femmes au Moyen Âge (2009), l'historienne Sophie Cassagnes-Brouquet relie cette répulsion à la chasteté sacerdotale. En effet, depuis le Concile d'Elvire (305), les prêtres doivent pratiquer l'abstinence sexuelle. Et ce canon est maintes et maintes fois réaffirmé notamment lors du deuxième concile de Latran (1139). Et dans une logique quelque peu tordue, la séduction du corps féminin serait à l'origine des serments rompus !
Côté littérature médiévale, le célèbre Roman de Mélusine de Jean d'Arras (1393) conte l'amour du comte Raymond pour une fée qui en fait cache un serpent !
La femme est donc parée de tous les défauts  zidane . Et elle va devenir le bouc émissaire d'une société effrayée et épuisée par la guerre.

La haine des sorciers, hommes ou femmes, était déjà présente sous les Carolingiens, comme le démontre la capitulaire (ordonnance) Admonitio generalis, promulguée par Charlemagne en 783 : "Que personne n’interroge les devins, ni commente les songes, ni s’occupe d’augures, qu’il n’y ait ni sorciers ni enchanteurs, ni pythonisses, fabricant de philtres, faiseurs de tempêtes ou de ligatures (sorcellerie sexuelle). Partout où l’on en trouvera, qu’ils se corrigent ou soient châtiés." (traduction de Jean Palou).
Mais c'est l'église, une nouvelle fois, qui va porter la haine à son acmé. En 1326, la bulle Super Illius Specula du pape Jean XXII assimile la sorcellerie, considérée jusqu'alors comme une vague superstition, à de l’hérésie. La pratique tombe donc sous le joug de l'inquisition. La situation va encore se dégrader en 1486 avec la publication du traité Malleus Maleficarum du dominicain Jacques Sprenger. Ce livre traite de la nature de la sorcellerie en agrégeant toutes les superstitions et croyances populaires, puis il expose comment capturer, juger, détenir et éliminer les adeptes de cette pratique. La haine des habitants de La Gore est donc largement répandue dans la société.

Dans l'antiquité, les pythies ou les guérisseurs incarnaient un certain pouvoir que les puissants redoutaient. Or, le Moyen Âge les voit méprisés puis chassés. La présence de charlatans peut expliquer cela mais ne faut-il pas aussi y voir un affrontement politique entre le nouveau pouvoir incarné par l’Église et les anciens ? Jacques Martin nous fait d'ailleurs vivre cette évolution. Ainsi,  un gouffre social sépare le prestigieux mage Rafa de la modeste "sorcière" Ariana. Et aucun parthe ne persécute Marah pour ses talents.

Pour en revenir aux Ecorcheurs, le maître joue une nouvelle fois avec son lecteur. La sorcière, au sens "personnage maléfique" du terme, n'est pas Ariana contrairement à ce les villageois imaginent. Car le gredin n'est pas de sexe féminin. C'est un homme. C'est Gilles de Rais ! Et l'insistance du maître à parler des odeurs nauséabonds dans Jehanne de France nous interpelle. La cause peut en être le cadavre d'un enfant qui brûle ou alors les vapeurs soufrées d'un rituel satanique. L'Histoire évoque d'ailleurs un prêtre italien, Francesco Prelati, compagnon du Baron de Retz, qui se vantait de pouvoir convoquer les démons. Peut être apparaît-il dans des opus ultérieurs de la série ?

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Je confie avoir du mal à lire Jhen. Certes le Moyen Âge vit de nombreuses tragédies. Mais il comporta aussi de beaux moments. Le religion a ainsi produit l'inquisition ET les cathédrales. Ce mélange se retrouve dans le personnage de Jhen, généreux, brillant architecte, mais en même temps ami indéfectible de Gilles de Rais. La place des femmes dans ce nouvel opus reflète aussi cette dualité. La noble et généreuse Mathilde voisine avec les furies du village.

Eléanore

Raymond

Raymond
Admin

Tu as raison ! J'aurais dû parler un peu de Dame Mathilde, une femme à la fois mûre et pleine de jugeotte ! Je lui ai moins porté d'attention parce qu'elle reste généralement au second plan mais ses commentaires révèlent qu'elle a en effet une une saine vision de la réalité.

C'est ainsi qu'elle essaie vainement d'insuffler un peu de bon sens aux deux amoureux qui entament une relation passionnée.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 6 Ecorch20

Le prochain album de Jhen (Barbe Bleue) sera principalement consacré à une femme de ce genre, que Régine Pernoud ne renierait pas. Eh oui, Jacques Martin nous réserve parfois des surprises ! Wink


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Raymond

Raymond
Admin

Venons-en à Barbe Bleue, l'abominable chef d'œuvre de Jacques Martin qui m'a fasciné dès sa sortie en librairie!

En le relisant, il m'a semblé que cet album est presque moins épouvantable que "les Ecorcheurs", car il y a tout de même moins de massacres. Jhen y retrouve par ailleurs une certaine dignité puisqu'il ose enfin affronter le terrible connétable. Jacques Martin désamorce ensuite habilement leur duel puisque Gilles de Rais éclate de rire lorsque son adversaire tombe dans l'eau, et qu'il se réconcilie ensuite avec lui au lieu de le tuer. C'est une énigme psychologique dont j'ai déjà parlé dans le sujet consacré à cet album et elle reste pour moi pour moi inexpliquée. Wink

Les femmes jouent un rôle important dans cette histoire, et il faut retenir en premier Dame Marthe qui est la propriétaire (ou une des propriétaires, ce n'est pas très clair ?) d'une grande ferme fortifiée que Jhen a pour mission de renforcer. Cette "maîtresse femme" a manifestement l'habitude de commander et on découvre dès son entrée un autre aspect du Moyen-Âge, celui des femmes. Au départ, elle semble être une matrone pittoresque et truculente puisqu'elle offre à Jhen une jeune donzelle nommée Perrine, qui partagera avec lui sa chambre (puis plus tard sa couche). Elle déclare certes (en guise d'excuse) que "la place est comptée et chacun doit partager", mais elle ajoute aussi avec malice que "à ton âge, il serait dommage de loger avec un vieillard". C'est donc une dame qui a bien vécu et qui a du franc-parler !

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Elle va cependant très vite se montrer sous un meilleur jour ! Dame Marthe est en particulier charitable puisqu'elle accepte sans hésitation d'héberger pour une nuit une bande de jeune garçons à moitié sauvages. Plus tard, elle les accueillera dans ses murs, afin de les protéger des mauvaises manœuvres de Gilles de Rais, et elle a donc manifestement un grand cœur !

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Dame Marthe fait ensuite la morale à Jhen au sujet de sa passivité devant les méfaits Gilles de Rais. "Tu n'as donc rien fait pour changer ça, toi son ami " déclare t-elle à Jhen et on retrouve ainsi son caractère très direct. Elle ajoute ensuite qu'il faut intervenir tandis que le héros se montre de son côté résigné et pessimiste. Dame Marthe possède ainsi un sens de la morale et de la justice qui fait un peu défaut chez Jhen !

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Avec Jhen, elle organise avec fermeté et dynamisme les travaux de défense autour de la ferme. Et puis, lorsque les travaux sont terminés, c'est elle qui décide Jhen à se rendre chez "Barbe bleue" pour mettre ce dernier en face de ses méfaits. Jhen accepte de prendre ce gros risque mais ... ce n'est pas lui qui a pris la décision !    Wink

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Bien sûr, Gilles de Rais réagit avec colère en face du spectacle accusateur qui a été organisé par Jhen, et le connétable fait jeter ce dernier dans une oubliette. C'est alors de nouveau Dame Marthe qui prend l'initiative de faire libérer le héros. Elle imagine un plan périlleux et montre ainsi beaucoup d'énergie et d'audace ! En fait, elle n'a peur de rien !

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Une fois Jhen libéré, Gilles de Rais vient assiéger la ferme de Dame Marthe et cette dernière ne se décourage pas ! Elle se prépare à affronter l'ennemi et elle se montre irréprochable.

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Elle disparait du récit après le duel avorté de Jhen contre Gilles de Rais et on ne peut hélas qu'imaginer ce qu'a été sa réaction après la réconciliation des deux hommes. J'imagine assez volontiers une déclaration truculente mais Jacques Martin n'a pas osé nous raconter cela. C'est un peu dommage, au fond, car Dame Marthe méritait au moins un petit au revoir, mais Jacques Martin était bien sûr davantage obsédé par le sort de Gilles de Rais.

Ceci dit, Jacques Martin a tout de même créé une magnifique et forte femme dans cette pénible histoire d'enfants sacrifiés et on ne peut que lui en tenir gré. Dame Marthe est en effet une femme d'âge mur au tempérament réaliste et positif, et ce n'est pas une méchante matrone ni une bourgeoise ridicule comme on en trouve trop souvent dans ses albums. Elle est proche de certains personnages que l'on peut voir dans les Contes du Canterbury ou dans le Décaméron, et c'est un autre aspect du monde féminin médiéval qui a existé et qui reste souvent méconnu.

Certes, Jacques Martin ne s'est certainement pas identifié à Dame Marthe (car il n'aurait sinon pas abandonné abruptement le personnage au cours du récit) mais il a eu l'audace d'imaginer une femme libre et entreprenante, et également un peu dominatrice, dans un monde médiéval habituellement dirigé par les hommes. Le père d'Alix était ainsi capable de dépasser certaines conventions propres à la BD du 20ème siècle.

Je suppose qu'eleanore-clo n'en sera pas du tout fâchée !  Very Happy


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Raymond

Raymond
Admin

Complétons le précédent message en parlant aussi des autres personnages féminins que l'on trouve dans Barbe Bleue.

Il y a d'abord Dame Felina, une gouvernante (ou peut-être une servante) qui travaille dans le Château de Gilles de Rais. Elle prend le parti d'aider le garçonnet Hugues lors de son expédition nocturne dans le château (destinée à délivrer Jhen) et c'est un personnage complexe. Elle connait bien sûr les méfaits du seigneur des lieux mais elle continue à travailler chez lui car il lui faut bien un toit et quelque chose à manger. Au cours de ses entreprises, elle fait preuve de jugeotte et de vivacité d'esprit et Jhen lui doit certainement de retrouver sa liberté. Son apparition dans l'album est assez courte mais mais c'est une autre "femme forte" dans cet album où il faut faire preuve de caractère pour survivre.

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Et puis il y a la jeune Perrine, une demoiselle qui partage la chambre et la couche de Jhen pendant une bonne partie de l'aventure. Elle est avenante et pas très farouche, et fait simplement partie de la longue liste des jeunes (et provisoires) compagnes de Jhen. Souvent dénudée, la "donzelle" (c'est ainsi que la présente Jacques Martin) fait peu de déclarations réellement intéressantes et correspond probablement à l'envie des deux auteurs de montrer un Moyen-Âge aux mœurs très libres. On aura l'occasion de reparler de cet aspect dans les albums suivants.   Wink

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eleanore-clo

eleanore-clo
vieux sage
vieux sage

Je poursuis mon chemin de croix avec Barbe-Bleue. Brrr.

Je confie ne comprends ni le titre de la BD, ni son scénario, ni les personnages. Mais qu'à cela ne tienne ! Quand on aime Jacques Martin, on ne compte pas  Smile .
Pour cette chronique, je vais donc en premier lieu aborder la BD puis poursuivrai ma petite bonne femme de chemin avec les héroïnes, et conclurai en abordant le thème de la sexualité au Moyen Âge.

Allons y ! La Barbe bleue est un conte populaire dont la plus célèbre version fut écrite par Charles Perrault. Uxoricide et infanticide ne recouvrant pas la même réalité, pourquoi Jacques Martin a t'il choisi un tel titre ? Peut être dans une logique d'aguicher les lecteurs ? Peut être parce qu'il a tout simplement commis une erreur ? Et puis, quelle artificialité  Crying or Very sad . Les incroyables contorsions du maître pour amener son jeu de mots manquent singulièrement de consistance. Avant de lire la BD, j'ignorais l'existence d'une race de cheveux s'appelant Barbe. Et la robe bleu nuit pose aussi problème par son extrême rareté au point que le coloriste s'est rabattu sur le noir. Qu'en pensent les membres du forum ?

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Barbe bleue - illustration de Gustave Doré

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Le deuxième souci de la BD est la relation entre Jhen et Gilles de Rais. L'architecte itinérant a besoin d'un protecteur et on pourrait voir un pari faustien où le maître d’œuvre braderait sa probité contre des commandes de travaux. Que nenni puisque la renommée de Jhen semble telle qu'il est régulièrement sollicité pour des chantiers. Et puis le jeune homme contre en permanence les crimes de son ami, les plus horribles comme les plus  prosaïques. La destruction des tentures et tapisseries volées à la reine Yolande d'Aragon illustre parfaitement le combat du héros. Je suis donc très perplexe sur cet opus et plus globalement sur la série où la personnalité de Jhen est rien moins qu’ambiguë et incompréhensible.

Troisième souci, le machisme surprenant de Jhen dans cet opus. Il y profite sans vergogne du corps de Perrine, jeune paysanne mise à sa disposition par Dame Marthe, la responsable de la ferme, qui s’érige ici en proxénète ! Les rapports sexuels avec cette campagnarde constitueraient-ils une monnaie d'échange, en contrepartie de la réparation des fortifications ?

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Je vais conclure ma diatribe sur l'usage inadapté de l’Éros et du Thanatos. Malheureusement, beaucoup de scénaristes de BD aguichent le lecteur en usant et abusant du concept. Un débat a d'ailleurs agité notre forum quant à La vengeance du Comte Skarbek. Pour essayer de creuser le sujet, je vous propose de voyager en Grèce antique. Le philosophe Empédocle voyait le cosmos comme le résultat du conflit permanent entre l'amour et la haine : "Cette alternance en va-et-vient continu n'a pas de fin : tantôt par l'Amour dans l'un tout se rassemble, tantôt, de nouveau, chaque élément, séparé, est emporté çà et là par Discorde et sa haine." (traduction de Battistini). Et plus près de nous, Freud a développé ce concept dans Au-delà du principe du plaisir (1920). Le père de la psychanalyse oppose les pulsions de vie qu'il appelle Éros et les pulsions de mort, anonymes : "Des  considérations  développées  dans  le  chapitre  précédent  se  dégage  la conclusion qu'il existe une opposition tranchée entre les « instincts du moi » et  les  instincts  sexuels,  les  premiers  tendant  vers  la  mort,  les  derniers  au prolongement de la vie." (traduction de Jankélévitch). Pour en revenir à Barbe-Bleue, nous devrions donc avoir l'opposition Jhen/vie-Éros et Gilles de Rais/mort. Or, Jacques Martin met bêtement en regard les galipettes de l'architecte avec les viols mortels du Baron de Retz  gun .

Regardons maintenant les personnages féminins de la BD. Raymond en mentionne trois et je pense que la liste doit aussi compter Louisa, la facétieuse habitante du château qui "joue" avec le pauvre Hugues lorsque celui-ci tente de délivrer Jhen. Jacques Martin nous gâte donc en sortant de son chapeau magique quatre protagonistes  Very Happy , même si les rôles de Perrine et Louisa relèvent de l'anecdote.

Je partage pleinement l'analyse de Raymond sur la stature de Dame Marthe, la propriétaire de la grande ferme.
Elle règne sur son domaine en despote éclairée et veille à la sécurité de son petit royaume en faisant réparer les fortifications. Son pouvoir est total comme le démontre la singulière "offrande" de Perrine à Jhen  Shocked .

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Néanmoins, la métayère fait preuve de générosité en accueillant les enfants "perdus". La vignette ci-dessous est fort émouvante puisque nous voyons un des enfançons se réfugier dans les bras de la maîtresse femme et y chercher un peu de réconfort.

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Et son paternalisme bourru (je n'ose pas dire maternalisme  Smile ) cache un amour fort pour "sa" petite communauté. Pleyers le dessine fort bien dans les illustrations ci-dessous : les mains donneuses d'ordre se transforment en mains protectrices.

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Jacques Martin appréciait les femmes de pouvoir. Et Dame Marthe s'inscrit tout naturellement dans la continuité d'Adréa ou de Saïs même si elle n'en a pas la noblesse.

La stature des autres femmes est moindre. Néanmoins Dame Felina émerge du lot. En quelques vignettes, l'héroïne démontre des capacités morales hors normes. La phrase encadrée en rouge dans le phylactère ci-dessous présente les risques qu'elle prend en protégeant Hugues et en délivrant Jhen. En fait, les seigneurs féodaux achètent la loyauté de toute une populace en offrant gîte et couvert à des paysans ou des villageois qui seraient misérables sans cette protection. Toute la perversité / subtilité de la féauté est parfaitement résumée par cette circonvolution.

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j'ai comparé Dame Marthe et des héroïnes de la série Alix, ne peut-on construire d'autres ponts entre les séries de Jacques Martin ? Quelle série et quel protagoniste évoquer ? Et bien, je suis tentée de lorgner du côté de Lefranc et de tenter un rapprochement osé, mais pas si fol que cela, avec Belinda. Les deux personnages sont pris dans des drames les dépassant. Belinda m'apparait comme active certes, il n'est qu'à se souvenir de la bombe dans le clocher. Néanmoins, je la classerais plutôt dans la mouvance de Stirling. Je l'imagine hypnotisée par la haine de son cousin et suivant ses directives. La scène où elle s'interpose entre Lefranc et Hiss correspond à son affranchissement d'un dogme mortifère qu'elle ne partage fondamentalement pas. Il me semble que le choix de Dame Félina relève de la même problématique. Prenant un risque personnel important, la jeune femme décide d'entrer en résistance et de refuser le credo féodal de l'obéissance absolue à son seigneur.

Face à tant de qualités, Perrine et Louisa apparaissent bien superficielles, presque creuses.

Pour parler vulgairement, Perrine est une des "couvertures" fournies par le domaine pour réchauffer Jhen dans son lit Evil or Very Mad . Elle fait son "travail" sans rechigner. Mais cela s'arrête là. Ainsi, Dame Marthe lui reproche sa passivité lorsque les enfants perdus attaquent la ferme.

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Et la jeune femme fait preuve de défaitisme et de manque de sensibilité lorsqu'elle voit Jhen dessiner les plans d'une cathédrale.

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En fait, Perrine n'est qu'un corps  Crying or Very sad . Et Louisa opère dans le même registre, même si un humour grivois lui confère plus de légèreté et de substance.

A ce sujet, la gravelure de Barbe-Bleue est patente avec plusieurs vignettes sensuelles. Il me semble donc que nous pourrions rebondir sur cet aspect en abordant le sujet de la sexualité médiévale. Pour le paragraphe qui suit, je me suis appuyée sur les travaux de la chercheuse Maryse Jaspard et plus particulièrement sa Sociologie des comportements sexuels (2005).
Tout d'abord et à l'opposé de ce que suggère la BD, les mœurs n'étaient pas aussi libres. En l'absence de moyens de contraception efficace, les naissances hors mariage eussent dû être nombreuses. Or, les registres paroissiaux en chiffrent la proportion à moins de 1%.
Sexualité et mariage étant fortement liés par l’Église, nous allons maintenant aborder le registre des hyménées.
On peut  tout d'abord noter que l'âge des époux va évoluer durant tout le Moyen Âge. Alors que les époux appartiennent à la même génération jusqu'au XIIIème siècle, l'écart va progressivement se creuser. Les jeunes filles sont mariées jeunes, avant 16 ans, alors que les garçons ont plus de 25 ans car ils ont dû attendre d'avoir des revenus pour fonder une famille. Les premiers rituels liturgiques du mariage consacrés par la présence d'un prêtre apparaissent vers 1100, à une époque où les mariages sont arrangés par les familles, afin de renforcer les alliances et d'accroître les patrimoines. Avant le XIIème siècle, la femme n'est qu'un objet d'échange que le mari peut à son gré renvoyer et remplacer. L'adultère masculin et le concubinage sont largement tolérés. La doctrine chrétienne transforme fondamentalement l'institution. Le mariage devient monogame et indissoluble, l'adultère est prohibé, et le consentement mutuel des deux futurs époux exigé. La christianisation du mariage représente donc une progression des droits des femmes. Le consentement mutuel confère l'égalité morale entre époux et l'indissolubilité de l'union protège les femmes de l'arbitraire marital.
La nuit de noces est un rituel initiatique violent pour les deux époux. Et par la suite, la soumission de l'épouse au devoir conjugal fera force de loi jusqu'au milieu du XXème siècle. L’Église et même les médecins ont beaucoup préconisé sur l'accouplement : une prescription chrétienne du VIe  siècle l'interdit pendant les périodes d'impureté ( boxe2 ) de la femme (règles, grossesse, allaitement) ainsi que pendant les fêtes religieuses. La position des corps est aussi codifiée avec l'homme dessus la femme dans une allégorie du paysan qui sème.  
Les logements sont étroits et la promiscuité est la règle. Le lit des paysans accueille toute la maisonnée et la pudeur moderne n’apparaît qu'au XVIIème siècle
La prostitution existe malgré l'interdiction de Saint-Louis. Ainsi, au XIVème siècle, les municipalités mettent en place des prostibulum qui encadrent la pratique et assurent un statut aux "mérétrices" : https://www.universalis.fr/encyclopedie/prostitution-au-moyen-age/2-du-xive-au-xvie-siecle-la-prostitution-controlee-par-les-autorites-municipales/.
Une autre régulation de la sexualité existe. Sous le contrôle des édiles locaux, les garçons sont regroupés dans les abbayes de jeunesse. Ces confréries prennent souvent des allures de bandes armées déversant leur fureur sur les personnes socialement marginalisées, femmes seules, couples discordants, étrangers, etc.
Pour terminer ce tour d'horizon, parlons de la fidélité. Dans le « mâle Moyen Âge », malgré les interdits religieux, adultère et concubinage sont très répandus, y compris parmi les ecclésiastiques. Les seigneurs exercent leur « droit de cuissage » à l'encontre des domestiques, mais aussi des jeunes paysannes, quand ce ne sont pas les femmes de la parentèle elle-même qui sont offertes par le maître à ses chevaliers ou à ses hôtes. En revanche, soupçonnée d'infidélité, toute femme noble met en péril la pureté de la lignée...  Shocked Ces pratiques concernent surtout les villes et les puissants. L'absence de naissances illégitimes dans les campagnes jusqu'au milieu du XVIIIème siècle prouve l'inexistence d'un concubinage rural.
 
Je vous propose maintenant de conclure et donc d'en revenir à Barbe-Bleue. Ma perception est (à tort?) que c'est une BD "mal fagotée". Sur le site bedetheque, elle occupe la queue du classement des votes relatifs aux huit premiers Jhen. On observe la même appréciation des internautes abonnés au site Babelio.  Jacques Martin s'est acoquiné avec le diable pour écrire le scénario. mais au final, depuis Faust 1 de Goethe, nous savons tous qu'il est dangereux de traiter avec le Malin  Evil or Very Mad . Et le démon a transformé l'habituelle qualité scénaristique martinienne en un sombre fouillis. Il n'en reste pas moins une BD féministe mettant en scène deux héroïnes fortes : Marthe et Felina.

Eléanore

Raymond

Raymond
Admin

Merci de cette longue analyse qui m'a permis de découvrir un mot (uxoricide) que je n'avais jamais entendu !   pouce  

Comme tu soulèves beaucoup d'idées qui font matière à débat, je ne répondrai pas en un seul message. J'étalerai plutôt mes arguments sur plusieurs posts, et sur plusieurs jours.    

Et commençons tout de suite par le titre de l'album, qui est "Barbe Bleue" ! Tu contestes (et tu t'étonnes de) l'association qui est faite par Jacques Martin entre l'assassin du conte de Charles Perrault et le grand seigneur médiéval qu'était Gilles de Rais. Je n'ai pour ma part jamais été étonné. Faut-il le rappeler, Jacques Martin n'est pas l'inventeur de cette assimilation. Je sais bien que les crimes de Barbe Bleue (les assassinats de ses épouses) sont bien différents des méfaits de Gilles de Rais ( violences puis assassinats sur des jeunes garçons), mais ces crimes monstrueux ont tout de même été associés, voir même confondus, depuis longtemps dans certaines traditions populaires. Si on analyse le lien qui existe ces deux personnages d'une manière historique, il y a peu de documents qui soutiennent tout cela. Mais comme cette confusion dure depuis plusieurs siècles, le titre de l'album de Jacques Martin devient ainsi tout à fait légitime.  Wink

Tu contestes aussi la justification que Jacques Martin donne dans l'album sur la "barbe bleue". Jhen déclare en effet que l'on a vu "un étrange cavalier montant un cheval (avec une) barbe à la robe bleue nuit", et cette description te paraît bien alambiquée. Mais cela aussi, Jacques Martin ne l'a pas inventé ! Ce sont des traditions orales, dont il ne reste que des écrits bien plus tardifs, et Jacques Martin n'a pas cherché à les corriger. Quand il raconte une aventure, il ne cherche pas toujours à faire œuvre d'historien. Il lui plaisait d'ajouter une référence littéraire à son récit moyenâgeux et personne n'est vraiment dupe. Il existe au départ deux traditions orales différentes, qui ont fini par se confondre, et cela permet en effet d'aguicher un peu les lecteurs. Mais un titre peut aussi servir à cela. pirat


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Raymond

Raymond
Admin

Parlons maintenant de ta deuxième objection, qui est une incapacité à comprendre le scénario de "Barbe Bleue" !   Cool

Cette remarque, je la comprends fort bien puisque c'est la première idée qui m'est venu en tête en ouvrant le "sujet Barbe Bleue" dans le forum d'Alix. Comment Jhen, qui est au fond un "clône d'Alix" (et donc un justicier) peut-il rester l'ami de ce montre sanguinaire et pédophile qu'est Gilles de Rais ? Quelle en est la logique psychologique ? Comment concilier cette accointance bizarre avec la volonté de justice et de bienfaisance qui est supposée animer Jhen ?

En fait, je ne vois pas de bonne explication scénaristique à cette amitié indéfectible. Au début de la saga, dans "l'Or de la Mort", Gilles de Rais est un grand gentilhomme et un ancien compagnon de Jeanne d'Arc dont le prestige est indéniable, et on peut comprendre qu'il séduise alors le héros. A partir de "Barbe Bleue", par contre, tous les masques tombent et Jhen découvre l'horreur des crimes du connétable. Le héros de la série dénonce certes les malveillances de Gilles dans une petite pièce de théâtre, avant d'être emprisonné dans un cachot puis de s'évader, et la suite logique serait qu'ils deviennent des ennemis mortels. Mais voilà, ils se réconcilient et c'est à n'y rien comprendre ! Est-ce de la lâcheté, de la fourberie ou simplement une légèreté inconséquente de la part de Jhen ? Je penche pour la dernière réponse mais cela reste tout de même impardonnable, et surtout incompréhensible si on se réfère au caractère habituel du jeune architecte.

La seule réponse (qui n'en est d'ailleurs pas vraiment une), c'est que Gilles de Rais est le personnage principal de la série et qu'il fascine Jacques Martin. Le connétable est en effet une réalité historique et au lieu de raconter des affrontements répétés entre Jhen et Gilles de Rais (qui deviendrait alors une sorte d'Arbacès), l'auteur préfère imaginer (ou il trouve plus simple) que ces deux personnages restent des amis. Certes, Jhen désapprouve (et réprimande parfois) le seigneur de Tiffauges, mais il ne met pas fin à ses exactions. Et il y a là un manque de cohérence avec ce que Jhen démontre le reste du temps. Le héros posséderait-il lui aussi un côté obscur ? Je ne crois pas et il faut simplement admettre que cette amitié est incompréhensible. Et bien sûr, c'est dans "Barbe Bleue" (lorsque tout se dévoile) que cette incompréhension est la plus forte. Dans les albums suivants on se pose moins la question car la bizarrerie s'est installée. Cela devient même une règle dans la série, que l'on ne questionne plus.

Les rares explications que donne Jacques Martin dans "Avec Alix" sont à cet égard peu satisfaisantes. Voici par exemple ce qu'il écrit :

"Gilles de Rais échappe à notre compréhension. C'est en cela qu'il fait peur.  (...) ce qui, personnellement, me fascine chez lui, ce n'est pas sa monstruosité, c'est aussi sa modernité. Bien qu'il ait vécu au Moyen Age, c'était un homme de la Renaissance, un précurseur. (...) En présence d'une destinée aussi singulière, on ressent le même vertige qu'au bord d'un précipice."

Jacques Martin n'arrive donc pas à décrire Gilles de Rais comme un méchant homme. Dans les albums qui suivent Barbe Bleue, il le montre souvent sous l'aspect d'un homme misérable, torturé par l'horreur de ses propres crimes et qui recherche le pardon. Et c'est d'ailleurs le sens de la conclusion étrange du récit de "Barbe Bleue". Abandonnant passagèrement la tentation de la chair, Gilles de Rais se réfugie dans une religiosité assez naïve, voir même infantile, en adorant une statue et en espérant qu'il y aura un miracle.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 6 Barbe-22

Gilles de Rais devient ainsi un pauvre homme qui est perdu entre deux tentations extrêmes : la sainteté (Jeanne d'Arc, la statue de la Vierge) d'une part, et les sacrilèges (la sodomie, l'alchimie) d'autre part. Peut-on accepter cela ? Pour ma part, il m'inspire plutôt un mélange de dégoût et de rejet, et je préfère d'ailleurs souvent les albums où Gilles de Rais n'apparait pas (comme par exemple l'Alchimiste ou la Cathédrale). Mais voilà, l'envie de raconter son histoire est à l'origine de la création de Jhen, dont il reste un peu le personnage principal, et il faut faire avec cette constatation.

Jhen est ainsi une série bien différente d'Alix, à plusieurs égards.


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eleanore-clo

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Raymond a écrit:

"Gilles de Rais échappe à notre compréhension. C'est en cela qu'il fait peur.  (...) ce qui, personnellement, me fascine chez lui, ce n'est pas sa monstruosité, c'est aussi sa modernité. Bien qu'il ait vécu au Moyen Age, c'était un homme de la Renaissance, un précurseur. (...) En présence d'une destinée aussi singulière, on ressent le même vertige qu'au bord d'un précipice."

Jacques Martin n'arrive donc pas à décrire Gilles de Rais comme un méchant homme. Dans les albums qui suivent Barbe Bleue, il le montre souvent sous l'aspect d'un homme misérable, torturé par l'horreur de ses propres crimes et qui recherche le pardon. Et c'est d'ailleurs le sens de la conclusion étrange du récit de "Barbe Bleue". Abandonnant passagèrement la tentation de la chair, Gilles de Rais se réfugie dans une religiosité assez naïve, voir même infantile, en adorant une statue et en espérant qu'il y aura un miracle.


Malheureusement, la pédophilie a bénéficié du soutien de nombreux intellectuels, comme le démontre la tristement célèbre tribune publiée dans Le Monde du 27 janvier 1977 : https://www.lemonde.fr/archives/article/1977/01/26/a-propos-d-un-proces_2854399_1819218.html. L'aplomb inouï, le raisonnement biaisé et l'ego effarant des signataires ont démontré que le génie pouvait côtoyer la plus grande bassesse.
La fascination de Jacques Martin pour Gilles de Rais ne se situerait elle pas dans la continuité de cette tribune ? Certes, pédophilie et pédocriminalité sont deux choses différentes. Mais la défense de l'indéfendable par des notables et l'invention de moult circonstances atténuantes rendant moins monstrueux le Seigneur de Machecoul ne sont-elles pas dans le même plan ? Tout cela me fait froid dans le dos  affraid .

Eléanore

eleanore-clo

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vieux sage
vieux sage

L'article est protégé et une lecture intégrale nécessite d'être abonnée au Monde. Voici donc le texte en mode accessible pour tous. Les signataires sont bien évidemment à la fin du manifeste.
La liste des noms est édifiante !

Eléanore

À PROPOS D'UN PROCÈS
Le Monde

Publié le 26 janvier 1977 à 00h00 - Mis à jour le 26 janvier 1977 à 00h00
Temps deLecture 2 min.
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Nous avons reçu le communiqué suivant :

" Les 27, 28 et 29 janvier, devant la cour d'assises des Yvelines, vont comparaître, pour attentat à la pudeur sans violence sur des mineurs de quinze ans, Bernard Dejager, Jean-Claude Gallien et Jean Burckhardt, qui, arrêtés à l'automne 1973, sont déjà restés plus de trois ans en détention provisoire. Seul Bernard Dejager a récemment bénéficié du principe de la liberté des inculpés.

"Une si longue détention préventive pour instruire une simple affaire de " mœurs ", où les enfants n'ont pas été victimes de la moindre violence, mais, au contraire, ont précisé aux juges d'instruction qu'ils étaient consentants (quoique la justice leur dénie actuellement tout droit au consentement), une si longue détention préventive nous paraît déjà scandaleuse.

" Aujourd'hui, ils risquent d'être condamnés à une grave peine de réclusion criminelle soit pour avoir eu des relations sexuelles avec ces mineurs, garçons et filles, soit pour avoir favorisé et photographié leurs jeux sexuels.

" Nous considérons qu'il y a une disproportion manifeste, d'une part, entre la qualification de " crime " qui justifie une telle sévérité, et la nature des faits reprochés ; d'autre part, entre le caractère désuet de la loi et la réalité quotidienne d'une société qui tend à reconnaître chez les enfants et les adolescents l'existence d'une vie sexuelle (si une fille de treize ans a droit à la pilule, c'est pour quoi faire ?).

" La loi française se contredit lorsqu'elle reconnaît une capacité de discernement à un mineur de treize ou quatorze ans qu'elle peut juger et condamner, alors qu'elle lui refuse cette capacité quand il s'agit de sa vie affective et sexuelle.

" Trois ans de prison pour des caresses et des baisers, cela suffit. Nous ne comprendrions pas que le 29 janvier Dejager, Gallien et Burckhardt ne retrouvent pas la liberté. "

Ont signé ce communiqué : Louis Aragon, Francis Ponge, Roland Barthes, Simone de Beauvoir, Judith Belladona, docteur Michel Bon, psychosociologue, Bertrand Boulin, Jean-Louis Bory, François Chatelet, Patrice Chéreau, Jean-Pierre Colin, Copi, Michel Cressole, Gilles et Fanny Deleuze, Bernard Dort, Françoise d'Eaubonne, docteur Maurice Eme, psychiatre, Jean-Pierre Faye, docteur Pierrette Garrou, psychiatre, Philippe Gavi, docteur Pierre-Edmond Gay, psychanalyste, docteur Claire Gellman, psychologue, docteur Robert Gellman, psychiatre, André Glucksmann, Félix Guattari, Daniel Guérin, Pierre Guyotat, Pierre Hahn, Jean-Luc Henning, Christian Hennion, Jacques Henric, Guy Hocquenghem, docteur Bernard Kouchner, Françoise Laborie, Madeleine Laïk, Jack Lang, Georges Lapassade, Raymond Lepoutre, Michel Leyris, Jean-François Lyotard, Dionys Mascolo, Gabriel Matzneff, Catherine Millet, Vincent Monteil, docteur Bernard Muldworf, psychiatre, Négrepont, Marc Pierret, Anne Querrien, Griselidis Real, François Régnault, Claude et Olivier Revault d'Allonnes, Christiane Rochefort, Gilles Sandier, Pierre Samuel, Jean-Paul Sartre, René Schérer, Philippe Sollers, Gérard Soulier, Victoria Thérame, Marie rhonon, Catherine Valabrègue, docteur Gérard Vallès, psychiatre, Hélène Vedrines, Jean-Marie Vincent Jean-Michel Wilhelm, Danielle Sallel nave, Alain Cuny.

Raymond

Raymond
Admin

eleanore-clo a écrit:

Malheureusement, la pédophilie a bénéficié du soutien de nombreux intellectuels, comme le démontre la tristement célèbre tribune publiée dans Le Monde du 27 janvier 1977 : https://www.lemonde.fr/archives/article/1977/01/26/a-propos-d-un-proces_2854399_1819218.html. L'aplomb inouï, le raisonnement biaisé et l'ego effarant des signataires ont démontré que le génie pouvait côtoyer la plus grande bassesse.
La fascination de Jacques Martin pour Gilles de Rais ne se situerait elle pas dans la continuité de cette tribune ? (...)

Eléanore
Oui et ... non quand même !    Rolling Eyes

Tout d'abord, Jacques Martin n'est pas lui même pédophile !

Ensuite, son album Barbe Bleue ne fait pas du tout l'apologie de la pédophilie. Bien au contraire ! Jacques Martin nous montre surtout les aspects terrifiants et dégoutants de la chose. Gilles de Rais nous fait horreur et il n'y a donc aucune ambiguïté dans la BD.

L'horreur, voilà peut-être le mot-clé de ce livre ! Jacques Martin est en effet fasciné par un monstre de même que les amateurs de films d'horreur sont fascinés par des personnages comme Frankenstein et Dracula. Et ce qui est encore plus fascinant, c'est que ce monstre-là (Gilles de Rais) a vraiment existé. Voilà donc un beau sujet à explorer et à raconter ! Mais il y a tout de même un risque : celui d'être maladroit !

Jacques Martin est avant tout un conteur d'histoire, et il essaie de rendre crédible ce qu'il raconte. Il ne peut ainsi pas s'empêcher d'humaniser Gilles de Rais à qui il trouve quand même quelques qualités. Et ainsi, l'auteur ne condamne pas tout à fait explicitement son personnage. Mais ce que fait Gilles de Rais est tellement monstrueux que la réprobation semble tout de même évidente dans son livre (et dans la série).

Ceci dit, il est vrai qu'à l'époque de la publication de Barbe Bleue, des intellectuels de gauche se vantaient d'être pédophiles. Certains d'entre eux sont même venus à la télévision pour s'en glorifier. Je me rappelle par exemple de l'écrivain Gabriel Matzneff qui était venu un soir à l'émission de Bernard Pivot, et qui expliquait avec supériorité à l'assistance (et aux téléspectateurs) la beauté des amours pédophiles. Il n'avait pas été condamné (ni même censuré) à ce moment-là et j'avais réellement été stupéfié par ce que j'entendais ! Heureusement, cela ne pourrait plus se passer comme ça aujourd'hui.

Le problème de Jacques Martin est tout à fait différent. Son attitude est au fond un peu comparable à celle de Jhen ! Il est horrifié par les crimes de Gilles de Rais mais il ne peut pas s'empêcher d'admirer les aspects brillants du personnage. Et surtout, il voit la chose d'une manière assez intellectuelle ! Ceci dit, dans les albums de Jhen qui suivent Barbe Bleue, l'auteur montrera encore souvent les aspects répugnants du personnage et on ne peut donc pas l'accuser de complaisance.

Aujourd'hui, cette attitude "intellectuelle" ne passe plus du tout et nous en concluons (ou plutôt j'en conclus) que son histoire manque de logique !  Wink


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Raymond

Raymond
Admin

Ecornons au passage cette théorie psychanalytique d'Eros et Thanatos qui, à mon avis, n'a pas vraiment sa place quand on parle de Gilles de Rais. deso

Sigmund Freud avait élaboré cette théorie en fonction d'observations qu'il avait faites pendant ses psychanalyses, et le concept a certainement beaucoup d'intérêt dans un cadre thérapeutique psychiatrique. Le lien direct (et l'alternance) entre des pulsions de vie et de mort peut être un outil d'analyse tout à fait utile, mais il ne saurait être une excuse. Par ailleurs, cet outil ne peut s'appliquer qu'à une personne capable d'avoir des sentiments et de faire preuve d'humanité. Et avec Gilles de Rais, on n'est plus du tout dans ce genre de situation.

D'un point de vue psychiatrique, Gilles de Rais est un psychopathe, c'est à dire un monstre froid dépourvu de toute empathie, qui n'a aucune sensibilité envers l'humanité des autres. Il ne manifeste aucun sentiment et la seule chose qui compte, c'est son plaisir. Gilles de Rais utilise donc des enfants comme des objets pour satisfaire ses envies, sans se préoccuper de leur souffrance. Une fois le plaisir atteint, il se débarrasse froidement des corps pour les faire disparaître, comme un criminel qui veut dissimuler ses crimes (car il sait que la loi et la religion condamnent ces actes). Il n'y a plus rien d'humain dans une telle attitude et un traitement psychanalytique devient inadéquat, d'abord parce qu'il sera inefficace (le criminel n'a aucun sentiment) et ensuite parce qu'il devient une excuse. Comme diraient certains psychiatres que je connais bien, il n'y a pas de véritable traitement dans ce genre de cas. La seule issue est de "cadrer" le psychopathe et de lui rappeler ce qui est interdit. Pour faire cela, on passe souvent par la voie judiciaire.

Je n'ai donc pas du tout envie de faire appel à Eros et Thanatos pour mieux comprendre cet album. Par ailleurs, Jacques Martin n'était pas féru de psychiatrie (ou de psychanalyse) et je ne pense pas qu'il aurait voulu s'abriter derrière cette thèse. L'auteur a simplement raconté des événements qui se sont réellement déroulés. Certes, Jacques Martin essaie d'humaniser un peu Gilles de Rais, en imaginant que le Connétable ait éprouvé des remords, mais je doute que cela fût réellement le cas. Ce genre de criminel est généralement incapable d'éprouver la compassion. Evil or Very Mad


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eleanore-clo
vieux sage
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Hum...
Je vais essayer de préciser mes propos.

Tout d'abord, Freud n'emploie pas le mot Thanatos... C'est pourquoi je propose de partir de la citation qui est plus précise qu'un discours un peu trop convenu  : "Des  considérations  développées  dans  le  chapitre  précédent  se  dégage  la conclusion qu'il existe une opposition tranchée entre les « instincts du moi » et  les  instincts  sexuels,  les  premiers  tendant  vers  la  mort,  les  derniers  au prolongement de la vie."
Gilles de Rais est bien évidemment submergé par l'instinct du moi. Son plaisir, même s'il entraine la mort d'enfants, passe avant tout. Et le moins qu'on puisse dire est que Jhen profite sexuellement de la vie ! Jacques Martin suit donc parfaitement la route ouverte par le père de la psychanalyse.

Revenons en maintenant à Empédocle ! Là encore, j'en reviens à la citation : "Cette alternance en va-et-vient continu n'a pas de fin : tantôt par l'Amour dans l'un tout se rassemble, tantôt, de nouveau, chaque élément, séparé, est emporté çà et là par Discorde et sa haine." Dame Marthe incarne l'amour et le rassemblement. Alors que Gilles de Rais porte une discordance dans ses pratiques sexuelles. Et si je suis d'accord avec vous sur son absence totale de culpabilité. Ses pleurs ne traduisent aucun regret juste une peur pour son âme immortelle. Mais, la haine qu'il n'éprouve pas est suscitée chez les autres.

CQFD  Smile

En tout cas, Gilles de Rais est vraiment l'incarnation du mal car, même en temps que personne de papier, il crée des divisions, y compris sur le forum  Laughing  Twisted Evil

Eléanore

Raymond

Raymond
Admin

Comme je ne suis pas féru de psychanalyse, je n'entamerai pas de débat sur ce sujet mais je n'en pense pas moins.   Cool

Revenons plutôt aux femmes !  Very Happy

Il peut être bien sûr intéressant de chercher des liens entre les différentes séries de Jacques Martin, et de comparer les femmes qui apparaissent dans Jhen et dans Lefranc. Celles que l'on voit dans Lefranc sont en général beaucoup plus sages, il faut bien le dire. Tu évoques cependant le personnage de Belinda, une jeune femme discrète et bienveillante (dans le "Repaire du Loup") qui prend parfois des décisions périlleuses et ... pourquoi pas ?

Face à ces dames du Moyen-Âge qui sont énergiques et pleines de tempérament, je penserai plutôt à une femme comme Maureen, une irlandaise joyeuse et extravertie qui aide Lefranc avec beaucoup d'efficacité dans "le Vol du Spirit". C'est un album que tu ne connais pas encore et dont on parlera peut-être  quand on en arrivera aux années 90 (si on a encore le courage Wink ).  C'est hélas une BD qui a uniquement de l'intérêt pour son scénario, car le dessin de Gilles Chaillet y devient un peu défaillant, mais il serait tout de même intéressant de discuter de ce personnage (Maureen) qui est assez exceptionnel dans l'œuvre de Jacques Martin !


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Raymond

Raymond
Admin

Sinon, je te remercie d'avoir aussi ajouté dans ton message une petite présentation sur la sexualité au Moyen-Âge. Le monde occidental actuel en a une connaissance très incomplète et souvent erronée.    pouce

Il est vrai qu'avec un ouvrage comme les "Contes de Canterbury" (qui ont jadis été adaptés au cinéma), on pourrait croire qu'il existait une grande liberté sexuelle pendant le Moyen-Âge. Ce n'était cependant pas du tout le cas. La religion et la morale traditionnelle gardaient une place très importante dans la vie sociale et les mœurs assez libres que l'on trouve dans Jhen étaient plutôt une exception.

Il est sinon tout à fait juste qu'il existe un certain machisme dans "Barbe Bleue", car on y voit souvent une Perrine totalement dénudée. Elle est réduite à n'être qu'un "corps" et ce genre de jeune femme réapparait souvent dans la série Jhen. J'en ai déjà parlé précédemment et c'est une option narrative qui reflète la double paternité de Jhen, son dessinateur ayant à l'époque (pendant les années 80) une vie assez libre. C'est une particularité que l'on retrouve moins dans les autres séries de Jacques Martin.   Cool


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eleanore-clo

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Raymond a écrit:C'est un album que tu ne connais pas encore et dont on parlera peut-être  quand on en arrivera aux années 90 (si on a encore le courage Wink ).  

Partante Very Happy

Eléanore

jfty

jfty
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Juste un petit coucou sur ce sujet qui a beaucoup évolué, il faut que je relise tout, pour moi, et depuis longtemps, la femme qui me fascine est Saïs, je m'expliquerais un peu plus tard !

Raymond

Raymond
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Encore une petite remarque, cette fois sur l'appréciation de "Barbe Bleue" dans la bédéthèque. "Barbe Bleue" est effectivement le plus mal noté (avec 3,8 points) des 8 premiers albums. Mais je remarque que le meilleur d'entre eux est "l'Or de la Mort", le premier album de la série, et cela révèle à mon avis un certain manque de jugement (ou de connaissance) des votants de ce site. "L'Or de la Mort" est un album très honorable, certes,  mais ce n'est certainement pas le meilleur de la série ! Par ailleurs, quelques excellents titres, comme "l'Alchimiste" (4,0 points) ou "Le Lys et l'Ogre" (3,9 points", ne sont pas beaucoup mieux notés que "barbe Bleue". Tout cela relativise considérablement l'intérêt des jugements faits par les lecteurs de la Bédéthèque. Une mauvaise place dans leur classement ne reflète donc pas obligatoirement que ce soit une mauvaise BD.

Mais bien sûr, je reconnais bien sûr que certains choix scénaristiques de Jacques Martin (en particulier le fait que Gilles de Rais et Jhen restent des amis) peuvent prêter à discussion. Wink


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Raymond

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Admin

Passons maintenant à une histoire de Lefranc qui est un peu plus traditionnelle que le drame de Barbe Bleue ! Publiée directement en album en 1985, La Crypte est un thriller assez classique que je n'ai pas lu très souvent. Mais comme il est bien construit, il se relit agréablement et c'est un autre de ces albums qui restent sous-estimés par le grand public.

Commençons par le pitch ! Dans la petite ville indépendante de San Larco (qui est très comparable à Monaco), un conflit impitoyable oppose les défenseurs d'un trésor artistique local (situé dans la fameuse crypte) à de riches promoteurs immobiliers, patronnés par le milliardaire Arnold Fischer. Les promoteurs sont prêts à tout détruire pour faire aboutir leurs projets de construction et plusieurs opposants potentiels meurent mystérieusement. La fille d'une de ces victimes, nommée Julia Manfredi, fait donc appel à Lefranc qui, en tant que journaliste, a les moyens d'alerter le monde entier sur le drame silencieux de San Larco.

En tant qu'alliée de Lefranc, Julia Manfredi est un des deux personnages principaux de cette histoire et elle participe donc à toutes les péripéties de l'aventure. On pourrait presque dire que par rapport au temps de présence, il y a une relative parité au niveau des héros. Mais sur le fond, ce n'est pas le cas et Lefranc garde bien le rôle principal.    Wink

Se sachant surveillée par les hommes de Fischer, Julia apparait d'abord en catamini (en pleine nuit). Elle sort de l'eau avec une tenue de plongée, avant de monter sur le bateau de Lefranc car elle ne veut pas être repérée par ses adversaires. Le lecteur découvre alors une jeune femme intelligente et déterminée, assez sportive, qui comprend clairement tous les dangers de sa position. Elle a l'intention de poursuivre les efforts de son père pour sauver la crypte, car elle veut honorer sa mémoire.

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Sportive, Julia l'est sans aucun doute car on la voit faire de la plongée sous-marine, puis de la spéléologie d'une façon assez acrobatique. Elle exprime parfois certaines peurs, par exemple lorsqu'il apparait des chauves-souris dans la caverne, mais elle suit tout de même Lefranc sans hésiter, malgré tous les obstacles. Elle guide ensuite Lefranc vers la fameuse Crypte, dont ils sortiront avec beaucoup de difficultés. Elle est ainsi une partenaire aussi fiable qu'utile.

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Elle sait en tout cas faire preuve de courage, par exemple lorsque Lefranc lui demande de se tenir au bord de la route et de dénuder sa poitrine, afin d'attirer les hommes de main de Fischer dans un piège. La situation pourrait devenir graveleuse mais ce n'est au fond qu'une ruse. Les trois hommes, attirés par une belle femme à moitié nue, finissent eux-mêmes dénudés et attachés à un arbre. L'aventure devient plutôt humoristique.

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Mais comment qualifier les liens qui s'établissent entre Lefranc et Julia Manfredi ? On pourrait parler d'une simple camaraderie, renforcée par les multiples épreuves qu'ils affrontent ensemble, et qui devient finalement de l'amitié. Il n'y a en tout cas rien de sentimental. Julia suit en fait assez sagement Lefranc et elle semble avoir peu d'état d'âmes. A peine montre t-elle un moment de découragement, lorsqu'un hélicoptère lâche une bombe sur la piscine de la villa où ils s'étaient passagèrement abrités. Personne ne songerait bien sûr à le lui reprocher !  Wink

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C'est donc une brave héroïne mais ... il faut aussi reconnaître que le portrait que nous brosse Jacques Martin resteun peu pâle. Julia semble n'avoir aucun défaut et son caractère reste en conséquence assez mal défini. Elle suit partout Lefranc, un peu comme Jeanjean le faisait dans les albums précédents (ou comme le fait Enak derrière Alix) et il y a bien peu à raconter en dehors de cela. Mais on pourrait simplement admettre qu'elle n'est pas une véritable aventurière.

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Je suppose que Jacques Martin ne s'est pas beaucoup intéressé à cette jeune italienne, car il utilise de temps en temps comme une potiche (si j'ose employer ce mot). Ce n'est qu'à la fin de l'histoire, en dernière page, qu'il suggère au lecteur que des liens d'amitié se sont créés entre Lefranc et Julia. Et au moment de leur séparation, la conversation prend en effet un tour plus personnel. "Vous n'êtes pas tellement plus aimable avec une femme qu'avec un homme" remarque Julia, tandis que Lefranc répond sur un ton badin : "Détrompez-vous !" Et sur la dernière image, comme l'écrit Jacques Martin, "Julia et Lefranc se saluent longuement, très longuement, comme s'ils redoutaient de ne jamais plus se revoir". Aurait-on finalement ignoré quelque chose au cours de ce véritable "film d'action" ? L'auteur semble nous le suggérer.

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Julia Manfredi n'est hélas pas un personnage mémorable de la série Lefranc, car elle possède un peu trop de qualités (bravoure, honnêteté, loyauté, intelligence et j'en passe ...  pirat ) pour que le lecteur garde d'elle un souvenir saillant. Il faut parfois avoir quelques petites défauts pour apparaître véritablement vivant ! Et puis, il fallait aussi que l'auteur du livre s'intéresse en profondeur à la femme qui accompagnait Lefranc pour que celle-ci devienne plus intéressante. J'en déduis volontiers que ce ne fût pas le cas au moment de la conception du récit, mais peut-être sommes nous devenus aujourd'hui trop exigeants, avec cette bande dessinée qui était conçue pour un public relativement jeune ?


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Raymond

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Signalons tout de même un deuxième personnage féminin qui est intéressant dans la Crypte. Il s'agit de Gloria Fischer, l'épouse du financier complice des promoteurs immobiliers combattus par Lefranc, qui manifeste une belle volonté d'indépendance ! Sans être bien au courant des menées de son mari, elle montre une étonnante lucidité au sujet de ses sombres manœuvres. "Vous êtes tellement riche que vous ignorez le montant de votre fortune ! Quelle folie vous pousse ? " dit-elle au triste comploteur après une soirée très ennuyeuse, passée à élaborer des plans avec des comparses. Personne ne lui donnera tort !   Very Happy

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 6 Crypte16

Quelques jours après, lorsque que la tentative de prise du pouvoir par les promoteurs et le banquier Fischer devient un échec évident, son épouse comprend qu'il faut fuir. Mme Fischer se retrouve alors en face de son mari qui est arrivé aux mêmes conclusions et qui cherche son carnet de chèque. Le banquier écume de rage lorsqu'il apprend que son épouse s'en est emparée et qu'elle le quitte par la même occasion.

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Avec ce désaveu que Gloria Fischer inflige à son mari, elle nous devient presque sympathique. Bien sûr, elle reste une femme attirée par l'argent et il est peut-être préférable de ne pas trop la connaître, mais on peut supposer que Jacques Martin se soit fait plaisir en punissant ainsi l'odieux banquier. Ce n'est qu'une simple anecdote dans cette intrigue assez touffue de "la Crypte", mais elle fait plaisir au lecteur.

Et puis, grâce au choix de Mme Fischer, toutes les femmes se retrouvent du bon côté à la fin de cette aventure ! C'est une constatation qui fera certainement plaisir à eleanore !  Cool


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vieux sage
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Bonjour

L'actualité est sinistre et mes dernières chroniques furent quelque peu doctes, je vous propose donc une touche de légèreté. Et puis Raymond a parfaitement croqué les deux personnages féminins de La crypte, que ce soit la "brave héroïne" ou la "presque sympathique Mme Fischer" !

Pour commencer, je vais vous demander de travailler un peu. Hein ? Mais oui ! Chacun son tour

lol!

En janvier, Novak Djokovik nous a offert un psychodrame bouffon. Le tennis a conquis un nouveau champ médiatique, un peu moins sportif, beaucoup plus théâtral.
Si l'Open d’Australie traite maintenant de santé et d'individualisme, ne peut-il pas aussi traiter de bandes dessinées ?

Allez, maintenant, c'est votre tour.
Quels joueurs de tennis peuvent nous aider à progresser sur notre fil, Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin ? Vous avez 24h pour réfléchir et trouver une solution  Laughing

Je donnerai la réponse demain. A vos plumes ou plutôt à vos claviers !

Eléanore

Raymond

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Mmm ... les joueurs de tennis n'en on sûrement rien à faire.   scratch

On pourrait plutôt demander aux joueuses de tennis ?  Smile


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eleanore-clo

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vieux sage
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Voilà. Une journée s'est écoulée depuis mon dernier message. Et je vais pouvoir vous donner la réponse à la question du grand jeu-non-concours   Laughing .

La réponse est toute simple, comme le nez au milieu de la figure ! Tout le monde le voit et personne n'y pense.
Et bien, les meilleurs joueurs de tennis pour parler des femmes dans l’œuvre du maître sont Jacques Martin et Jacques Martin.  Wink  

Mais non, je n'ai pas abusé du champagne  Smile  quoique...

En effet, notre auteur favori a tenu un magasin de sport et a toujours pratiqué diverses disciplines.
Et pourquoi deux Jacques Martin ?
Et bien, il me semble que, tel Janus, l'auteur présente deux visages. Une face sexiste et une face féministe.

Je vous propose donc d'assister en mondovision, ou plutôt en éléanorevision, à un match de tennis entre les deux clones. La balle n'est ni ronde ni jaune. C'est une charmante jeune femme qui s’appelle Julia Manfredi lol!

Le match dure depuis maintenant 4h. Il est acharné et nous sommes dans le dernier jeu du 5ème set.

0-15 : La crypte fut publiée en 1984, 6 ans avant Nikita de Luc Besson. Et les deux premières vignettes où nous faisons la connaissance de l'héroïne nous montre une baroudeuse, en tenue de nageuse de combat. Et ses propos autoritaires claquent comme des coups de fouet. On voit qui commande !

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 6 Jhan25

15-15 : Le Larousse propose plusieurs sens au mot fille. Le premier est : "Personne jeune ou enfant du sexe féminin, par opposition à garçon : Mettre au monde une fille." Martin eut pu écrire "femme" mais "fille" permet à l'homme (et pas au garçon) Lefranc de reprendre la main  Rolling Eyes .

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30-15: C'est bien connu, les femmes ont peur des (chauves-) souris... Heureusement, l'intrépide Lefranc est là !

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30-30 : Les complices de Fisher ont entrepris de gazer la crypte et la situation semble désespérée. Heureusement, Julia est là pour trouver une issue que Lefranc n'a pas vu. Il ne fait aucun doute qu'elle est suivie par un meilleur ophtalmologue que celui de Lefranc Laughing

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30-40 : La locale de l'étape connaît parfaitement "l'ancienne meunerie" Twisted Evil Et alors que Lefranc dort encore Smile et manque de perspicacité, elle prend la décision d'emmener son compagnon dans une cave / cachette bien opportune.

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40A : Depuis Patrick Poivre d'Arvor, on sait que les journalistes masculins sont fascinés par les belles femmes   gun . La remarque sur la beauté de Julia n'a rien à voir avec l'intrigue. Après les héroïnes se doivent d'être belles. Avez vous déjà vu beaucoup d'actrices ayant un physique d'armoire à glace, oups, pardon, de crédence (soyons féminin !)  fou ?

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Avantage Martin Sexiste : seules les filles se baignent, pas les femmes ! Je vais malheureusement devoir me séparer de mon superbe maillot de bain une pièce !

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Jeu Martin sexiste : Julia craque face à la pression. Voilà qui est bien surprenant vu toute la ténacité et le courage dont elle a fait preuve dans les précédentes pages.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 6 Jhan32

Martin féministe conteste ce point car la balle a rebondi en dehors du court. Le juge de ligne confirme.

Égalité : le scénariste se moque ici des policiers et met en exergue le courage et la ruse du personnage.
Le coloriste a pris un malin soin  Rolling Eyes  à souligner le bronzage de l'héroïne. Personnellement, je conseillerais à Julia de mettre davantage de crème solaire. Sa peau vieillira bien mieux.

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Avantage Martin féministe : Julia n'est absolument pas bouleversée par le départ de Lefranc alors que le reporter la regrette.

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 6 Jhen29

Jeu, set et match Martin féministe: la main baladeuse  Rolling Eyes du journaliste sur le dos de la jeune femme ne fait que confirmer une certaine frustration. Bon. Il fallait bien qu'il essaie. Et il pourra se défouler sur le voleur de cyclomoteur  Laughing

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Eléanore



Dernière édition par eleanore-clo le Ven 11 Mar - 11:16, édité 1 fois

Raymond

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Très original !    pouce

Et s'il fallait résumer toute ta présentation en une seule phrase, je retiendrai cette sentence capitale :

(...)  il me semble que, tel Janus, l'auteur présente deux visages. Une face sexiste et une face féministe (...)

C'est au fond la conclusion que j'envisageais pour l'ensemble du sujet, mais il est quand même un peu trop tôt pour conclure.   Wink   

Cette sentence s'adapte en tout cas très bien à "La Crypte", un album dans lequel la position de Jacques Martin parfois ambigüe. L'auteur donne en effet un rôle important à une femme, mais il se montre de temps en temps très paternaliste. Par ailleurs, Julia Manfredi ne fait que suivre Lefranc, et elle devient ainsi presque un second rôle. C'est seulement à la fin de l'histoire que Julia semble se réveiller.

Il est cependant certain que la conclusion "pèse lourd" sur le score final. Admettons donc que dans cet album, "le match" se termine en faveur des femmes !   Very Happy


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Venons en maintenant à la compagne de Fischer.

Déjà, je suis admirative devant les connaissances de Raymond. Sauf erreur de ma part, son identité n'est jamais mentionnée ? Je présume que Jacques Martin l'a présentée dans un autre opus de la série ? Je suis curieuse de savoir lequel ?

Regardons tout d'abord le dessin. Dans une ellipse magistrale, nous passons d'un amical au revoir à la menace armée. Et on ne peut qu'admirer les cadrages. Gilles Chaillet et Jacques Martin font ici preuve d'une maîtrise prodigieuse. Attardons nous sur la deuxième vignette. Un gros plan sur la main et l'arme frappe l'esprit. Et Fischer est relégué en arrière plan dans un cadrage américain. Partant de là, par un simple effet de perspective, le milliardaire est plus petit que sa compagne. Ce que l'on peut transposer dans le domaine moral ou dans les qualités humaines. Arnold Fischer, Joe Dalton, même combat ?  Smile  

Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 6 Jhen30 Les femmes dans l'œuvre de Jacques Martin - Page 6 Jhen_211

En tout cas, la compagne (l'épouse ?) du magnat n'est pas qu'un joli pot de fleur ou alors c'est un cactus  Laughing

Allez, pour terminer sur une nouvelle note hors du contexte, voici une autre femme qui va abattre son compagnon. De quel film est extraite l'image ?

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