Il y a relativement peu d'histoires d'amour dans les histoires de Jacques Martin, pour diverses raisons d'ailleurs (envie de privilégier l'aventure, censure de la BD "enfantine" etc.). Cette restriction n'a cependant jamais existé pour Jhen, qui est une création plus tardive. Dans cette série moyenâgeuse, les personnages vivent en effet des relations amoureuses complètes et explicites, qui sont de plus assumées d'une façon toute naturelle. Cette tendance donne d'ailleurs aux albums de Jhen un charme singulier et on la retrouve très bien dans les Ecorcheurs, le troisième opus de la série qui ne fût jamais prépublié dans Tintin. Ce n'était pas du hasard, car la série était devenue bien trop "adulte" pour ce journal.
Mais présentons d'abord les héros de cette relation sentimentale. Du côté masculin, l'amant n'est pas Jhen lui-même et ce rôle est dévolu à un moine impulsif et rustique qui se nomme Parfait. Relevons au passage que ce personnage avait pour modèle le dessinateur Paul Cuvelier, un homme qui fût à la fois le grand ami de Jacques Martin et le premier "maître" de dessin de Jean Pleyers. La ressemblance entre Parfait et Paul Cuvelier me semble être très partielle mais cet hommage graphique a été revendiqué par les auteurs et il n'y a pas lieu d'en discuter.
Du côté féminin, l'héroïne est une jeune femme nommé Ariana qui est en fait une vraie marginale. Elle vit en effet près des murs de La Gore où elle a été recueillie par une "marâtre", parce qu'on la considérait comme une sorcière (en raison de sa beauté). Et dès la première prise de contact, Parfait s'enflamme pour cette jeune demoiselle qui semble avoir besoin de protection, même si cette dernière en nie l'évidence.
Le récit principal s'intéresse bien sûr aux effort que déploie Jhen pour défendre la petite cité contre le siège (et les assauts) entrepris par une armée d'écorcheurs, mais l'histoire d'amour qui se développe entre Parfait et Ariana offre un agréable contrepoint à cette trame guerrière. Jacques Martin nous raconte alors une relation qui évolue sur un mode romantique, avec une première étape très chaste pendant laquelle Ariana se contente d'observer son prétendant. Et ce n'est que pendant la nuit suivante que le jeune moine, (comme Julien Sorel dans le "Rouge et le Noir") ose saisir la main de la jeune fille en attendant sa réaction. Ariana en est-elle consciente ? Les images ne nous donnent pas de réponse mais Jacques Martin prend manifestement un certain plaisir à nous dévoiler ces progressifs tâtonnements amoureux.
Pendant les jours suivants, on découvre Parfait en train de faire une cour empressée à la jeune fille. Il accumule les allusions et les belles paroles et, comme il ne subit aucune rebuffade, ses propos et ses gestes deviennent bien sûr de plus en plus hardis.
Et c'est ainsi que quelques jours plus tard, Jhen se réveille au matin en constatant que le lit de Parfait est vide (ce dernier a d'ailleurs déposé un mannequin dans la couche pour sauver les apparences). Dès son retour, le moine avoue facilement à Jhen son escapade nocturne chez Ariana et les termes qu'il utilise ne laissent presque aucune équivoque. Il y a eu des relations charnelles que Jacques Martin choisit habilement de ne pas montrer, afin d'éviter toute vulgarité. D'une façon tout à fait classique, l'auteur privilégie les aspects sentimentaux de cette liaison.
Je m'attarde volontairement sur cette intrigue anecdotique parce qu'il est très rare que Jacques Martin raconte en détail des amourettes. Il s'intéresse dans cet album à toutes les étapes de la naissance des sentiments amoureux et je ne connais pas d'autre exemple de ce genre dans toute son œuvre. En tout cas, grâce à cette approche minutieuse, l'auteur donne beaucoup de crédibilité à son récit et surtout, il permet au lecteur de s'attacher à ses deux personnages.
Mais au fait, que peut-on dire d'Ariana elle-même ? Il faut bien avouer que l'on sait peu de chose sur son histoire et sur son caractère. Elle possède manifestement une certaine fierté, puisqu'elle affirme d'emblée (au début du récit) qu'elle n'a pas besoin d'un protecteur. Et puis plus tard, c'est même avec une certaine majesté qu'elle accueille Parfait dans sa demeure, comme si elle était la maîtresse de la maison. A ce moment, c'est elle qui domine la situation.
Par la suite, au fil de ses rencontres avec Parfait, Ariana garde une certaine grâce et un relatif équilibre. Tout se passe en fait très bien pour elle jusqu'à ce qu'elle soit repérée par la foule lors d'un défilé religieux. "La sorcière ! La mauvaise femelle est parmi nous ! " s'écrient plusieurs femmes dans le cortège. Et Ariana redevient aussitôt la paria qui a été rejetée par les siens. Rien ne permet à ce sujet d'affirmer qu'elle puisse être une sorcière, car la marâtre a bien expliqué à Jhen que seule sa beauté lui a attiré l'inimitié des autres femmes de la cité, mais il est tout de même impossible à la demoiselle de répondre à cette accusation. Ariana devient dès lors une victime.
Et le drame survient quelques jours plus tard, lorsque Jhen affronte en combat singulier le chef des écorcheurs. Ariana monte sur les remparts pour mieux voir ce combat et elle est aussitôt repérée par le chef des bandits. Ce dernier propose alors de lever le siège si on accepte de lui livrer la jeune femme et cela devient presque une condamnation pour elle. Mais pourquoi a t-elle été aussi curieuse, alors que les événements précédents démontraient qu'elle avait intérêt à se cacher ? Il y a là bien sûr de la légèreté, voir même une insouciance, qui sont liées à son âge et à ses sentiments amoureux. Mais il y a aussi une grande imprudence et une véritable naïveté par rapport à la réalité de sa situation.
Ariana fuit donc la ville afin de ne pas être livrée aux écorcheurs et elle va trouver la mort au cours de cette expédition. Bien sûr, si on se rappelle le siège acharné et les sanglantes batailles qui ont eu lieu tout autour de la ville, cette issue mortelle n'est pas une grosse surprise. On pourrait même considérer que ce n'est qu'un petit drame supplémentaire, mais le chagrin de Parfait domine la fin de l'aventure. La femme qu'il aimait est morte et Jacques Martin donne une telle place à ce drame qu'il égale presque l'horreur de la bataille et des massacres dus aux écorcheurs.
La petite histoire (Parfait et Ariana) se perd donc dans la grande histoire (les écorcheurs) tout en lui donnant un supplément d'humanité. Mais oserai-je ajouter qu'Ariana n'était pas très douée pour survivre ? Cette affirmation apparait un peu trop cynique, mais il me semble tout de même qu'on ne peut pas réduire Ariana à un simple statut de victime. C'est aussi une femme qui dérange, qui est imprudente et qui sort beaucoup trop des conventions. Elle est certes bien trop férocement punie mais son expulsion de la cité paraissait tout de même évitable.
On pourrait ainsi faire beaucoup de suppositions sur Ariana, qui est un beau personnage dramatique, mais je n'en dirai pas plus. Relevons au passage qu'elle sera bien vite oubliée par son amant dans les albums suivants, mais la vie est comme ça ! Parfait et Ariana ne sont pas Roméo et Juliette et Jacques Martin aime terminer ses histoires sur des constats réalistes. Les écorcheurs ne font pas exception à la règle.
Mais présentons d'abord les héros de cette relation sentimentale. Du côté masculin, l'amant n'est pas Jhen lui-même et ce rôle est dévolu à un moine impulsif et rustique qui se nomme Parfait. Relevons au passage que ce personnage avait pour modèle le dessinateur Paul Cuvelier, un homme qui fût à la fois le grand ami de Jacques Martin et le premier "maître" de dessin de Jean Pleyers. La ressemblance entre Parfait et Paul Cuvelier me semble être très partielle mais cet hommage graphique a été revendiqué par les auteurs et il n'y a pas lieu d'en discuter.
Du côté féminin, l'héroïne est une jeune femme nommé Ariana qui est en fait une vraie marginale. Elle vit en effet près des murs de La Gore où elle a été recueillie par une "marâtre", parce qu'on la considérait comme une sorcière (en raison de sa beauté). Et dès la première prise de contact, Parfait s'enflamme pour cette jeune demoiselle qui semble avoir besoin de protection, même si cette dernière en nie l'évidence.
Le récit principal s'intéresse bien sûr aux effort que déploie Jhen pour défendre la petite cité contre le siège (et les assauts) entrepris par une armée d'écorcheurs, mais l'histoire d'amour qui se développe entre Parfait et Ariana offre un agréable contrepoint à cette trame guerrière. Jacques Martin nous raconte alors une relation qui évolue sur un mode romantique, avec une première étape très chaste pendant laquelle Ariana se contente d'observer son prétendant. Et ce n'est que pendant la nuit suivante que le jeune moine, (comme Julien Sorel dans le "Rouge et le Noir") ose saisir la main de la jeune fille en attendant sa réaction. Ariana en est-elle consciente ? Les images ne nous donnent pas de réponse mais Jacques Martin prend manifestement un certain plaisir à nous dévoiler ces progressifs tâtonnements amoureux.
Pendant les jours suivants, on découvre Parfait en train de faire une cour empressée à la jeune fille. Il accumule les allusions et les belles paroles et, comme il ne subit aucune rebuffade, ses propos et ses gestes deviennent bien sûr de plus en plus hardis.
Et c'est ainsi que quelques jours plus tard, Jhen se réveille au matin en constatant que le lit de Parfait est vide (ce dernier a d'ailleurs déposé un mannequin dans la couche pour sauver les apparences). Dès son retour, le moine avoue facilement à Jhen son escapade nocturne chez Ariana et les termes qu'il utilise ne laissent presque aucune équivoque. Il y a eu des relations charnelles que Jacques Martin choisit habilement de ne pas montrer, afin d'éviter toute vulgarité. D'une façon tout à fait classique, l'auteur privilégie les aspects sentimentaux de cette liaison.
Je m'attarde volontairement sur cette intrigue anecdotique parce qu'il est très rare que Jacques Martin raconte en détail des amourettes. Il s'intéresse dans cet album à toutes les étapes de la naissance des sentiments amoureux et je ne connais pas d'autre exemple de ce genre dans toute son œuvre. En tout cas, grâce à cette approche minutieuse, l'auteur donne beaucoup de crédibilité à son récit et surtout, il permet au lecteur de s'attacher à ses deux personnages.
Mais au fait, que peut-on dire d'Ariana elle-même ? Il faut bien avouer que l'on sait peu de chose sur son histoire et sur son caractère. Elle possède manifestement une certaine fierté, puisqu'elle affirme d'emblée (au début du récit) qu'elle n'a pas besoin d'un protecteur. Et puis plus tard, c'est même avec une certaine majesté qu'elle accueille Parfait dans sa demeure, comme si elle était la maîtresse de la maison. A ce moment, c'est elle qui domine la situation.
Par la suite, au fil de ses rencontres avec Parfait, Ariana garde une certaine grâce et un relatif équilibre. Tout se passe en fait très bien pour elle jusqu'à ce qu'elle soit repérée par la foule lors d'un défilé religieux. "La sorcière ! La mauvaise femelle est parmi nous ! " s'écrient plusieurs femmes dans le cortège. Et Ariana redevient aussitôt la paria qui a été rejetée par les siens. Rien ne permet à ce sujet d'affirmer qu'elle puisse être une sorcière, car la marâtre a bien expliqué à Jhen que seule sa beauté lui a attiré l'inimitié des autres femmes de la cité, mais il est tout de même impossible à la demoiselle de répondre à cette accusation. Ariana devient dès lors une victime.
Et le drame survient quelques jours plus tard, lorsque Jhen affronte en combat singulier le chef des écorcheurs. Ariana monte sur les remparts pour mieux voir ce combat et elle est aussitôt repérée par le chef des bandits. Ce dernier propose alors de lever le siège si on accepte de lui livrer la jeune femme et cela devient presque une condamnation pour elle. Mais pourquoi a t-elle été aussi curieuse, alors que les événements précédents démontraient qu'elle avait intérêt à se cacher ? Il y a là bien sûr de la légèreté, voir même une insouciance, qui sont liées à son âge et à ses sentiments amoureux. Mais il y a aussi une grande imprudence et une véritable naïveté par rapport à la réalité de sa situation.
Ariana fuit donc la ville afin de ne pas être livrée aux écorcheurs et elle va trouver la mort au cours de cette expédition. Bien sûr, si on se rappelle le siège acharné et les sanglantes batailles qui ont eu lieu tout autour de la ville, cette issue mortelle n'est pas une grosse surprise. On pourrait même considérer que ce n'est qu'un petit drame supplémentaire, mais le chagrin de Parfait domine la fin de l'aventure. La femme qu'il aimait est morte et Jacques Martin donne une telle place à ce drame qu'il égale presque l'horreur de la bataille et des massacres dus aux écorcheurs.
La petite histoire (Parfait et Ariana) se perd donc dans la grande histoire (les écorcheurs) tout en lui donnant un supplément d'humanité. Mais oserai-je ajouter qu'Ariana n'était pas très douée pour survivre ? Cette affirmation apparait un peu trop cynique, mais il me semble tout de même qu'on ne peut pas réduire Ariana à un simple statut de victime. C'est aussi une femme qui dérange, qui est imprudente et qui sort beaucoup trop des conventions. Elle est certes bien trop férocement punie mais son expulsion de la cité paraissait tout de même évitable.
On pourrait ainsi faire beaucoup de suppositions sur Ariana, qui est un beau personnage dramatique, mais je n'en dirai pas plus. Relevons au passage qu'elle sera bien vite oubliée par son amant dans les albums suivants, mais la vie est comme ça ! Parfait et Ariana ne sont pas Roméo et Juliette et Jacques Martin aime terminer ses histoires sur des constats réalistes. Les écorcheurs ne font pas exception à la règle.