Franquin mania

Cette clause sur le droit moral signifie que Dupuis ne peut pas transformer le personnage (Gaston) d'une manière fantaisiste et non respectueuse du modèle original, du moins pas sans avoir l'aval des héritiers de Franquin.  

Et comme les éditions Dupuis vont publier des petites histoires dont le style graphique et les gags sont très proches des BD de Franquin, sa fille Isabelle ne devrai pas avoir de motif pour s'opposer à cette publication.  

merci pour l'explication , j'essayai de comprendre cette subtilité juridique de droit moral entre un éditeur ,un dessinateur repreneur et une héritière .

Comme c'est bizarre (mais normal et logique, selon tout ce que j'ai dit précédemment...) : Isabelle Franquin vient de lancer une procédure judiciaire pour interdire la publication de nouveaux gags de Gaston Lagaffe, tant dans Spirou (or, ça doit commencer cette semaine justement...) qu'en album. L'info est sur le Net (journal belge Le Soir par exemple).
Cela dit, paraît-il que pour elle, c'est perdu d'avance...

Cela va donc devenir très juridique ! La réponse du juge va fortement dépendre de la rédaction du contrat de vente du personnage.

Mais peut-être que c'est une simple manœuvre de la fille de Franquin pour obliger l'éditeur Dupuis à négocier ? 

Raymond a écrit:Cela va donc devenir très juridique ! La réponse du juge va fortement dépendre de la rédaction du contrat de vente du personnage.

Mais peut-être que c'est une simple manœuvre de la fille de Franquin pour obliger l'éditeur Dupuis à négocier ? 

Il y a un problème qui s'ajoute à tout ce qui a été dit ici (un problème qui m'avait déjà fait tiquer en lisant l'interview du directeur de Dupuis, Stéphane Beaujean, qui s'expliquait par voie de presse, mais je constate qu'Isabelle Franquin a bien vu le truc) : Delaf, le dessinateur qui reprend Gaston, s'est, pendant cinq ans (!!), entraîné à dessiner Gaston en se constituant une banque d'images. Il a scanné plein de dessins de Gaston et autres personnages de la série, dessinés par Franquin bien sûr, dans de multiples attitudes, et il recopie ces dessins pour faire ses planches nouvelles de Gaston. Isabelle Franquin parle de plagiat, et c'est cet argument qu'elle met en avant, et que va mettre en avant son avocat, pour interdire la parution de ces dessins.
D'après ce que j'ai compris elle avait refusé ça dès le départ - c'est-à-dire quand elle a été mise au courant du projet de Dupuis, il y a quatre mois ; or, le projet de reprise remonte donc à cinq ans, et on ne lui avait rien dit à ce moment-là ni pendant près de cinq ans. Malaise...

Je crois qu'un nouveau contrat entre Isabelle Franquin et les éditions Dupuis s'impose. D'après une information confidentielle, elle aurait confié la signature de ce nouveau contrat à un certain A.De Mesmaeker. Côté Dupuis, Stephane Beaujean aurait donné tout pouvoir de négociation à un pilier de la rédaction : L.Prunelle. Nul doute que l'affaire va être rapidement conclue

Éléanore

Isabelle Franquin a donc différents motifs de contester la publication de ce nouveau Gaston (non-respect de la volonté de son père, éventuel "plagiat" commis par Delaf) mais il lui sera quand même difficile de faire valoir ses droits.

Concernant la volonté de Franquin que l'on ne fasse pas de nouvelles bande dessinées de Gaston, qu'est-ce qui va être déterminant ? La volonté négative (exprimée semble t-il par vie orale) de Franquin ou le simple fait qu'il ait vendu les droits de sa série (ce qui à mon avis donnerait le droit au propriétaire de publier de nouvelles histoires). Il est bien difficile de se prononcer sans connaître tous les détails du dossier et ce qui est écrit dans le contrat va certainement être déterminant.

Quant à l'éventuel plagiat, je m'interroge aussi. Si Delaf dessine officiellement Gaston, d'une façon reconnue, y a t-il vraiment plagiat s'il imite d'anciennes postures et expressions du même personnage telles qu'elles étaient dessinées par Franquin ? il ne fait dans ce cas-là que poursuivre la série d'une façon fidèle au modèle, en respectant une tradition graphique instaurée par le créateur original. Cette accusation de plagiat me laisse donc perplexe. C'est plutôt l'accusation contraire (non respect du modèle) qui pourrait être condamnable ?  

Sinon, il y a cet article intéressant de France info qui fait un peu le point de la situation :

Isabelle Franquin demande l'interdiction d'un nouvel album de Gaston Lagaffe, personnage star de la BD créé par son père (francetvinfo.fr)

Je ne comprends pas vraiment l'acharnement des gens à vouloir de nouveaux gags et de nouveaux albums de Gaston Lagaffe. L'acharnement de l'éditeur, oui, je le comprends, pour une bête question de gros sous. Mais l'acharnement de pas mal de lecteurs ? Depuis 30 ans, il n'y a pas eu de nouveaux Gaston, et ça ne m'a pas empêché de dormir, et s'il n'y en a pas dans les 30 ans qui viennent, qu'est-ce que ça peut faire ?? Franquin est mort. C'est lui le créateur et l'auteur durant près de 40 ans. C'est son personnage à lui (et à personne d'autre, malgré tous les contrats signés ; ce ne sont que des bouts de papier et il n'en reste pas moins que c'est Franquin qui a créé et fait vivre Gaston tel qu'on le connaît). Une fois Franquin disparu, on tourne la page, terminé. Les choses sont extrêmement simples.
En plus, il semble bien que Franquin ait dit qu'il ne souhaitait pas de suite, et sa fille le confirme (sa fille, c'est non seulement sa fille, mais aussi l'ayant droit). Donc, il n'y aura pas de suite. Du moins, il ne devrait pas y avoir de suite. Et même si Franquin avait dit qu'il autorisait qu'on reprenne Gaston après sa mort, est-ce que ça en fait une obligation de reprendre Gaston ? C'est ça que je n'arrive pas à comprendre : parce qu'un auteur dirait qu'il autorise une reprise, DONC il faut faire une reprise ?
Franquin aurait dit "Je veux qu'après ma mort, on érige une statue à ma gloire sur le mont Everest", DONC il faudrait ériger une statue à son effigie sur le mont Everest...? Il aurait dit "Je veux bien qu'on reprenne Gaston après ma mort, à condition que le repreneur soit blond, ait un pied-bot et se prénomme Gontrand" ; aussitôt, l'éditeur va se mettre à chercher un dessinateur qui corresponde...? C'est débile, ce que je dis ? Je sais. Mais je trouve tout aussi inconsistantes les raisons obscures qui veulent que Gaston doive absolument être repris (surtout 25 ans après la mort de Franquin).

Pour ma part, je n'aurai pas de peine à dormir si ce nouveau Gaston ne paraissait pas ! Et j'imagine qu'il en est de même pour la plupart des amateurs. Après tout, le grand public n'a pas vraiment demandé cette reprise.   

Par contre, le litige juridique m'intéresse beaucoup. Lorsque l'on vend les droits d'un personnage que l'on a créé, on perd logiquement le droit de s'opposer à une nouvelle publication ou à une adaptation commerciale. Il reste bien sûr au créateur (ou à ses ayants-droits) le droit moral mais ce droit a un pouvoir limité. Il concerne davantage une atteinte à l'image que la possibilité de créer de nouveaux albums.

Je me demande s'il y aura une négociation entre les deux parties. Logiquement, c'est ce qu'il faudrait faire mais Isabelle Franquin semble partie sur une position assez dure, qui ne parait pas négociable. Et dans ce cas là, ce serait le début d'un gros feuilleton juridique.  

Reprise de Gaston : 427ème épisode.

Notre collaborateur, Gaston Lagaffe ayant repris la gestion des archives, il fut difficile de retrouver ce document. Mais nous avons réussi à le retrouver   .



Signé : Fantasio

Bravo d'avoir retrouvé cette interview. J'avais fouillé dans ce bouquin l'autre jour mais pas assez longtemps pour trouver cette déclaration de Franquin ! Et cette volonté (exprimée verbalement) est maintenant assez claire.

Par contre, la question de la vente de ses droits sur Gaston est plus compliquée que je ne pensais. En fait, Franquin avait attribué les droits à la société de droit belge "Franquin SA". Plus tard, les droits de "Franquin SA" ont été vendu par le dessinateur à Jean-François Moyersoen de Marsu Productions (en 1992), qui lui même les a revendu à Dupuis en 2013.

J'ai trouvé cette info dans le tout récent article d'ActuaBD qui fait bien le tour de la question :

Reprise de Gaston : Isabelle Franquin assigne Dupuis en (...) - ActuaBD

Franquin ne s'est probablement pas méfié au moment où il a vendu ses droits à Moyerson, car c'était un petit éditeur qui n'aurait jamais voulu aller à l'opposé de la volonté de l'auteur, et le contrat de vente n'est peut-être pas assez détaillé. Cependant, c'est tout de même  ce qui a été écrit dans le contrat de vente de 1992 qui va influencer la décision des juges. La chose écrite aura plus de poids que la volonté présumée de Franquin et l'interview écrite dans le post ci-dessus n'a pas valeur de testament.

2321ème épisode

Scoop annoncé à 17h26 sur les ondes de Transe-Info.
Delaf vient d'être remercié au profit d'un autre dessinateur qui aurait toute la confiance d'Isabelle Franquin :

Spoiler:

Éléanore

Un peu de légèreté ne fait du mal à personne !  

Mais le feuilleton juridique ne fait que commencer !

Cet article dévoile le gag publié dans le journal Spirou de cette semaine (l'action en justice est arrivée trop tard pour en empêcher l'impression) : https://www.generationbd.com/10000-nouvelles-bd/6726-lagaffe-est-suspendu-d%C3%A9j%C3%A0%E2%80%A6.html

Excellent
Merci beaucoup

En fait, il faut se dépêcher d'acheter ce nouveau numéro de Spirou ! Il contient peut-être la seule page du nouveau Gaston qui sera publiée.  

Dernière déclaration de l'avocat des éditions Dupuis :   "le principe même de faire un nouvel album n'est pas contraire au droit moral" puisque Franquin, en cédant ses droits sur le personnage, a signé une clause prévoyant l'éventualité de relancer la série avec un autre auteur."

Ce n'est bien sûr qu'un avis, que l'on trouve dans cet article :

"Gaston Lagaffe": un premier gag du nouveau dessinateur publié malgré le procès (bfmtv.com)

Raymond a écrit:Dernière déclaration de l'avocat des éditions Dupuis :   "le principe même de faire un nouvel album n'est pas contraire au droit moral" puisque Franquin, en cédant ses droits sur le personnage, a signé une clause prévoyant l'éventualité de relancer la série avec un autre auteur."

Ce n'est bien sûr qu'un avis

Non, ce n 'est pas un avis, c'est apparemment un fait "en béton" ; l'avocat, ayant connaissance du dossier, donne une information qu'il est à même de dévoiler. La question, que j'ai déjà posée plus haut, est de savoir ce qu'il y a RÉELLEMENT dans le contrat... Et si l'avocat ne bluffe pas ou n'interprète pas une phrase du contrat qui serait floue ou ambigüe...
Des hommes d'affaires qui veulent gagner des millions, défendus par leurs avocats qui vont forcément dans leur sens, sont prêts à mentir comme des arracheurs de dents et à ne dire que ce qui les arrange. Reste à espérer que le juge saura lire vraiment le contrat, donnera un point de vue solide et ne fera pas, lui non plus, une interprétation élastique des termes du contrat.
Beaucoup de gens le reconnaissent - pas seulement sa fille -, de son vivant, Franquin a toujours dit "non" à la reprise de Gaston après son décès. "Non", c'est "non", point final. Je n'arrive pas à comprendre que finalement, dans son contrat, il aurait dit "oui". C'est possible qu'il ait dit "oui" dans le contrat - c'est pourquoi il faut attendre de pouvoir le lire -, mais quelque chose m'échappe.

Ci-joint un extrait de Le duel Tintin Spirou (Pire - 1997) :
- Hugues DAYEZ : Il y a un terme qui revient souvent dans cette conversation, c'est le terme « instinctif ». Il faut le sentir, dites-vous. Est-ce pour cela que vous n'avez pas pu déléguer Gaston contrairement au Marsupilami ?
- Franquin : Je ne sais pas. S'il fallait en vieillissant écrire mes dernières volontés, je serais tenté de dire: ne faites jamais dessiner Gaston par quelqu'un d'autre. Mais je ne le ferai pas. Pourtant, je n'aimerais pas faire dessiner Gaston, même par un très bon dessinateur, même s'il est capable de partir de mon style et de faire mieux, comme ce gars étonnant qui a fait cette histoire de motos, comment s'appelle-t-il ?
- Hugues DAYEZ : Le type de Joe Bar Team qui vous pompe glorieusement ?
- Franquin : Qui pompe, mais c'est un talent, hein! Et on m'a dit souvent que c'est du plagiat, mais ce n'en est pas. Il y a des dessinateurs de qualité qui sont partis du style d'un autre. Ça commence d'ailleurs souvent comme ça, et puis... Un gars qui a un peu commencé avec Jijé, c'est Moebius, Il avait déjà fait autre chose, mais il est vraiment parti en dessinant dans le style réa- liste de Jijé. Or, c'est l'un des meilleurs dessinateurs au monde. On se demande où sont ses limites, je crois que je ne les trouverai jamais, et lui non plus! Je ne considère pas le gars dont nous parlions plus haut comme un plagiaire, du tout! Je me suis amusé d'ailleurs à le rencontrer, il est venu un jour ici et on s'est très bien entendu, et il va peut-être continuer quelque chose avec moi - mais je ne veux pas trahir des secrets, d'autant plus qu'il éprouve des réticences à cette reprise...

Eléanore

Merci de cet avis, JYB !  

Sinon, il y a un intéressant article d'ActuaBD dans lequel Pasamonik décrit bien comment Delaf s'est fait une "base de données" avec les images de Gaston laissées par Franquin. Ce sont ces images qui lui permettent de faire des dessins qui ressemblent autant à ceux de Franquin.

La reprise de Gaston Lagaffe : imitation, hommage ou plagiat (...) - ActuaBD

En conclusion :



Eléanore

Raymond a écrit:Merci de cet avis, JYB !  

Sinon, il y a un intéressant article d'ActuaBD dans lequel Pasamonik décrit bien comment Delaf s'est fait une "base de données" avec les images de Gaston laissées par Franquin. Ce sont ces images qui lui permettent de faire des dessins qui ressemblent autant à ceux de Franquin.

La reprise de Gaston Lagaffe : imitation, hommage ou plagiat (...) - ActuaBD

C'est d'ailleurs principalement là-dessus que joue la fille de Franquin : sur le fait que la nouvelle BD n'est qu'un plagiat. Et comme Delaf l'avoue lui-même et le démontre presque...

eleanore-clo a écrit:Ci-joint un extrait de Le duel Tintin Spirou (Pire - 1997) :
- Hugues DAYEZ : Il y a un terme qui revient souvent dans cette conversation, c'est le terme « instinctif ». Il faut le sentir, dites-vous. Est-ce pour cela que vous n'avez pas pu déléguer Gaston contrairement au Marsupilami ?
- Franquin : Je ne sais pas. S'il fallait en vieillissant écrire mes dernières volontés, je serais tenté de dire: ne faites jamais dessiner Gaston par quelqu'un d'autre. Mais je ne le ferai pas. Pourtant, je n'aimerais pas faire dessiner Gaston, même par un très bon dessinateur, même s'il est capable de partir de mon style et de faire mieux, comme ce gars étonnant qui a fait cette histoire de motos, comment s'appelle-t-il ?
- Hugues DAYEZ : Le type de Joe Bar Team qui vous pompe glorieusement ?
- Franquin : Qui pompe, mais c'est un talent, hein! Et on m'a dit souvent que c'est du plagiat, mais ce n'en est pas. Il y a des dessinateurs de qualité qui sont partis du style d'un autre. Ça commence d'ailleurs souvent comme ça, et puis... Un gars qui a un peu commencé avec Jijé, c'est Moebius, Il avait déjà fait autre chose, mais il est vraiment parti en dessinant dans le style réa- liste de Jijé. Or, c'est l'un des meilleurs dessinateurs au monde. On se demande où sont ses limites, je crois que je ne les trouverai jamais, et lui non plus! Je ne considère pas le gars dont nous parlions plus haut comme un plagiaire, du tout! Je me suis amusé d'ailleurs à le rencontrer, il est venu un jour ici et on s'est très bien entendu, et il va peut-être continuer quelque chose avec moi - mais je ne veux pas trahir des secrets, d'autant plus qu'il éprouve des réticences à cette reprise...

Eléanore

Oui. Et...?
Mais qui est l'auteur de Joe Bar Team dont parlent Dayez et Franquin ? Delaf ? Je crois que non. Il y a donc erreur sur la personne si c'est finalement Delaf qui reprend Gaston...

Il y a une importante différence entre Joe Bar Team et ce nouveau Gaston. Bar2, le premier dessinateur de Joe Bar Team, n'a jamais copié les images de Franquin. Il a simplement repris son style, d'une façon d'ailleurs assez remarquable.

Quant à l'imitation, peut être quitter une vision 20ème ou 21ème centrique ?
Dans tous les grands ateliers de la Renaissance, les élèves progressaient en copiant leur maître au point d'ailleurs que la paternité des œuvres est devenue un concept parfois flou.
La copie permettait aussi à l'époque de diffuser une œuvre.

Voici deux exemples célèbres de copie :


La Joconde (Musée du Prado)                                     La Joconde (Musée du Louvre)


Judith et Holopherne (Finson) (New-York)                                                       Judith et Holopherne (Le Caravage) (Rome)

Eléanore