En effet c'est fort impressionnant !!!!! Merci Murakami de partager avec nous cette case plus que mémorable, incontournable, que je découvre avec grand intérêt, n'ayant jamais lu Rork.
La case de Peyo, dont je me souviens bien est elle aussi très impressionnante ! Merci à toi Raymond de raviver son souvenir et d'attirer l'attention sur tous les détails en effet passionnants et amusants dont elle fourmille !
Les cases mémorables sont souvent de grande taille, mais il arrive aussi que celles nous nous marquent - et nous en avons déjà rencontré plus d'une dans ce sujet - soient plutôt petites au point qu'elles pourraient passer inaperçues, n'était leur pouvoir de fascination sur le lecteur, telle que l'émotion éprouvée devant une scène angoissante, comme le visage de la Princesse Saïs effrayée par la main qui s'abat sur son poignet dans
Le Prince du Nil que nous a montré Godot ( billet 35) ou celle que donne l'évocation d'une atmosphère comme la vue de la rue des Abesses de Tilleux montrée par eleanore-clo (billet 33).
Pour ma part c'est aussi une atmosphère qui est à l'origine de ma fascination jamais entamée depuis mon enfance pour une case du
Lotus bleu. Je devrais d'ailleurs dire une double case car il s'agit effectivement de la succession de deux vignettes représentant des rues de Shanghaï la nuit.
Le lotus bleu compte de nombreuses cases nocturnes qui tous m'ont fasciné dès mon enfance tant elles contribuent au suspens de cette récit haletant dans lequel Tintin ne cesse d'aller et de venir en franchissant clandestinement différents secteurs de la ville ou les limites de celle-ci, poursuivi et recherché par toute une théorie d'ennemis. Comme au cinéma, dont cet album possède de nombreuses caractéristiques, notamment son découpage et ses péripéties, les scènes nocturnes ajoutent évidemment une dimension dramatique mais aussi poétique.
Tel est précisément le cas des deux cases qui me plaisent tant. Elles se trouvent dans de la seconde partie de l'histoire, dans laquelle Tintin cherche par quel moyen sauver le fils de Monsieur Wang en trouvant un remède au poison qui rend fou. Or, dans un cinéma où il a trouvé refuge, Tintin découvre par hasard en assistant aux actualités, que vit à Shangaï un certain professeur Fan Se-Yeng, éminent neurologue reconnu pour ses ouvrages sur la folie et l'aliénisme, récemment rentré des Etats-Unis, qui pourrait bien être l'homme de la situation. Il décide donc de se faire aussitôt conduire chez cet illustre savant afin de solliciter son aide. Voici pour la bonne compréhension de ce passage et surtout le plaisir de contextualiser les deux cases mémorables, le quart de planche qu'elles ponctuent et qui est lui-même absolument remarquable.
Mes deux cases mémorables se succèdent. Toutes deux montrent des vues de Shanghaï sous la pluie nocturne qui ajoute donc sa contribution à la poétique de l'aventure policière urbaine comme dans de nombreux films qui nous ont tous marqué - je pense entre autre au
Grand sommeil, certes postérieur au
Lotus bleu.
La première est une véritable petit tableau avec trois plans successifs :
Tintin de profil hélant un conducteur pousse-pousse, une femme chinoise en costume traditionnel, vue de dos et qui observe les photographies du film projeté dans le cinéma dont Tintin vient de sortir, la rue en perspective avec ses passants aux parapluies, ses lumières et son tramway.
A cela s'ajoute le poteau en bois goudronné, les enseignes aux caractères chinois, les rais de la pluie et les tracés en sinusoïdes verticales indiquant son écoulement au sol luisant, le chromatisme réduit pour l'essentiel à des contrastes de bleu et de variantes de jaune et orangé, et voici un coin de rue de la Shanghaï des années trente qui vit soudain sous nos yeux avec une vérité fascinante et même poignante si, comme je le fais aujourd'hui, on songe qu'il s'agit là d'un monde englouti par les transformations de cette métropole mythique dont presque rien du passé pourtant si riche n'a été conservé.
Ce coin de rue est si pur, si convaincant, comme d'autres paysages de la même Shanghaï au fil de l'album, qu'enfant je ne doutais pas de leur existence à tous dans la ville chinoise, qu'Hergé l'ait visitée ou qu'il les ait reproduit fidèlement d'après des photographies, ce qui sans doute est le cas de certains des lieux représentés même si Hergé a dû le plus souvent se livrer à la synthèse imaginaire de vues photographiques consultées au cours du travail préparatoire de son album - à ce propos, j'adorerais qu'une édition commentée du Lotus bleu soit publiée, comme on en a déjà proposé plusieurs ces dernières années aux tintinophiles passionnés.
Ma seconde case remarquable n'est donc autre que la suivante. Tintin s'adresse à un sympathique conducteur de pousse-pousse, lequel reconnaît peut-être en lui le jeune européen qui a défendu un de ses confrères contre la violence de Gibbons et qui lutte contre l'occupant japonais en combattant Mistuhirato. En tous les cas, les deux personnages sont représentés à égalité dans cette case qui, avant la rencontre avec Tchang, signe l'alliance de Tintin et des chinois. La vue de profil des trois personnages de cette case est très belle et leur donne une présence forte, y compris au passant tenant un parapluie, si bien qu'on a vraiment l'impression que tous ces gens existent vraiment, comme les rues en donnaient déjà le sentiment, si bien que le jeune lecteur que j'étais avait l'impression de se trouver réellement transporté dans le Shanghaï des années trente et de s'imprégner de cette ville comme s'il l'avait visitée.
Il m'en est resté une grande nostalgie qui me donne le sentiment que Shanghaï fait partie de ma mémoire la plus intime, que moi aussi j'y ai circulé la nuit sous la pluie, sur les pas de Tintin et de son fidèle Milou. Le cadrage plus étroit de cette image ne propose qu'un petit fragment de rue sans perspective, contrairement à la case précédente, mais la vue urbaine est aussi "vraie" que la précédente et donne ce sentiment si fortement émouvant d'avoir franchi l'espace temps et d'avoir retrouvé dans les nombreux replis d'une ville entretemps totalement métamorphosée, un de ses lieux anonymes en sa merveilleuse vérité intemporelle. Tout l'album me donne cette impression, outre les péripéties passionnantes dont il fait le récit, si bien qu'il est encore aujourd'hui l'un de mes Tintin préférés. Beaucoup de ses cases sont donc pour moi aussi mémorables que celles que je présente aujourd'hui.