César en Angleterre ( page 18 )
La Bretagne ne portera ce nom qu’au VI° siècle de notre ère, quand les Angles, un peuple germanique, s’y installeront, chassant des Celtes vers l’Armorique qui deviendra la ( petite ) Bretagne.
César y conduisit deux expéditions, l’une en -55, l’autre en -54, au cours de laquelle il vainquit le chef Cassivellaunos, mais les Romains ne restèrent pas dans l’île ( ils y reviendront plus tard ). Il s’agissait en fait de démonstrations militaires, adressées aussi bien aux Gaulois, pour leur montrer que Rome allait où elle voulait ( il y aura aussi deux brèves expéditions en Germanie, dans le même but, en -55 et -53 ), qu’au Sénat de Rome pour le convaincre de continuer à soutenir le proconsul des Gaules.
Qui était Labienus ?
Ce personnage est présenté ici comme un homme inquiet et attentiste, qui se borne à compter ses soldats rendus malades par une force qu’il ne s’explique pas, quasiment assiégé dans son camp au milieu des bois ( quelle idée, aussi, alors que les Gaulois connaissaient la forêt mieux que lui ! ), et qui ne reprend courage que lorsque la flotte arrive enfin. Le personnage réel devait être quelque peu différent.
Titus Labienus ( -100/-45 ), issu d’une famille romaine assez modeste, fut le principal adjoint de César avec le grade de légat pendant toute la guerre des Gaules ; c’était lui qui commandait les légions restant sur place quand César partait hiverner à Ravenne et il était considéré comme un excellent stratège, spécialiste de la cavalerie. Il combattit surtout dans le nord et l’est de la Gaule, et généralement victorieusement : en -58, contre les Helvètes, en -57, contre les Nerviens, Atrébates et Viromandiens, en -55, contre les Morins et les Ménapiens, en -54, contre les Trévires, en -52, contre les Sénons, Parisii et Éduens, en -51, encore contre les Trévires. En -49, il quitte César et passe dans le parti de Pompée, ce qui peut se comprendre, car sa famille en était cliente ; il fut tué lors de la bataille de Munda.
Qui étaient les druides ?
Les mêmes personnages sont présentés dans l’album tantôt comme prêtres, le plus souvent, tantôt comme druides ; on voit aussi un jeune homme qui va « porter des oracles sur le continent » depuis l’île de Sena, et des druides qui écrivent leur savoir, alors qu’ils n‘étaient pas censés le faire…
Essayons d’y voir plus clair avec Christian Goudineau, historien spécialiste de cette période : « Oubliez Panoramix, le gui, la faucille en or… Les croyances et les rituels, extrêmement élaborés, varient d’une cité à l’autre. Des personnages nommés druides sont chargés de l’organisation du culte. Ils ne constituent pas un clergé. Ce ne sont pas à proprement parler des prêtres, mais de grands aristocrates, des autorités politiques et religieuses - comme César lui-même élu grand pontife de Rome - qui ont suivi des études spéciales et se sont initiés aux rites et à l’observation du ciel pour pouvoir diriger les sacrifices et le culte. Il ne faut pas voir les druides comme les membres d’une caste sacerdotale, mais plutôt comme des énarques polyvalents. »
Les Gaulois écrivaient-ils ? « Il n’y a aucun système graphique gaulois, mais ils écrivaient, bien sûr : contrats commerciaux, testaments, etc. Il s’agit de transcriptions en caractères grecs le plus souvent, quelquefois latins ou étrusques. Ce qui était interdit, c’était d’écrire les textes sacrés, la transmission des mystères de la religion étant exclusivement orale. Mais les grands États, comme les Arvernes ou les Éduens, avaient évidemment des archives ; quand César vainc les Helvètes, il trouve dans leur camp, sur des tablettes de cire, un état complet des membres de l’expédition. »
Poursuivons avec Jean-Louis Brunaux, du CNRS : les druides pratiquent une philosophie de l’action profondément ancrée dans la vie sociale. C’est leur sagesse universelle qui les distingue des autres hommes. Leur savoir, comme chez les plus anciens philosophes de la Grèce, est de nature encyclopédique. Il touche à toutes les matières et va de l’observation de la nature à celle des astres ; l’univers, englobant les divinités, est considéré comme un tout. Leur façon de les envisager est déjà scientifique, procédant par observation, documentation et application pour résoudre des problèmes concrets : médecine, technologie, agronomie, calcul, calendrier. Ils en font bénéficier tous les hommes et pas seulement les princes : les artisans, les agriculteurs, les artistes, les architectes s’appuyaient sur leurs observations en matière de temps ou de géométrie. Leur fonction était la seule commune à tous les peuples celtes, et, pour garder l’homogénéité de leur doctrine sacrée, non seulement ils prohibaient l’écriture dans ce seul domaine, mais ils se seraient dotés d’un chef, gardien des valeurs, autorité suprême et incontestée. Ils étaient dispensés du service militaire.
Les druides avaient pour principales fonctions :
- l’éducation des enfants de la noblesse dirigeante, ce qui leur permettait de choisir les futurs cadres politiques et administratifs, ainsi que leurs propres successeurs ;
- la justice : juristes et diplomates, ils réglaient les différents graves, pouvant dégénérer en conflits armés, arbitraient les querelles pour des motifs surtout territoriaux et commerciaux ;
- la religion : ils décident des sacrifices aux dieux, dont ils interprètent les désirs ; ceux-ci portaient plutôt le nom de vates.
Et pourtant, l’influence des druides, prépondérante entre le -V° et le -II° siècle, décrut ensuite et disparut entre -100 et -50, c’est-à-dire avant la conquête romaine ; à cela, les historiens voient deux causes : l’installation romaine en Gaule transalpine (Provence), qui amena d’autres valeurs, et la création de « démocraties » sur le modèle romain chez certains peuples, comme les Éduens. La surveillance du système par l’autorité morale des druides devenait moins nécessaire, la fonction et les hommes disparurent.
L’Histoire n’a retenu que le nom d’un seul druide, l’Éduen Diviciacos, que citent Cicéron, qui le reçut à Rome et qui admirait sa culture, et César, dont il fut le conseiller pendant la guerre des Gaules. Mais était-il bien druide ? Certains historiens en doutent, mais c‘était certainement un politique de haut rang.
Comme on l’a vu, le ressort le plus intéressant du récit tombe un peu à plat quand on sait que les Gaulois, dont leurs druides, n’ignoraient pas l’écriture pour conserver leur science : leur travail n’avait donc rien d’exceptionnel.
Véros le Gaulois peut-il se faire passer facilement pour Antonius du Latium ?
Oui, les Gaulois n’étaient pas tous comme les guerriers représentés dans l’album ! Depuis longtemps, ils avaient des contacts réguliers avec les Romains, des relations commerciales et militaires, de nombreux Gaulois servant dans la cavalerie romaine (par exemple : Vercingétorix). Et César lui-même avait eu pour précepteur un Gaulois « naturalisé » romain, Marcus Antonius Gniphon. Ce Véros semble être un druide, donc un homme instruit ; il est dommage que le récit n’insiste pas davantage sur les origines et les motivations de ce personnage, qui reste schématique et qui aurait pu être plus intéressant s’il avait été mieux décrit.
Melléda et l’île de Séna : une ancêtre de Velléda ?
Melléda est un personnage imaginaire, mais elle me fait penser, en tant que « maître des maîtres », au « chef » des druides dont parlait César et que j’ai évoqué ci-dessus. Son nom me paraît inspiré de celui de Velléda.
Il y a eu deux Velléda, l’une historique, l’autre romanesque.
La Velléda historique vivait à la fin du 1er siècle de notre ère, sous le règne de Vespasien ; c’était une Germaine, prêtresse et prophétesse du peuple des Bructères, qui la tenaient pour une presque déesse ; elle attisa une révolte contre Rome, mais finit par être capturée ; elle mourut à Rome.
L’autre Velléda est sortie de la plume de mon discret voisin de Saint-Malo, Chateaubriand, qui en fait l’une des héroïnes des Martyrs (1809). Sa trouvaille est d’en avoir fait une druidesse, et autrement plus gironde que Melléda : « Sa taille était haute ; une tunique noire, courte et sans manches, servait à peine de voile à sa nudité. Elle portait une faucille d’or suspendue à une ceinture d’airain, et elle était couronnée d’une branche de chêne ; sa démarche était fière et sauvage.» A la fois druidesse, prêtresse et vestale du temple de l’île de Séna (Sein), elle prône la révolte contre « le joug romain que portaient avec impatience les habitants de l’Armorique qui avaient conservé leurs mœurs primitives » et elle se prépare à pratiquer elle-mêmeun sacrifice humain « le vêtement en désordre, la tête échevelée, tenant un poignard à la main, et une torche flamboyante sous ses pieds. » Or, nous sommes à la fin du III° siècle de notre ère : Chateaubriand inaugure les anachronismes créant le mythe d’une Bretagne résistant tardivement à Rome, et qui serviront jusqu’à Astérix.
Mais au fait… y’a-t-il eu des cités englouties ?
Désolé… probablement pas (ou alors, on ne les a pas encore retrouvées).
Comme dirait M. de la Palisse, pour qu’il y ait des cités englouties, il faut deux conditions : 1) qu’il y ait des cités, et 2) qu’il y ait des circonstances favorables à leur engloutissement.
Or, les plus anciennes cités dignes de ce nom datent du V° millénaire avant notre ère, longtemps après la dernière période de montée des eaux, entre le X° et le VIII° millénaire, fin de la dernière grande glaciation, dite de Würm III. Par exemple, c’est ce qui valut à l’entrée de la célèbre grotte Cosquer, près de Marseille de se retrouver à 37 mètres sous le niveau de la Méditerranée, alors qu’elle se trouvait à plusieurs kilomètres du rivage lorsque nos ancêtres la décoraient.
Donc, pas d’Ys en Bretagne et pas non plus d’Atlantide dans l’Atlantique : la géologie n’est pas d’accord pour y trouver un cataclysme à l’époque humaine ; elle nous accorde tout juste quelques tsunamis, comme celui du volcan Santorin qui ravagea la Crète, voici 1 600 ans, mais qui laissent des ruines visibles quand la mer se retire.
Des vestiges de Tarania détruite il y a 2 000 ans à la fois par les éléments et l’action humaine se verraient-ils encore, mais pourquoi ne pas l’imaginer ?
Les auteurs de l’album savent-ils qu’il y a dix ans, le site de la pointe du Raz, défiguré par une affreuse cité commerciale en béton, des hôtels et un parking, a été remis en état par les pouvoirs publics ? Il a repris aujourd’hui son aspect naturel et sauvage, toujours aussi apprécié des nombreux visiteurs, les équipements détruits ayant été reconstruits plusieurs kilomètres en arrière.
Sources
J’ai plus particulièrement consulté les ouvrages suivants : « Histoire de la Gaule », de D. et Y. Roman (Fayard), « Nos ancêtres les Gaulois » et « Les Druides », de J.-L. Brunaux (Seuil). L’article de C. Goudineau a été publié dans « Le nouvel Observateur » du 4/8/2005.