Je ne l'ai pas encore lu, mais je recopie à votre intention un article du Figaro à son sujet, ainsi qu'un entretien avec Jean Van Hamme :
Article :
CRITIQUE - Quatre-vingts ans après sa publication, l'auteur donne une suite à cet album mythique créé par le père de Blake et Mortimer en 1943. Un petit bijou aussi romanesque que «vintage».
Damned ! Voilà un nouvel album qui personne n'attendait : La Flèche ardente, signé du scénariste de XIII, Largo Winch ou Thorgal Jean Van Hamme sort en librairie vendredi, sous les crayons d'Etienne Schréder et Christian Cailleaux.
Quatre-vingts ans après la publication de l'album Le Rayon U, créé par Edgar P. Jacobs, l'auteur du Grand Pouvoir du Chninkel donne une suite à ce succédané de Flash Gordon, créé en 1943 pour le journal Bravo !, alors que l'occupant allemand avait proscrit les BD américaines.
Alors que penser de cet album à rebrousse-poil de toutes les modes? Tout d'abord, il convient de relire Le Rayon U de Jacobs. L'intrigue de cette bande dessinée de science-fiction rétro futuriste au charme désuet se situe dans un univers parallèle, où l'Austradie et la Norlandie se livrent une guerre sans merci.
L'éminent professeur Marduk, scientifique norlandien, a mis au point une invention révolutionnaire, le Rayon U, qui, alimenté avec de l'uradium peut devenir une terrifiante arme de destruction massive.
Pour que son travail puisse trouver un débouché militaire concret, une expédition est mise sur pied vers l'archipel des Iles Noires, où gît ce précieux et rare minerai. Mais l'infâme Dagon, un espion Austradien infiltré, essaie de les en empêcher.
À cause de lui, les explorateurs se retrouvent perdus dans une forêt menaçante, où ils vont devoir lutter contre des dinosaures, des serpents géants ou d'immenses tigres à dents de sabre, sans compter les tribus indigènes qui veillent jalousement sur leurs trésors...
C'est en relisant il y a quelques années Le Rayon U que le créateur de Largo Winch Jean Van Hamme, pétillant scénariste de 84 ans, se rend compte qu'il y a un manque. Qu'est-ce que le Rayon U et à quoi sert-il? Pour répondre à cette épineuse question, il propose dons La Flèche ardente, la suite du célèbre album de Jacobs. Il s'adjoint les services de deux dessinateurs prestigieux Étienne Schréder et Christian Cailleaux, qui œuvrent déjà sur la reprise de nos deux chers Blake et Mortimer.
La Flèche Ardente replonge avec un plaisir évident dans la bonne vieille BD franco-belge des années quarante-cinquante. Le méchant roi d'Austradia Babylos III, sur son trône doré, ne décolère pas. Il ordonne au général Robioff, chef suprême de son armée, de s'emparer des Iles Noires et de son précieux gisement d'uradium. Ce métal rarissime, associé au fameux rayon «u», devrait en effet permettre de créer une arme apocalyptique. Nos héros sont menacés.
Et nous voilà repartis dans de périlleuses aventures, en compagnie de Lord Calder, du professeur Marduk ou de la belle Sylvia. Le dépaysement est garanti. Les grands sentiments sont au programme, ainsi que des volcans en éruption, des flottes d'avions baptisés «aéropiles», des grottes souterraines menaçantes, des tribus rappelant les Atlantes, des combats épiques, des trahisons et des méchants dont la noirceur de l'âme n'est plus à remettre en cause.
L'infâme capitaine Dagon a des faux airs du colonel Olrik, mais il fait surtout penser au terrifiant Iago dans la tragédie Othello de Shakespeare. Sur le plan graphique, l'album est d'une très belle virtuosité. On se croirait dans les grands films de cape et d'épée hollywoodiens avec Errol Flynn. Ou encore dans l'adaptation kitsch à souhait de Flash Gordon des années 80 signée Mike Hodges, avec Max von Sydow et la belle Ornella Muti.
Délicieusement suranné, romanesque comme jamais, La Flèche ardente, est un album éblouissant qui se lit avec le sourire aux lèvres, pour mieux retrouver la candeur des années 40, et cette étincelle de joie naïve qui nimbait les récits d'aventures de ces années-là.
Entretien :
ENTRETIEN - Le créateur de Thorgal, XIII ou Largo Winch publie La Flèche ardente, suite de l’album Le Rayon “U” publié par Edgar P. Jacobs en 1943.
Il arbore, comme à son habitude, une élégance et une distinction de tous les instants. Souriant, flegmatique, le regard pétillant de malice, Jean Van Hamme est de passage à Paris. À 84 printemps, le créateur de Thorgal, XIII, Largo Winch, Epoxy ou Lady S a fière allure. Celui qui a relancé avec succès en 1996 les aventures de Blake et Mortimer grâce à L’Affaire Francis Blake publie un nouvel album qui personne n’attendait: La Flèche ardente.
Quatre-vingts ans après la publication de l’album Le Rayon «U», créé par Edgar P. Jacobs, l’auteur du Grand Pouvoir du Chninkel donne une suite à ce succédané de Flash Gordon, créé en 1943 pour le journal Bravo!, alors que l’occupant allemand avait proscrit les BD américaines. Celui que l’on surnomme le «Midas de la bande dessinée» puisqu’il confesse avoir vendu plus de 44 millions d’exemplaires de ses albums depuis près de quarante-cinq ans, est heureux de dire qu’il a pris «un très grand plaisir à replonger dans le chaudron bouillonnant de la bonne vieille BD franco-belge.»
LE FIGARO. - Vous souvenez-vous précisément du moment où vous avez découvert Le Rayon «U» d’Edgar P. Jacobs?
Jean VAN HAMME. - Bien sûr. Nous sommes pendant l’Occupation, en 1943. Ma mère est morte et mon père est dans la Résistance. J’ai quatre ans et demi, et je vis chez ma grand-mère. J’ai un oncle qui a onze ans de plus que moi. Chaque soir, il me lit des histoires pour m’endormir. Je suis abonné à la revue Bravo! Il se trouve que le jeune Edgar P. Jacobs travaille pour cette revue enfantine en fournissant des illustrations. Ce que je ne sais pas, c’est qu’à l’époque, l’occupant allemand a interdit la publication de bandes dessinées américaines telles que Flash Gordon. C’est pour cela que Jacobs crée Le Rayon «U», sa toute première bande dessinée. Mon oncle me lit chaque soir Le Rayon «U», et je trouve ça fantastique, les dinosaures, les serpents ou les tigres géants. Il y a les méchants et les gentils. C’est de l’aventure avec un grand «A». C’est à la fois simple et fascinant. Et pourtant, les années passent et j’oublie tout de cet album mythique.
Comment avez-vous été amené à redécouvrir cette bande dessinée dont on dit qu’elle est la matrice de Blake et Mortimer?
Je regrette d’être passé à côté de la redécouverte du Rayon «U» dans sa version définitive lorsque Le Journal Tintin le republie au cours des années 1970. Mais je le relis à la faveur d’une réédition récente il y a quelques années. Vous savez, je suis à l’âge où l’on ne lit plus. On relit. Un beau jour, je reprends cet album et le relis. J’avais oublié l’essentiel de l’histoire. Je replonge dans cette atmosphère délicieuse issue des romans d’aventures qui ont enchanté ma jeunesse. Et même si je trouve cela kitschissime, je retombe sous le charme.
Qu’est-ce que ce que signifie pour vous le terme «kitsch»?
Le kitsch, c’est une sorte d’absurdité romantique qui m’enchante. Dans Le Rayon «U» par exemple, on suit les errances du Pr Marduk dans les couloirs souterrains d’un tombeau caché. Une fois sorti des ténèbres, l’homme est attaqué par des ptérodactyles. Ses compagnons lui viennent en aide à la dernière minute et le sauvent. La seule chose que l’infortuné professeur leur répond en guise de remerciement sera: «Hello!» Un autre exemple frappant se trouve dans Tintin en Amérique.
Lorsque Hergé envoie le jeune reporter à la houppette se frotter à Al Capone, le puissant Syndicat du crime prend la menace très au sérieux. Ils capturent notre héros dès son arrivée dans un taxi dont les portes et les vitres se révèlent en acier. Mais Tintin va s’en sortir grâce à une scie égoïne! Personne n’y a jamais trouvé à redire. C’est cela le kitsch! C’est fabuleux! Cela me rappelle les leçons des grands feuilletonistes du XIX siècle, d’Eugène Sue et ses Mystères de Paris jusqu’à Ponson du Terrail et les aventures de Rocambole.
C’est-à-dire?
Je me souviens de cette anecdote concernant Ponson du Terrail demeurée célèbre dans le milieu littéraire. L’écrivain venait de s’embrouiller avec son éditeur pour une histoire d’argent. On lui retire le feuilleton. Alors, il tue son héros emblématique Rocambole, noyé dans un lac de vingt mètres de profondeur, soumis à des chaînes inviolables. Dans le journal, l’aventure s’interrompt brusquement sur ce suspense insoutenable. L’éditeur essaie bien de soumettre à d’autres feuilletonistes l’idée de sortir Rocambole de ce terrible péril. Aucun ne trouve la solution.
En désespoir de cause, l’éditeur revient donc vers Ponson du Terrail… Le romancier accepte ainsi de reprendre la plume. Il commence son nouvel épisode en écrivant ce superbe incipit: «S’étant tiré de ce mauvais pas, Rocambole repart de plus belle et prend le premier train pour Paris.» Voilà une belle leçon à retenir qui nous vient de l’un des maîtres du roman populaire. Ce qui intéresse les lecteurs, c’est la suite de l’aventure. Il faut toujours aller de l’avant…
Pourquoi avez-vous souhaité donner une suite au Rayon «U»?
En relisant cette aventure, j’ai été frappé par la manière dont le jeune Edgar P. Jacobs joue avec les poncifs de la séduction. Sous le crayon de Jacobs, les personnages flirtent à mort. C’est terriblement réjouissant. Cela va même jusqu’à provoquer la jalousie d’une princesse afin de permettre aux héros de s’évader. Dès la première page de l’histoire, Jacobs s’étend sur cette arme terrifiante qu’est le rayon «U». Un mystérieux rayon qui peut devenir dévastateur une fois mêlé à de l’uradium. Pourtant, une fois lancée l’expédition vers les Îles noires pour mettre la main sur le fameux gisement d’uradium, plus un mot du rayon «U»! De quoi s’agit-il? Il y avait un manque. «Godverdomme!» comme diraient nos amis flamands, c’est trop drôle. Cela m’amuserait énormément de faire la suite. Quand j’ai soumis l’idée à l’éditeur de Blake et Mortimer, Yves Schlirf, ce dernier s’est montré très étonné par ma proposition. Mais il m’a répondu: «Pourquoi pas.»
Comment vous y êtes-vous pris?
En réalité, je me suis amusé comme un petit fou. La preuve, j’ai écrit le scénario de La Flèche ardente en un mois et demi. Tout coulait de source. Je me suis remis dans la peau de Jacobs, et j’ai repris tous ses tics. J’ai accentué les flirts entre les personnages. Vous savez, Le Rayon «U», c’est très Indiana Jones. Il y a une forme de science-fiction candide. Je préfère le terme de «candeur» à celui de «naïveté». En tout cas, j’y suis allé carrément. Je me souviens que, parfois, je rigolais tout seul devant mes pages. Et même si, en sous-texte, on retrouve toute l’angoisse de la Seconde Guerre mondiale, j’ai préféré m’en tenir à un palimpseste amusant de Flash Gordon.
L’infâme capitaine Dagon, serait-il la préfiguration du méchant colonel Olrik?
Je ne crois pas. Je ne vois pas dans Le Rayon «U» une sorte d’ancêtre des héros de Blake et Mortimer. Pour moi, l’infâme capitaine Dagon est un méchant nécessaire, il ne s’agit pas d’une première version d’Olrik. Ils n’ont pas le même caractère. L’un est un maître espion. L’autre est un élégant mercenaire sans foi ni loi. Quant à tous ceux qui se demandent quatre-vingts ans plus tard ce qu’est le rayon «U», je donne enfin la réponse: il s’agit de la formule du laser! En le soumettant à la puissance de l’uradium, cette technologie peut alors devenir une arme suprême, diablement dévastatrice.
Qu’est-ce que cela vous a fait de revenir à ce type de bande dessinée, volontairement datée, en 2023?
Cela m’a fait remonter à la période où j’aimais bien la bande dessinée. Ce qui n’est plus tout à fait le cas maintenant. Je ne lis plus de BD depuis quatre ou cinq ans. Je ne m’y retrouve plus du tout. Alors que dans Le Rayon «U», se trouve tout ce qui m’a nourri étant enfant. Je retrouve Jules Verne, les statues de l’île de Pâques, les mystérieux Incas… Je me souviens de Louis-Henri Boussenard et de ses romans d’aventures. Avec cette suite, j’ai pu replonger dans cette bande dessinée en pleine éclosion. Les deux dessinateurs qui m’ont accompagné dans cette aventure, Étienne Schréder et Christian Cailleaux, se sont également beaucoup amusés dans la recréation totale de cet univers oublié.
Quel regard jetez-vous sur la postérité des personnages que vous avez créés?
Je ne regarde jamais en arrière. J’ai vendu 44 millions d’exemplaires de mes albums depuis quarante-cinq ans. L’année 1976 a été un tournant dans ma vie. J’ai écrit Largo Winch, rencontré Huguette qui est devenue ma femme, et fait la connaissance de Grzegorz Rosinski avec qui j’ai créé Thorgal… Aujourd’hui, ce qui m’importe, c’est que cette excitation qui m’a poussé à démissionner de mon poste de fondé de pouvoir chez Philips ce 1er avril 1976 continue de m’animer.
En écrivant La Flèche ardente, je sens toujours cette excitation. Donner une suite au Rayon «U» m’a redonné le goût et le plaisir de la bonne vieille bande dessinée. Parfois, je me dis que si j’imaginais aujourd’hui des personnages comme l’espion amnésique XIII ou Largo Winch, je ne suis pas sûr que cela fonctionnerait autant qu’à l’époque. Mais grâce à La Flèche ardente, j’échappe complètement au modernisme. Et puis quelle joie de gagner sa vie en s’amusant. C’est ma grande chance. Dans le fond, tout ce qui irrigue mon métier depuis le début, c’est le mot «plaisir»…