À mon tour, j'ai pu lire
Signé Olrik. Et, disons-le tout de suite, j'ai passé un moment de lecture très plaisant.
J'ai toujours très peur, je l'ai déjà mentionné, des scénarios d'Yves Sente (qui m'ont carrément fait abandonner la série pendant plusieurs années, jusqu'à que je me laisse tenter par l'aventure hong-kongaise de
La Vallée des immortels, dont le premier tome est très honnête... puis part en cacahuète avec le second hélas).
Ici il nous livre une histoire simple, à la croisée de plusieurs influences : on est à la fois dans une sorte de
rural mystery à la Inspecteur Barnaby
(avec une touche de Père Brown — sa version télévisée de 2013, pas l'original de l'immense G. K. Chesterton — pour le Père Joseph première époque), mais aussi dans une quête aventurière et archéologique à la façon d'Indiana Jones, toutes proportions gardées, dont
Signé Olrik reprend quelques codes et topoi scénaristiques.
Cela a déjà été mentionné, cet album est aussi construit en écho partiel à
L'Affaire Francis Blake (un peu aux
Trente deniers également : la chasse au trésor, le "villain" mystérieux, le rôle d'Olrik, les aspects Indiana Jones), et nous offre des clins d'œil tendres et élégants à
Gil Jourdan.
La localisation dans les Cornouailles offre un double caractère britannique et exotique. Et puis tout ce qui est celte résonne toujours un peu dans nos cœurs gaulois, n'est-ce pas ?
Nous avons donc une aventure qui, sans être brillante, demeure plutôt robuste. Pas de délires absurdes et indigestes (coucou les
Sarcophages ). Les rebondissements sont bien menés et donnent un rythme régulier et bien maîtrisé à l'album. Je rejoins Syngonic sur l'aspect un peu gratuit de la thématique sur l'immigration indienne et des scènes qui y sont liées. C'est un ressort scénaristique qui n'apporte en réalité pas grand'chose à l'histoire sinon à l'alourdir par des considérations un peu pataudes et convenues. Développer davantage Riwal et son comparse par exemple aurait pu être plus profitable, muscler la scène sur la lande, ou encore ajouter un peu de profondeur au rôle de nos héros qui restent à la surface des choses (vous me pardonnerez cette image qui jure un peu avec le final très souterrain de l'album
) et sont à la remorque du maître du jeu, comme l'a souligné Éléanore-Clo, à savoir notre cher Olrik.
Il est toujours agréable de le voir prendre la place qu'il mérite comme
antagoniste — et j'utilise ce mot à dessin, car pour moi Olrik est la représentation du diable, du mal absolu et gratuit dans
B & M. Malgré sa prise de contrôle sur les événements (un peu par hasard, merci le scénariste
), il demeure un ennemi très accommodant et magnanime dans cette aventure. Il est narquois et goguenard, là où on l'a connu plein de mépris, haineux et prêt à tout pour détruire ses vieux ennemis. Le rôle lui va bien, mais il aurait pu "en donner davantage". Là où on le retrouve parfaitement, c'est en revanche dans cette capacité à rependre le contrôle des choses en sous-main alors même qu'il est toujours — facialement — le subalterne d'un méchant "en chef" (Olrik est toujours colonel, jamais général). La fin est savoureuse, vous êtes plusieurs à l'avoir signalé. Blake et Mortimer ne sont rien sans Olrik (contrairement à Alix sans Arbacès), qui est le vrai personnage principal de cette série oserais-je malicieusement.
C'est enfin touchant de lire le tout dernier album d'André Juillard. Son trait sec mais précis conserve une fermeté remarquable jusqu'au bout. Malgré la richesse des détails par moments, il y a un côté ascétique dans son dessin qui apporte un charme spécial à ses
B & M. On le voit dans le tracé des véhicules ou de façon très différente dans les cases consacrées à la Taupe en action, dont l'aspect désuet fait merveille et me rappelle des mises en scène "carton-pâte" de Wes Anderson. Tout cela n'est qu'un grand décor de théâtre.
Voilà pour l'instant, tout ceci a été jeté un peu à la va-vite et sans trop d'ordre, vous me pardonnerez. Au plaisir d'en discuter et de lire d'autres recensions de ce joli album.