En ces années-là (début des 80), j'avais également trouvé très intéressant un livre qui est aujourd'hui complètement oublié. Il s'intitulait
la Société des Bulles et il avait été écrit par Wilbur Leguèbe.
L'auteur avait l'ambition d'analyser les messages explicites ou implicites qu'apportait la bande dessinée au grand public, et d'y trouver certaines constantes, que ce soit par rapport à la famille, la société ou la politique. Chaque affirmation était accompagnée d'images typiques d'une certaine idéologie, qui appuyaient efficacement le discours critique de l'auteur.
On pouvait certes reprocher à Wilbur Leguèbe une simplification excessive des messages apportés par les auteurs de BD, mais sa démarche était tout de même convaincante. C'est ainsi que le mythe du héros sans reproche, qui a la chance d'être fortuné et qui se permet de donner des leçons aux plus pauvres, y était exhibé d'une façon impitoyable.
Bien sûr, Jean Graton et Michel Vaillant étaient particulièrement ciblés dans un livre qui recherchait et dénonçait impitoyablement la pensée bourgeoise. Il fallait d'ailleurs bien reconnaître que Michel Vaillant véhiculait une image très datée de la famille, alors que la société française avait déjà beaucoup changé au cours des années 70. Les vieilles images devenaient ainsi plus humoristiques et le critique semblait se régaler en commentant à sa manière quelques cases désuètes.
Mais Jean Graton n'était pas le seul à montrer des images conventionnelles de la société et de la famille. Albert Uderzo, André Franquin, Victor Hubinon, Morris ou Hergé étaient eux aussi convoqués devant le "tribunal" qui dénonçait dans leurs œuvres une relative dominance de la pensée de droite. Il est vrai aussi qu'ils travaillaient pour des journaux très conservateurs et dominés par une morale catholique.
Il me semblait dans cette accumulation d'exemples précis que certains jugements étaient injustes pour les auteurs (pour Franquin par exemple), mais que les images prouvaient bien l'existence d'une mentalité dominante dans les journaux Tintin et Spirou. Avec leurs BD, ces hebdomadaires apportaient un modèle de société que l'on pourrait résumer par la fameuse formule "Travail - Famille - Patrie", et il y avait bien un enseignement des jeunes lecteurs grâce aux images et aux histoires, quelque soient les intentions propres des dessinateurs. Ce fût pour moi une grosse étape que d'admettre cela.
Aujourd'hui la société a complètement changé, de même que la pensée dominante d'ailleurs (qui est plutôt de gauche), et ce livre n'a plus qu'un un intérêt historique.
Mais cet ouvrage intelligent et bien ciblé reste à mon avis assez exemplaire dans sa démarche. Et puis, il est toujours agréable de lire des textes qui vont au-delà des analyses conventionnelles.