Le quatrième "grand classique" de Corben, c'est le
Tome 2 de Den ... dont je préfère nettement le titre américain (
Muvovum), qui est plus mystérieux. Cette histoire est d'abord parue dans
Heavy Metal en 1981, avant de sortir en français dans
Métal Hurlant en 1982 (l'album date pour sa part de 1983).
Cette suite commence d'une façon savoureusement ironique, puisque Den et Kath se sont curieusement embourgeoisés. Ils vivent dans une île volante au dessus de Nerverwhere et portent des vêtements tout à fait conventionnels. Kath reproche à Den d'être infantile, de vouloir rester nu et de montrer ses muscles, et finalement de ne pas vouloir se civiliser !
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Petit aparté : j'ai toujours soupçonné que cette scène reflétait simplement les remarques que Corben devait entendre de la part de certaines femmes dans son entourage (peut-être même de son épouse). Il est clair que l'univers viril et primitif de Den pouvait être suspect d'un certain "machisme" et que l'auteur devait entendre des reproches de toute sorte. Cette séquence est probablement une manière assez fine de répondre à toutes ces attaques et elle a le mérite d'être assez drôle ... mais passons !
Ce qui frappe, sinon, dans cet album, c'est que le dessin devient moins caricatural que dans "Neverwhere". Les couleurs sont mieux dosées et plus claires, et il apparait une sorte de classicisme des séquences d'images, qui deviennent plus simples à comprendre. C'est en fait une évolution esthétique que l'on peut constater dans la plupart des albums des années 80. Corben maîtrise dès lors parfaitement sa technique et son œuvre graphique atteint une sorte d'apogée. L'habileté de ses colorations rend par ailleurs de nombreuses pages vraiment splendides.
Je ne rentrerai pas trop dans les détails de l'intrigue de "Muvovum", qui met au premier plan un ami de Den nommé Tarn ainsi que sa compagne Muuta. Tandis que Den et Kath essaient de retourner vers le monde terrestre (Den reviendra bien sûr très vite), Tarn se porte volontaire pour une dangereuse mission. Ce dernier tombe toutefois dans un piège horrible et se transforme progressivement en monstre.
La deuxième partie du récit montre le combat de Den contre les dangereux dramites et on y retrouve les classiques péripéties des romans d'heroic fantasy. La séquence finale bascule toutefois dans l'horreur, et Corben dessine de monstrueuses images que je n'oserai pas montrer ici. Ce sont peut-être les dessins les plus féroces de toute sa carrière.
Alternant ainsi (d'une façon narquoise) la séduction et l'ignominie, cette deuxième aventure de Den allait habilement beaucoup plus loin que le premier opus. Tandis que "Nerverwhere" était une œuvre assez simple qui pouvait se suffire à elle-même, "Muvovum" élargissait le champ des possibles en introduisant de nouveaux lieux et d'autres personnages importants, qui allaient être la source de nouvelles aventures. Den allait par la suite devenir une série très complexe, chaque album rendant la série de plus en plus difficile à comprendre (pour mon plus grand désespoir).
Mais une chose devenait certaine ! Avec "Den", Richard Corben était tout simplement en train de réaliser sa grande œuvre.
(*) NB : Il existe quelques textes qui essaient de faire la synthèse de toutes ces histoires parfois peu claires, en particulier la "Den's Legacy" que l'on peut trouver sur le site MuutaNet. Mais pour comprendre, il vaut mieux avoir lu tous les albums auparavant :
https://muuta.net/wp/articles/dens-legacy/