Je viens de lire

Clapas est un cauchemar, euh, une BD écrite et dessinée par Moutte.



Louis rend visite à son père lorsque sa voiture tombe en panne. Il rejoins alors un petit village, Le Claps, pour se faire dépanner. Aucun garage n'étant présent, mais, heureusement, un vacancier propose au jeune homme de le transporter. Les deux personnages s'engagent alors sur une route de montagne qu'un éboulement vient bloquer. Un autocar est aussi immobilisé. Tous contournent l'obstacle et sont accueillis dans une étrange ferme et vont y assister à un meurtre. Les paysans décident alors de se débarrasser de tous ces témoins.

Un cauchemar. Oui. C'est vraiment une plongée dans une horreur sans fin qui attend le lecteur. On pense immédiatement à Stephen King, même si le fantastique n'est pas de la partie. Les héros vont de déconvenue en déconvenue, dans une spirale sans fin et dans espoir de crimes. Chaque éclaircie est immanquablement suivie d'un incroyable coup du sort, comme si le destin avait décidé de s'acharner sur les héros. La fin est ouverte mais Moutte laisse au lecteur le soin de choisir si un ultime et horrible rebondissement n'attend pas les trois survivants.

Côté graphisme, les paysages paisible et magnifique du Vercors  enchante le regard, rendant le contraste avec la tragédie encore plus grand. Côté couleur, on retrouve l'omniprésence du jaune, comme d'ailleurs dans Seul le silence. Une étrange coïncidence pour deux BDs parues presque simultanément et à la toutes aussi noires l'une que l'autre !





Cette BD donne une image sombre des montagnards présentés comme des sauvages et des rustres. Derrière cette horreur ordinaire, on voit le spectre d'une affaire judiciaire sordide, comme celles dont nos médias raffolent. Vous avez dit Daval ? Ligonnès ? Grégory ? Brrr. Tout cela fait vraiment froid dans le dos. Le pari de l'auteur est totalement réussi . Néanmoins, j'abhorre voire
même  j'exècre les pages faits divers des feuilles de chou. Elles ne font que flatter les plus bas instincts de l'humanité. Et en plus, j'apprécie beaucoup le Vercors, charmant massif qui n'a rien fait pour mériter cette contre publicité. Tous ces arguments expliquent donc un modeste EE.

Eléanore

Merci pour cette critique ! Il y a en effet des BD qui sont bien construites et correctement dessinées, mais qui nous sont assez spontanément antipathiques. Je ne crois pas que je me lancerai dans la lecture de cet album !

Sangoma, les damnés de Cape Town est une BD scénarisée par Caryl Ferey et dessinée par Corentin Rouge.



En temps normal, je n'aurais pas prêté attention à cette BD et je souhaite remercier Murakami et Raymond qui en ont parlé sur le forum car c'est une très, mais alors très belle découverte .

L'Apartheid est terminé depuis longtemps mais la souffrance est toujours présente dans les esprits. Et les salariés agricoles noirs se ressentent abusés par les propriétaires terriens blancs. L'intrigue commence lorsque Sam, un jeune orphelin, est retrouvé assassiné dans un vignoble. L'enquête est confié au lieutenant Shepeerd, un séducteur invétéré aux méthodes peu conventionnelles. Sur fond de tension raciale provoquée par un projet de loi de redistribution des terres, le policier va mener son enquête dans toutes les couches sociales du pays. Il va ainsi naviguer entre l'horreur des médecines traditionnelles, à base de chair humaine, et la jeunesse dorée des nouvelles classes sociales.

En premier lieu, j'ai adoré la présentation du contexte. Avec un regard anthropologique, sans condamner ni culpabiliser, Ferey nous livre un peinture détaillée de la société locale. L'auteur maitrise parfaitement son sujet comme il nous l'a déjà démonté dans Zulu, un autre récit ayant lui aussi pour décor la nation arc-en-ciel (http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Serie-Noire/Thrillers/Zulu). Sans complaisance mais avec compréhension, l'auteur nous plonge dans le chaudron sud-africain. Il démontre avec un ton juste que les violences ont des sources historiques, mais aussi sociales et économiques. Que nul n'a le monopole de la raison et que chaque communauté, tant celle des afrikaners que celle des Zoulous, est écrasée par ses vieux démons. Dans ce déchainement de passion, quelques héros, aussi bien blancs que noirs, essaient de porter la voix de la raison et du dialogue.

Sangoma est aussi un récit policier et là encore, on ne peut que saluer la performance du scénariste. Les indices nous sont livrés au compte-goutte mais chacun est signifiant. Des rebondissements rythment l'action, tant criminels que politiques. Et au final, on se prend au jeu. Qu'est-ce qui se cache derrière cette sombre histoire ? Qui est le vrai coupable ? quels sont ces complices ? Quels sombres secrets se cachent dans le passé ?

En fait, deux intrigues se croisent et s'entremêlent dans la BD : les meurtres dans l'exploitation viticole mais aussi les saccages des fermes. Les liaisons sont réalisées avec beaucoup d’habileté grâce à des personnages et des lieux communs aux deux trames. Et les scènes d'action se succèdent à toute vitesse dans une logique hollywoodienne. J'en suis sortie pantoise, groggy.

Les personnages sont crédibles et parfaitement campés, que ce soit le policier, son amante, fille d'un dirigeant local, ou encore Jacob, le si digne contremaitre agricole. Un soupçon d'humour traverse la BD et les différents équipiers de Shepeerd sont comiques, notamment la gigantale et si sérieuse policière noire.

Cerise sur le gâteau, la conclusion est splendide, émouvante, automnale ou printanière suivant le lecteur, toute en pudeur et tellement pertinente.

Enfin, et pour celles et ceux qui se posent la question, Sangoma est le nom donné aux guérisseurs traditionnels d'Afrique australe : https://fr.wikipedia.org/wiki/Sangoma.

J'ai aussi beaucoup apprécié le dessin. Il est réaliste, solide et varié. Les virages sont travaillés avec beaucoup de finesse et les expressions qui y fleurissent retranscrivent parfaitement des caractères forts. Et puis, quels décors ! Tant les panoramas que les banlieues noires pauvres sont superbement restitués grâce à de superbes grandes vignettes. Et je n'évoque pas la ferme ou encore le parlement du Cap, tellement bien croqués. Quel talent. Les couleurs sont douces, toutes en nuances. Vraiment remarquable.




Pour ce qui est de la note finale, j'hésite entre EEE et EEEE. Comme le ton est profondément juste et à mille lieues des clichés et comme le graphisme témoigne d'un métier solide, ce sera finalement EEEE   . Du coup, une seule question : que penses les autres membres du forum de l'ouvrage ? Murakami ? Envisagez-vous une nouvelle autopsie dédiée à cet album ?

Voilà, nous approchons de la fin de l'année et le déluge de nouveautés va bientôt se terminer. N'hésitez pas ! Vous pouvez prendre Sangoma avec vous dans l'arche de BD-Noé

Eléanore

Les avis favorables s'accumulent !

Il va donc falloir que je m'y intéresse.

Sangoma, les damnés de Cape Town vient d'ailleurs d'être sélectionnée par les libraires du réseau Canal BD, ainsi que Goldorak, Tananarive et Le droit du sol : https://www.canalbd.net/glbd_plibre_33-10_Selection-2022.

Eléanore

Goldorak, je ne lirai pas. Faut pas pousser, quand même !  

Tananarive, j'ai beaucoup aimé. Quant à Droit du Sol , c'est pas mal mais ce n'est pas un chef d'œuvre. J'en ai parlé dans le sujet "Davodeau".

Sangoma ... il faudra voir, avec tout ce qui sort en ce moment. je suis en train de lire un gros pavé de Barry Windsor Smith et je en suis pas encore au bout.

Publication déplacée dans le file "Le serpent et la lance" :

Eléanore

J'avais bien apprécié le tome 1 et je me réjouis de découvrir la suite.  

Quant au déluge de publications, il freine beaucoup (en tout cas pour moi) la découverte des "one shot" ou des romans graphiques dont tu parles abondamment dans cette rubrique. C'est bien dommage mais comment faire autrement ? Lorsqu'il y a chaque week-end trois ou quatre albums provenant de séries ou d'auteurs que je suis depuis longtemps, je ne veux pas les manquer et j'atteins ainsi le nombre maximal de BD que je lis chaque semaine. Toutes les véritables nouveautés restent ainsi sur les rayons des librairies.

Bonjour
Autopsie d'un imposteur est une BD noire scénarisée par Vincent Zabus (le papa d'Incroyable !, mon œuvre préférée de 2020   ) et Thomas Campi.



Louis est un étudiant en droit. Pauvre, il est rejeté par la société bourgeoise. Ses fins de mois sont très difficiles et il éprouve les plus grandes difficultés à payer tant son loyer que ses frais de sa scolarité. Sa seule amie est une prostituée qui lui conseille de vendre ses charmes auprès de femmes âgées, sensuelles, et quelque peu délaissées par leur conjoint. Et petit à petit, le jeune homme va rentrer dans un cycle vicieux qui va l'emmener jusqu'en enfer.

La BD est vraiment très bien faite. La peinture sociale est au vitriol mais sonne juste. Quant à la déchéance morale de Louis, elle est admirablement construite et son inéluctabilité apparait terrifiante. En fait, Zabus démontre que les aléas de la vie peuvent conduire au pire, sans vraiment que l'on s'en rende compte et que l'on puisse y résister. Bon, c'est clairement caricatural et exagéré. Mais la grande force de l'intrigue rend plausible le chemin. Louis endosse la veste de Rastignac malgré lui et on s'interroge sur ce que sera sa vie future : une imposture assumée dans un monde de requins ou une rédemption ? Anti-héros ou Charles de Foucauld ? La fin est ouverte.
 
J'ai beaucoup apprécié la narration avec un conteur qui nous interpelle et dialogue avec le héros. Le khorós grec a trouvé là son digne successeur . L'intrigue en acquière un dynamisme et une force supplémentaire.

Enfin, cerise sur la gâteau, les nombreuses citations shakespeariennes, si adaptées aux différentes situations, ne pouvaient que séduire l'admiratrice de l'immense dramaturge   .

Et des dessins d'une grande qualité complètent admirablement le scénario.



Les personnages sont remarquablement campés tant les visages que les silhouettes, souvent très minces, aériennes, ou encore replètes et ancrées dans le réel. Les décors sobres et discrètement travaillés évoquent l’expressionnisme. Et puis les coulures se marient parfaitement avec l'intrigue. Vraiment du beau travail.

La couverture est une totale réussite. Les masques de chaque personnage complètent des tenues quotidiennes, une métaphore de l'animalité de l'humanité. La loi de la jungle permet seule de survivre dans cette société impitoyable.

Au final, j'hésite entre EEE et EEEE. La BD étant vraiment trop sinistre, je vais choisir EEE mais suis certaine que les amateurs de romans noirs la trouveront indispensable. En tout cas, Vincent Zabus se révèle, album après album, un grand scénariste. Merci à Raymond pour la découverte  

Eléanore

Je retiens donc que c'est un album à lire !

La bibliomule de Cordoue est une BD scénarisée par Lupano et dessinée par Chemineau



Vers l'an mille, le calife de Cordoue meurt. Ce protecteur des arts et de la science a réuni la somme de tous les savoirs de son temps dans une immense bibliothèque, dirigé par une eunuque amoureux des livres, Tarid. Le fils du dirigeant étant très jeune, la régence et le pouvoir échoient au vizir Amir. S'appuyant sur des religieux orthodoxes, il ordonne la destruction des ouvrages et leur remplacement par des livres à la gloire du Prophète. Face à ce drame, Tarid vole les écrits les plus précieux. Il les charge sur une mule et, accompagné d'une copiste et d'un ancien apprenti, prend la route de l'exil. Mais Amir lance des troupes de mercenaires à sa poursuite…

Lupano se pose en successeur de Ray Bradbury et la BD ambitionne de succéder à Farenheit 451. Mais la mise en abyme manque de souffle et d'émotion. Peut-on traiter avec humour des autodafés ? Le scénariste s'y essaie mais l'alchimie passe mal et les gags récurrents, comme celui de la mule qui se nourrit des livres, finissent par lasser. Les dernières pages sont les plus intéressantes avec la dénonciation de la censure sur Internet et une approche historique des grandes destructions de bibliothèques.
J'ai beaucoup apprécié le féminisme de l'ouvrage avec une héroïne, courageuse, dynamique, cultivée et noble de cœur.
Signalons aussi le plaidoyer pour une société laïque. Clairement, l'intolérance religieuse est ici dépeinte comme destructrice, destructrice de la liberté, destructrice de la connaissance et destructrice du progrès.
On peut enfin noter que le titre de la BD constitue un hommage appuyé aux bibliobus qui sillonnent villages et campagnes pour dispenser la joie de la lecture.

Le graphisme est très dynamique, du Guarnido en très simplifié. Et l'objet livre est splendide, avec des tranches bleutées et un signet.




Au final, je ne mettrai que EE. Si la démarche est noble et d'actualité, si le socle historique est solide, la BD n'en est pas moins trop longue et surtout par trop répétitive. Enfin, Lupano moralise excessivement et son plaidoyer en faveur de la tolérance en perd une partie de sa force.

Eléanore

Ce n'est pas terrible, donc, mais c'est quand même un livre qui me tente.

Gilles Ratier, ancien bibliothécaire et amoureux des livres, a trouvé beaucoup de plaisir à lire cet ouvrage et l'a élu BD de la semaine sur sa page Facebook. C'est un bel appui.

Éléanore

Oui, et on retrouve le même article (je pense) très élogieux sur BDZoom :

http://bdzoom.com/172736/actualites/chronique-historique%e2%80%89-fable%e2%80%89-road-movie%e2%80%89-%c2%ab%e2%80%89la-bibliomule-de-cordoue%e2%80%89%c2%bb-c%e2%80%99est-tout-ca-a-la-fois%e2%80%89/

J'avais acheté un "roman graphique" en librairie il y a quelques semaines et j'ai enfin fini par le lire le week-end dernier, dans mon train qui allait vers Paris. Il s'intitule la Servante écarlate et il est dessiné par l'artiste canadienne Renée Nault.



C'est en fait l'adaptation en BD d'un roman de Margaret Atwood qui est paru en 1985 et qui a rencontré un grand succès à l'époque. Il n'est donc pas surprenant que soient apparus ensuite un film (de Volker Schlöndorff), un ballet, une série télévisée et maintenant une BD. C'est comme ça, l'industrie du spectacle !  

Toutes ces considérations auraient normalement dû me faire reculer mais ... en le feuilletant, il m'a semblé que c'était quand même pas mal du tout ! Le dessin était à la fois sobre et efficace, sans aucune fioriture inutile (Stravinski aurait même dit "sans gras" ) et l'ensemble ne manquait par ailleurs pas de style. Comme j'aime  de temps en temps faire un pas de côté, avec l'espoir d'être surpris, j'ai préféré ce petit album intriguant à certaines grosses cylindrées fortement promotionnées par les grands éditeurs. Et je ne l'ai pas regretté.



Mais que raconte la Servante écarlate ? C'est en fait un roman d'anticipation qui se passe dans un futur proche, au XXIème siècle, dans un monde qui est devenu complètement totalitaire. La trame de ce roman est en fait assez proche du fameux "1984" de Georges Orwell, car Margaret Atwood imagine que les USA (devenus la république de Giiead) sont complètement revenus en arrière, et qu'il s'est installé une véritable dictature qui refuse aux femmes tout droit citoyen. Ces dernières se retrouvent ainsi dans une position asservie et purement utilitaire, et elles deviennent des *Martha" (c'est à dire des femmes de ménage), des "Epouses" (qui sont cantonnées à la maison et qui n'ont pas de pouvoir) ou des "Servantes", qui portent des tenues écarlates et dont le rôle est purement dévolu à la reproduction de la race humaine. Quant aux femmes qui n'appartiennent pas à ces catégories (car trop âgées, infertiles ou inefficaces), elle sont déportées dans des "colonies" où elles doivent manipuler des déchets toxiques.

L'héroïne du livre, qui se nomme Defred, est donc une servante écarlate qui doit continuellement feindre la soumission et qui se remémore de l'époque où elle avait encore des droits. Elle pense beaucoup à sa fille dont elle a été séparée et dont elle voudrait avoir des nouvelles. Elle noue aussi de dangereuses amitiés (car elle pourrait être dénoncée) avec d'autres servantes et rêve de s'évader de ce monde dictatorial. A la longue, elle finit par découvrir certaines réalités qui se cachent derrière les apparences et qui vont la mettre en danger.

Je ne dévoilerai pas trop cette intrigue, qui est bien sûr très pessimiste, et je m'attarderai plutôt sur le style élégant de cette BD qui évite intelligemment toute surenchère inutile. L'œil est au départ frappé par la dominance de teintes grises et rouges plutôt foncées, qui révèlent l'ambiance de cette société sinistre où les hommes ne sont pas plus heureux que les femmes. Par la suite, au cours de ses promenades, Defred découvre par moments des ambiances plus légères et le dessin économe et inventif de Renée Nault devient alors franchement séduisant.



Cette BD est avant tout l'adaptation d'un livre à succès, mais l'étiquette de roman graphique ne me parait pas du tout usurpée. Renée Nault illustre en effet avec sensibilité et sans pathos cette dystopie inventive et cynique, qui nous fait un peu peur en imaginant un ordre social nouveau. Heureusement, un tel monde me parait aujourd'hui bien peu probable, puisque ce serait plutôt vers une dictature des femmes que nous nous dirigeons aujourd'hui.  

Et s'il fallait résumer tout cela avec une note, j'accorderai volontiers un EEE à cet album élégant et bien raconté.

Raymond a écrit:Ce n'est pas terrible, donc, mais c'est quand même un livre qui me tente.

Le rythme de la BD et la vigueur de la démonstration auraient été bien meilleurs avec 100 pages de moins, tout simplement. Les 264 pages pesant 1,25 kg, Lupano eut ainsi pu faire une bonne action écologique  

Eléanore

eleanore-clo a écrit:L'or du temps est une BD scénarisée par Rodolphe et dessinée par Oriol. Deux tomes sont prévus et le premier vient juste de paraitre.



L'intrigue se déroule au début du 20ème siècle. Elle nous conte les aventures de Théo, un dandy parisien, qui, victime d'un cambriolage, recherche les lettres lui ayant été dérobées. Or, celles-ci sont les copies d'une correspondance écrite par Drovetti, un aventurier du siècle précédent et trafiquant notoire d'antiquités égyptiennes. Pendant ce temps, un mystérieux fantôme agresse deux gardiens au musée du Louvre.

Rodolphe s'essaye ici aux recettes du roman feuilleton, en mélangeant l'aventure et le fantastique, sauf qu'il n'a pas le talent de Pierre Souvestre et Marcel Alain. Et cette plongée dans la Belle Époque est grandguignolesque. Le suspens et les nombreuses pistes tiennent plutôt d'une sophistication superfétatoire de l'intrigue. Aucun souffle ne traverse cette BD. L'accumulation de références ne suffit pas à faire un tout cohérent, vecteur d'une émotion. Et le pauvre lecteur en est réduit à se demander ce que Rascar Capac ou Belphégor font dans cette galère.  

Quant au dessin, disons le tout de suite, je n'apprécie pas, mais alors pas du tout, le style d'Oriol. Les grandes planches tournent au délire psychédélique. Et les visages et silhouettes sont d'une raideur monumentale. Les nombreux emprunts, par exemple à Hergé (Les 7 boules de cristal) ou encore à Toulouse Lautrec, sont d'une maladresse extrême. De plus, des tonalités criardes, avec apposition de couleurs chaudes et froides, ne font rien pour rendre agréable la lecture.





Au final, pour rester dans le même registre, Tardi a fait mille fois mieux avec Adèle Blanc Sec   . Et ma note sera donc : E  

Cependant, tout cela n'est qu'une affaire de goût, et le magazine Canal BD mentionne l'œuvre dans ses GROS PLANS   .

Eléanore

Je n'ai finalement pas lu cette histoire. J'étais un peu trop pris par les multiples nouveautés des grandes séries classiques !  

Il est vrai que le dessin n'est pas des plus engageants (le sujet des medium ne l'est pas non plus).

Les auteurs de cet album ont été interviewés par ActuaBD (c'est un podcast) !



L'entretien se trouve sur cette page :

https://www.actuabd.com/Rodolphe-et-Oriol-illustrent-l-age-d-or-des-mediums-des-spirites-et-des

Raymond a écrit:Les critiques d'ActuaBD se sont réunis et ils ont désigné le Grand Vide comme album de l'année 2021 !



Chaque rédacteur devait aussi sélectionner 5 titres importants en 2021 et vous pourrez découvrir cette sélection sur cette page :

https://www.actuabd.com/Le-Grand-Vide-l-album-de-l-annee-2021-pour-la-redaction-d-ActuaBD

cela peu donner quelques idées de lecture.  

N'écoutant que mon courage et mon amour de la Belgique, j'ai donc lu Le grand vide.
Le grand vide est une BD / un manga fantastique, scénarisé et dessiné par Léa Murawiec.

Manel Naher est une adolescente au caractère quelque peu difficile. Elle vit dans une ville tentaculaire, bordée par le grand vide dont on découvrira à la toute fin de la BD qu'il s'agit tout simplement de la campagne. Dans cet univers, la vie des êtres humains dépend de la taille de leur réseau relationnel. Et les personnes isolées se dissolvent progressivement avant de mourir d'une crise cardiaque.
Le souci de Manel Naher vient qu'une chanteuse à succès porte le même nom qu'elle et que ses ami(e)s les confondent, provoquant ainsi un effacement progressif de l'adolescente. Elle va donc consulter un médecin qui lui conseille de multiplier ses interactions sociales. Mais ni la fréquentation à outrance des boites de nuits ni les fêtes ne parviennent à la guérir. Heureusement, Manel finira par tourner une publicité qui la rendra tellement célèbre qu'elle en deviendra immortelle.

Le grand vide! Le grand vide ! Le grand vide ! morne plaine !
Comme une onde qui bout dans une urne trop pleine,
Dans ton cirque de bois, de coteaux, de vallons,
La pâle mort mêlait les sombres bataillons.
D’un côté c’est ActuaBD, de l’autre la France.
Choc sanglant ! des héros Dieu trompait l'espérance ;
Tu désertais, victoire, et le sort était las.
Ô grand vide ! je pleure et je m'arrête, hélas !

Cette BD se veut une dénonciation des réseaux sociaux, Facebook en premier. On peut aussi y voir une prolongation de la célèbre citation d'Andy Warhol : In the future, everyone will be world-famous for 15 minutes (dans le futur, chacun sera mondialement célèbre pendant 15 minutes) : https://fr.wikipedia.org/wiki/Quart_d%27heure_de_c%C3%A9l%C3%A9brit%C3%A9. Je m'interroge aussi sur la portée écologique de l'intrigue car la mégapole apparaît étouffante et inhumaine.
Si toutes ces idées méritent d'être explorées, je confie que l'héroïne est tellement antipathique que la BD en devient lourde et repoussante. Son mal être nombriliste supplante la critique politique. Et puis, le mariage de l'humour et de la diatribe sociétale nécessite du talent et de la subtilité, des qualités que je n'ai pas retrouvées dans cet ouvrage. Le médecin et la thérapie sont tout simplement ridicules. Et je ne parle même pas de la discrète référence à Nicolas Sarkozy qu'il faudrait sauver de l'oubli. Vraiment. n'importe quoi  
Côté narration, le livre n'est pas glorieux. Le récit fonctionne par à-coups avec l'alternance de gaufriers et de grandes vignettes. Malheureusement, les panoramas urbains coupent tout suspens, toute tension.

Le graphisme est médiocre. On a l'impression que l'autrice a essayé de construire un style à mi-chemin des mangas et des œuvres de Riad Sattouf. Les traits sont sommaires sans même l'excuse de la recherche d'un effet caricatural. Les visages sont frustres et leur expressivité est d'une pauvreté confondante. . Les couleurs ne présentent aucun dégradé et le caressent clairement pas l’œil. Le noir et blanc eut été préférable à cette horrible juxtaposition de blanc, noir, bleu et rouge.



Clairement, je n'ai éprouvé aucun plaisir à lire cette BD d'art et d'essai. Et, vu de ma fenêtre, c'est 1,29 kg de papier qui eut pu être économisé. En fait, lla BD porte parfaitement son titre   . Mais, au final, les goûts et les couleurs dépendent du parcours de chacun. Et je n'en veux donc pas aux critiques d'ActuaBD qui ont décerné à cette BD le titre de meilleure production de l'année 2021   . Il est parfait de lire des BD mauvaises de temps en temps. On en apprécie que davantage les "bonnes" productions.

E

Eléanore

Merci pour cette critique au vitriol, sans haine et sans pitié, qui débusque hardiment les naïvetés (pour ne pas dire les stupidités) du "jeunisme" actuel !  

Je me méfiais bien au départ, mais cette qualification "d'album de l'année 2021" par les critiques d'ActuaBD m'avait quand même impressionné. Décidemment, on ne se méfie jamais assez des critiques.  

Je retiens donc qu'il vaut mieux lire la monographie de Patrick Gaumer (sur Jacques Martin) ou se plonger avec nostalgie dans le bel art-book consacré à Gotlib ("Une vie en dessins"). Rien ne vaut les grands classiques !  

Mais ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain ! Il y a tout de même eu quelques belles nouveautés pendant cette année 2021, et il faudra qu'on en parle.  

Tiens, le monde critique se remet à parler de Megafauna !

Eleanore-clo avait mis en ligne une intéressante critique de cet album, au début de l'année.

eleanore-clo a écrit:Bonsoir

Je viens de lire Megafauna de Puzenat, et disons le d'emblée, suis très dubitative.



L'œuvre est une uchronie où néandertaliens et homo-sapiens coexistent. Les premiers habitent dans le Nord et les seconds dans le Sud. Une muraille gigantesque séparent les deux espèces. Timoléon, jeune médecin sapiens, est envoyé en mission par delà la frontière pour soigner ses "cousins" nordiques. Il découvre une civilisation plus respectueuse de la nature, une culture autre où les métaux précieux et la sexualité n'ont pas la même valeur que dans le Sud. Il découvre aussi la malédiction des néandertaliens, à savoir l'infertilité des femmes. Durant son périple, il se lie avec le fille du roi mais doit prendre la fuite face à l'hostilité des guérisseuses locales.

Puzenat essaie de construire un manifeste en faveur de la différence. Il promeut la tolérance et s'efforce de démontrer que la civilisation est universelle et ne doit pas s'apprécier à l'aune de l'espèce, de la taille et même du genre. L'intrigue ne suit malheureusement pas. En premier lieu, l'auteur manque d'originalité et multiplie les emprunts. Ainsi Game of Thrones fournit la muraille et les amérindiens apportent les valeurs écologiques ainsi que leur architecture (les habitations des néandertaliens font penser aux pueblos des hopis). En deuxième l'intrigue est invraisemblable. Ainsi, l'acculturation de Timoléon le conduit à renier ses origines et à entreprendre une croisade "purificatrice" pour nettoyer le Sud, devenu le symbole du mal. Notons enfin une invraisemblance scientifique car les néandertaliens étaient d'une taille comparable à celle des sapiens, et non des géants.
En fait, la BD est surtout un apologue dénonçant notre société moderne, son racisme ordinaire, la place qu'elle accorde aux femmes, sa religiosité,son manque de respect pour l'environnement, ses injustices sociales, etc. Tout un programme ! Mais qui trop embrasse mal étreint et les messages multiples finissent par produire une image brouillée. De plus, la dernière page tournée, on ne distingue plus les héros des anti-héros, tous sont primaires, âpres, intolérants, antipathiques et quelque peu sanglants. Au final, aucune voie n'est proposée si ce n'est celle de la guerre et de l'assassinat.

Le graphisme de Puzenat ne m'a pas séduite. Il manque de réalisme même si certaines grandes vignettes proposent de beaux décors. Dans le même genre, je préfère nettement Alfred. Les couleurs sont variées mais manquent de nuances, de dégradés, etc.





Bon. Bah. Bof. Une BD appelant à se remettre en cause certes, mais surtout une œuvre par trop bien pensante, franchement négative, caricaturale et manquant de finesse. Néanmoins, Monique Younès, la critique BD de RTL, ne partage pas mon avis et a élu Mégafauna, BD du mois    .

A vous de voir

Eléanore

J'avais fini par lire cet album car je l'avais trouvé pendant l'été à la Bibliothèque Municipale de Lausanne. C'est en fait une uchronie qui repose sur une idée assez originale.

L'auteur y imagine en effet que l'homme de Neanderthal n'ait pas disparu de la Terre il y a 30'000 ans, et qu'il soit arrivé à résister à l'impérialisme des hommes de Cro-Magnon (qui sont nos ancêtres directs). Il s'est établi entre eux une sorte d'équilibre hostile et arrivés à une époque assez proche de notre Moyen-Âge, une grande muraille infranchissable sépare implacablement les territoires des deux peuples, afin que les néanderthaliens ne soient pas écrasés par leur rivaux.

Dans ce contexte utopique, Nicolas Puzenat construit une sorte de récit d'espionnage qui explore les deux territoires. Les Néandertaliens qui disposent d’un espace plus riche et plus fertile ont décidé de couper tout échange commercial avec les descendants de Sapiens, tandis que ces derniers ont vraiment besoin de leurs ressources en nourriture. Le héros du livre est donc envoyé au-delà du mur pour comprendre la raison de cette interruption du commerce. Il va en même temps découvrir les coutumes, la religion et les soucis des néanderthaliens qui n'obéissent pas aux même valeurs morales, et il va devoir choisir.

Lors de ma lecture, j'avais trouvé cette BD originale et divertissante, mais sans plus. Elle se lisait agréablement mais ce n'était pas un chef d'œuvre, et j'avais le sentiment que le thème principal (les différences matérielles et spirituelles entre les néanderthaliens et les Cro-Magnons) aurait pu être mieux raconté. J'étais donc assez content de ne pas avoir acheté l'album.  

Et voici que Tristan Martine, sur ActuaBD, reparle de cette BD en faisant une remarque intelligente : le récit s'est hélas limité à un simple one-shot, alors que le thème avait largement de quoi inspirer une grande saga au long cours. Cette opinion me semble tout à fait fondée ! L'album de Nicolas Puzenat est plein d'idées originales et de bons sentiments, mais il peine à convaincre car son récit manque paradoxalement d'ampleur.

https://www.actuabd.com/Megafauna-Par-Nicolas-Puzenat-Editions-Sarbacane

Allons nous reparler de Megafauna ?  

Eleanore-clo avait été très élogieuse en page 20 (message N° 513) envers l'album Sangoma et j'ai donc eu très envie de le lire moi aussi.  



C'est un récit policier dur, exotique (l'histoire se passe en Afrique du Sud) et très bien documenté. Le scénariste est en fait un romancier nommé Caryl Ferey, dont la particularité est d'écrire des polars qui se passent dans des pays lointains marqués par un passé colonial ou politique douloureux. "Sangoma" (qui n'est pas une adaptation mais bien un nouveau roman conçu pour la BD) ne fait pas exception à cette règle. L'héritage politique de l'apartheid (racisme et haine entre communautés) mais aussi de l'ANC de Nelson Mandela (qui a amorcé une tentative de réconciliation entre les les blancs riches et les noirs pauvres) est en fait le principal sujet de cet album, et l'intrigue parle habilement de la haine latente qui persiste entre communautés et qui ne demande qu'à exploser. Le meurtre d'un ouvrier noir va rapidement faire exploser de vieilles rancœurs et ce contexte donne au récit (et à l'enquête) une belle tension narrative.

Ce "whodunit" sudafricain est donc plein d'action et de suspense, mais je n'essaierai pas de résumer cette belle histoire car il vaut mieux la découvrir d'une façon naïve. C'est une BD que l'on peut en effet lire avec plaisir au premier degré, mais elle permet en plus de voyager et de découvrir la terrible ambiance qui existe dans les "townships" africains autour Cape Town ou de Johannesburg. C'est bien sûr une constatation qui donne à réfléchir, et qui donne envie d'en savoir plus.

Le dessin de Corentin Rouge soutient par ailleurs admirablement cette intrigue réaliste et impitoyable. Je suppose qu'il est le fils de Michel Rouge, puisqu'il a colorisé de nombreux albums de ce dernier, mais il est en train d'émerger et de faire sa propre carrière. Son style graphique ne possède à priori rien de remarquable (c'est du réalisme tout simple), mais il dessine d'une façon juste et se montre remarquable dans ses découpages. Il insuffle ainsi aux scènes d'action une belle énergie ainsi qu'un vrai sens du mouvement. Il devient à mon avis un "auteur à suivre".



Merci donc à eleanore de m'avoir incité à lire cet album, pour lequel j'attribuerai moi aussi un EEEE (surtout pour son scénario), tellement j'ai eu du plaisir à le lire !  

eleanore-clo a écrit:Amore est une BD scénarisée par Zidrou et dessinée par Merveille



L'ouvrage est une succession de neufs contes sur l'amour. Par exemple, un gondolier et une cliente échange sur leurs déceptions amoureuses. Une femme célibataire se souvient de son viol. Un couple heureux trace sa voie alors que tout autour les unions se délitent.
(...)

Zidrou est un merveilleux connaisseur de l'âme humaine. Et il dissèque ici le sentiment amoureux à travers les destins de neuf couples. Ne cherchez pas ici une vision idyllique de ce sentiment et "vous qui entrez (lisez cette BD), laissez toute espérance". Chaque histoire est cruelle. Le bonheur conjugal, légitime ou illégitime, est toujours factice et de courte durée, ou alors exceptionnel et non reproductible.

Le dessin est peu attrayant, manquant un chouia de style. On se croirait dans le catalogue d'un voyagiste avec une vision très touristique de l'Italie des années 50-60. Cela me rappelle un peu Alfred. Les couleurs sont très bien pensées, chatoyantes, signifiantes. Chaque histoire est en bichromie et explore une dominante pour mieux créer une ambiance.

EE. Cette note reflète surtout ma consternation devant une vision aussi noire. La BD est solide, professionnelle et bien bâtie. Nul doute qu'elle procurera beaucoup de plaisir à d’autres amateurs.

Eléanore

Je n'ai toujours pas lu cet album mais je note que David Taugis (qui s'intéresse en général plutôt aux BD "indépendantes") en fait une critique élogieuse !

https://www.actuabd.com/Amore-Par-Zidrou-Merveille-Delcourt

Il est vrai que Zidrou est très fort pour nous inventer des récits surprenants.

Bonjour

1984 est une BD de Xavier Coste, s'inspirant du roman éponyme de Georges Orwell.



Le livre d'Orwell est un chef d’œuvre et l'adapter en BD relève du tour de force. Suite à son entrée dans le domaine public en 2019, plusieurs auteurs se sont lancés : Derrien, Torregrossa, Pontarello, Titeux de La Croix, Amazing Améziane, Nesti et Coste. Et l'adaptation de ce dernier émerge ostensiblement du lot comme le prouve le récent prix de la BD 2022 Fnac France Inter.

Clairement, le scénariste respecte parfaitement le travail de l'écrivain britannique. Son texte est d'une grande fidélité. Je me suis amusée à comparer la traduction faite par Amélie Audiberti pour Gallimard et le texte de Coste. Il est difficile de transformer 355 pages (édition de la NRF) en 236 planches. Et pourtant, tout y est. Y compris les extraits du livre contestataire de Goldstein. Quelques passages comme les références à la mère de Winston Smith ont disparu sans que cela soit gênant. Toutes les madeleines sont présentes que ce soient Big Brother, la novlangue ou encore les slogans matraqués par la dictature : "La guerre, c'est la paix. La liberté c'est l'esclavage. L'ignorance c'est la force.". Et plus important encore, la tonalité pessimiste et sombre d'Orwell est parfaitement conservée.







Le style de Coste demande que le regard s’adapte. Le trait est volontairement grossier, presque "pixélisé", comme si le dessinateur avait sauté l'étape de l'encrage. Par certains côtés, on retrouve le crayon de Jean-Claude Götting. Les silhouettes minuscules perdues dans une architecture grandiose et sans fioriture traduisent la puissance de la dictature et l'impossibilité de lui résister. L'édition originale du livre contient un dépliant tridimensionnel reconstituant une rue d'Océania. Ce magnifique supplément traduit bien la primauté des décors dans les vignettes. A noter que l'architecture des bâtiments rappelle une période bien sombre de l'Histoire...



Les visages sont taillés à coup de serpe, sans aucun détail, pour mieux anonymiser les personnages. L'individu n'existe pas ni chez Orwell, ni chez Coste.

Enfin, les couleurs sont austères. Pour chaque chapitre, Coste a choisi une bichromie : noire et rouge ou encore bleue et rouge, etc. Ce dépouillement renforce le climat oppressant du monde de 1984. De plus, les teintes sont signifiantes. Big Brother est bien évidemment en rouge vif, le Ministère de la Pensée bénéficie d'un couple bleu jaune tandis que la prison est toute en gris et bleu.

L'élection de cette BD comme lauréate du prix BD FNAC France Inter 2022 peut s'interpréter comme une réaction aux restrictions imposées par le contexte pandémique actuel. On peut aussi y voir un cri d'alarme face à la puissance croissante des dictatures de tout bord. Mais il peut surtout s'expliquer par la qualité de l'ouvrage qui restitue à merveille l'ambiance noire de la dystopie et le parcours suicidaire et désespérant des héros. Concernant mon appréciation, j'hésite. D'un côté, le pessimisme de cette BD est typique de l’intellectualisme occidental ce qui, dans le contexte actuel, ne me séduit guère. De l'autre, pour citer La Bible, le verbe s'est fait chair. Les Deux Minutes de la Haine jaillissent de l'illustration telles une claque effrayante (cf.vignette plus haut). Et voir Big Brother, Winston ou Julia est bouleversant. C'est pourquoi, EEEE apparaît clairement justifiée.

Pour conclure ce billet, voici une très belle interview de l'auteur :

Eléanore

Eh bien ... tu ne mégotes pas ! Je suis impressionné !

Je vais d'abord essayer de trouver ce livre à la bibliothèque.

Bonjour

HSE est un cycle de trois BDs mainstream, scénarisé par Dorison et dessiné par Allart.




Le monde est plongé dans une terrible crise financière qui affecte toutes les places. Face à la chute des principales valeurs, une nouvelle cotation est créée. Celle des êtres humains les plus brillants ou les plus prometteurs. La série raconte l'histoire de Félix Fox, un modeste vendeur de voiture, qui va s'introduire en bourse pour s'enrichir. Convaincre des investisseurs d'acheter des parts de sa personne n'est pas simple et il va falloir aussi et surtout satisfaire les nouveaux actionnaires. Ceux-ci, soucieux de la rentabilité de leur investissement, vont donc rentrer dans la vie du jeune homme avec des exigences de plus en plus grandes, sur sa santé, sur la grossesse de sa compagne, etc. Pour soutenir le cours de son action, Félix va devoir plonger dans un monde glauque où tous les coups sont permis, depuis la manipulation du cours d'un de ses chefs (!) jusqu'à la dissimulation d'ennuis de santé.

Dorison dénonce les dérives du capitalisme avec beaucoup d'intelligence. Son humour noir fleure bon une certaine réalité et on ne peut que s'interroger sur l'évolution des mœurs boursières. Après, la diatribe déforme la substance du système économique, est simpliste et profondément caricaturale. Et surtout, elle ne propose rien de mieux. Mais peu importe, nous avons là une belle histoire de science-fiction, très originale, sous-tendue par un beau suspens et rythmée par de multiples rebondissements et enfin remplie de bons sentiments. Et il est difficile de ne pas verser une larme sur l'évolution de Félix : "mec sans scrupule prêt à tuer père et mère pour avancer" ou "gentil bougre pris malgré lui dans un engrenage terrifiant" ?

Le dessin est très classique. Il manque un chouia de détails et de personnalité. Les visages sont notamment quelque peu froids et font artificiels. Mais je fais ma difficile    et il ne faut surtout pas que cela vous arrête. La qualité des vignettes est indéniable. Allart est un artiste trop discret.



J'ai été très heureuse de lire cette BD passée sous les radars des critiques. Vu de ma chapelle, Dorison est un des tous grands scénaristes actuels, inventif et émouvant.
EEE

En complément à mon analyse, voici celles de La Tribune et du Monde diplomatique :
https://www.latribune.fr/actualites/economie/france/20121220trib000738613/et-si-les-hommes-et-les-femmes-etaient-cotes-en-bourse-.html
https://www.monde-diplomatique.fr/2014/08/RAIM/50696

Eléanore