LA DERNIERE CONQUÊTE
Trente deuxième aventure d'Alix
Le résumé
A la veille de franchir le Rubicon pour déloger Pompée de Rome, César confie à Alix une mission qui le conduira dans l'Orient lointain : retrouver en Bactriane le sceau d'Alexandre le Grand qui pourrait lui apporter le soutien des dieux et favoriser son projet de conquête orientale. Dans sa mission, Alix aura l'aide d'un officier d'origine gauloise, Luctérius, et d'un certain Asham, qui servira de guide et qui n'est pas le moindre mystère de cette expédition. Enfin arrivé sur place, Alix doit affronter Rajkhutan, un chef nomade qui met la région en coupe réglée...
Quand cela se passe-t-il ?
Le début de cette histoire est parfaitement daté : c'est le 12 janvier -49 que César franchit le Rubicon. Elle se déroule donc en même temps que « La conjuration de Baal », mais dure beaucoup plus longtemps : l'aller et le retour de Bactriane prend au moins deux ans, compte tenu des aléas du trajet, des moyens de transport de l'époque et du déroulement de la mission.
Où cela se passe-t-il ?
L'histoire commence à Ariminum ( Rimini ) sur la côte adriatique de l'Italie, près de l'embouchure du Rubicon. Elle se poursuit en passant par Brundisium ( Brindisi ), Byblos ( au Liban actuel ), Suse ( en Perse ), enfin en Bactriane où Alix accomplit sa mission, puis il revient en faisant un détour par le Gandhara.
Le contexte historique
Si le contexte proprement romain est assez succinct, j'évoquerai plus longuement les royaumes de Bactriane et de Gandhara qui occupent une place importante dans ce récit, et, pour bien situer son enjeu, je reviendrai sur les conquêtes d'Alexandre le Grand.
Rome
Le lecteur voudra bien se reporter à l'analyse de « La conjuration de Baal » où je décris en détail le début du conflit entre Pompée et César. Tandis que le Sénat romain prolonge la magistrature du premier, il met un terme au proconsulat du second en Gaule ! Décision intolérable pour César qui s'affranchit de la légalité républicaine et marche sur Rome à la tête de ses légions : puisqu'il faut ramasser un pouvoir tombé en déliquescence, autant que ce soit par lui. Devant son avancée, Pompée et les sénateurs qui le soutiennent s'enfuient en Grèce.
Nous n'en verrons pas plus dans cet album : nous quittons César au moment où il franchit le Rubicon et nous suivons Alix et ses compagnons dans des lieux plus exotiques : la Bactriane et le Gandhara. Nous en profiterons pour passer auparavant quelques instants dans ses différentes étapes : Ariminum, Brundisium, Byblos et Suse.
Ariminum
Cette colonie romaine fut fondée en -268. Son port, construit en marbre, était renommé pour le trafic entre la Gaule Cisalpine et le reste de l'Italie ( aujourd'hui : Rimini ).
Brundisium
Son nom vient de « brunda », qui signifie « tête de cerf » dans la langue locale, en référence à la forme de son port comme on peut le voir sur le dessin de la page 14. Fondée par des Grecs, elle devint colonie romaine en -244, et fut reliée à Rome par la via Appia ( aujourd'hui : Brindisi ).
Byblos
C'est l'une des plus anciennes cités du monde, fondée vers -5 000. Elle fut colonisée par les Phéniciens au milieu du -III° milénaire. Son temple de Balaat Goubal ( « la Dame de Byblos », identifiée à la déesse égyptienne Hathor ) était célèbre dans le monde antique.
Elle commerce avec l'Egypte, ce qui explique qu'on y pratique le culte d'Osisris, exportant vers ce pays du vin et du bois de cèdre, important du papyrus qu'elle revend en Grèce et dans toute la Méditerranée : c'est ainsi qu'elle donnera son nom en grec au livre en général, et au livre par excellence, la Bible, qui la cite en référence à la nationalité des bâtisseurs du temple de Salomon. Toutefois, ce commerce égyptien n'était pas dénué d'arrières-pensées : selon le récit de son séjour à Byblos au -XI° siècle, rapporté par Ounamon, l'envoyé du pharaon, le roi Zakarbaal se permet de lui laisser faire antichambre pendant un mois et de lui réclamer des comptes avant de l'autoriser à se procurer le bois de cèdre nécessaire à la réfection de la barque d'Amon.
Elle commerce aussi avec la Crète et la Mésopotamie. Dans la tombe de son roi Ahiram, on a retrouvé la plus vieille transcription phénicienne connue. Après une période d'effacement, elle retrouve une nouvelle prospérité sous l'empire Perse, puis à l'époque romaine qui la couvre de monuments ; le culte d'Adonis lui vaudra alors une grande renommée dans tout le monde méditerranéen.
Suse
Fondée en -4 000, c'est l'une des plus anciennes cités de la région. C'est la Shushan de la Bible. Cette cité de l'Elam devient au -V° siècle la capitale de l'empire Perse achéménide. Après sa conquête, Alexandre le Grand y organise de grandes noces en -324 : il épouse une fille de Darius III et marie un grand nombre de ses officiers et soldats à des femmes de la haute société perse, symbole de l'union entre les deux peuples. Elle devient ensuite une cité grecque sous le nom de Séleucie de l'Eulaios. Au -I° siècle, elle passe sous la domination des Parthes et connaît alors une expansion considérable. Elle abrite le cénotaphe du prophète Daniel, lieu de pèlerinage encore actuellement.
La Bactriane
La Bactriane ( ou Bactrie ) est une région d'Asie centrale située au nord de l'Afghanistan et du Pakistan actuels, fondée autour de la ville de Bactres, sa capitale ( aujourd'hui Balkh, en Afghanistan ).
A une époque très reculée, la Bactriane fut le centre d'un empire puissant et très civilisé, qui est parfois considéré comme le berceau de l'empire perse et de la religion zoroastrienne. Elle était célèbre dans l'Antiquité pour ses richesses minérales : or, argent et lapis-lazuli dont elle était le producteur exclusif, ses cavaliers émérites, sa prospérité agricole et ses routes commerciales en provenance de l'Inde et de la Chine, dont la fameuse Route de la Soie.
Habitée dès l'âge du bronze ( -3 000/-1 200 environ ), elle faisait figure de terre paradisiaque aux ressources inépuisables, ce qui permit à ses populations nomades d'accumuler d'énormes quantités de richesses, d'où l'insistance des grands conquérants à chercher à s'en emparer.
Zarathoustra aurait trouvé refuge auprès du roi ( ou prince ) Vishtapa ( -700/-630 ) dans l'état indépendant constitué du -IX° au -VI° siècle autour de Bactres ou Zariaspa ( « la cité à l'étendard dressé » ). Ce souverain aurait aidé et soutenu Zarathoustra à propager sa doctrine dans toute la Perse.
Après sa conquête de l'Asie centrale de -545 à -540, Cyrus II intégre la Bactriane dans l'empire achéménide. Elle forme une grande satrapie de la monarchie persane jusqu'à la conquête par Alexandre le Grand en -328. C'est le satrape de Bactriane, Bessus, qui assassine Darius III après sa défaite devant le Macédonien en espérant se rendre indépendant, mais Alexandre l'en empêche et joint la Bactriane à ses conquêtes.
Après la mort d'Alexandre, les Séleucides gardèrent la Bactriane jusqu'en -256, puis elle reprit son indépendance et eut successivement six rois grecs. C'est la période qu'on nomme l'empire grec de Bactriane ou royaume gréco-bactrien. Ces souverains étendirent leur empire aux dépens de l'Inde ( au sud-est ), de la Sogdiane ( au nord ), de la Scythie ( à l'ouest ), mais surtout des Séleucides ( au sud-ouest ). Les nomades Yuezhi du nord l'envahirent en -130, mais furent vaincus à leur tour par les Parthes Arsacides qui s'emparèrent de l'ouest du pays, tandis que les Scythes prenaient possession du reste en -90, fondant un nouveau royaume de Bactres.
Les Gréco-Bactriens furent les premiers dans la région à utiliser le cupro-nickel ( alliage de cuivre et de nickel ) pour fabriquer des monnaies et des armes, une technologie inventée par les Chinois sous le nom de cuivre blanc.
Le Gandhara
Alix ne fait que passer brièvement par ce royaume situé à l'est de l'Afghanistan et au nord-ouest du Pakistan actuels, et dont la principale ville était alors Purushapuna ( aujourd'hui : Peshawar ).
Le royaume de Gandhara existe depuis le I° millénaire avant notre ère, mais ne prend vraiment son essor qu'après la conquête de la région par Alexandre le Grand et la formation des royaumes indo-grecs de Bactriane et autres. C'est dans cette région que sont apparues les premières images de Bouddha et l'art gréco-bouddhique diffusé par les routes commerciales dans toute l'Asie centrale.
A l'époque de ce récit, le pays était sous le contrôle des Saka, nom perse d'un peuple nomade indo-européen qui était une branche des Scythes, de leur nom grec. Ce peuple avait été poussé vers l'ouest au -II° siècle par des migrations venues de Chine. Après avoir affronté les Parthes, ils devinrent leurs vassaux. Pendant une grande partie du -I° siècle, leur roi fut Maues qui était connu dans tout l'Orient ancien et jusqu'en Egypte.
Ces régions étaient largement peuplées, économiquement prospères et actives techniquement et culturellement. La plupart de leurs gouvernants avaient recueilli l'héritage hellénistique apporté par le conquérant macédonien et l'avaient fait fructifier par l'art, l'architecture et l'administration. Par ailleurs, il faut se rappeler qu'à cette époque, les frontières étaient fluctuantes et loin d'être aussi fixées que celles d'aujourd'hui : elles variaient au gré des guerres, des alliances et des vassalités.
Telle était donc la situation à l'arrivée d'Alix.
Alexandre le Grand et ses conquêtes
Cet album parle beaucoup de lui, on peut même dire qu'il en est le personnage central, et ses funérailles au delà de l'Hyphase, le cours d'eau devant lequel s'était interrompu son parcours vers l'Orient, en justifient le titre : il a conquis mort la terre qu'il n'avait pu obtenir de son vivant. Pour bien comprendre ce qu'il représentait pour les hommes de l'époque d'Alix, voici un résumé de sa prodigieuse carrière.
Qui était Alexandre ? Sa personnalité et ses débuts
Il est l'élève d'Aristote, éduqué à la grecque, passionné par la mythologie à laquelle il croit fermement : il se pense en successeur de certains héros grecs tels qu'Héraclès ou Achille, et au dessus des simples mortels. A 20 ans, il est persuadé que son nom restera dans l'Histoire.
Il est acclamé roi en -336 par l'armée et décide d'éliminer autour de lui toute opposition avec la complicité de sa mère, Olympias : il fait assassiner tous les autres prétendants éventuels, soit plusieurs dizaines de personnes.
A la mort de Philippe II, la Grèce s'agite : Alexandre doit faire face lors de son arrivée sur le trône à un renouveau d'espoir d'indépendance des cités grecques, mené par Démosthène. Darius III pense lui aussi que c'est l'occasion de reprendre la main sur les cités grecques d'Asie mineure.
Alexandre montre son autorité : à l'été -336, il organise une expédition foudroyante en Grèce, voyant toutes les grandes cités, affirmant que ce qui avait été mis en place par Philippe reste valable.
En -335, lors d'une expédition en Thrace, il repousse vers le nord tous les peuples opposés à lui, s'assurant ainsi le contrôle du monde grec jusqu'aux détroits.
Sur une rumeur de sa mort, les Thébains, aidés par l'or de Darius, proclament leur indépendance, puis, apprenant qu'il est bien vivant, viennent s'excuser de leur erreur auprès de lui. Afin de s'assurer définitivement la main mise sur la Grèce, Alexandre engage une nouvelle campagne : en 13 jours, il soumet toutes les cités et fait raser Thèbes, mais n'entreprend rien contre Athènes.
Il peut désormais penser à l'Asie mineure et à la Perse : il mobilise une armée de 32 000 hommes, cavaliers macédoniens et hoplites ( fantassins ) grecs.
Les conquêtes d'Alexandre
Première phase : du printemps -334 à l'hiver -333
En -334, Alexandre débarque en Asie mineure par les détroits et trouve en face de lui les armées des satrapes qu'il bat au Granique. Les villes grecques de la côte d'Asie mineure sont ensuite prises et libérées. La majorité de ces cités lui étaient favorables, bien que certaines d'entre elles aient misé sur la victoire des Perses. Il remplace toutes les oligarchies par un régime démocratique pour éviter les pouvoirs personnels : tous les citoyens sont égaux, sans distinction de fortune, et tous doivent participer au gouvernement de la cité.
En -333, l'Anatolie est entièrement conquise. Il veut poursuivre son objectif et se rend à Gordios ( c'est l'épisode du noeud gordien ), puis se dirige vers la Syrie. Les Perses l'attendent à Issos en novembre -333 : ils sont battus malgré la réorganisation de leur armée.
Deuxième phase : de novembre -333 au printemps -331
La Mésopotamie, coeur de l'empire perse, n'est pas pour le moment l'objectif d'Alexandre qui va conquérir la Phénicie, puis arrive en Egypte, occupée par les Perses depuis le -VI° siècle. Ils y ont maintenu le pharaon, à titre non pas politique mais religieux, ce qui permet d'unifier et de pacifier le pays et d'éviter les révoltes. L'Egypte le voit arriver comme un libérateur et un bienfaiteur.
Il adopte en Egypte les coutumes locales : il se fait couronner pharaon, celui qui fait venir la crue du Nil, qui a des pouvoirs surnaturels et qui est un élément d'unification, ce qui correspond à ses propres croyances. A Siwa, il consulte l'oracle d'Amon qui le reconnaît comme son fils, promis à l'empire universel ( ce qui était accordé à tous les pharaons quand ils prenaient le pouvoir ! ). Conforté dans ses ambitions, il va en Cyrénaïque et fonde Alexandrie.
Troisième phase : du printemps -331 au printemps -330
Alexandre se dirige alors vers la Mésopotamie. Darius a préparé une armée et tente de lui barrer le chemin. La bataille de Gaugamélès est un désastre pour Darius qui s'enfuit. Alexandre conquiert les cités de Mésopotamie, dont l'une des plus importantes du monde perse : Babylone, où il se fait couronner roi en reprenant le titre des rois perses : « roi des 4 parties du monde », celles-ci étant l'Occident, la Mésopotamie, la satrapie supérieure en Asie centrale et la côte de l'océan Indien. Attaché aux symboles, il se fait également couronner à Ecbatane et à Suse, où il s'empare des trésors royaux, ce pour quoi il est réellement venu. Cette richesse nouvellement acquise va bouleverser l'économie du monde grec et dépasser l'échelle de la mer Egée.
Il arrive à Persépolis, la « cité des Perses », qui lui résiste ; il l'incendie après l'avoir prise pour se venger de l'incendie de l'Acropole d'Athènes par les Perses en... -480 ( ! ), à la suite d'un défi qui lui avait été lancé lors d'un banquet donné pour fêter sa victoire. Les Perses ne le lui pardonneront pas et cela va nuire à sa politique de fusion des peuples au cours de la conquête.
En -330, Darius, en fuite, est tué par ses propres hommes. Alexandre va alors avoir un geste politique habile : il organise des funérailles grandioses pour Darius et se place en tant que successeur du roi des Perses Achéménides ( les historiens le considèrent comme le dernier roi Achéménide ). Il parvient à intégrer la noblesse perse dans sa politique et dans une partie du commandement de ses armées : certains l'acceptent, mais d'autres refusent à cause de l'incendie de Persépolis.
Quatrième phase : du printemps -330 à l'automne -327
Alexandre veut reconstituer le royaume achéménide tel qu'il était à son apogée, comprenant les satrapies d'Asie centrale, occupées par des nomades ( du Pakistan au Turkménistan actuels ). C'est une conquête difficile : l'armée perse était une armée régulière et organisée, donc prévisible, alors que ces peuples des steppes pratiquent une sorte de guérilla. Pour assurer la sécurité, à chaque avance, Alexandre fonde une colonie militaire et des villes peuplées de civils, les « Alexandrie », ( il y en aura environ 40 ) pour organiser le pays. Il transpose le monde grec en Orient : dans chaque ville fondée, on trouve un gymnase, une agora, des tribunaux.
De -330 à -327, il conquiert l'Hyrcanie à l'est de la mer Caspienne ( nord de l'Iran, sud du Turkménistan ), la Margiane ( est du Turkménistan, ouest de l'Ouzbékistan ), la Bactriane, l'Arie ( Afghanistan ), la Sogdiane ( Tadjikistan ).
Mais il a des problèmes avec ses soldats, qui en ont assez de la durée de cette conquête : ils sont fatigués, ils ont peur des peuples qu'ils combattent, ils s'opposent aux colonies militaires implantées de force. Le mécontentement grandit d'autant plus qu'Alexandre se marie avec une noble de Sogdiane : Roxane.
Les relations entre les Macédoniens et les Iraniens ne sont plus des rapports entre vainqueurs et vaincus, car on est désormais tous de la même famille, les populations et les cultures grecque et orientale sont mêlées, et des Iraniens vont de plus en plus recevoir des hautes charges dans l'armée, car ils connaissent bien ces régions conquises. Alexandre va intégrer ces Iraniens dans ses armées en utilisant une pratique orientale, la proskynèse, équivalent de l'hommage médiéval.
Alexandre parvient ainsi à se faire reconnaître comme successeur du Roi des Rois, et va jusqu'à appliquer la proskynèse aux Grecs, d'où un tollé général, les Grecs n'acceptant pas qu'il se considère comme un roi oriental.
Après quelques mois de repos, Alexandre élimine les mécontents Grecs et non-Grecs, et reprend sa marche ; en -327, il fonde Alexandrie d'Arachosie ( Kaboul, Afghanistan ).
Cinquième phase : de l'automne -327 au printemps -324
Au delà du monde Perse, Alexandre veut conquérir le reste du continent dont personne ne connaît l'étendue. Il franchit l'Indus, appelé par un roi d'Inde, Taxila, en guerre contre un autre prince, Porus, qui est vaincu. Après cela, les armées ne veulent plus avancer et se mutinent.
Alexandre abandonne l'idée d'aller vers l'est, il oblique vers le sud pour explorer les terres méridionales de l'empire achéménide en longeant l'Indus. Lorsqu'on atteint l'océan Indien, l'armée est divisée en trois : une partie revient par la mer sous le commandement de Néarque ( étonnement des Grecs qui voient la marée pour la première fois ! ), une autre passe par le nord sous le commandement de Cratère, tandis qu'Alexandre traverse le terrible désert de Gédrosie où beaucoup de ses hommes périssent.
En -324, les trois armées sont de retour à Suse. Il impose 80 mariages forcés entre des nobles gréco-macédoniens et des filles de la noblesse perse, et il fait de même avec 10 000 de ses soldats. Il se marie lui-même de nouveau, sans répudier Roxane, avec deux princesses perses, dont une fille de Darius, Stateira. Les cérémonies ont lieu avec un faste inouï, dans la pratique orientale, avec les vêtements et les usages locaux. Les Grecs considèrent qu'il soumet ainsi sa culture grecque à la culture orientale et ne le lui pardonneront pas.
Il fait élever 30 000 enfants iraniens à la grecque, les épigones. De nombreux nobles iraniens vont parler grec, participer à des concours sportifs et musicaux à la manière grecque.
En -323, Alexandre se rend à Babylone. Affaibli par la mort brutale de son compagnon Héphestion et miné par la malaria, il meurt le 10 juin ; il avait 32 ans et 8 mois. Il n'aura régné que 12 ans, dont seulement deux sur l'ensemble de ses conquêtes, mais il aura changé la face du monde.
« De tant de gloire l'humanité reconnaissante fit un poème romanesque en vers de douze pieds, dits alexandrins, et un roi de trèfle. » ( Jean Duché )
Comment est racontée l'histoire
Cet album m'a laissé une impression mitigée. Esthétiquement très réussi, ce récit aborde plusieurs sujets mais laisse trop longtemps dans l'ombre l'enjeu de départ que l'on ne retrouve qu'à la fin.
Si on voulait en résumer le thème d'une manière succincte, on pourrait dire : « Alix va en Orient et aide un prince à retrouver son trône usurpé par un méchant », mais c'était déjà le thème de... « La tiare d'Oribal », ce qui ne date pas d'hier !
D'où un petit air de déjà-vu, mais c'est un péché véniel. On y a simplement ajouté la quête du sceau d'Alexandre le Grand qui, une fois la mission confiée à Alix, ne couvre guère plus de deux pages, l'épopée d'Asham prenant sa place, alors que ce n'était pas le sujet annoncé.
Je me suis donc demandé : quelle histoire me raconte-t-on au juste ? Y'a-t-il un rapport entre les deux thèmes principaux ? Oui, et ils finissent bien par se raccrocher.
Le meilleur
Enfin de l'air, des grands espaces, une histoire au long cours dans une région et sur un sujet encore inexploités. Heureusement, les longs trajets sont résumés en quelques images, ce qui permet de privilégier les scènes d'action et de présentation des personnages.
Une intrigue ambitieuse et complexe qui monte en puissance au fil du long déplacement d'Alix et de ses compagnons, et des personnages originaux ( scénario de Mme G. Ranouil ).
Un dessin à la hauteur de l'inspiration, des personnages vifs et gracieux, des décors bien restitués, surtout naturels, car à l'exception de brefs passages, pour nous changer heureusement, ce n'est pas une odyssée urbaine ( dessin de Marc Jailloux ).
Des couleurs enjouées et chatoyantes qui mettent le dessin en valeur ( couleurs de Corinne Billon ) .
Cependant, j'ai moins aimé
Le long exposé qui ouvre le récit, et où il ne se passe pas grand chose pendant 15 pages, d'où une seconde partie trop rapidement menée, avec des portraits trop schématiques des personnages, alors que c'est l'essentiel de l'aventure.
Pourquoi ne pas avoir démarré directement sur le lieu de l'intrigue principale et prendre son temps pour tout exposer ?
De même, un combat mettant en jeu la vie de plusieurs personnages expédié en moins d'une page ( 44/45 ), avec de trop petites images.
Après son excellent « Orion », cette première approche d'Alix permet à Marc Jailloux de montrer à nouveau ce qu'il sait faire dans l'univers de Jacques Martin, d'autant plus qu'il a encore mieux réussi la fois d'après ( voir l'analyse de « Britannia » ) grâce, notamment, à un scénario mieux charpenté et maîtrisé.
Constatons une fois de plus qu'Alix n'est pas à l'aise dans le format de 46 planches ! Cette histoire aurait mérité, pour ne rien en laisser de côté, un traitement plus approfondi : c'est ce qui lui donne, de mon point de vue, un goût d'incomplet.
Les personnages
Alix : « On ne refuse rien à César », lui dit Luctérius ( page 13 ). Et en effet, Alix n'a jamais refusé d'accomplir une mission, même dangereuse ou incertaine, comme c'est le cas pour celle-ci, au bénéfice de son patron ( au sens romain du terme ). Il peut conserver un certain scepticisme sur les moyens ou les finalités, mais l'attrait de l'aventure reste toujours le plus fort et il met tout en oeuvre pour aboutir, au péril de sa vie. Pour finir sur une demi réussite, car il ne ramènera pas l'objet attendu, mais il sera en règle avec sa conscience et se conception de l'honneur.
Enak : dans ce récit, il se contente de faire de la figuration et de prêcher la prudence à Alix, relayé par Luctérius, sans toutefois être bien entendu.
Et, par ordre d'entrée en scène :
Pompée : on ne fait que l'entrevoir au début de l'album dans lequel il ne joue aucun rôle. Je ne le cite ici que parce que ce sera la dernière fois qu'on le voit en maître de Rome dans une Histoire qui va se débarrasser de lui.
Marc Antoine : ( Marcus Antonius, -83/-30 ) curieusement, et bien qu'il soit omniprésent au côté de César depuis plusieurs années, c'est la première fois qu'on le rencontre dans une aventure d'Alix. En quelques images et dialogues, il est bien caractérisé tel qu'il était : avant tout un guerrier et un politique, hautain et sûr de lui, mais pas dénué d'humanité.
César : comme presque toujours, il intervient au début de l'histoire pour charger Alix d'une mission périlleuse. Grand prêtre de Rome ( pontifex maximus ), il doit être particulièrement sensible aux signes envoyés par les divinités ou ses grands prédécesseurs, ce qui explique l'objet de sa quête. Il n'est pas certain qu'il y croit vraiment, mais l'essentiel pour lui est que les autres y croient.
Alexandre le Grand : ( -356/-323 ) il est mort depuis 274 ans, mais est l'un des personnages principaux de cette histoire, dans laquelle son souvenir est présent, à défaut de lui-même. Toutes les recherches entreprises par Alix, de son sceau comme de son trésor, sont orientées par ce héros dont l'épopée fit rêver des milliers d'hommes pendant des siècles ( voir ci-dessus son histoire ).
Asham : fier et mystérieux, il est le personnage central de cette histoire, volant même souvent la vedette à Alix. Affranchi de la tutelle romaine, il est plus qu'un guide, et il est le maître sur ses terres, même si cette suprématie lui est contestée. Dépourvu de moyens, il lui reste le prestige. Avec l'aide d'Alix, il mettra un terme à l'aventure d'Alexandre, en lui offrant sa dernière conquête posthume.
Luctérius : comme Alix, c'est un Gaulois qui s'est mis au service de Rome, un guerrier énergique et fidèle à ses engagements. Il est moins soucieux qu'Alix de diplomatie et de concertation, il aurait plutôt tendance à régler les problèmes par les armes. Très sensible au charme de Sukhya, et jaloux qu'elle puisse considérer quelqu'un d'autre, cette inclination lui sera fatale.
Epone : il est étonnant qu'Alix, issu d'un peuple de cavaliers, ne nous ait jamais montré son propre cheval. Il doit bien en avoir au moins un pour se déplacer ou tout au moins se distraire. Voilà donc une lacune comblée avec ce fier animal.
Rajkhutan : le méchant de service est un de ces chefs de tribu nomade, comme il y en avait beaucoup dans la région à cette époque ( voir l'article « Bactriane » ) qui s'est élevé par la force des armes. Jouisseur, sournois et cruel, il ne sait régner que par la terreur, sans toutefois recueillir l'entière adhésion de ses troupes qui le lâcheront à la première occasion. Dommage qu'on le voit si peu, il aurait été intéressant d'approfondir son caractère et ses origines, même si on est désormais sûr qu'il ne reviendra pas.
Aely : la fiancée d'Asham, tuée par Rajkhutan, ne fait que passer pour justifier la cruauté de ce dernier et la revanche du précédent.
Zyptor : le père d'Asham est un mage, nous dit-on. Cela peut expliquer que son fils soit l'initié du culte d'Alexandre et qu'il puisse prendre le titre de roi, si lui-même, qui maintient la tradition, ne l'est pas ; il manque à ce sujet quelques précisions.
Sukhya : la charmante soeur d'Asham fait vibrer les hommes qu'elle rencontre, Rajkhutan aussi bien que Luctérius, le premier ayant beaucoup moins de scrupules que le second pour parvenir à ses fins... mais c'est Alix qui rend à la belle un signalé service : lui permettre de s'échapper des griffes du pillard, ce dont elle lui sera reconnaissante, pour le plus grand désespoir de Luctérius ! Voilà qui complique la situation et les sentiments des uns et des autres, mais c'est pourtant elle qui mettra un terme à la sinistre carrière du chef nomade.
Conclusion
Une histoire ambitieuse dans un cadre grandiose et sur un thème encore inexploité au cours de la saga d'Alix. On peut seulement regretter que la seconde partie en Bactriane soit un peu trop elliptique dans son déroulement.
Sources :
La base documentaire est essentiellement le « Dictionnaire de l'Antiquité » de Jean Leclant ( PUF ). A l'occasion de mes recherches, j'ai découvert le site « Antikforever » que j'engage tous les amateurs d'Antiquité à consulter. La biographie d'Alexandre le Grand provient d'un cours de M. Jérôme Gaslain, professeur d'Histoire à Saint-Malo.
La prochaine fois : « Britannia »
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