Tout est revenu spontanément à la normale … magie de l'informatique !
Arrêtons-nous tout de même quelques heures sur l'art de Calvo pendant ces années 1944-1945. C'est le moment où il atteint le sommet de son art, car il publie des livres ambitieux sur le plan graphique. Il est de plus soutenu par un éditeur qui réalise une impeccable travail d'impression et ses images sont alors de toute beauté.
Plusieurs beaux livres ont été édités par GP, mais le titre le plus retentissant reste quand même
la Bête est morte. Les illustrations de cet album sont parfois étonnantes, et elles sont en plus ornées de couleurs très étudiées. Leur charme est parfois un peu irréel et on peut se demander comment le dessinateur est arrivé à cet équilibre ?
Il y a tout d'abord la rondeur et la bonhommie de ses personnages, qui exercent une séduction immédiate sur le lecteur. Mais il faut également souligner l'intelligence de la mise en scène et le soin qui est apporté à chaque détail. Chaque scène est très vivante et cela apparait dès la première image du livre. On y découvre Patenmoins, un grand-père portant une jambe de bois, qui commence à raconter la grande guerre de 39-45 à trois petits lapereaux. La scène se passe dans un terrier mais ce lieu est totalement humanisé, avec son plafond à poutres apparentes, ses personnages habillés de salopettes rapiécées, son feu qui brûle dans la cheminée et ses multiples bibelots que l'on se plait à découvrir. Tout un univers est déjà bien campé, et il se caractérise par un savant mélange de sérieux et de fantaisie.
On apprécie donc d'emblée cet art du détail, mais Calvo excelle encore plus par sa capacité à composer de grandes images dantesques et inattendues. Vous voyez par exemple ci-dessous l'image des loups qui attaquent et débordent par leur nombre les remparts du mur qui protège la patrie. C'est non seulement une belle métaphore de la fameuse ligne Maginot, mais aussi (et surtout) une véritable vision de cauchemar. L'œil perd un peu l'appréciation des détails, tandis que le regard est immédiatement hypnotisé par ce mouvement inexorable de l'ennemi qui détruit tout ce qu'il arrive à atteindre. Les explosions et les flammes qui surgissent derrière la citadelle confirment la conviction du spectateur : cette scène nous montre un véritable enfer !
Ce mélange subtil du grandiose et du détail se retrouve ainsi dans de multiples pages que l'on peut regarder sans fin. C'est ainsi que la Libération de Paris est élégamment racontée en deux dessins occupant chacun une page. Le premier est une parodie du tableau de Delacroix, déjà montrée précédemment, et la deuxième une belle image d'un tank qui se promène dans la rue. Ce tank est entouré d'une foule enthousiaste et la plupart des personnages sont cernés d'une façon précise, avec beaucoup de vie, tandis que les couleurs vives et lumineuses soulignent la joie de cette population. Calvo a réalisé sur cette page un véritable travail d'artiste.
Mais
la Bête est morte contient surtout des images de grandeur moyenne, et leur séduction ne provient pas d'une vision grandiose. C'est alors plutôt l'imagination fantaisiste et l'habileté du dessinateur qui frappe le lecteur. Calvo excelle en effet à transposer dans son monde animalier une anecdote historique ou une donnée technique. Dans l'image ci-dessous, on voit les ours (russes) travailler dans des usines sauvagement bombardées par les loups (allemands), et c'est une anecdote qui se place pendant la cruelle bataille de Stalingrad. Calvo en donne une image étrange, pleine de mystère et de tendresse, qui devient le contrepoint des autres illustrations de la même planche, qui sont beaucoup plus sanglantes et guerrières. Et ainsi, même au milieu de l'enfer des batailles, le dessinateur nous montre l'attrait de la vie.
Parfois, Calvo utilise aussi avec une certaine malice le genre allégorique. C'est ainsi que le débarquement des alliés en Italie nous est montré comme l'ascension d'une simple botte par de dynamiques bisons, qui chassent devant eux de nombreux petits loups. L'œil est une fois de plus surpris par la malice de Calvo, qui multiplie les petits "trucs" de dessinateur ou les magnifiques trouvailles visuelles.
Il est bien sûr impossible de tout montrer ici.
La Bête est morte multiplie sur chaque page les détails amusants ou les visions dantesques, et cette succession rapide de détails humoristique et de souvenirs effrayants me parait absolument unique dans le monde de la bande dessinée.
Mais il n'y eut pas que
la Bête est morte à cette époque-là ! Les années 1944 à 1946 sont en fait un véritable âge d'or pour Calvo, et je vais aussi m'arrêter sur d'autres œuvres plus mineures qui sont contemporaines du chef d'œuvre . On y retrouve la même magie, associant une tendresse presque enfantine avec une implacable férocité, mais on en reparle demain.