J'espère que Raymond ne sera pas déçu, parce que mon résumé de ce roman sera moins détaillé que le précédent ; je ne veux tout simplement pas dévoiler le ressort de l'intrigue et la clé du mystère, il faut laisser le plaisir de les découvrir à ceux qui n'ont pas encore lu le livre, et ce compte-rendu les y encouragera peut-être.
En compensation, j'ai trouvé de la documentation sur la musique à Rome, et aussi sur le culte de Mithra, deux sujets dont il beaucoup question ici. J'ai déjà parlé de la médecine et des bains dans d'autres analyses.
Un thriller, nous dit la couverture ? Oui, et pas mal venu.
Quant aux illustrations, je compte sur l'ami jfty pour avoir l'obligeance de nous les montrer, s'il les a, comme pour le précédent roman, je lui en suis reconnaissant d'avance.
Allez, tout le monde dans le bain, et attention aux assassins qui rôdent !
L'OMBRE DE CESAR
Second roman inédit d'Alix
Le résumé
Rome. Aux bains du Vélabre, un ancien marchand d'esclaves, Habinnas, meurt subitement sous les yeux d'Alix, d'Enak et de leur ami Martial, qui leur conseille de ne pas s'en mêler : en effet, les gardes de Pompée viennent récupérer le cadavre. Il s'agit en fait d'un assassinat, Pompée s'en inquiète et il y a de quoi : c'est le cinquième qui vient d'avoir lieu à Rome dans un lieu public sans qu'on voit qui a fait le coup ni comment les choses se sont passées !
Alix est plus intéressé par les quatre musiciens qu'il héberge en prévision d'une réception, et surtout par la jolie Dina, chanteuse et danseuse, mais il y a également Lysias le flûtiste, Stephanios le joueur de tambourin, et Jonathan le joueur de syrinx, tous sympathiques au premier abord, mais chacun a sa part de mystère.
C'est aussi que la réception qui se prépare n'est pas banale : une rencontre secrète entre Pompée et César, destinée peut-être à jeter enfin les bases d'un accord entre eux pour éviter la guerre civile qui s'annonce.
Toutefois, l'attitude de Jonathan est celle qui intrigue le plus Alix ; son enquête sur lui le mène jusque dans le quartier mal famé de Subure et il manque bien de ne pas en revenir.
Serait-ce lui l'assassin mystérieux ? Et à qui en voudrait-il ? A Pompée, à César, ou aux deux ?
Quand cela se passe-t-il ?
Compte tenu de la description des relations tendues entre Pompée et César, toujours au cours de la même période, entre -51 et -50, soit avant le passage du Rubicon et le début de la guerre civile.
Où cela se passe-t-il ?
Entièrement dans la ville de Rome : chez Alix, aux bains, dans le quartier de Subure et dans une villa du Palatin.
Rares sont les aventures d'Alix qui se déroulent exclusivement ou presque en milieu urbain : une autre est « Roma, Roma... », ainsi que « Le démon du Pharos » qui se passe à Alexandrie.
Le contexte historique
L'arrière-plan historique se limite à l'opposition entre César et Pompée, qui a été maintes fois commenté à l'occasion d'autres analyses, ce qui permet de dater approximativement l'action. Il est également fait allusion aux guerres que Pompée mena en Orient, une quinzaine d'années avant cette histoire, contre les pirates et divers peuples de cette région.
Bien sûr, l'entrevue qui est racontée ici est fictive, mais pourquoi ne pas imaginer que l'idée en ait germé dans l'esprit de l'un ou l'autre protagoniste ? On sait qu'ils se sont longtemps ménagés avant d'en venir aux armes, et cette rencontre pouvait être la dernière chance de maintenir la paix. Tous deux savaient ce qu'ils avaient à perdre d'une guerre mal préparée et mal menée, et c'est en fin de compte ce qui arriva à Pompée.
Comment est racontée l'histoire ?
« Un thriller dans la Rome de César » annonce le résumé de la couverture. Petite correction : Rome n'est pas encore à César, il s'en faut d'une guerre, et c'est justement le sujet du livre : sera-t-elle à lui, ou pas ? A part cela, et sans atteindre des sommets, ce second roman est nettement meilleur que le premier, moins bavard, tandis que l'action et la réflexion y alternent judicieusement. Il est intelligemment construit et les personnages, même épisodiques, sont intéressants, en particulier le quatuor de musiciens. Pour ne pas tuer le mystère, je n'irai pas plus loin dans les précisions sur l'intrigue qui mérite d'être lue.
Les dessins sont peu nombreux et ne m'ont pas vraiment séduit, à part le portrait de la charmante Dina. La couverture en couleurs n'a aucun rapport avec l'histoire.
La partie documentaire
Comme dans le précédent roman, cet ouvrage comporte un dossier avec plusieurs articles explicatifs. J'ai déjà traité certains de ces thèmes dans d'autres commentaires d'albums et je me contente d'y renvoyer le lecteur.
Deux d'entre eux, en revanche, sont des thèmes sur lesquels je n'avais pas eu l'occasion de rédiger des commentaires, aussi, vous trouverez ci-après quelques précisions qui viennent compléter le dossier du livre.
Les bains et les thermes
Voir aussi mon commentaire dans « Roma, Roma... »
La médecine à Rome
Voir aussi mon commentaire dans « La griffe noire ».
La musique à Rome
Je préfère prévenir le lecteur : pour traiter correctement de la musique romaine, il faudrait d'abord parler de la musique grecque dont la précédente s'inspire semble-t-il beaucoup. Toutefois, les articles que j'ai trouvé dans mes sources habituelles sont si longs et si techniques que j'ai renoncé ; n'étant pas moi-même musicien, j'aurais risqué de commettre des erreurs et de rendre le texte incompréhensible. Aussi, je me contenterai d'une simple description venant s'ajouter aux renseignements donnés dans le livre.
Il n'a rien survécu des compositions musicales romaines. On suppose qu'elles furent détruites, si elles furent notées quelque part, lorsque le christianisme, devenu religion officielle de l'Empire, fit disparaître ce qui rappelait le paganisme, mais on n'a aucune certitude à ce sujet. Nous n'avons peut-être pas perdu grand chose, car il ne semble pas que les Romains, contrairement aux Grecs, aient été créatifs ou originaux ; ils ont d'ailleurs eu d'autres influences que grecques : étrusques, orientales, numides, etc., mais on n'en connaît pas la nature exacte. Si l'archéologue est déçu de cette absence de documents, est-ce le cas du musicien ?
Si les Romains écrivaient leur musique, ce qui est possible, mais pas certain, ils utilisaient certainement la notation grecque employant quatre lettres et correspondant à nos notes : la, sol, fa, mi, pour désigner la succession des tons des tétracordes. Le rythme était rendu par des signes diacritiques au dessus des notes, marquant la durée de chaque son. Dans les représentations artistiques, par exemple à Pompéi, on ne voit jamais aucun musicien lire de la musique.
Les instruments à vent
Tuba : instrument hérité des Étrusques ; c'est une longue trompe de bronze ( jusqu'à 1,30 m ), munie à son extrémité d'un pavillon conique amovible ; utilisé dans l'armée pour sonner l'appel, mais aussi pour les funérailles, et à l'occasion des spectacles ou des combats de gladiateurs ; celui qui en joue est le tubicen.
Buccin ou cornu : encore un instrument venant des Étrusques ; cette trompe en forme de G est d'usage militaire ; celui qui en joue est le cornicen.
Flûte ou tibia : simple ou double tuyau muni d'une hanche en roseau, dont le son rappelle celui de la clarinette ; lorsqu'il y a deux tuyaux, ils restent séparés mais sont fermement tenus sur la largeur des lèvres.
Il y avait aussi : l'ascaules, sorte de cornemuse, la flûte à bec et la flûte de Pan ou syrinx.
Les instruments à cordes pincées
Lyre : sorte de harpe, avec un nombre variable de cordes sur un châssis en bois ; elle est tenue ou calée entre le bras et la main gauches, les cordes étant pincées avec la main droite.
Cithare : instrument de prestige accompagnant la poésie, et dont le timbre est grave et doux.
Luth : instrument à trois cordes.
Les orgues
Orgues portatifs : intermédiaires entre la cornemuse et l'orgue moderne, on ne sait pas si les tuyaux,
conçus pour jouer dans plusieurs tonalités, étaient mis en vibration par le souffle du musicien ou par une vessie à air.
Hydraule : cet orgue est mis en vibration par une circulation d'eau ; on en a retrouvé un exemplaire en terre cuite à Carthage et un autre en bronze à Aventicum ( Avenches, en Suisse ).
Les percussions
Scabellum : pour scander la musique.
Sistre : instrument originaire d'Égypte, utilisé dans les cérémonies religieuses.
Et aussi : crécelles, grelots, tambourins, timbales, cymbales en cuivre.
Musique et société : la musique était un art libéral ; les concours de musique étaient fréquents et attiraient de nombreux participants : des centaines de musiciens se retrouvaient lors de grands spectacles ou de festivals importants, par exemple les Jeux, comme les Jeux Olympiques, comportaient presque toujours un concours de musique.
Mithra : ainsi parlait Zarathoustra
Ce dieu, dont il est beaucoup question dans ce livre, est assez peu connu de nos jours.
Mithra était l'un des plus importants dieux de la mythologie perse, le mazdéisme, religion qui dura jusqu'à la conquête musulmane. Son livre sacré, l'Avesta, aurait été écrit par Zarathoustra vers -1000. Il pourrait s'agir d'une religion historiquement instituée par une réforme ( comme celle d'Akhenaton en Égypte ), plutôt que d'une religion traditionnelle comme l'étaient les religions grecque ou romaine.
Le mazdéisme fut la religion officielle des empereurs perses achéménides ( -556/-330 ) et sassanides ( 224/651 ). Il s'articule autour de l'opposition entre Ahoura Mazda ( « le seigneur sage » ) et les démons, dont Angra Manyou ( « l'inspirateur maléfique » ) est le chef. Les valeurs fondamentales de Mithra, qui vient juste après Ahoura Mazda dans la hiérarchie divine, sont la lumière, la vérité et la sagesse, mais il a aussi subi l'influence de cultes guerriers qui ont fait de lui un « dieu invincible » et rapproché de la manifestation divine du soleil.
Mithra aborde le monde romain avec les pirates combattus par Pompée et qui célébraient en l'honneur du dieu, sur la côte de Cilicie, « des sacrifices étranges et secrets », selon Plutarque. Mais sa véritable diffusion ne commence qu'à la fin du Ier siècle, et son succès du III° siècle. Ses vecteurs furent les marchands asiatiques qui ont transporté son image et celle de son culte dans les ports et les villes commerçantes, mais aussi les soldats, de telle sorte que les traces de ce culte sont nombreuses sur le limes, là où il y avait des garnisons : sur le Danube, sur le Rhin, en bordure du Sahara ou dans les Asturies.
Sa théologie n'est fondée sur aucun texte connu ; on la sait marquée par le dualisme de la lumière et des ténèbres, ou le vitalisme dont témoigne le sacrifice mythique du taureau. Le sanctuaire, mitraea ou mithréum, a la forme d'une grotte artificielle, lieu de passage des ténèbres à la lumière, et point originel où s'enracine la puissance germinatrice de la nature. Au fond de la grotte, une grande plaque en relief figure Mithra, vêtu à l'orientale et coiffé d'un bonnet phrygien, égorgeant le taureau symbolisant la force vitale. Autour, sont illustrés les autres exploits héroïques de Mithra : sa naissance d'un rocher ( pétrogénèse ), la manière dont il en fait jaillir l'eau, son alliance avec le Soleil qui l'emporte sur son char, et d'autres personnages, humains symbolisant le soleil et la lune, animaux ( chien, scorpion, etc. ) s'abreuvant du sang du taureau.
Dans le sanctuaire, la cérémonie consiste en un repas rituel pris en commun par 15 à 20 personnes. Il n'y avait pas d'organisation centrale, la seule hiérarchie religieuse connue étant un « père » à la tête de chaque petite communauté, dont les membres, qui recevaient une initiation progressive, étaient presque exclusivement des Occidentaux pour lesquels la référence exotique ( et le langage sacré perse allant avec ) accroissait l'impression de s'adresser à une divinité vénérable et proche des origines.
Le culte de Mithra s'adressait à des hommes de tous âges et de toutes conditions, mais pas aux femmes, semble-t-il. Il était particulièrement influent dans le milieu des gradés militaires, séduits par son exaltation de l'héroïsme, de la victoire et de la hiérarchie, mais bien qu'il ait intéressé de hauts dignitaires et même des empereurs, il n'a jamais exercé un ascendant décisif sur l'Empire, contrairement à ce qu'a pu laisser penser la formule d'Ernest Renan : « Si le monde antique ne s'était fait chrétien, il fût devenu mithriaste. »
Il ne faut pas non plus le confondre avec le culte impérial de Sol Invictus, qui connut son apogée sous le règne d'Aurélien, en 275, et qui englobait de façon syncrétique tous les cultes solaires orientaux connus à l'époque : Apollon, Hélios, Elagabal, etc. pour renforcer l'unité de l'Empire, qui en avait alors bien besoin...
Les personnages
Alix : il m'a paru un peu moins évanescent que dans le précédent roman, et semble même très intéressé par les charmes de la jolie Dina ( que va en penser Lidia Octavia ? ) qui n'a d'yeux que pour un autre, hélas. Mais il enquête courageusement dans un quartier de Subure pas très accueillant, affronte des tueurs décidés et même un cobra. Et tout ça par fidélité à César qui va encore se retrouver son débiteur.
Enak : il paraît ici surtout soucieux de se perfectionner en musique et d'accompagner le petit groupe d'artistes, même si les résultats ne semblent pas toujours à la hauteur de ses espérances. Mais il reste vigilant quand les choses se gâtent et il saura venir encore une fois au secours d'Alix, car lui, il sait s'y prendre avec les cobras.
Et, par ordre d'entrée en scène :
Habinnas : le principal souci de cet ancien marchand d'esclaves est de se lancer en politique en caressant l'électeur dans le sens du poil ; cela ne suffit pas quand on a affaire à un tueur qui veut se venger et il ne se doute pas du sort fatal qui l'attend.
Martial : toujours aussi doué pour s'enrichir et pour être là au bon moment ( quand trouve-t-il donc le temps de faire des affaires ? ) l'ami et compatriote d'Alix occupe souvent le devant de la scène pour comprendre les énigmes avant tout le monde. Je persiste à croire que ce personnage était superflu et ne permet pas à Alix d'être mis en valeur dans certaines scènes.
Lysias : le flûtiste, garçon charmant et dévoué, est toujours prêt à accompagner Enak dans ses explorations musicales. Il reste discret sur le drame qu'il a vécu quelques années plus tôt au cours d'une guerre.
Stephanios : c'est le joueur de tambourin, également chanteur. Lui aussi ne demande qu'à exercer son art et à rendre service à ses hôtes. Il reste calme et apparemment sans mystère malgré une santé fragile.
Dina : la danseuse et chanteuse du petit groupe. Une bien belle fille, et qui ne laisse pas Alix indifférent. Mais elle-même ne s'intéresse qu'à Jonathan, ce qui est bien son droit et souffre de le voir la négliger. Heureusement, son hôte ne se formalise pas de son choix. Des quatre musiciens, c'est la moins mystérieuse, ce qui ne l'empêche pas d'ouvrir les yeux et les oreilles pour comprendre certains secrets chez ses compagnons artistes.
Jonathan : le joueur de syrinx. Le plus secret et le plus susceptible du groupe de musiciens. Est-ce parce qu'il est juif ? S'il se contentait de rencontrer plus ou moins secrètement d'autres juifs à Rome, les choses seraient simples, mais est-ce bien le cas ? Où s'absente-t-il ainsi, obligeant Enak à le remplacer ? Pourquoi traîne-t-il dans le quartier mal famé de Subure ? Pourquoi rend-il visite à un inquiétant apothicaire ? Et éprouve-t-il bien pour Dina la même passion qu'elle semble éprouver pour lui ?
Sapor : l'apothicaire de Subure porte le nom d'un roi perse. C'est bien tout ce qu'il a de majestueux, car sa boutique est plutôt un amoncellement d'objets, poudres et mixtures inquiétantes. Pourtant, quand Alix essaie de le piéger, il se défend de passer pour un empoisonneur potentiel, mais est-il bien sincère ?
Marcellus : ce n'est qu'un petit truand de Subure, prêt à trucider n'importe qui , même haut placé, pour quelques pièces. Il n'est pas dénué d'un certain courage, surtout quand il se trouve en position de force.
César : le proconsul des Gaules se risque à Rome où il ne devrait pas se trouver, puisqu'il y serait aussitôt traduit en justice, sans parler des tueurs qui rôdent... Il fait confiance à ses gardes et à la loyauté d'Alix pour contrer Pompée qui lui réserve un cadeau empoisonné. Mais rechercher un accord avec son adversaire pour s'épargner des efforts guerriers, dont on ne sait jamais comment ça va se terminer, vaut peut-être la peine de prendre des risques : tout en se méfiant, il y va sincèrement.
Pompée : le « Grand Homme » croit avoir bien préparé le terrain pour triompher de son adversaire, César. Il en est arrivé à un point où il n'est même plus nécessaire de s'interroger sur le bien fondé des moyens à employer. Hélas pour lui, son stratagème échouera encore une fois, et on sait comment l'histoire s'est terminée pour lui, un peu plus tard.
Gellius : le dévoué secrétaire de Pompée a mis tout son talent en œuvre pour que son patron puisse l'emporter dans la confrontation qui se prépare. C'est pourtant lui qui sera l'une des victimes de l'échec de leur machination.
Conclusion
Il n'est pas facile d'analyser ce genre d'histoire, car il n'est pas question de dévoiler les ressorts de l'intrigue. Celle-ci est assez bien conçue et plaisante à suivre, malgré un enjeu totalement imaginaire. Alix a un rôle un peu plus actif que dans le précédent roman et les personnages épisodiques sont bien campés.
La collection de romans s'est arrêtée là, sans qu'on sache trop pourquoi ; manque de public intéressé, peut-être ?
Sources : la documentation habituelle, dont « Le Dictionnaire de l'Antiquité », de Jean Leclant ( PUF ), et des sites historiques sur Internet, particulièrement pour Mithra et la musique romaine.
La prochaine fois : mes analyses s'arrêtent là, provisoirement ; je les reprendrai plus tard avec « L'Odyssée d'Alix, volume 1 », quand j'aurai trouvé comment ces lettres et ces illustrations peuvent être commentées clairement et simplement.
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