Journal inquiet d'Istanbul est une trilogie autobiographique et politique d'Ersin Karabulut. Le premier tome vient de sortir ce jour.
La BD raconte l'enfance puis l'adolescence de l'auteur. Nous voyons éclore son goût pour la BD et la caricature dans un contexte politique marqué par la montée vers le pouvoir de Recep Erdoğan.
Ersin Karabut
La BD est avant tout un manifeste politique. Elle dénonce clairement un pouvoir perçu comme liberticide et à forte connotation religieuse. L'évolution de la société turque, ses clivages, la montée des intégrismes constituent le quotidien du héros et de sa famille. Les intimidations politiques et religieuses deviennent la règle et le lecteur partage ainsi l'angoisse de l'auteur et de ses parents face au futur.
La chronique familiale respire l'authentique. Nous vivons au sein même de la famille. Nous repassons le linge avec Mme Karabut (sa seule occupation semble-t-il ). Avec son époux, nous exerçons notre deuxième métier, celui destiné à grappiller l’argent nécessaire aux études des enfants, car le premier métier, celui d'enseignant, ne rémunère pas assez. Nous sommes témoins de l'angoisse scolaire de la sœur du héros. Et surtout, nous vivons les études de l'auteur. Nous l'accompagnons matin et soir lorsqu'il emprunte le long chemin allant dans un lycée d'excellence, bien éloigné de la banlieue pauvre où vit sa famille. Nous le voyons souffrir et échouer sur les bancs de l'école. Nous trichons avec lui pour convaincre ses parents qu'un métier de dessinateur sera plus profitable qu'un métier d'ingénieur. Etc.
L'ouvrage est aussi un chant d'amour à la bande dessinée et à ses métiers. Tant les débuts hésitants que les premiers succès de l'auteur nous sont contés, non sans un certain humour. Et puis Karabut met en scène Astérix, Tintin ou Superman qui le conseillent dans les moments critiques de sa vie, notamment lorsqu'il décide de s'orienter vers le 9ème art .
Le graphisme est très professionnel, parfois réaliste, parfois caricatural. Clairement, Ersin Karabut maîtrise parfaitement toutes les techniques de sa profession. Et si la BD s'inspire clairement des travaux de Riad Sattouf (L'arabe du futur) et de Marjane Satrapi (Persepolis), la palette apparaît plus fouillée, plus riche voire plus vivante. J'y ai vu parfois l'influence de l'underground américain.
Ancrée à gauche, l’œuvre bénéficie du soutien de média placés sur la même lignée éditoriale, comme France Inter https://www.radiofrance.fr/franceinter/journal-inquiet-d-istanbul-d-ersin-karabulut-naissance-d-un-artiste-dans-une-turquie-en-pleine-tourmente-1229782 ou encore du Monde : https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2022/07/23/ersin-karabulut-dessine-contre-la-tyrannie-turque_6135848_3451060.html.
Et j'eus préféré un regard plus analytique, plus réfléchi et moins sensible. Erdoğan est arrivé démocratiquement au pouvoir et tant son islamo-conservatisme que son autoritarisme furent souhaités par une grande majorité de la population, lasse notamment de la corruption et de la fragilité économique du pays. De même, le nationalisme exacerbé et le sexisme de la société semblent ici presque normaux alors qu'ils sont à mettre dans le même sac que les autres dérives. Enfin, on ne peux nier que la politique économique libérale de l'actuel président turc ait rencontré un certain succès.
Cependant, au final, nous avons là un superbe scénario, magnifiquement illustré par un graphisme de qualité.
Ce sera donc un EEEE même si mes goûts me portent à beaucoup plus de tiédeur et que je ne garderai pas le roman graphique dans ma bibliothèque.
Eléanore
La BD raconte l'enfance puis l'adolescence de l'auteur. Nous voyons éclore son goût pour la BD et la caricature dans un contexte politique marqué par la montée vers le pouvoir de Recep Erdoğan.
Ersin Karabut
La BD est avant tout un manifeste politique. Elle dénonce clairement un pouvoir perçu comme liberticide et à forte connotation religieuse. L'évolution de la société turque, ses clivages, la montée des intégrismes constituent le quotidien du héros et de sa famille. Les intimidations politiques et religieuses deviennent la règle et le lecteur partage ainsi l'angoisse de l'auteur et de ses parents face au futur.
La chronique familiale respire l'authentique. Nous vivons au sein même de la famille. Nous repassons le linge avec Mme Karabut (sa seule occupation semble-t-il ). Avec son époux, nous exerçons notre deuxième métier, celui destiné à grappiller l’argent nécessaire aux études des enfants, car le premier métier, celui d'enseignant, ne rémunère pas assez. Nous sommes témoins de l'angoisse scolaire de la sœur du héros. Et surtout, nous vivons les études de l'auteur. Nous l'accompagnons matin et soir lorsqu'il emprunte le long chemin allant dans un lycée d'excellence, bien éloigné de la banlieue pauvre où vit sa famille. Nous le voyons souffrir et échouer sur les bancs de l'école. Nous trichons avec lui pour convaincre ses parents qu'un métier de dessinateur sera plus profitable qu'un métier d'ingénieur. Etc.
L'ouvrage est aussi un chant d'amour à la bande dessinée et à ses métiers. Tant les débuts hésitants que les premiers succès de l'auteur nous sont contés, non sans un certain humour. Et puis Karabut met en scène Astérix, Tintin ou Superman qui le conseillent dans les moments critiques de sa vie, notamment lorsqu'il décide de s'orienter vers le 9ème art .
Le graphisme est très professionnel, parfois réaliste, parfois caricatural. Clairement, Ersin Karabut maîtrise parfaitement toutes les techniques de sa profession. Et si la BD s'inspire clairement des travaux de Riad Sattouf (L'arabe du futur) et de Marjane Satrapi (Persepolis), la palette apparaît plus fouillée, plus riche voire plus vivante. J'y ai vu parfois l'influence de l'underground américain.
Ancrée à gauche, l’œuvre bénéficie du soutien de média placés sur la même lignée éditoriale, comme France Inter https://www.radiofrance.fr/franceinter/journal-inquiet-d-istanbul-d-ersin-karabulut-naissance-d-un-artiste-dans-une-turquie-en-pleine-tourmente-1229782 ou encore du Monde : https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2022/07/23/ersin-karabulut-dessine-contre-la-tyrannie-turque_6135848_3451060.html.
Et j'eus préféré un regard plus analytique, plus réfléchi et moins sensible. Erdoğan est arrivé démocratiquement au pouvoir et tant son islamo-conservatisme que son autoritarisme furent souhaités par une grande majorité de la population, lasse notamment de la corruption et de la fragilité économique du pays. De même, le nationalisme exacerbé et le sexisme de la société semblent ici presque normaux alors qu'ils sont à mettre dans le même sac que les autres dérives. Enfin, on ne peux nier que la politique économique libérale de l'actuel président turc ait rencontré un certain succès.
Cependant, au final, nous avons là un superbe scénario, magnifiquement illustré par un graphisme de qualité.
Ce sera donc un EEEE même si mes goûts me portent à beaucoup plus de tiédeur et que je ne garderai pas le roman graphique dans ma bibliothèque.
Eléanore