Nombre de messages : 2306 Localisation : Avec ceux que j'aime Date d'inscription : 20/06/2011
Bonjour
Je fais aussi partie des invitées et ai lu Castelmaure. Merci Raymond . C'est une belle découverte. La BD regarde du côté du conte, bien plus que Géante ou Peau d'homme. Elle est plus intemporelle, moins politique. Et la narration est bien plus habile, en entremêlant diaboliquement le passé et le présent, avec plusieurs lignes qui convergent à la toute fin. Enfin, le recours à une mise en abyme magnifie l'ouvrage. J'ai ainsi particulièrement apprécié le personnage du mythographe, sorte de Charles Perrault en herbe, qui recueille les légendes pour en faire des récits.
Le style graphique est voisin de celui des deux autres ouvrages. Il effraiera les tenants du réalisme et présente même un certain charme par ses exagérations caricaturales. C'est du Alfred pur jus ! A titre personnel, je reste quand même sur ma faim. Un peu plus de réalisme serait le bienvenu et produire rapidement des planches et des planches est bon économiquement mais parfois moins bon artistiquement. Cocteau, lorsqu'il tourne La belle et la bête, s'est plié à une certaine esthétique, et j'eus aimé qu'Alfred fasse de même. Bon, on peut toujours rêver !
Au final, malgré un dessin peu adapté, je garderai le souvenir d'un excellent scénario. Aussi, je me permets de décerner à Trondheim la médaille en chocolat (au lait car la fin est onctueuse) du plus beau conte 2020.
Nombre de messages : 38492 Age : 70 Localisation : Lausanne Date d'inscription : 03/03/2009
Je n'ai toujours pas lu l'Alcazarde Simon Lamouret, malgré les commentaires élogieux d'eleanore-clo (voir le post 385 de ce sujet). Il est difficile de tout suivre.
Frédéric Hojlo dit beaucoup de bien de ce voyage aux Indes par la BD !
Nombre de messages : 2306 Localisation : Avec ceux que j'aime Date d'inscription : 20/06/2011
Le baron est une BD écrite, dessinée et coloriée par Masbou.
L'histoire est une adaptation en bande dessinée des Aventures du baron de Münchhausen, roman écrit par Raspe. Le baron de Münchhausen est un personnage historique, un militaire de carrière ayant vécu au XVIIIème siècle. Sa vie a été enjolivée, vue à travers le prisme de la truculence et du merveilleux. Masbou lie ensemble des anecdotes toutes aussi amusantes, exagérées et affabulatrices les unes que les autres. Nous avons ainsi droit à la balle qui tue 10 canards, au cheval coupé en deux que le tailleur recoud, etc. L'histoire célèbre du baron chevauchant un boulet est bien évidemment reprise à la toute fin de l'ouvrage.
L'œuvre est légère, un peu antiféministe, mais plaisante à lire en cette période sportive. Masbou est un scénariste honnête même si on peut regretter l'absence de son habituel comparse Ayroles, qui eut probablement rajouté de l'émotion, de la tension et du suspens.
Les dessins sont beaux, dans la lignée deDe cape et de crocs, un mélange de réalisme et d'imagination caricaturale. Du très professionnel. Les visages sont merveilleusement expressifs et les paysages font rêver. Et le dessinateur aime cet époque, cela se send car le rendu historique (l'architecture, les costumes, etc.) fleure bon le XVIIIème siècle.
On peut aussi noter un hommage discret au style de Gustave Doré, le premier illustrateur des Aventures du baron de Munchhausen.
Voilà donc une BD honnête à lire pendant les longues journées de (re) confinement
Eléanore
Dernière édition par eleanore-clo le Mer 11 Nov - 10:53, édité 1 fois
Nombre de messages : 38492 Age : 70 Localisation : Lausanne Date d'inscription : 03/03/2009
Peut-être faut-il se dépêcher de l'acheter avant la fermeture des librairies ?
Je l'ai vu hier mais il y avait tellement de "musts" (Alix Senator, l'Epervier par Pellerin, le dernier Gipi et le nouveau Marc-Antoine Mathieu) que je l'ai laissé sur les rayons.
Nombre de messages : 2306 Localisation : Avec ceux que j'aime Date d'inscription : 20/06/2011
En France, les librairies sont fermées sans vraiment l'être. Ainsi, le réseau Canal BD a parfaitement su tirer son épingle du jeu. Il est possible de réserver des livres à l'avance par téléphone, par courriel ou sur le site web. Il suffit alors d'aller récupérer sa commande à la librairie où un comptoir, généralement implanté à l'entrée de la boutique, permet le règlement et l'échange. Et, comme d'habitude, les nouveautés y sont disponibles une à deux journées avant la date officielle de sortie . En fait, contrairement à ce que disent les médias, c'est la FNAC qui va beaucoup y perdre
Nombre de messages : 38492 Age : 70 Localisation : Lausanne Date d'inscription : 03/03/2009
Une librairie de BD à Lausanne (la dernière en fait) avait fait un peu la même chose pendant le confinement du mois d'avril en Suisse. Mais eux, ils allaient même jusqu'à livrer les BD à domicile.
Nombre de messages : 2306 Localisation : Avec ceux que j'aime Date d'inscription : 20/06/2011
Bonjour
Messire Guillaume est une série inachevée écrite par Gwen De Bonneval, dessinée par Matthieu Bonhomme et coloriée par Walter.
L'intrigue se déroule dans un moyen âge fantastique. Le père de Guillaume a disparu et sa recherche à travers toutes sortes de contrées, y compris mythologiques, constitue une quête permettant au jeune homme de progresser en maturité. Le contexte politique de l'histoire est important car la mère de Guillaume s'est remariée avec un homme ambitieux qui rêve de gouverner le pays.
Le scénario s'inspire de la Complainte des landes perdues mais il est plus poétique. De Bonneval se positionne clairement sur le registre du merveilleux voire de la légende. Ainsi, le deuxième tome met en scène un bestiaire fabuleux dont l'usage renforce d'ailleurs l'humanisme de la trilogie.
Le vrai attrait de ma série me semble les dessins de Matthieu Bonhomme. Je confie avoir pensé aux peintures flamandes, même si la comparaison est trop forte.
Les couleurs automnales de Walter génère une tonalité nostalgique parfaitement adaptée à l'intrigue.
Nombre de messages : 38492 Age : 70 Localisation : Lausanne Date d'inscription : 03/03/2009
eleanore-clo a écrit:(...)
L'intrigue se déroule dans un moyen âge fantastique. Le père de Guillaume a disparu et sa recherche à travers toutes sortes de contrées, y compris mythologiques, constitue une quête permettant au jeune homme de progresser en maturité. Le contexte politique de l'histoire est important car la mère de Guillaume s'est remariée avec un homme ambitieux qui rêve de gouverner le pays.
Le scénario s'inspire de la Complainte des landes perdues mais il est plus poétique. De Bonneval se positionne clairement sur le registre du merveilleux voire de la légende. Ainsi, le deuxième tome met en scène un bestiaire fabuleux dont l'usage renforce d'ailleurs l'humanisme de la trilogie.
Le vrai attrait de ma série me semble les dessins de Matthieu Bonhomme. Je confie avoir pensé aux peintures flamandes, même si la comparaison est trop forte. 8:: Eléanore
Bien vu !
Voilà ce que répond Mathieu Bonhomme, dans son interview de 2018 fait par Tonnerre de Bulles :
"Pour ce deuxième tome, nous voulions prendre en compte le fait qu'au Moyen Âge, les hommes croyaient à l'existence de créatures éloignées de chez eux, tels que les dragons, les hommes sans tête, les griffons, les unijambistes avec un immense pied. (...) J'ai reformulé ces monstres à partir de dessins médiévaux mais en tenant compte de nos codes graphiques actuels.".
Il ne dit pas si ces dessinateurs étaient flamands, mais tu n'étais pas loin.
Sinon, cela me fait toujours plaisir de faire découvrir de belles BD un peu méconnues.
Nombre de messages : 295 Age : 29 Localisation : Dreux Date d'inscription : 29/09/2020
JeviensdelireLe Baronde Jean-Luc Masbou et je vous le recommande très fortement !
Aujourd'hui, s'il y a deux auteurs dont je suis l'actualité plus que tous les autres, c'est Alain Ayroles et Jean-Luc Masbou, qui ont produit le plus grand chef-d'oeuvre de la BD contemporaine à mes yeux, avec De Cape et de crocs. Après Les Indes fourbes l'année dernière, c'est donc à Jean-Luc Masbou de nous proposer un vrai bijou ! Il s'agit d'une relecture du Baron de Münchausen, dans laquelle on voit le vrai baron se confronter aux histoires qu'on raconte partout sur lui et qui ont fait l'objet d'un livre : ce livre sera-t-il vraiment la seule chose qui lui survivra ? Doit-il laisser ce livre propager une image fantaisiste de lui ?
Visuellement, déjà, on renoue avec le style De Cape et de Crocs dans l'intrigue principale, qui met en scène le fameux baron de Münchhausen dans la réalité (puisqu'il s'agit d'un personnage réellement historique). Mais à chaque fois que le baron raconte une histoire, Jean-Luc Masbou s'envole dans un style graphique différent, ce qui donne une excellente dynamique au récit, car on se demande toujours, en plus de savoir ce que va raconter la prochaine histoire, quel style l'auteur aura choisi pour la mettre en scène. Par exemple, ci-dessous, une planche d'un récit de chasse puis d'une anecdote en Russie, on peut voir le changement de style qui affecte chaque récit enchâssé :
Le récit, lui, est très habilement construit sur une excellente mise en abyme, montrant le fameux baron de Münchhausen, habitué à raconter ses histoires fantaisistes, qui voit ces histoires lui revenir comme il ne s'y attendait pas, sous forme de livre. Cela permet bien sûr à Masbou d'introduire une réflexion fine et subtile sur la différence entre une histoire orale et une histoire écrite, et surtout, de rendre un hommage puissant à tous les raconteurs d'histoire de par le monde. L'auteur nous fait entrer dans un monde imaginaire qui, lui-même, nous ouvre la voie à un nombre illimité d'autres mondes. C'est drôle, léger et envoûtant, on veut toujours en savoir plus, au point qu'on ne soucie plus guère de voir avancer l'intrigue (le récit-cadre faisant du sur-place pendant la majorité de la bande dessinée).
Seul petit bémol à mes yeux, qui m'empêche d'atteindre la note maximale : alors que l'auteur nous dévoile tout le potentiel émotionnel de son récit, il ne s'en sert jamais tout-à-fait. J'aurais aimé que la fin m'émeuve davantage, tant il y avait quelque chose à faire autour de ce personnage recherchant une simplicité que son rang semble lui interdire et s'évadant pour cela dans des histoires fantasmées.
Mais bon, je ne veux pas terminer cet avis sur cette note (très) légèrement négative, car Le Baron n'a rien d'une déception. C'est une bande dessinée très généreuse, tant envers son lecteur qu'envers tous ceux qui inventent, qui créent, qui écrivent ou qui dessinent des histoires. L'hommage au pouvoir de l'imagination et à tous les hommes qui s'en servent pour faire rêver les autres et rendre le monde meilleur (ou essayer) est touchant, poétique et s'achève sur une dernière page assez laconique et pourtant pleine de sens. Mais pour ne pas tout déflorer, c'est plutôt sur la première page du récit que je vais terminer, qui donne déjà un bel aperçu du type d'hommage que Masbou veut rendre et de son jeu stylistique :
En tous cas, Masbou relit de manière très intelligente l'univers fascinant du baron de Münchhausen (avec un joli pied-de-nez au récit sans doute le plus emblématique du baron), et rend un hommage vraiment poétique à tous les saltimbanques et les poètes qui se sont donnés la si belle tâche d'enchanter le monde et de lui faire retrouver le sens du rêve.
Nombre de messages : 2306 Localisation : Avec ceux que j'aime Date d'inscription : 20/06/2011
Bonjour Syngonic
Merci beaucoup pour cet avis qui m'a fait découvrir des thématiques passées inaperçues durant ma lecture Et oui, je partage votre avis. De cape et de crocs est un monument de la BD, un classique intemporel, un jalon majeur dans l'histoire de la BD. Il est vrai que les 10 volumes du premier cycle (le meilleur) peuvent effrayer. Et un petit investissement dans une lecture désintéressée des 5 premiers tomes est nécessaire pour s'immerger dans l'univers et en découvrir l'incroyable beauté. On ne découvre pas un diamant sans faire un petit effort
Nombre de messages : 295 Age : 29 Localisation : Dreux Date d'inscription : 29/09/2020
De rien, tant mieux si mon avis t'aide à avoir une lecture plus poussée, j'en suis ravi ! Ah, De Cape et de crocs, la 1re fois, j'ai effectivement fait un tout petit effort pour bien tenir dans le 1er tome, qui ne m'attirait pas plus que ça. Puis le 2e tome m'a bien convaincu, et à partir de la poursuite sur l'île de Malte, j'ai été à fond dans l'histoire jusqu'à la fin ! Et maintenant, je crois que je connais chaque tome quasiment par coeur, et pourtant, ça ne gâche jamais rien à mon plaisir de lecture.
Nombre de messages : 2306 Localisation : Avec ceux que j'aime Date d'inscription : 20/06/2011
Bonjour
La femme papillon est une BD écrite par Michel Coulon et dessinée par Grégory Mardon.
Gred Mardon est un bédéiste qui se met en scène dans des œuvres intellectualistes. Malheureusement, les ventes de ses ouvrages s'effondrent, titre après titre. Aussi, son éditeur lui conseille de se réorienter et de dessiner des comics, avec un super-héros de préférence noir ou maghrébin ! A force de réfléchir, notre scénariste imagine le personnage de Butterflywoman, une femme de ménage ayant acquis ses pouvoirs dans un accélérateur de particules, où elle s'était réfugiée pour fuir le harcèlement sexuel de son employeur. L'idée séduit l'éditeur et l'ouvrage est un succès. Une effigie de la femme papillon est fabriquée pour accompagner Greg durant sa tournée de dédicaces. Cependant, dans le cosmos, la rencontre de deux trous noirs crée un étrange rayonnement qui donne vie à l'effigie. Et que fait une super-héroïne dans notre monde de violence et de terrorisme ?
Résumer l'intrigue réduit clairement le projet des deux auteurs, et je confie être quelque peu embarrassée par l'image véhiculée par mon introduction . En effet, La femme papillon est un objet à n dimensions où l'auteur entremêle avec fantaisie et bonheur les comics, le conte mythologique, le féminisme et le monde de l'édition. Côté comics, la référence est immédiate que ce soit par les super-pouvoirs et l'anonymat de la super-héroïne, ou encore par l'existence d'un talon d'Achille (elle doit régulièrement respirer du pollen de fleurs faute de quoi sa force disparaît ). Mais Coulon n'a pas voulu faire une pâle copie de Spiderman. Il nous emmène donc du côté des légendes et plus particulièrement celle de Pygmalion et de Galatée (https://fr.wikipedia.org/wiki/Pygmalion_et_Galat%C3%A9e). Partant de là, Greg va donc s’énamourer de sa créature... Le féminisme est aussi à l'honneur et Butterflywoman est la digne héritière de Wonderwoman avec l'humour en plus. La vignette représentant la super-héroïne portant Greg blessé dans ses bras, sur fond d'une affiche cinématographique où l'acteur principal fait de même avec une actrice, est un clin d'œil à la condition féminine. Enfin, on rit beaucoup dans cette mise en abyme. Le héros de la BD est l'homonyme du dessinateur et il travaille comme lui pour Futuropolis ! Coulon, à l'instar de Ferri, met en scène un auteur de BD sauf que Paris a remplacé Les Ravenelles (https://www.bedetheque.com/serie-4491-BD-Retour-a-la-terre.html). L'auto-dérision tendre est ici reine. Une autre mise en abyme est à remarquer : la femme papillon est l'héroïne de la BD et aussi de la BD dans la BD !
Dans un tout autre registre, l'ouvrage se veut aussi engagé et il aborde, avec un volontarisme paisible, différents problèmes sociétaux de la France du XXIème siècle. L'ex-femme de Greg sert des repas aux Restos du Cœur, la super-héroïne dort dans un village de tentes montées par des sans-papiers, le meilleur ami de Greg est issu de l'immigration et l'enfant du bédéiste est gardé en alternance par ses deux parents. Le misérabilisme n'est pas de mise et le regard porté sur toutes ces situations est profondément optimiste. En fait, toute la BD se veut légère et positive. Il n'est pas anodin que Coulon ait créé de toutes pièces un anti-Bataclan où la tentative d'attentat se termine sans victime grâce à l'intervention de la femme papillon. Et bien évidemment, la fin est heureuse . Nous avons ainsi droit à un conte de Noël moderne !
Je suis restée sur ma faim concernant les dessins. Le style est semi réaliste, à l'instar d'un Alfred. Les paysages urbains parisiens fleurent bon la réalité (Montmartre, Notre-Dame, etc.) et de superbes vignettes de la taille d'une page nous invitent à la contemplation (Butterflywoman posée sur une des gargouilles de Notre Dame de Paris). Il me semble néanmoins que le dessin pourrait être davantage travaillé car la ligne est souvent sacrifiée au profit de l'expressivité.
Voilà donc une bande dessinée de qualité. Elle ne bénéficiera pas des feux de la rampe a contrario du dernier Blake et Mortimer. Néanmoins, elle mérite d'être lue. Je crois aussi qu'il faut retenir le nom du scénariste, Michel Coulon, car son premier texte laisse entrevoir d'immenses qualités.
Nombre de messages : 38492 Age : 70 Localisation : Lausanne Date d'inscription : 03/03/2009
Je ne suis pas un fan de Grégory Mardon, qui a déjà une longue carrière derrière lui. Il a dessiné dernièrement d'assez bons albums, comme "le Travail m'a tué" ou les Bijoux de la Kardashian", mais il a aussi publié quelques BD du genre "art et essai" (comme Corps à Corps ou le Fils de l'Ogre) qui m'ont laissé plus perplexe.
Ce que tu décris me fait plutôt penser à une BD "art et essai".
En plus il y a du super-héros (ou plutôt une super-héroïne), ce qui n'est pas vraiment ma tasse de thé.
Je ne vais donc pas me précipiter là-dessus. Mais on verra si je trouve cet album dans une bilbliothèque ...
Nombre de messages : 38492 Age : 70 Localisation : Lausanne Date d'inscription : 03/03/2009
Mais je ne vais pas en rester sur ces propos négatifs. J'ai lu dernièrement Anaïs Nin, sur le mer des mensongesde Léonie Bischoff et c'est une belle BD dont j'ai envie de parler.
Il n'est pas besoin de rappeler que ce livre a été plusieurs fois sélectionné par différents jury parmi les meilleures œuvres de l'année 2020. Cette mise en lumière a suffi pour réveiller ma curiosité.
Anaïs Nin est une femme écrivain assez connue du XXème siècle, dont je n'ai jamais rien lu. Elle a écrit plusieurs romans et surtout un journal intime en double version, un journal "officiel" qui a été expurgé et un journal secret dans lequel elle raconte ses amours infidèles et sa découverte des plaisirs charnels. C'est ce dernier livre qui semble être à l'origine du scénario de cette BD. Certains critiques présentent cet album comme un biopic, car les faits sont réels, mais je le considère plutôt pour ma part comme un de ces classiques "romans d'apprentissage" (apprentissage du plaisir évidemment) qui offrent toujours au lecteur le bonheur de découvrir une conclusion optimiste. Et de fait, malgré l'aspect scabreux et immoral du récit, il n'y a "presque" rien de scandaleux dans cette BD qui se distingue par sa délicatesse, son impertinence et sa bonne humeur.
Puisqu'il s'agit d'un récit littéraire, il y a bien sûr l'envie de le comparer cette BD à d'autres œuvres classiques et je n'ai pas pu m'empêcher de penser à certains romans d'Henri Miller, qui est d'ailleurs un des protagonistes de cet album. Anaïs Nin adopte en tout cas dans sa vie de tous les jours les ambitions hédonistes et le comportement débauché du grand écrivain américain, qui a raconté tout cela dans des livres très connus comme "Sexus" ou "Tropique du Cancer". La BD se passe d'ailleurs au début des années 20, au moment ou Miller écrivait "Tropique du Cancer" et les liens avec le journal intime d'Anaïs Nin sont ainsi très directs.
L'album utilise beaucoup les récitatifs et cela donne bien sûr l'impression delire les mémoires d'Anaïs Nin. Je suppose que Léonie Bischoff a repris certains textes du fameux journal mais je n'ai pas cherché à le vérifier, car la finesse et la distinction de ces récitatifs possèdent une envergure littéraire évidente. Ces textes s'accordent très bien avec le style graphique de Léonie Bischoff, qui est à la fois précis et aérien, plein de grâce mais aussi capable d'exprimer toute la palette des sentiments.
Je parlais d'un "roman d'apprentissage" et cette BD en possède la volonté inaltérable de progresser. Et c'est ainsi qu'après une série d'adultères et d'expériences pourtant très immorales, je ne suis pas arrivé à me fâcher avec la légèreté d'Anaïs Nin. Le livre se termine avec un bilan joyeux et rêveur, au moment ou Anaïs se sent devenue une femme à part entière, et le sentiment de libération qu'elle exprime est d'un optimisme presque contagieux.
C'est donc une très belle adaptation littéraire, et ceci contredit d'une façon brillante mon opinion habituelle que les transpositions en bande dessinées d'œuvres artistiques classiques sont inexorablement vouées à l'échec, Bien sûr, je n'ai lu aucun livre d'Anaïs Nin et je ne peux donc pas me prononcer d'une façon définitive sur cette adaptation, mais c'est une bande dessinée totalement réussie et pleine de messages troublants. J'aurais dû la sélectionner dans les 10 meilleures BD de l'années 2020 et c'est hélas trop tard pour faire ça. Mais je peux vous recommander sans réserve cette BD si vous voulez faire une belle lecture d'hiver.
Nombre de messages : 38492 Age : 70 Localisation : Lausanne Date d'inscription : 03/03/2009
Parfois, je ressens le besoin delire quelque chose de différent, comme par exemple un livre qui vient d'ailleurs, ou une œuvre relevant d'une autre tradition. Et c'est ainsi qu'après avoir lu quelque critiques élogieuses dans la presse sur L'arbre nu, un manhwa de la dessinatrice coréenne Keum Suk Gendry-Kim, j'ai tout de suite compris que c'était le livre qu'il me fallait pour les fêtes de fin d'année.
L'arbre nu est l'adaptation en BD d'un roman d'inspiration autobiographique écrit par la romancière sud-coréenne Park Wan-seo, qui a été publié en 1970. Cette dernière racontait sa rencontre avec un peintre nord-coréen survenue en 1951, pendant la Guerre de Corée. Elle tomba amoureuse de cet homme marié et leur relation resta plutôt chaste, mais cet amour aida la future écrivaine à supporter les drames familiaux (mort de ses frères, désordre psychique de sa mère) secondaires à la guerre civile.
Le récit est marqué par une très grande retenue dans l'expression des sentiments, mais ce choix reflète probablement d'une façon exacte ce que pouvait être le début d'une relation amoureuse en Corée à cette époque. C'est en fait une histoire sentimentale plutôt qu'un roman d'amour et la dessinatrice adopte donc un style volontairement sobre. Les visages restent expressifs mais les personnages évoquent très peu leurs sentiments.
La guerre de Corée n'est présente qu'en arrière fond de ce roman, par exemple en évoquant le bruit des canons, ou en montrant la destruction d'une maison, ou alors en relatant la nécessité pour les hommes de se cacher lorsque la ville de Séoul est occupée par les communistes. Il y a peu de scènes d'action et le récit reste plutôt intimiste, en s'intéressant aux sentiments des personnages face aux GI américains qui se comportent comme s'ils étaient en pays conquis, ou au vécu des artisans (et du peintre) qui survivent en réalisant des images à caractère commercial. Le récit se distingue parfois par une certaine lenteur, mais il n'est jamais ennuyeux.
Keum Suk Gendry-Kim varie en effet intelligemment les plans et le rythme de son roman graphique. Elle insère parfois entre deux conversations quelques grands dessins qui prennent toute la page, ou aussi d'occasionnelles séquences muettes ou alors des "arrêts" qui montrent d'étranges gros plans focalisés sur certains détails du décor. Cette variété d'effets révèle bien sûr une véritable maîtrise de la narration en bandes dessinées.
il n'y a pas de véritable séduction esthétique dans ce livre, car la dessinatrice s'applique plutôt à recréer l'ambiance qui imprégnait la vie coréenne en ces temps de guerre. Son graphisme sobre et un peu triste correspond probablement assez bien à l'atmosphère qui régnait dans le roman original, mais ce n'est bien sûr qu'une supposition. Signalons que la fille de l'écrivaine a écrit une intéressante préface, dans laquelle elle reconnait une réticence initiale à apprécier cette BD, toutefois suivie d'une émotion plus grande à la relecture de l'ouvrage, se terminant avec la conclusion que la dessinatrice avait bien compris l'écrivaine. C'est ainsi une adaptation littéraire qui semble réussie.
Je ne suis pas sûr que L'arbre nu (le roman graphique) soit un chef d'œuvre, car mon premier sentiment (en refermant le livre) était un peu mitigé, mais c'est sans aucun doute une BD d'une très haute tenue et digne d'éloges. Peut-être que mon ignorance de la vie coréenne m'a empêché d'apprécier certains détails du livre ?
C'est en tout cas une BD qui rencontre un véritable succès critique, et d'une façon méritée. Peut-être gagne t-elle au fond à être relue ?
C'est en tout cas un roman graphique que l'on peut recommander.
Nombre de messages : 38492 Age : 70 Localisation : Lausanne Date d'inscription : 03/03/2009
Il y a parfois des critiques qui font rêver ! Je n'ai pas vu hier en librairie la Ballade pour Sophie, une BD réalisée par deux portugais inspirés (Juan Cavia et Filipe Melo), mais la critique de BDZoom me fait maintenant envie.
"Comment rater sa vie en réussissant" l'intitule Didier Quella-Guyot et c'est un bien beau thème. C'est aussi un gros album de 300 pages, qui prend du temps pour être lu, mais dont le dessin est agréable.
Je m'en souviendrai lorsque les librairies réouvriront ! L'article se trouve à cette page :
Nombre de messages : 2306 Localisation : Avec ceux que j'aime Date d'inscription : 20/06/2011
Bonjour
Je vais commencer cette chronique deBallade pour Sophie par remercier Raymond pour sa trouvaille. Clairement, cette BD passera sous le regard des critiques. Clairement, elle ne touchera pas le grand public. Et pourtant, et je pèse mes mots, c'est un chef d'œuvre . Tout y est : l'émotion, le rythme, la poésie, la musique, l'Histoire et le graphisme. Et le mariage est harmonieux, facile à lire et ô combien riche.
Ballade pour Sophie est un roman graphique écrit par Filipe Melo et dessiné par Juan Cavia.
Julien Dubois, pianiste célèbre, a fui l'humanité. Il vit seul dans une grande maison, avec son majordome, Marguerite. Il soufre d'un cancer et est aigri. C'est alors qu'une journaliste, Adeline Jourdain, frappe à sa porte dans le but de l'interviewer. Le vieil homme refuse d'abord l'entretien. Puis il finit par accepter face à l'insistance de la jeune femme. Et il va se confier et raconter toute sa vie : une vie riche de tragédies, comme la Seconde Guerre mondiale, mais aussi de bonheurs, comme la musique. Le fil conducteur de cette vie est l'étrange amitié, ou jalousie, on ne sait pas, entre Julien et Frédéric Simon, un autre pianiste. Le scénariste nous conte deux vies, qui parfois s'éloignent mais qui toujours finissent par se croiser, d'une façon ou d'une autre.
Les personnages sont parfaitement typés que ce soit l'ambitieuse mère indigne de Julien ou le généreux clochard Poux. Leurs actes nous interrogent et nous font réfléchir sur ce nous aurions fait à leur place. Ainsi, la mère de Julien regarde du côté de Romain Gary (La promesse de l'aube), d'Hervé Bazin (Vipère au poing) ou encore de Léopold Mozart (les tournées exhibitions de Wolfgang Amadeus). Et la relation mère-fils est clairement un des sujets forts de l'ouvrage. Quoiqu'il en soit, le scénariste réserve une destinée très morale à cette maman qui récolte ce qu'elle a semé... Quant à Frédéric Simon, il est dépeint come un ange. D'ailleurs son piano s'envole lorsqu'il joue. Et il semble n'aimer que la musique... Simon incarne aussi la vertu puisqu'il s'oppose aux nazis. Et qui dit ange dit démon. Julien Dubois serait-il un démon? Peut-être mais alors un démon bien ambigu puisqu'il jalouse et admire Frédéric Simon, et l'aide dans les moments les plus difficiles.
La BD réfléchit aussi sur le 4ème art et oppose la variété à la musique classique. On pense ainsi à Serge Gainsbourg comparant ses compositions et celles de Brahms. En fait, où s'arrête le divertissement et où commence le sérieux ? Ou plus raisonnablement, est-ce que cette dichotomie manichéenne et sotte a un sens ? En fait, tel Janus, Julien a deux talents pianistiques, un orienté vers le passé et Chopin, et l'autre tourné vers l'avenir et la variété. Une personnalité donc riche et complexe : bourrue et aimante, triste et gaie, généreuse et voleuse. Il incarne donc l'humanité avec ses penchants et ses contradictions, faisant parfois penser aux deux avatars de Milou dans Tintin au Tibet : ange ou démon ? Un autre point majeur de la BD est le choix de sa destinée. La critique de BDZoom sur l'ouvrage (http://bdzoom.com/163657/actualites/comment-rater-sa-vie-en-la-reussissant/) s'intitule : "Peut-on perdre sa vie en la réussissant ?" Cependant, le dictionnaire de l'Académie Française donne plusieurs définitions pour le verbe réussir : https://www.dictionnaire-academie.fr/article/A9R2337#:~:text=Verbe%20transitif.,R%C3%A9ussir%20une%20sauce. Et clairement, la première est la bonne puisque la réussite de Julien ne lui plait pas, alors qu'elle parait enviable à tout en chacun. La question qu'on peut donc se poser est celle du bonheur. Le bonheur repose t-il sur le succès ou sur l'adéquation entre ses aspirations et sa vie ?
La dualité est au cœur du récit, nous l'avons perçu avec les différents couples (Julien, Simon), (Variété, Classique) mais elle est aussi présente à travers l'opposition/la complémentarité entre Julien et Adeline. Au début, la relation est houleuse, entre une journaliste tenace et un grincheux solitaire. Et puis, étrangement, les deux opposés se rapprochent jusqu'à la note finale dont je ne vous dirai bien évidemment rien ! Un autre contraste mérite d'être souligné : celui entre la mère de Julien et Marguerite. Au final, qui est la vraie maman du héros ? La biologique ou l'adoptée ?
La vieillesse est aussi un thème du récit. Vieillesse heureuse ou vieillesse triste ? That's the question. Et la réponse change au fur et à mesure que le récit progresse. Nous découvrons que Julien connait un bonheur tranquille avec Marguerite. Et grâce à Adeline, il va se pardonner son passé. L'interview en devient une confession, au sens religieux du terme. Du coup, la fin de vie du pianiste est paisible et gaie, comme le Requiem de Fauré. L'artiste maudit est devenu le mentor heureux.
Last but not least. La BD est militante et il n'est pas du tout innocent que les personnalités positives soient pauvres ou issues de milieux pauvres. Ici, l'argent ne fait pas le bonheur ...
Une autre qualité de la BD est le scénario. En effet, tel Ayroles dans Les Indes fourbes ou Bussi dans Les Nymphéas noirs, Melo joue avec le lecteur et enchaine les rebondissements jusqu'à la pirouette finale. Ceci pour dire qu'on ne s'ennuie jamais et que les 300 pages s'enchainent avec facilité, même si je conseille une lecture sur plusieurs jours pour mieux appréhender le pathos de la rhétorique.
Le graphisme et les couleurs sont splendides. Les visages sont délicieusement croqués, réalistes mais avec un soupçon de caricature qui leur donne un relief et une présence incomparables. Les angles et les lignes brisées sont élevés au rang de science et leur usage se marie parfaitement avec l'intrigue douce-amère. J'ai aussi apprécié les décors qui rendent hommage à l'architecture. La grande maison ou les théâtres fleurent bon la réalité.
Et puis, représenter le beau-père de Julien sous la forme d'un bouc est non seulement un hommage à Blacksad (L'enfer le silence) mais aussi une belle idée du fait du choix d'un visage humain hircin. Les couleurs sont signifiantes avec l'usage du noir et blanc pour le camp de concentration, ou encore celui d'un fond rouge pour les moments de passion. Les vignettes représentant l'enfer de la drogue sont psychédéliques à souhait et font penser à La corne de Brume (Chevalier Ardent).
Voilà, j'espère que je vous ai donné envie delireBallade pour Sophie. Cette BD est un formidable hymne à la vie, dans ce qu'elle a de triste mais surtout dans ce qu'elle a de beau. Et puis, la fin est heureuse, ce qui est une qualité fort utile par ces temps quelque peu troublés ! N'hésitez donc pas ! Enfin, comme l'ouvrage parle de piano et cite de nombreux morceaux, en voici deux qui ont lancé la carrière de Frédéric Simon : les Etudes Tristesse et Révolutionnairede Chopin, par Arthur Rubinstein bien évidemment !
Enfin, pour tout ceux qui se plongeront (avec délice ) dans le roman graphique, je me permets de poser une devinette : quel est le point commun entre Julien Dubois et Robert Schumann ?
Nombre de messages : 2306 Localisation : Avec ceux que j'aime Date d'inscription : 20/06/2011
Bonjour
Pour compléter mon précédent message, je souhaite évoquer la couverture et par derrière elle l'omniprésence de la fumée dans le récit. La couverture nous présente Julien de dos, les mains levées et tenant une cigarette. Après avoir fait le tour du visage du pianiste, la fumée s'élève, se déforme et se transforme en touches de piano. La première image venant à l'esprit est celle d'un chef d'orchestre levant sa baguette, ici la cigarette, et dirigeant un concerto pour piano (celui de Ravel en sol bien évidemment...). Le moment doit être fortissimo car les deux mains sont levées comme durant une cérémonie religieuse. Du coup, le cercle de la fumée autour du visage de Julien ne matérialiserait-il pas l'auréole d'un saint ? Car le héros ne serait-il pas un ange déchu à défaut d'être un démon ? En fait, la fumée est omniprésente dans le récit. Et j'y vois une signification car la fumée est mouvante, comme la vie et aussi car son opacité cache certains détails que nous ne souhaiterions pas voir ! Voilà, j'arrête (temporairement?) là mon panégyrique. En espérant ne pas vous avoir trop ennuyé par mes proposv .
Nombre de messages : 38492 Age : 70 Localisation : Lausanne Date d'inscription : 03/03/2009
En tout cas ... moi, cela m'intéresse beaucoup !
C'est manifestement un album qui mérite d'être lu !
Mon libraire favori continue à vendre des albums sur le pas de porte, après que l'on ait fait une commande par e-mail, et j'irai lui faire une petite visite.
Nombre de messages : 2306 Localisation : Avec ceux que j'aime Date d'inscription : 20/06/2011
Merci d'avoir participé au jeu.
Le mal être mental est un aspect que je n'avais pas vu ! Celui auquel je pense est plus physiologique... Dans la page ci-dessous, regardez la main droite de Julien.
Et ce matin, j'ai découvert une référence majeure de l’œuvre : Richard Clayderman, pianiste au croisement de la musique classique et de la variété, dont un des tubes est Ballade pour Adeline Bon, je sens que je vais pouvoir postuler comme rédactrice à BDZoom ou à ActuaBD