En lisant des bandes dessinées, il m'arrive parfois
de faire un choix culturel. Une lecture ne peut pas être uniquement motivée par la simple recherche du plaisir. Tel était au fond le fil
de ma pensée lorsque j'ai décidé
lire "
Paysage avant la bataille", le Fauve d'or du Meilleur album lors du dernier festival d'Angoulême 2017.
Ce qui frappe immédiatement, en découvrant ce livre, c'est son aspect assez peu aguichant. A première vue, la couverture est sobre et élégante, mais l'intérieur se distingue plutôt par son inquiétante austérité. L'album présente en effet peu
de texte à
lire, et les images prennent souvent l'aspect
de simples esquisses. Rien ne semble donc conçu pour en agrémenter la lecture, et en prenant pour la première fois ce livre, j'ai ressenti une légère appréhension.
Il n'y a parfois rien
de plus difficile à
lire qu'une BD sans texte. Dans
Paysage après la bataille, l'intrigue doit être comprise
de façon intuitive. Il faut en effet décrypter des suites d'images d'apparence banale, parfois accompagnées
de quelques phrases concises.
Première surprise : l'album se lit très vite, et cela s'explique aisément. Une page ne contient en effet que 3 ou 4 images, généralement peu sophistiquées et sans texte. Un coup d'œil rapide est donc souvent suffisant pour en saisir le sens, et les évidences semblent même émerger un peu plus vite avec un regard pressé.
Autre bonne surprise, ce style est remarquablement adapté au thème principal du récit. L'oeuvre raconte en effet une sorte d'escapade, celle d'une mère qui vient
de perdre son enfant, et qui s'enfuit dans un lieu où elle devient anonyme. D'apparence figée et presque muette après ce drame, l'héroïne (on peut l'appeler comme ça) contemple le monde autour d'elle comme une zombie. Aucune émotion n'anime les rencontres, les paysages ou les événements quotidiens, et ce silence impitoyable permet
de faire comprendre d'une façon très habile le processus psychologique d'un deuil.
Au milieu
de toute ces grisaille, des cases colorées font parfois leur apparition, et elles semblent indiquer un futur espoir
de vie. La couleur et le noir et blanc révèlent ainsi l'expression des sentiments.
Il n'y a en fait pas
de grand suspense dans cette histoire très banale, et la décision finale
de l'héroïne semble découler
de l'évidence. Le principal sujet d'intérêt
de ce livre provient plutôt
de son utilisation très adroite des propriétés
de la bande dessinée. Cette oeuvre discrète se révèle en effet pleine
de maturité, et on découvre surtout combien ce style austère est adéquat pour révéler la vérité d'une ambiance, et d'un état d'âme.
Y a t-il finalement un plaisir à
lire ce genre d'ouvrage ? Oui, sans aucun doute, mais c'est plutôt un contentement très intellectuel, et en lien avec une bonne connaissance du medium.
Paysage après la bataille est donc une oeuvre conçue et réalisée avec délicatesse, et aussi avec intelligence, et c'est peut être le genre
de livre que j'aurai du plaisir à relire dans quelques années.
C'est déjà pas mal, pour un livre qui fait peur au lecteur !