Ce que j’ai exprimé n’est pas contradictoire avec ce que dit Jean-Marc ! Et JYB et Damned ont parfaitement développé la question…
Dans les cas cités, les auteurs ne sont pas parti avec un « projet pédagogique », mais bien avec l’envie de raconter des histoires… C’est la différence entre une BD de vulgarisation, qui raconte des faits historiques précis (par exemple une biographie) et le genre « roman historique ». Le roman historique est donc avant tout un roman, donc une histoire qui contient de la fiction, « une méditation sur l’existence vue au travers de personnages imaginaires » (Milan Kundera - l'Art du roman) ; à rapprocher de cette expression formulée par d’Alexandre Jardin : « Le roman est un mensonge qui dit la vérité ». Il ne s’agit donc pas seulement d’imiter et de relater la réalité, mais aussi de l’explorer – alors que dans un ouvrage « didactique » on se contente de suivre au plus près le premier terme. Dans un roman (ou une Bd ou un film) historique, on glisse donc des personnages imaginaires dans une trame historique réelle, que l’on s’efforce de restituer le plus fidèlement possible. C’est une condition nécessaire du genre. Un roman historique qui ne respecte pas l’Histoire, c’est comme une BD d’humour qui ne ferait pas rire !
Parce que l’on utilise des personnages imaginaires auxquels le lecteur (ou le spectateur) peut s’identifier ou qu’il suit comme des compagnons à travers le récit, des personnages auxquel il s’attache, la fiction (roman, BD ou film) exerce une bien plus grande force d’attraction que le documentaire ! Citons par exemples : Germinal, Docteur Jivago, Titanic… Réduire les œuvres de fiction (romans, films ou BD) à de simples amusements pour se détendre est vraiment très réducteur et c’est nier l’importance et l’objet même de la littérature… Cela me fait un peu penser à ces gens qui prennent un air supérieur en disant qu’ils ne lisent jamais de romans, mais uniquement des biographies ou des reportages…
Peu importe que des pédagogues ou des historiens se sentent envahis sur ce qu'ils considèrent comme leur territoire par les « raconteurs d’histoires », les œuvres de fiction participent de l’éducation au sens large… (Sinon pourquoi y aurait-il des cours sur la littérature à l’école ?!!)
Jacques Martin était avant tout un grand conteur, et pas un auteur de BD "didactiques" ! Mais il est un des plus grands représentants (probablement même le plus grand représentant) du genre historique, ce qui, contrairement à l'"héroic fantasy" ou même au "peplum", demande de la rigueur historique... Et le fait est que ses bandes dessinées ont donné à plusieurs générations le goût de l'Histoire... Souvent de manière bien plus efficace que certains pédagogues hautains qui snobent les "petits miquets"...
Ce que je dis s'applique aussi à des auteurs comme François Bourgeon ou Jean-François Charles (et bien d'autres encore) : ces gens racontent des histoires passionnantes, mais ils respectent la réalité historique, ils se documentent, passent des jours dans les musées... Et c'est au prix de ce travail de reconstitution, que non seulement ils composent des oeuvres magnifiques, mais qu'ils font revivre le passé, de façon beaucoup plus convaincante que n'importe quel manuel scolaire ! Les enseignants et pédagogues qui n'en sont pas convaincus auraient bien fait de visiter (et, si possible, de faire visiter à leurs élèves) des expositions comme celles sur Alix ou, plus récemment, celle sur Les Passagers du Vent, de François Bourgeon, au Musée de la Marine !
On pourrait aussi développer l'exemple de Jacques Tardi, qui est aussi devenu une référence en matière de BD historique, tout en construisant des histoires très personnelles...
A remarquer que ce besoin d'authenticité et de respect de la réalité ne se rencontre pas que dans les BD se déroulant dans un lointain passé... Ce souci se retrouvait dans les BD de Jean-Michel Charlier, qui est allé jusqu'à passer son brevet de pilote de ligne ! Ou chez Albert Weinberg, qui fréquentait les bases de la force aérienne et les pilotes militaires... On peut aussi citer comme exemple Jean Graton... Tous ces gens ont toujours eu le soucis de la réalité et cela n'a pas "alourdi" leur oeuvre !
Encore un exemple : Cosey, un autre "grand conteur" !... Il ne fait pas évoluer Jonathan dans un Tibet fantasmé comme Shangri-La : il s'est régulièrement rendu sur place et il accorde beaucoup d'importance à l'authenticité des décors et des situations qu'il dépeints. Il m'a dit que quand il dessinait Jonathan, il avait souvent envie de mettre des astérisques avec ce renvoi en bas de page : "authentique", comme dans les anciens Buck Danny...
Bon, toute cette discussion est assez « hors sujet » dans cet endroit dédié à l’album « Le Châtiment »… Mais, en lisant le reportage sur Alix Mag, on comprend que les auteurs se sont eux aussi efforcés de rendre au mieux, non seulement les décors, mais aussi le contexte sociologique d’Hollywood dans les années ’50, donc de placer leur histoire de fiction dans un cadre historique bien réel, en se documentant et en faisant même intervenir des personnages réels… Pour sa série Caroline Baldwin, André Taymans va systématiquement faire les repérages sur place, dans tous les coins du monde... Et cela se sent à la lecture : par exemple, l’épisode qui se déroule à Cuba ne véhicule pas les habituels clichés sur Cuba que l’on a pu retrouver dans d’autres BD à l'époque…
Dans ce genre de BD (ou de romans ou de films), le respect de la réalité n'est pas une condition suffisante (il faut bien sûr avoir une "bonne histoire" à raconter, !) mais c'est une condition nécessaire ! Sinon, ça ne marche pas, on n'y croit pas, on sent le toc, comme dans un film de Science-Fiction quand on voit le câble qui suspend le vaisseau spatial !
Ces BD (ces romans, ces films) ouvrent l'esprit des lecteurs vers des parties de l'Histoire, ou du monde ou des secteurs d'activités humaines... Ce sont parfois des reconstitutions, des témoignages indirects... Les auteurs le savent et ils ont d'autant plus à coeur de ne pas raconter n'importe quoi, de respecter leur sujet... Mais, heureusement, ces auteurs ne se disent pas : "je vais construire un vecteur pédagogique"... Sans quoi, en effet, ils ennuieraient leurs lecteurs tout autant que les pédagogues leur auditoire !