Raymond a écrit:Citons Charlier, par exemple (Source : Hop N° 44 p. 16) :
"Et je dis bien nos misères. Ne pouvant plus travailler d'aucune façon dans la bande dessinée, il nous a fallu exercer pratiquement tous les métiers."
Je suis d'accord avec toi, mais sur le fait que Charlier savait raconter de belles histoires... sur son sort supposé dramatique après l'affaire Troisfontaines. Charlier a raconté par exemple, en tirant les larmes de ses auditeurs, qu'à un moment, il avait tout juste de quoi s'acheter un ticket de métro le matin en partant au boulot, et qu'il se demandait comment il allait pouvoir manger un sandwich à midi, vu qu'il n'avait plus un sou...
Sauf que :
- sa bibliographie répond à ça (voir ce que je dis plus haut sur sa production rien qu'en 1957 : il a bien bossé à peu près normalement dans différents journaux, et là, on ne peut pas contester les faits ; si on compulse les journaux de l'époque, on voit bien qu'il a bossé ! Donc qu'il a été normalement payé !).
- en plus, il touchait évidemment des droits d'auteur sur tous ses albums, et en 1957, ça représente un petit paquet de sous, vu que Buck Danny marchait très fort déjà à l'époque (+ Les Castors, Kim Devil, etc.).
- j'ai interrogé à ce sujet, il y a bien longtemps, un de ses amis proches, quelqu'un de bien connu dans le milieu BD (ce n'est pas Uderzo), qui m'a dit que c'était de la blague. Je crois que c'est cet ami de Charlier qui m'a raconté que, si effectivement Charlier a eu des problèmes avec Troisfontaines et a dû supprimer son nom des pages du journal Spirou et des couvertures des albums (à l'époque, bien sûr), il n'empêche qu'il continuait normalement à écrire ses scénarios, et ce sont ses dessinateurs qui le payaient en douce, en lui reversant la part qui lui revenait normalement. Un autre personnage connu dans le milieu de la BD franco-belge, qui a longtemps fréquenté Charlier et Troisfontaines, m'a assuré que ces deux-là, qui avaient chacun une forte personnalité, ont passé leur temps, dans les années 40 et 50, à se chamailler puis à se rabibocher aussi vite en se donnant de grandes tapes dans le dos lors de leurs retrouvailles (ce qui n'empêche qu'à la première occasion, la bagarre pouvait reprendre de plus belle).
- dans l'année 1957, puisque tu parles de celle-là, je vais te raconter une belle anecdote qui démolit le mythe du malheureux scénariste qui peut à peine se payer un ticket de métro. L'anecdote est peut-être connue, mais je la ressers ici. Charlier, au cours de cette fameuse année 1957 où c'était paraît-il le "creux de la vague", a écrit un scénario que je n'ai pas cité plus haut (non pas par oubli, mais je n'allais pas citer tous les travaux de Charlier un par un ; et donc, ce scénario s'ajoute à ma petite liste de ses travaux à l'époque). C'est un épisode de la série Valhardy, Le Gang des diamants. Et tu peux vérifier, ça a paru en 1957 dans Spirou, entre mars et septembre. Comme à son habitude, Charlier envoyait son scénario par petits bouts : quelques pages par-ci, quelques pages par-là. Au cours de l'été, le dessinateur, Joseph Gillain, s'inquiète : il lui manque les trois dernières planches de scénario pour terminer les dessins ; or, l'histoire était prépubliée dans Spirou, et donc ça, une publication dans un hebdomadaire, ça n'attend pas. Jijé finit par téléphoner à Charlier pour lui réclamer d'urgence ces trois pages manquantes. Il tombe sur l'épouse de Charlier, qui lui apprend que son mari est... en vacances en Italie, et injoignable. Fureur de Jijé qui, du coup, décide de prendre les choses en main et d'écrire lui-même les trois dernières pages. C'est à son retour d'Italie que Charlier découvre la fin imaginée par son dessinateur. Et là, fureur de Charlier qui reproche à Jijé de ne pas avoir bouclé l'histoire comme il aurait fallu ! (mais c'est trop tard pour rectifier). Donc, période de vache enragée, peut-être, mais pendant laquelle on va en vacances en Italie...
- en revanche, on peut admettre que, juste après avoir quitté la World Press de Troisfontaines, dans les semaines qui ont suivi son départ (début 1956 je crois), ça a dû être l'incertitude pour Charlier qui - il le raconte dans des interviewes ici et là - venait de se marier et d'avoir un enfant (son fils Philippe, né en juin 1954) ; mais si on regarde sa bibliographie, c'est loin d'être le creux de la vague là encore...! Avec toujours deux épisodes de Buck Danny chaque année, Les Castors toujours, Kim Devil, l'aventure du journal Pistolin commencée fin 1955, qui durera près de quatre ans et où il avait un poste de responsabilité, l'aventure Risque-Tout (supplément à Spirou, qui ne durera qu'un an, justement cette année 1956, au cours de laquelle Charlier a produit un certain nombre de récits courts, et un récit long : André Lefort), des articles "sans intérêt", dit-il (donc sous-entendu : alimentaires), pour Benjamin, etc., plus tout ce qu'il a raconté - qui est vrai - de l'accompagnement lors des visites des rois africains à Paris, de divers travaux publicitaires et de communication, etc. Dans les années 50, il n'y avait pas du chômage comme aujourd'hui, on retombait vite sur ses pieds, et Charlier, avec ses diplômes et son esprit vif, n'était pas le dernier à retomber très vite sur ses pieds.
Donc, faut relativiser...
Cela dit, je ne fais que constater les faits (= bibliographie) et répéter ce que des gens de l'entourage de Charlier ont corrigé devant moi, mais je préfère ne rien affirmer à 100%, car je n'y étais pas... Les deux seules personnes qui peuvent dire ce qu'il en fut réellement, c'est Uderzo et Mme Charlier.