Raymond a écrit:Thierry Martens semble en effet souffler le chaud puis le froid, mais ces voltefaces reflètent assez bien l'intérêt de la première période de Haga. Vers la fin de la rubrique "et les fanzines", avec l'apparition de la 2ème période de Haga, ses critiques deviennent plus élogieuses.
Martens procède de même avec Phénix, dont la qualité n'a pas été constante. Je me rends compte à cet égard que je suis resté très laconique en évoquant ce fanzine. C'est une histoire qui a duré plus de 10 ans.
Il faut que je me rattrape.
Phénix a donc été créé en 1966 par un groupe dissident du CELEG, emmené par Claude Moliterni, Pierre Couperie, Edouard François et Claude Le Gallo. Le premier numéro était un peu mince (30 pages), mais il frappait d'emblée par la qualité de sa maquette et la variété de son contenu. On y trouve en effet des articles sur Alain Saint-Ogan, Little Nemo et Scarlett Dream, ainsi un joli petit dossier sur les différentes BD de Milton Caniff.
Par la suite, et contrairement en effet à Giff-Wiff, qui se concentrait presque exclusivement sur les classiques américains des années 30, Phénix s'est intéressé très vite à la BD contemporaine, non seulement d'origine franco-belge, mais aussi italienne, anglaise ou américaine (entre autre les comic-books ou l'underground). Il publiait également de nombreux articles en lien avec l'actualité (rapports de congrès ou d'expo) ainsi que des rééditions de BD rares (c'est ainsi que j'ai découvert le Rayon U), et cet éclectisme a d'emblée donné à la revue une grande ampleur.
Plusieurs numéros de Phénix m'ont durablement impressionné, et ils restent aujourd'hui encore des références de qualité. Je vais rapidement les énumérer.
Le N°3 est une sorte de "spécial Alex Raymond", avec plus de 26 pages qui présentent les diverses séries de ce dessinateur. On n'a pas mieux fait depuis (en français) sur cet auteur. Par ailleurs, il contient des articles plus courts sur "QRN sur Bretzelburg", Antonio Rubino, Lucky Luke, la dynastie Offenstadt et le "ballon dans la figuration narrative", ainsi qu'une réédition d'un épisode des Pionniers de l'Espérance. Dans ce numéro, il n'y a vraiment rien à jeter !
Le N°6 m'a également laissé un grand souvenir. Ce "Spécial Aviation" réalisait en effet un tour d'horizon assez large du sujet, en évoquant aussi bien les BD classiques américaines que les grandes séries franco-belge ou certains dessinateurs italiens comme Kurt Caesar (que l'on appelait encore à cette époque "Caesar Away"). Ce dossier de plus de 60 pages contenait entre autre des interview de Jean-Michel Charlier ou Vic Hubinon avec Albert Weinberg, et proposait au final un épisode complet de Bob l'aviateur. Petit bonus (sans lien avec le sujet principal), des pages du Rayon U qui (à l'époque) étaient introuvables.
Le N° 24 proposait un très long article racontant l'histoire de la presse underground qui, aujourd'hui encore, reste une référence sur ce sujet. On y trouve sinon un article intéressant sur le Fantôme du Bengale, mais aussi (et hélas) de nombreuses pages sur le congrès de Lucca N° 8. Signalons que ce genre d'article sans intérêt remplit (à des degrés divers) de nombreux numéros de Phénix, et que ce "remplissage" a pour conséquence que tous les numéros ne sont pas également intéressants.
D'autres numéros peuvent encore être signalés, comme le N° 27 qui contient une bonne interview de Jacques Martin, mais je ne vais pas trop allonger la liste pour cette première période.
En 1973, un changement majeur survient, avec la mensualisation de la revue, mais j'en parlerai un peu plus tard, après une petite pause.
On pourrait en fait résumer l'histoire de Phénix en 3 périodes. Il y eu d'abord la période "fanzine", du N° 1 au N° 29 (de 1966 à 1973), pendant laquelle la publication était trimestrielle. Dès septembre 1973 apparu la période "kiosque", car c'est là que l'on trouvait la revue (éditée par Dargaud) chaque mois. Cette seconde période a duré 1 an, du N° 30 au N° 41, avant que Phénix ne disparaisse provisoirement pour cause de vente insuffisante. Vint enfin la période "fanzine, le retour" de fin 1974 à début 1977, pendant laquelle le fanzine reprit sa formule originale (jusqu'au N° 48).
Le passage à une parution mensuelle provenait probablement de diverses envies, entre autre de publier davantage de BD. Ce ne fut cependant pas une grande réussite, même si de bonnes séries ont été publiées dans Phénix, en particulier le Ulysse de Lob et Pichard. Il faut reconnaître que l'identité de ce titre provenait d'abord de son activité critique, et que la mensualisation eut comme effet regrettable de diminuer les textes d'analyse au profit de la prépublication de BD de qualité inégale. Mais voyons plus en détail ce que contenait un numéro de cette époque, comme par exemple le 32.
Ce numéro contient d'abord des BD à suivre qui paraissaient mensuellement. Ce sont "Anita" de Crepax, "Mort Cinder" de Breccia, "Ulysse" de Lob et Pichard, "Vuzz" de Druillet et quelques pages de Mandryka et Blanc-Dumont. Les articles contiennent l'analyse d'un album d'images de Guy Pellaert, une petite critique de "Adieu Brindavoine", des pages d'échos de Filippini et Numa Sadoul, une analyse de Félix le Chat par Edouard François et un panorama succinct de de la BD hollandaise par Filippini. En théorie, tout cela aurait dû former un ensemble intéressant, mais voilà ... allez savoir pourquoi ... l'activité analytique était plutôt légère ... et cela laissait une impression de vacuité. On avait en fait l'impression de ne pas vraiment "en avoir pour son argent". Il était en tout cas certain que Phénix était incapable de rivaliser avec Pilote ou Charlie mensuel, les grands mensuels de cette époque auxquels il se confrontait.
La disparition du mensuel ne fut donc pas étonnante, et Phénix reprit ainsi sa forme originelle trimestrielles. Les BD disparurent, et on retrouva des sommaires riches en analyses et en interviews. Tous les numéros de la troisième période sont en fait excellents (parfois supérieurs à ceux de la première période) mais, curieusement, l'élan paraissait brisé. On ne trouvait d'ailleurs pas facilement le journal en librairie, et la revue semblait s'éclipser en douceur.
Le fanzine s'arrêta tout seul en 1977, semble t-il sans drame ni crise particulière. Il est vrai que Claude Moliterni commençait son oeuvre propre, que Filippini et Numa Sadoul travaillaient pour Glénat, et que Pierre Couperie allait commencer l'enseignement de la BD. Ils allaient donc continuer en quelque sorte le même travail, mais sur d'autres supports. Phénix avait maintenant joué son rôle historique, et l'on passa sans regret à autre chose.
La BD avait dès lors acquis une certaine reconnaissance.