Effectivement, revenons au sujet.
Après avoir parlé de
Du9, je vais redescendre d'un cran en évoquant
BoDoï. Je voulais d'abord me taire sur cette revue, puisque ça n'a pas été un fanzine ni une revue d'étude, mais ce journal a tout de même occupé une certaine place dans la critique BD des années 2000 et ... je ne veux pas jouer au snob.
Je me souviens de la sortie du premier numéro du journal dans les librairies de BD en 1997, et il ne m'avait pas séduit. Ce
BoDoï N° 1 proposait la prépublication du dernier Thorgal (à suivre) ainsi que deux ou trois courtes BD, une interview de Van Hamme, des articles pour collectionneurs, un agenda des sorties d'album et la fameuse rubrique du pinailleur qui, il faut bien le dire, m'a toujours laissé plutôt indifférent. L'idée la plus originale était une parodie intitulée "la vie des stars", montrant en images la vie intime de Natacha et Largo Winch.
C'était amusant certes, mais bien insuffisant pour me convaincre d'acheter ce journal, dont je trouvais le rapport coût/intérêt assez médiocre. Il y avait même certaines choses que je détestais, comme le culte des apparences et de la collectionite, et je n'entrevoyais pas de grandes chances de succès à cette revue un peu vide. Les créateurs de
BoDoï eurent cependant le mérite d'insister et d'améliorer leur journal. Après une dizaine de numéros, le contenu devint plus consistant en proposant véritables petits dossiers. Ils associaient une interview, des images et des BD peu connues de l'auteur interrogé. Le magazine devenait ainsi plus attirant et la sortie du N° 15 consacré à Hergé finit par me convaincre de l'intérêt du journal.
Il y avait certes du remplissage dans
BoDoï, avec en particulier quelques prépublications de BD à succès (dont il valait mieux acheter les albums), mais il y avait aussi un travail de journaliste. En abordant des auteurs classiques, pour lesquels il existait déjà des interviews et des commentaires, les rédacteurs (et en particulier Jean-Marc Vidal) avaient l'intelligence de choisir une approche originale, et elle pouvait se révéler pertinente. Face un dessinateur célèbre, ils cherchaient de l'inédit plutôt que la confirmation d'histoires connues, et ils n'hésitaient pas à créer de petites polémiques. C'est ainsi que le numéro consacré à Hergé semblait ignorer les représentants de Moulinsart et présentait une longue interview de Jacques Martin (qui s'exprimait d'une façon caustique sur le fonctionnement des studios Hergé). Cela s'accompagnait de deux extraits de la vie d'Hergé dessinée par Stanislas (l'album n'était pas encore sorti), d'une rubrique "making of" sur l'Ile Noire et d'un article sur les cotes des dessins d'Hergé. C'était un curieux mélange de considérations artisitques et commerciales, mais
BoDoï assumait sans honte sa vocation d'être un journal pour collectionneurs.
Faisant progressivement plus de place aux interviews, aux comics américains, aux critiques d'albums et aux actualités,
BoDoï devint après une année une revue qui compatait. Je n'aimais pas tout ce qu'il y avait, loin de là, mais chaque numéro contenait au moins un ou deux articles dignes d'intérêt. Par ailleurs, Jean-Marc Vidal savait agrémenter ses interviews avec de l'inédit, grâce l'intelligence de ses questions ou aux choix de certaines BD rares. C'est ainsi que le dossier Hugo Pratt s'accompagnait des dernières planches réalisées par le dessinateur, ou que le dossier Morris abordait sans ambages les questions qui fâchent (l'auteur de Lucky Luke donnant à cette occasion sa dernière interview d'importance). Le dossier Morris s'accompagnait d'ailleurs de l'introuvable "Lucky Luke se défoule" et ce genre de détail révélait un travail fait par de vrais connaisseurs. Derrière son apparence assez kitsch, BoDoï était tout simplement un journal réalisé par des amoureux de la BD, et il proposait toujours quelque chose à découvrir.
Affirmant sans fausse honte sa préférence pour les BD classiques,
BoDoï devint ainsi au début des années 2000 le mensuel de référence. J'appréciais surtout la constance de son travail rédactionnel et le magazine se montra capable garder un bon niveau pendant 7 à 8 ans. En 2007, un probable "combat des chefs" entraîna le départ du rédacteur en chef Jean-Marc Vidal (qui fonda quelques mois plus tard Casemate) et
BoDoï se mit alors à décliner. Les dossiers perdirent leur originalité, les critiques devinrent moins pertinentes et je réalisai après quelques mois que le contenu était devenu creux. Les propriétaires du journal se rendirent peut être compte de ce déclin, car ils entreprirent ce que font toujours les directeurs qui ne comprennent rien à leur publication : ils changèrent la maquette.
Cette nouvelle apparence ne compensait pas l'absence d'une ligne éditoriale compréhensible. En fait, le journal semblait avoir perdu "sa boussole". Plutôt que de créer l'événement, il paraissait à la traîne derrière les campagnes de marketting. Le magazine ayant perdu presque tout intérêt, je ne me senti à peine déçu lorsque sa publication s'arrêta.
BoDoï se transforma lui aussi en site Web, et j'avoue que je n'y vais presque jamais.
Aujourd'hui, ma pile de
BoDoï a du rejoindre le grenier (dame, ça prend de la place
) mais ce journal reste encore une belle source de documentation que j'ai parfois du plaisir à consulter.