J'ai donc acheté et lu hier après-midi ce nouvel album de Corto Maltese.
Je n'ai hélas pas été enthousiasmé ! Le récit est pourtant assez classique, puisque c'est une histoire de chasse au trésor, mais elle est parfois un peu décousue. Le scénariste essaie intelligemment de respecter certaines particularités de la série : nonchalance du héros qui alterne avec de subites scènes d'action rythmée, rêveries de Corto à bord d'un bateau qui part en croisière, intrigue pleine d'imprévus, romantisme des rencontres avec quelques belles dames et intérêt pour les vieux livres ! On devine derrière tout cela la volonté de retrouver le charme de certaines histoires de Pratt, et d'apporter au lecteur un peu plus qu'une simple BD d'action et de suspense.
Bastien Vivès avait pour sa part annoncé clairement ses intentions (j'ai vu en effet cette semaine un bref reportage à la TV qui lui donnait la parole). Et on peut résumer ainsi son discours : Pratt est un grand auteur au dessin inimitable et il n'est pas question de chercher à reproduire son style. Le dessinateur a donc choisi de faire ce qu'il sait le mieux faire, c'est à dire simplement "du Vivès". Et c'est ainsi que l'on retrouve dans cet album son propre style de bande dessinée, caractérisé par un dessin rapide, des décors plutôt minimalistes et des personnages parfois proches de l'esquisse. Vous me direz que les dessins de Pratt présentaient souvent les mêmes caractéristiques et ... c'est peut-être en fonction de cela que l'éditeur a fait cet essai avec Vivès. Il en résulte un album qui respecte ce que l'on pourrait appeler une certaine "charte graphique", sans qu'il apparaisse le moindre mimétisme dans les dessins, et c'est au fond un résultat très honorable.
Mais voilà, il y manque quelque chose d'important qui est la poésie désenchantée et romantique que Pratt instillait dans ses récits, et aussi dans ses dessins. Le récit de Quenehen est original mais il est loin d'être passionnant. C'est une histoire "à la manière de", qui a l'apparence d'une aventure de Corto Maltese mais qui n'en a pas l'esprit voyageur, la culture littéraire et les tendances mystiques de Hugo Pratt. Le père de Corto avait lui-même voyagé dans les pays où il emmenait ensuite son héros et il en restituait parfaitement l'ambiance dans ses livres. Je n'ai pas l'impression que Quenehen et Vivès ont fait ce genre d'effort, car il manque à la fois un peu d'authenticité et un malicieux réalisme à ce nouvel opus, que je trouve parfois trop léger et insouciant.
Au final, je ne regrette pas mon achat mais il est peu probable que je relise cet album un jour. Et les trois albums réalisés par Calanes et Pellejero sont à mon avis bien meilleurs.
Et pour résumer mon impression sur ce livre, je lui attribuerai simplement un petit
L L, utilisant ainsi opportunément la petite échelle d'eleanore-clo.