La piste de Yéshé est l'au-revoir de Cosey à son personnage fétiche.
Jonathan a reçu une lettre de Drolma, l'orpheline de
Pieds nus sous les rhododendrons (tome 3 de la série). La jeune femme l'invite à une rencontre, dans un petit village du Tibet. Mais notre héros arrive quelques mois avant son amie, ce qui va lui permettre de sympathiser avec les locaux, de faire la paix avec ses démons intérieurs et, accessoirement et bien involontairement, de participer à la lutte contre "l'occupant" chinois.
Cette BD était très attendue par de nombreux amateurs et nul doute que les ventes seront au rendez-vous... En prenant du recul, que nous raconte-t-elle ? Rien ou presque rien. En fait, l'intrigue se réduit à très peu de chose. Les vrais thèmes me semblent ailleurs. Tout d'abord, Cosey réalise le tour de force de faire la synthèse de 46 ans d'une série. Il lie les destins de son héros et de ses anciennes relations
féminines dans une cérémonie profane à laquelle il nous convie. Drolma, Kate et Saïcha sont ainsi "invitées", chacune amenant la guérison d'un passé douloureux pour apporter la paix intérieur au personnage. Nous sommes clairement dans le bouddhisme avec un détachement de la vie extérieure. Et la publication d'un cahier de dessins de Jonathan relève clairement de ce voyage intérieur. L'autre grand thème de la BD est la fin de la relation entre un auteur et son personnage. Derib a tué Buddy Longway, Hergé a emmené Tintin dans sa tombe, Uderzo a confié Astérix à des parents adoptifs, etc. Cosey choisit une autre manière : un au-revoir empreint de douceur. Aussi, la toute dernière page de la BD témoigne d'une amitié quasi fusionnelle entre Jonathan et son auteur de "père"/"frère". Franquin a signé son éloignement de Spirou en quelques cases (
Panade à Champignac et accessoirement quelques gags de
Gaston). Et bien, Cosey prend son temps et consacre tout un volume à cette problématique.
On trouvr aussi d'autres idées dans l'ouvrage. A tout seigneur tout honneur le féminisme, pour lequel je pressens que Raymond va de nouveau pointer du doigt mon étrange lubie
. Et du coup,
La piste de Yéshé s'inscrit dans une continuité improbable avec
Astérix et le Griffon. En effet, après l'inversion de la répartition des rôles dans le peuple sarmate, nous sommes conviés à une vision joyeuse de la polyandrie fraternelle himalayenne
.
La présence chinoise au Tibet est de nouveau dénoncée, plus durement que d’habitude. Et on peut ainsi regretter l'absence d'un colonel Lan (
Celui qui mène les fleuves à la mer et
La Saveur du Songrong, tomes 12 et 13 de la série) qui eut adouci le manichéisme.
Côté graphisme, nous avons droit au Cosey deuxième manière, un style épuré et assumé comme le dessinateur le fait remarquer dans son interview à
Canal BD magazine de ce mois :
Pour résumer, cela m'a mené vers une démarche visant à éliminer tout ce qui est superflu dans un dessin. Ce n'est pas facile. On peut dessiner un visage avec trois cents traits alors que quinze auraient peut être suffit. Et malheureusement, je n'apprécie pas cette évolution dont la tonte de la chevelure de Jonathan n'est que l'ultime avatar
.
Au final, ce sera donc un
EE. Être un auteur phare ne dispense pas de produire une BD sans ressort. Et je suis certaine que mon avis ne sera pas partagé sur le forum, ce qui permettra de nourrir les échanges
Eléanore