Je viens de lire

Bonsoir JYB
Je suis admirative devant votre érudition.
Vous êtes marin ?
Eléanore

eleanore-clo a écrit:Bonsoir JYB
Je suis admirative devant votre érudition.
Vous êtes marin ?

Non non, je ne suis pas marin. Je n'ai pas non plus été membre de la Croisière Jaune de Citroën pour savoir que le chef de l'expédition, Georges-Marie Haardt, est mort à l'issue du long périple à travers l'Asie, ni qu'une partie des véhicules à chenilles de la Croisière Jaune ont été embarqués en Indochine, à Saigon, au moment où le paquebot Georges Philippar (transportant Albert Londres) y faisait escale. Je ne suis pas non plus couturier pour savoir qu'une veste d'homme se boutonne avec le pan gauche par-dessus le pan droit ni surtout pour remarquer que le boutonnage de la veste du prétendu "commandant" est fichu à l'envers dans une case de la BD.

J'apporte une précision au sujet des fenêtres du devant de la passerelle de l'Athos II (en fait de fenêtres, ça s'appelle des sabords). Voici une photo recadrée sur le devant de la passerelle ; les lecteurs pourront comparer le nombre de sabords dans la réalité et le nombre de sabords dans la BD (et d'autres détails du navire ; photo prise avant 1936, année où la propulsion du paquebot a été modifiée et le paquebot lui-même repeint en blanc) :



Sur ma photo, on voit dans le bas la partie noire de la coque, pas encore repeinte en blanc ; en revanche, la large bande horizontale sur le devant de la passerelle restera en noir, et les cheminées aussi ; dans la BD, la coque et les cheminées ne sont ni noires ni blanches, la couleur choisie par le coloriste n'a jamais existé sur un paquebot de la compagnie des Messageries maritimes. On pourrait défendre le coloriste en disant qu'il a liberté de choisir les couleurs qu'il veut, histoire d'apporter sa touche personnelle - sauf que dans la réalité, ce n'est pas ça, et que de toute façon, une coque et des cheminées noires sont noires, c'est difficile d'y mettre de la couleur !

A ceux qui, je le sais à l'avance, pourront me reprocher d'éplucher les dessins et de "pinailler" sur des détails, je répondrai que cette BD n'est pas une fiction, et on s'attend donc à des décors documentés. Et que si les dessins sont aussi approximatifs voire faux, ça signifie sans doute que les textes aussi sont de la même eau, c'est-à-dire approximatifs et faux, ce qui la fiche mal pour une BD censée raconter des événements vrais.

Le sujet d'Albert Londres doit disparaître m'intéresse mais ... pour l'album de BD, je m'interroge franchement ! il me semble en effet que ce genre de thème est souvent mieux traité dans un documentaire filmé, riches en images et en photographies de l'époque, que dans un livre au dessin semi-caricatural.  

Pour que ce soit une bonne BD, il faudrait (je trouve) faire d'avantage qu'un récit qui soit l'équivalent d'une longue "histoire de l'Oncle Paul".

Après toutes ces belles critiques d'eleanore-clo, j'ai dû faire un choix assez serré lors de mes achats de samedi dernier. Il y avait en effet de très beaux art-books qui étaient en concurrence ! 

J'ai donc choisi d'acheter Automne en baie de somme, de Philippe Pelaez et Alexis Chabert. C'est un polar historique, qui se passe au temps de la Belle Epoque et dont les dessins sont très flatteurs pour l'œil.



J'ai ainsi découvert un "whodunit" assez classique, puisqu'il y a  un coupable que personne ne soupçonne au départ et un inspecteur parisien à la fois revêche et caustique qui finit par tout comprendre. L'histoire se passe à Paris (et non pas dans la Baie de la Somme où a eu lieu le meurtre) et les auteurs nous font visiter agréablement visiter la cité, aussi bien dans les grands boulevards élégants que dans les vieilles ruelles inquiétantes. L'ambiance de l'époque est captée d'une manière assez juste.



Le récit est bien mené car plusieurs intrigues secondaires (parallèles à l'enquête) donne une belle complexité à l'affaire. Le dessin d'Alexis Chabert est par ailleurs agréable à suivre mais ce qui m'a le plus impressionné dans cette BD, ce sont tout de même les couleurs directes qui se révèlent pleines de nuances et de variété. Aussi à l'aide dans la belle lumière des rues parisiennes que dans les sombres espaces des cabarets mal famés et des intérieurs bourgeois, le dessinateur a réussi un petit tour de force pictural. Peut-être est-ce la douceur de ses teintes bleues qui m'a séduit dans cet album, mais il ne faudrait pas réduire la BD à cette petite caractéristique. C'est vraiment l'ensemble du récit, ainsi que l'atmosphère qu'il dégage, qui est séduisant.



C'est une belle lecture, donc, mais je n'irai pas jusqu'à dire que c'est un chef d'œuvre de la BD. Automne en baie de Somme est avant tout un très bon polar qui dépayse avec habileté le lecteur, et c'est donc un simple livre de divertissement. Je ne le placerai ainsi pas à la même hauteur que des BD comme "Un Monde sans Fin" (de Christophe Blain), qui traite d'un sujet réellement important, ou "Un général des généraux" (de Boucq) dont l'humour acide et la férocité implacable restent pour moi vraiment mémorables. Mais ce n'est bien sûr que mon avis.  

Pour moi, ce sera donc un EEE, ce qui est tout de même très bien.

Bonjour

Je vais donc lire rapidement Un général des généraux, un livre sur lequel j'ai fait l'impasse car il me semble très masculin....
Concernant Automne en baie de Somme, le seul point qui me surprend est la résolution de l'énigme. En regardant sans le vouloir un calendrier, le policier fait l'incroyable lien entre le nombre 266 et le surnom d'Axelle Valencourt. N'est-ce pas un peu tiré par les cheveux" ? Qu'en penses les amateurs de romans policiers ?

Eléanore

Oui, c'est un raisonnement réellement très tiré par les cheveux mais c'est bien souvent le cas dans les "whodunnit". Hercule Poirot ne procède pas différemment dans les romans d'Agatha Christie.  

Quant à "Un général, des généraux", je me demande si c'est un livre complètement masculin. C'est avant tout une œuvre très sarcastique, qui fait de l''humour (d'une façon énorme) aux dépends des politiciens et des militaires, et cela m'a beaucoup fait rire. Il est rare aujourd'hui qu'une BD me fasse rigoler à ce point. Et l'humour est en principe universel !

Un général, des généraux est une BD historique scénarisée par Juncker et dessinée par Boucq.



Cette BD raconte le Putsch d'Alger, durant lequel des généraux français ont tenté un coup d'état militaire . Cette opération se traduit par la fin de la Quatrième République et l'arrivée au pouvoir du Général de Gaulle.

Voilà bien longtemps que j'ai étudié cette période sombre de l'Histoire française. J'en avais retenu une impression de confusion généralisée. Et clairement, la BD adopte la même analyse. De nombreux généraux agissent, interviennent, vont et viennent, changent d'avis, ont des motivations obscures et interagissent avec le pouvoir politique parisien représenté comme débordé par la situation. Cette agitation est restituée chronologiquement avec un luxe de détails qui peut effaroucher le lecteur. Les mimiques des visages, tantôt cocasses, tantôt exaspérées voire désespérées traduisent bien le flottement des institutions y compris celle de l'armée française. Face à cela, De Gaulle incarne une forte sérénité, et il nous est dépeint comme un manipulateur qui tire profit de l'opportunité pour prendre le pouvoir. Un humour omniprésent parcourt la BD qui se moque des personnages et de leur douce folie du pouvoir.

La BD me semble manquer du recul nécessaire et la tragédie algérienne derrière le coup d'état est à peine présentée alors qu'elle est une des causes fondamentales du coup d'état. Il en est de même sur le positionnement du général De Gaulle. Face à une quatrième république paralysée par des années d’instabilité politique et incapable de gérer la crise alégrienne, l'arrivée du sauveur de la France en 1940 fut vécue par la grande majorité des citoyens comme l'ultime recours. La BD la présente plutôt comme un coup d'état doux, par opposition à celui des généraux d'Alger. La saveur du titre vient de là. Outre la référence à une règle grammaticale, elle évoque la prépondérance du maître de la Boisserie sur les comploteurs d'Alger.

Le dessin restitue assez fidèlement les visages et silhouettes des personnages historiques même si les expressions sont exagérées.






Au final, l'ouvrage est intéressant. Il traduit néanmoins un choix politique fort et Juncker apparaît tout aussi manipulatoire que De Gaulle qu'il dénonce discrètement. J'ai trouvé que la BD manque de souffle, de drame et tourne trop à la farce bouffonne.
EEE

Eléanore

Peu de chance, voire aucune, que je lise cet album de Boucq et Juncker qui semble hostile à De Gaulle, non que je l'idolâtre, mais par un ex-ami qui poursuivait le général de sa haine exprimée à chacune de nos rencontres (encore en 2020 !!), je connais à fond l'argument du "grand manipulateur"... Plus que réducteur pour quelqu'un sans qui la France n'aurait été qu'un ramassis de pétainistes, puis de colonialistes.
Bref. Je viens surtout pour dire que je viens d'acheter le Céleste de Chloé Cruchaudet, et le commenterai. J'ai dans mes étagères Monsieur Proust, le témoignage recueilli des souvenirs de Céleste Albaret, paru chez J"ai Lu. C'est extrêmement touchant, surtout quand comme moi on considère Proust comme un génie de l'écriture (à la différence de l'opinion d'eleanore-clo, mais c'est pas grave). De plus j'ai adoré lire les albums Ida de Chloé Cruchaudet. Autant dire que je n'ai pas hésité une seconde à l'achat !

Concernant De Gaulle, outre la subtile dénonciation d'une manipulation, d'un coup d'état doux, Junkert joue sur le registre de la désacralisation. Toutes les vignettes témoignant de la vie à la Boisserie relèvent de cette thématique, avec en point d'orgue le détail des deux verres avec les deux dentiers qui semblent trôner dans la chambre conjugale !

Eléanore

eleanore-clo a écrit:Concernant De Gaulle, outre la subtile dénonciation d'une manipulation, d'un coup d'état doux, Junkert joue sur le registre de la désacralisation. Toutes les vignettes témoignant de la vie à la Boisserie relèvent de cette thématique, avec en point d'orgue le détail des deux verres avec les deux dentiers qui semblent trôner dans la chambre conjugale !

Eléanore

Oui, je ne sais plus qui a écrit : "Il n'y a nul grand homme pour son valet de chambre"

eleanore-clo a écrit:Sélénie est une BD de Fabrice Lebeault



Au final, une belle BD. Et je suis très curieuse de connaitre le retour d'autres membres du forum s'étant lancé dans l'aventure. En tout cas BDzoom a apprécié : http://bdzoom.com/167483/lart-de/%C2%AB-selenie-%C2%BB-de-la-lune-a-la-terre-avec-fabrice-lebeault/.

Eléanore

Raymond a écrit:J'avais bien aimé Horologiom, la série vedette de Fabrice Lebeault qui a été publiée il y a une vingtaine d'années, ainsi que le Mangeur d'Histoires, un one-shot  fantastique un peu plus récent. C'est en fait un dessinateur rare, qui travaille depuis au moins 30 ans et qui n'a que peu d'albums à son actif. J'imagine qu'il ne fait pas seulement de la BD.

En tout cas, je vais m'intéresser à cet album !  J'aime bien retrouver des auteurs que je connais un peu.  

Finalement, est-ce que d'autres membres du forum ont lu la BD ? Et qu'en ont-ils pensé ?

Eléanore

J'ai lu cette BD et, même si je n'en ai pas parlé ici, je l'ai plutôt bien appréciée.

Cette lecture date d'il y a plus d'un an et il m'est maintenant difficile de la commenter d'une façon précise. J'ai en tout cas bien aimé cet univers lunaire et ces personnages qui ne savent pas ce qu'ils cherchent. Il y a dans ce livre un agréable mélange de fantaisie et de réflexion sur le futur. Le dessin souple et expressif de Fabrice Lebeault reste d'une belle simplicité, ce qui rend la lecture facile. La fin de l'album est un peu énigmatique et je ne suis pas vraiment sûr d'avoir tout compris dans cette histoire. Il faudra probablement que je relise ce tome 1 si la suite devait paraître bientôt.

Bertille et Bertille - L'étrange boule rouge est une BD de Stalner.



Dans la France des années folles, le commissaire Gaston Bertille et son équipe viennent d'arrêter Palovski, un anarchiste qui semble particulièrement mal vu du préfet de police. Mais le malfaiteur prend la fuite et les policiers se lancent à sa poursuite. Ils assistent ainsi à "l’atterrissage" d'une mystérieuse boule rouge, puis croisent une aristocrate prénommée Bertille de Chavronnes.
Le policier bougon et la fantasque gente dame vont se croiser et se recroiser, dans une étrange danse, cependant que la sphère grossit jour après jour et résiste à toutes les tentatives de destruction...

La BD réalise un étrange cocktail, un mélange d'enquête policière, de fantastique et de légèreté. Les deux héros présentés comme très différents vont tout doucement se rapprocher. La BD appelant une suite, on ne peut que s'interroger sur la suite de leur relation. La désinvolture ne concerne pas que ces personnages et un savant quelque peu loufoque égaie la BD.
Du côté sombre de l'intrigue, Stalner capitalise sur la période d'émancipation de l'Entre-deux-guerres et ses scandales (Staviski) pour concocter une préfecture de police agitée par des affaires sexuelles et une lutte obscure pour le pouvoir.

Le dessin se veut réaliste et tant les voitures que les costumes ou encore les toilettes nous plongent dans les années 1920. Le style m'a vaguement fait penser à Sylvain Vallée.
Côté couleur, la BD est en noir et blanc avec des touches ciblées de couleur rouge (la boule, les lèvres et la voiture de Bertille, le foulard de Palovski). Il me semble y voir l'école d'Hislaire (Sambre).





Au final, je ne sais pas sur quel pied danser. Du lard ou du cochon ? La BD présente des qualités et les personnages sont attachants. Néanmoins, l’étrangeté de cette sphère et la perturbation qu'elle génère me semblent mal exploitées. L'auteur navigue maladroitement entre l'insouciance des années folles et l'ambiance de fin du monde. Peut être que le deuxième opus permettra de se faire une opinion plus précise ?

EEE


En attendant, voici les avis de BDzoom et ActuaBD :
http://bdzoom.com/178555/actualites/%c2%ab%e2%80%89bertille-bertille%e2%80%89%c2%bb%c2%ab%e2%80%89le-bossu-de-montfaucon%e2%80%89%c2%bb-un-auteur-deux-facettes%e2%80%89/
https://www.actuabd.com/Bertille-Bertille-T1-L-etrange-Boule-Rouge-Par-Eric-Stalner-Editions-Grand


Eléanore

Eléanore

A propos de Bertille et Bertille, j'ai d'emblée fait l'impasse sur cet album car je considère (et j'ai peut-être tort) Stalner comme un "ouvrier" sans grand intérêt !    



Cette opinion est assez ancienne et date de l'époque où le journal Vécu existait encore ! Stalner y prépubliait ses BD historiques.

Je note toutefois que Patrice Gentilhomme en dit du bien sur ActuaBD,  

Bertille & Bertille T. 1 : L’étrange Boule Rouge – Par Eric (...) - ActuaBD

Je ne vais donc pas l'acheter mais c'est le genre d'album que j'emprunte parfois à la bibliothèque municipale. 

Le petit frère est une BD autobiographique de Jean-Louis Tripp.



Nous sommes dans les années 1976 et la famille Tripp part en vacances dans une roulotte qui arpente les route bretonne. Gilles, le petit frère du dessinateur, est fort turbulent. Il chante, joue et enchaine les bêtises. Malheureusement, en descendant sans regarder du véhicule, il est heurté par une voiture qui prend la fuite. L'enfant agonise quelques heures avant de décéder à l'hôpital.

Jean-Louis Tripp poursuit ses confidences, avec, du moins je le ressens ainsi, beaucoup d'impudeur. Si Extases racontait la vie sexuelle de l'auteur, Le petit frère dépeint le décès de son "frérot". Aucun détail ne nous sera épargné et l'accident sera dessiné maintes et maintes fois. Le réalisme est de mise. Et les vignettes peuvent choquer. Mais pourquoi diantre, le bédéaste s'est-il lancé dans cette œuvre morbide ? A la toute fin de l'ouvrage, Tripp explique ce projet par le décès d'un membre de la famille de sa compagne et puis par un accident mortel similaire dans son voisinage. Mais je n'y crois pas. Cette BD m'apparait plutôt comme une thérapie par laquelle l'auteur essaie de guérir d'un traumatisme ayant marqué tout sa vie. Une tentative pour faire son deuil de son petit frère. La tristesse se marie d'ailleurs avec la culpabilité car l'accident s'est produit alors que Jean-Louis Tripp conduisait la roulotte et assurait la garde de Gilles. Le roman graphique ne parle d'ailleurs pas seulement du dessinateur. Avec une certaine crudité, il nous raconte comment sa sœur, sa mère et son père ont vécu la tragédie. Comment ce drame les a conduit à changer de vie.

La BD fait 334 pages. Que ce nombre imposant ne vous effraie pas car elle se lit relativement vite. Et surtout, cette pagination abondante permet à Tripp de reconstituer les années 1970 avec un luxe impressionnant de détail. Il en est de même pour le décès de son frère puisque nous pouvons lire les différents procès verbaux établis par la gendarmerie, la lettre écrite par sa mère à l'automobiliste, etc. Différentes cartes routières confortent encore plus le réalisme de la restitution.

Le dessin est dans la continuité des œuvres précédentes avec quelques essais graphiques originaux lorsque l'auteur essaie de représenter sa douleur. Les vignettes sont en noir et blanc ce qui accentue l'ancrage dans les années 70.




Au final, je vais mettre un EEEE. Je n'aime pas cette œuvre car trop triste, trop atroce. Faut-il revivre encore et toujours les catastrophes ou se forcer à tourner la page ? Chacun aura sa propre opinion. Il faut néanmoins reconnaitre la puissance de la narration et la qualité rare de la reconstitution. De plus, la BD est d'actualité comme en témoigne le récente mort du fils du cuisinier étoilé Alleno : https://www.leparisien.fr/faits-divers/nous-te-pleurons-de-tous-nos-corps-yannick-alleno-rend-hommage-a-son-fils-decede-dans-un-accident-13-05-2022-TUAP25KLJVDSVB36SDMXP57ESM.php.

Les librairies du réseau CANAL BD ont en tout cas sélectionné cet album pour le Prix des Libraires de Bande Dessinée 2023 : https://www.canalbd.net/glbd_plibre_33-12_Selection-2021-2022. Et l'association ABCD a placé le titre dans les indispensables de l'été 2022.

C'est clairement la BD la plus aboutie de Tripp, son chef d'œuvre à n'en pas douter.

Eléanore

Merci pour le compte rendu !  

J'ai acheté cet album mais je ne l'ai pas encore lu car je suis très pris par d'autres travaux. Ce que tu écris est en tout cas prometteur et je m'y mettrai certainement avant la fin de l'été.

Les feuilles volantes est une BD d'Alexandre Clerisse.



Plusieurs personnages, au Moyen Âge, à notre poque et dans le proche futur, racontent des histoires avec des images. Pour le premier, la fille du bourreau (dessinatrice) et un moine copiste (scénariste), leur travail s'inscrit dans la filiation de l'enluminure. De son côté, Max, un enfant de notre époque, rêve de devenir un bédéaste. Et bien des années plus tard, sa fille poursuit son rêve. Sauf que les BD de Max mettent en scène les héros médiévaux. Et de plus, un d'entre eux (l'imprimeur) se retrouve dans toutes les époques…

Clerisse a longuement travaillé avec le scénariste Smolderen, sur des ouvrages riches où la réalité n'est jamais ce qu'elle parait être. Et le dessinateur reproduit ce paradigme dans cet ouvrage dont il a assuré seul l'écriture.
Mais l'auteur va plus loin avec une mise en abyme incroyable où la BD que nous lisons se retrouve dans l'ouvrage. On retrouve donc un ouvrage surréaliste dans la mouvance de l'Oubapo (https://fr.wikipedia.org/wiki/Ouvroir_de_bande_dessin%C3%A9e_potentielle, d'ailleurs cité.
Toutes les époques et tous les personnages s'imbriquent dans une fresque complexe et réflexive.

Cependant la finalité première de l'ouvrage est ailleurs. Clerisse "chante" (ou plutôt dessine   ) un hymne au 9ème art. Nous y assistons à la naissance de la bande dessinée, au courage de ses premiers créateurs persécutés par des autorités politiques craignant une utilisation subversive. Nous voyons aussi "naitre" les premiers amateurs du genre. Et, bien des siècles plus tard, Clerisse nous fait partager le vertige de la page blanche et les tournements financiers des auteurs.

Le dessin est du Clerisse pur jus. Et tous ceux qui ont aimé Miroslav Šašek s'y retrouveront dans les couleurs vives et les dessins semi caricaturaux :




Au final, je reste dubitative. L'intrigue est brillante et subtile, un peu comme celles imaginées Marc-Antoine Mathieu mais la mal être du bédéaste, son sacrifice, son aura, sa joie, son projet se sont égarés quelque part dans le labyrinthe de la narration.

Ce sera donc un petit EEE

Eléanore

Merci beaucoup !   

Tu es très réactive mais ... je suppose que tu avais déjà acheté auparavant cet album avant que j'en parle dans la rubrique "Vous n'avez pas lu". n'est-ce pas ?  

Bonjour Raymond

J'hésitais à lire cet album et votre message m'a convaincue de me lancer dans l'aventure

Eléanore

Curieuse entreprise, ce Feuilles Volantes , le dessin (surtout la 2eme page visible ici) est directement inspiré des travaux des affichistes années 50, Villemot, Savignac, et de Mary Blair (graphiste / décoratrice pour le Cendrillon de Walt Disney). Cela me tente assez peu, surtout si, d'après ce que tu dis eleanor-clo, la narration se perd en route.

J'ai lu à mon tout l'album Feuilles volantes dont le style graphique m'avait d'emblée séduit.



Je suis un peu plus réservé pour le scénario qui me laisse perplexe. Il y a en effet une constatation évidente : l'auteur joue avec certains paradoxes temporels sans vraiment en maîtriser la logique. Les allers-retours dans le temps ne me gênent pas et il existe même des diagrammes quantiques (comme celui de Feynman) qui soulèvent d'intéressantes questions. Mais les êtres humains ne sont pas des particules élémentaires. Ils possèdent une histoire, une psychologie et une finalité qui leur est propre et qui nécessite d'être prise en compte. Et si les personnages ne possèdent pas cette épaisseur humaine, à la fois psychique et matérielle, ils perdent toute crédibilité.

Un bon exemple de maîtrise narrative des problèmes spatio-temporels est donné par le Cycle de Cyann, une des grandes œuvres du début des années 2000. Bourgeon soumet lui aussi son personnage principal à d'impressionnants aller-retour dans l'espace ou dans le temps, mais il en résulte certaines conséquences psychologiques dont l'auteur tient compte. Tout cela crée des rebondissements narratifs assez intéressants, et parfois ironiques.

Sinon, Feuilles volantes est une "BD qui parle de la BD" et c'est au fond une idée qui me plait, mais le traitement est énigmatique. Il me semble que l'auteur en reste au stade de l'amusement mais il faut bien dire que ce que je comprends mal ne m'amuse pas vraiment. L'éditeur semble y être un personnage tout puissant, à travers les siècles, et il décide à la fin de faire grâce à ses personnages comme s'il était Dieu le père. C'est bien sûr de l'ironie, mais tout cela me laisse de marbre.

Clérisse est quand même meilleur lorsqu'il dessine de bons scénarios, dessinés par exemple par Thierry Smolderen.

Par rapport à la note, je mettrai un EE qui est peut-être un peu sévère, mais malgré tout assez juste !

Mortel imprévu est une BD de Monféry.



L'intrigue se déroule au temps de la ruée vers l'or : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ru%C3%A9e_vers_l%27or_du_Klondike. Edith, une femme anglaise, battue par son mari, décide de fuir outre-atlantique.
Elle y fait la connaissance d'un charpentier, Hans, dont elle devient amoureuse et qui la convainc de l'accompagner en Alaska pour tenter de faire fortune. Le couple et trois autres orpailleurs s'installent dans une  cabane perdue. L'hiver arrive et un des prospecteurs assassinent ses camarades pour s'emparer du précieux minerai. Edith et Hans échappent à la tuerie, jugent et condamnent le criminel puis tentent de retourner vers la civilisation. Mais une meute de loups les prend en chasse...

Cette BD essaye de marier deux conditions sociales précaires, celle des femmes du XIXème siècle soumises au bon vouloir de leur époux et maître, et celle des chercheurs d'or confrontés à une nature hostile et à des homologues cupides. Ce mariage de la carpe et du lapin est pour le moins surprenant d'autant plus que la psychologie des personnages apparaît approximative et interroge. Il en résulte des comportements étranges voir aberrants. Pourquoi un des prospecteurs décide t'il de voler ses camarades en plein hiver ? Pourquoi le "gentil" Hans devient insensible ? Et si on rajoute à ce mélange d'invraisemblances, la stupéfiante réapparition du mari d'Édith et la fin abracadabrantesque avec un trappeur ressemblant à Buddy Longway, on aboutit à la conclusion que l'intrigue manque pour le moins de consistance. Et je vous passe le comportement anthropomorphique des loups. Bref, du grand n'importe quoi   .

De plus, les protagonistes sont peu sympathiques. Certes on peut comprendre qu'une nature âpre génère des personnages forts. Le film The Revenant, avec Di Caprio en trappeur de l'extrême, l'a brillamment illustré : https://fr.wikipedia.org/wiki/The_Revenant.



Mais que diable ! Il faut un minimum d'empathie entre le lecteur et ses héros. Seule Edith échappe à ce désastre et encore. Elle incarne une femme forte et libre. Mais ses choix successifs relèvent tout autant de la malchance que d'un acharnement déplacé et bien aventureux. Et la quasi-folie des prospecteurs fait irrésistiblement penser au film de Charlie Chaplin La ruée vers l'or :



Heureusement le dessin est d'une belle facture. Et il est vrai qu'on pense à Sorel. Les traits heurtés et dynamiques, les fonds évanescents créent une belle ambiance empreinte de fantastique. Et les couleurs bleutées restituent à merveille l'atmosphère glaciale du Grand Nord. Une atmosphère au diapason de l'humeur des personnages...





Pour conclure, je dirai qu'une bonne BD c'est d'abord un bon scénario et c'est malheureusement là que Mortel imprevu pèche.

EE

Eléanore

Merci de cette lecture que je t'avais un peu suggérée !  

Et désolé que la qualité de l'album soit mitigée, au point d evue du scénario. A lire certaines critiques (celle du dBD par exemple), je m'attendais à mieux !

Je verrai si la bibliothèque de Lausanne en a fait l'acquisition, car je reste curieux de le découvrir.   

Le bestiaire du crépuscule est un cauchemar, euh... un roman graphique de Daria Schmitt.



Providence habite à côté d'un parc et, accompagné d'un chat quelque peu philosophe, s'y promène. Il y rencontre toutes sortes de personnages, tous plus étranges que les autres. Il découvre aussi, protégé par les carpes du bassin, un livre ésotérique qui lui ouvre l'accès à des univers plus sombres, peuplés de monstres…

L'intrigue ainsi résumée semble simple et lisible mais je confie avoir eu quelques difficultés à accompagner l'autrice dans ce dédale onirique. Les épisodes se succèdent sans véritable logique et les protagonistes évoluent sans que l'on comprenne bien pourquoi, preuve en est la mystérieuse transformation en harengs d'une bande de gamins qui jouent dans le parc. Les trois vieilles femmes sont-elles des Parques ou de simples habitantes des lieux ?
Dans un autre registre, la BD se veut un hommage à Lovecraft comme en témoigne d'ailleurs le nom du héros qui fait référence à la ville où le romancier habitait. D'ailleurs, une nouvelle du grand écrivain américain, L'étrange maison haute dans la brume, conclut ou peu s'en faut la narration. Néanmoins, tout cela m'a semblé bien artificiel. De plus, le maître de l'horreur savait distiller une émotion, une peur sourde. Ici, nous avons une fête foraine où des créatures changeantes peuplent une scène mouvante et onirique. On pourrait essayer de trouver un soupçon de poésie mais Mme Schmitt n'a pas le talent d'un Fred. Les arbitraires changements de direction ne relèvent d'aucune fantaisie et Providence n'a pas le charisme de Philémon.

Il reste le graphisme somptueux qui m'a fait penser aux maitres japonais de l'estampe; notamment à Hokusai.



Le trait envoutant de l'autrice roule, se tord, tourne encore et toujours, dessinant des formes géométriques sans fin, dans lesquelles l'œil se perd. Les détails travaillés donnent un relief prodigieux à cette histoire, et la préface de Philippe Druillet témoigne bien de la complicité entre le vieux maître et cette jeune dessinatrice. Je suis admirative devant tant de virtuosité et de talent.



Les couleurs sont changeantes comme dans un rêve et les yeux passent du noir et blanc à la couleur, d'une vignette à l'autre, voire même au sein du même dessin.

Au final, le magnifique graphisme ne compense pas un scénario sans âme.

EE

Eléanore

Merci de cette critique nuancée !  

A vrai dire, c'est un peu ce que je redoutais !  Derrière les belles images, il y a un récit qui n'est pas complètement abouti. Maintenant je sais à quoi m'en tenir.

J'essaierai de le lire quand même.