Très bonne photo, qui montre bien la ressemblance de Brasseur avec le personnage de Rocambole !
Mais revenons à Cazanave, et découvrons l'année 1949 ! Même s'il continuera encore à "papillonner" pendant quelques années, Cazanave va peu à peu concentrer sa production chez un unique éditeur. Et c'est ainsi que pendant 5 ans, ses œuvres les plus significatives vont être publiées par les éditions Mondiales !
Et donc, quelques semaines après l'arrêt inexpliqué de Rocambole,
l'Intrépide publie
Le Secret de Monte-Cristo dès le 23 février 1949. C'est une œuvre importante dans la carrière de Cazanave, et que j'aime à plusieurs titres. Je l'avais d'ailleurs choisie sans hésitation pour mon blog il y a une dizaine d'années, car ce titre a pour moi un charme réel. Est-ce alors un chef d'œuvre ? Peut-être pas, mais c'est certainement le genre de BD que je relis assez volontiers, encore aujourd'hui.
http://lecturederaymond.over-blog.com/article-19665728.html
Remarquons tout d'abord que
Le Secret de Monte-Cristo possède un scénario assez original. Ce n'est en effet pas l'adaptation du roman bien connu, mais plutôt le récit de l'histoire (peut-être) véridique de Pierre-François Picaud, qui aurait inspiré Alexandre Dumas pour l'écriture de son "best seller", "le Comte de Monte-Cristo". Cette intrigue est assez complexe et je ne vais pas présenter ici, mais cette page de Wikipédia permettra de satisfaire les intéressés. On s'y rend compte que l'histoire de François Picaud diffère passablement du roman de Dumas !
https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Picaud
L'intrigue de cette BD commence avec une belle mise en abyme, car c'est en effet Alexandre Dumas lui-même qui apparait dans les premières vignettes de cette BD. Dumas visite une belle et vieille demeure qui est à vendre, et il se met à discuter avec un vieux serviteur nommé Jacob. Ce dernier lui raconte l'histoire du précédent propriétaire de la maison, qui est bien sûr François Picaud, et c'est ainsi que commence "le récit à l'intérieur du récit".
Je ne reprendrai pas ici toute l'intrigue (il vous suffit de lire l'article de mon blog
) et je m'attarderai plutôt sur le scénariste de cette œuvre, à savoir Georges Fronval, un personnage haut en couleurs qui est aujourd'hui bien oublié. A la fois journaliste, romancier (il a écrit sous de multiples pseudonymes), dessinateur humoristique, critique fort érudit, spécialiste du western et parfois même acteur, Georges Fronval a beaucoup travaillé pour la grande presse. il a bien sûr réalisé de nombreux scénarios de BD et il a surtout participé à l'aventure du journal Pilote pendant ses premières années. Invariablement coiffé d'un grand chapeau de cow-boy (on le reconnait ainsi facilement dans les photos de groupe), ce grand érudit était célèbre pour son bagout et sa faconde. Quelques commentateurs pensent même que Fronval aurait servi de modèle à Greg pour imaginer le personnage d'Achille Talon, mais cette hypothèse me semble assez douteuse. Ce qui est certain, en tout cas, c'est que Fronval ajoute un peu de sa verve à ce récit historique, qui adapte sinon un film assez quelconque tourné en 1948 par Albert Valentin (et non par Claude Dolbert comme il est indiqué par erreur sur l'en tête de la première case). Notons au passage qu'il y avait de nouveau dans ce film Pierre Brasseur dans le rôle principal.
Sinon, on peut dire qu'avec le
Secret de Monte-Cristo, Cazanave fait définitivement preuve de sa maîtrise dans le genre de la BD historique. En alternant savamment les ambiances (sombres, brillantes ou ironiques) et en soignant ses décors, le dessinateur accompagne avec justesse (et parfois aussi une certaine ironie) les péripéties d'un récit au fond très mélodramatique. Certaines cases sont superbes mais il n'est pas toujours facile de les apprécier au milieu de ces grandes pages très denses (je ne vous ai montré que des demi planches). Cino Del Duca imposait en effet à ses dessinateurs que chaque page contienne au moins six bandes, ainsi qu'un nombre important de cases (qui devait être de 24 je crois) et cette contrainte ne favorisait pas le beau dessin. C'est donc une BD que l'on lit, plutôt qu'on ne la contemple, mais on découvre tout de même ça et là de magnifiques images, presque dignes d'un tableau, grâce aux silhouettes expressives des personnages, aux spectaculaires jeux d'ombre et de lumière, ou parfois à de beaux paysages au calme inattendu.
Il semble en tout cas que l'éditeur ait reconnu la valeur de cette BD puisqu'elle a bénéficié plus tard (en 1952) d'une édition en album. Relevons au passage qu'il en existe en fait deux éditions, dont les maquettes sont assez différentes, chacune d'entre elles étant accompagnées d'une BD de Jacques Souriaux (Tempête sur le Bengale), mais c'est un détail de peu d'importance.
Sinon, vous avez compris, je pense, que
Le Secret de Monte-Cristo est une œuvre de tout premier ordre. C'est une BD qui a plutôt bien vieilli, même si son style paraîtra à certains un peu suranné, et elle mérite en tout cas que l'on s'y intéresse. Notons pour terminer que l'on peut facilement trouver cet album sur les sites de vente d'Internet, mais bien sûr … il ne faut pas avoir peur de la dépense.