Allons-y pour une "petite" réponse...
Il faut d'abord préciser - si je ne fais pas d'erreur, donc à confirmer - que les témoignages directs de Joseph et Annie Gillain, rapportés par Jacques Dutrey, ont été utilisés comme points de départ par Yann pour son scénario (en sus des témoignages recueillis directement par Yann auprès de Franquin surtout, et de Morris également). Yann a, en tout cas, dit dans une interview, pour se défendre contre les critiques, qu'il s'est servi d'un témoignage écrit d'Annie Gillain ; il ne doit pas y en avoir des centaines et ça doit donc être celui qui est présenté sur BD Zoom.
Attention, Raymond, il ne faut pas te tromper de combat : je ne critique pas le scénario de Yann sur des points de détail comme le mouchoir noué sur la tête de Gillain ! Il y a des choses plus dérangeantes que ça dans l'album. Par ailleurs, répliquer aux critiques sur le mouchoir par des photos d'autres personnes (= Charlier) et par des dessins repiqués dans une BD de fiction (= le capitaine Haddock et Tintin dans Le Pays de l'or noir) montrant ces personnes ou personnages avec un mouchoir sur la tête, ça ne démontre rien, sinon que d'autres personnes ont pensé à faire la même chose pour se protéger la tête du soleil, c'est tout. Et alors, y avait-il besoin de montrer sur BD Zoom ces photos et dessins comme des preuves irréfutables que Jijé a porté un tel couvre-chef ? Bizarre logique et bizarre raccourci... Le coup du mouchoir noué sur la tête, tout le monde le connaît ou l'a déjà vu. Rien de nouveau sous le... soleil justement.
En fait, pour moi, le texte de Jacques Dutrey sur BD Zoom fait juste le point, en un seul endroit et sur un site Internet accessible à tous, en un clic (enfin, pour ceux qui ont Internet...), sur ce qu'a dit Yann ici et là, de façon parsemée au fil des mois, pour se défendre.
Une fois tout cela mis de côté, j'en reste à mes questions de fond, et comme personne n'y répond, je les repose, en en ajoutant une, et en espérant que plusieurs intervenants y répondront enfin (avec des arguments me démontrant que j'ai tort - si j'ai tort ; nous sommes dans les échanges de points de vue) :
- si vous étiez confrontés au même problème que les enfants Gillain, comment réagiriez-vous ? (à moi de résumer ledit problème en faisant aussi le point : publication, par un scénariste de BD, d'un épisode de la vie de vos parents dans leur jeunesse ; utilisation dans une BD, de vous-mêmes en tant qu'enfants qu'on fait agir et parler - enfants qui sont des personnes privées, et qui, dans le cas des Gillain, sont encore vivants plus de 60 ans après - ; transformation/adaptation des faits par rapport à la réalité - je rappelle que contrairement à ce que voudrait démontrer Jacques Dutrey, Yann a dit partout qu'il a parfois inventé, extrapolé, apporté de la fantaisie, imaginé des scènes rêvées, etc. - ; certaines scènes rêvées sont d'ailleurs considérées par un ami de la famille Gillain, François Deneyer, comme "
bêtes" voire "
méchantes" - voir un de mes posts à la page précédente - ; l'éditeur ne prévient pas les ayants-droit qui se trouvent devant le fait accompli, une fois la BD réalisée et publiée ou tout au moins en cours de publication dans Spirou, Le Soir et L'Immanquable ; etc). Donc, je répète : en tant qu'enfants des héros de la BD, est-ce que vous restez sans rien dire ? Et si vous réagissez, comment réagissez-vous ?
- je conteste l'ambigüité du procédé consistant à mettre en scène des auteurs très connus, mais sans donner leurs noms de famille tout en faisant croire que c'est une fiction, et même une "
pure fiction" (c'est noté au début de l'album) - comme si les lecteurs étaient assez cons pour ne pas voir qu'en réalité les personnages sont bien Gillain, Franquin et Morris -, alors que la BD raconte, en outre, une histoire vraie vécue par eux (et dont beaucoup de gens ont entendu parler). Yann aura beau dire sur tous les tons que c'est une fiction, non, ce n'est pas une fiction, c'est une histoire vraie, mais parsemée d'éléments faux ou biaisés ou inventés.
- le procédé consistant
en même temps à faire croire à l'ensemble des lecteurs que tout ce qui est raconté est quand même, finalement, en grande partie vrai, mais à ne pas permettre à ces lecteurs de faire la part des choses entre ce qui est vrai et ce qui est inventé. Comment le lecteur Lambda pourrait-il savoir que telle scène est vraie, et que telle autre est fausse ? Or, j'ai repris dans un post plus haut, le commentaire d'un lecteur sur le forum BD Gest', disant qu'il avait maintenant une opinion défavorable sur Gillain et Morris, dont il dit qu'ils ont perdu du prestige à ses yeux ; or, si Yann et Schwartz avaient raconté des choses vraies à 100% et s'il avait fallu vraiment raconter des scènes (authentiques) faisant perdre leur prestige à Morris et Gillain, les faits incontestables conduiraient à penser que Morris et Gillain étaient comme ça dans la réalité ; mais Yann avoue par ailleurs qu'il a inventé, extrapolé, etc. Donc, par quel cheminement intellectuel, par quelle volonté secrète, Yann a-t-il été amené à raconter des scènes parfois inventées, qui font perdre de leur prestige à des créateurs aussi formidables que Morris et Gillain ? Raconter leur vie de tous les jours, pendant ce périple, et démontrer que ce sont des êtres humains comme les autres, avec leurs éventuels défauts ou travers, oui, très bien, mais à condition de se baser sur des anecdotes authentiques, "béton", et pas inventées...
- dans le même ordre d'idées - j'ajoute ça car je n'en ai pas parlé jusqu'à maintenant - il a fallu que je lise une interview de Yann pour apprendre par exemple que la scène où Franquin et Morris reviennent ivres d'une fiesta, et où Franquin, ouvrant brutalement une fenêtre de la maison, aperçoit Annie Gillain à poil, posant pour son mari qui réalise un tableau, est inventée de toutes pièces ! Curieux, contestable et à mon humble avis dérangeant pour la famille Gillain, puisque par un habile détournement qui confine à la perversion et/ou à la provoc gratuite, on réussit à ne pas voir Annie Gillain à poil, mais on la voit quand même sous la forme d'une naïade peinte sur le tableau réalisé par Joseph. Malin, ou... tordu ? Il en est de même de Morris vu à poil dans un rêve, ce qui permet de montrer son anatomie dévoilant que c'est bien un garçon et pas une fille, si vous voyez ce que je veux dire. Je pense que c'est ce genre de scènes que François Deneyer trouve "
bêtes" voire "
méchantes". Le cul, ça marche toujours ! Et Yann n'est jamais le dernier à le montrer dans ses BD. Ca fait vendre, Coco !
- et enfin je trouve limite le procédé consistant à mettre en scène - dans une fiction, disent les auteurs Yann et Schwartz - des créateurs de personnages emblématiques de l'âge d'or de la BD franco-belge : Lucky Luke, Spirou, Gaston Lagaffe, etc. Ce procédé est imaginé, à mon sens, dans un but purement commercial, pour vendre à un maximum de lecteurs qui seront prioritairement intéressés par des personnages très célèbres présentés et rassemblés dans cet album. L'attitude des lecteurs (pas tous, mais beaucoup à mon avis) est celle d'une attirance de fan, instinctive et un peu superficielle : vous vendez n'importe quel objet orné d'un dessin de Tintin ou de Blake & Mortimer (une tasse de café, un rond de serviette, que sais-je...), il y aura automatiquement des acheteurs - parce qu'il y a Tintin ou Blake & Mortimer sur l'objet, pas pour l'objet lui-même. Or, la question a déjà été posée, par moi et d'autres : n'aurait-il pas fallu changer les noms des héros ? Car s'il s'agit juste de raconter - dans une prétendue fiction, je ne le rappellerai jamais assez - un périple en Amérique en 1948, dans le contexte de l'époque, avec des auteurs de BD cherchant fortune, ça peut très bien se faire en inventant les noms des héros. Mais imaginez le même album Gringos Locos, avec des héros qui s'appelleraient Jean Dugenou, Pierre Dupont et Jules Martin, vous allez voir les ventes... Des ventes qui décolleraient quand l'éditeur ferait savoir que sous ces noms se cachent Gillain, Franquin et Morris... Là, tout le monde voudrait voir ça... (et d'ailleurs, c'est ce qui se passe ! Donc : bien joué !).
Raymond a écrit:Bref, je suis 100% d'accord avec l'article de BD Zoom (...). Le plus important ne tient pas à ce genre de détail, mais plutôt à la restitution d'une certaine ambiance, à la fois joyeuse et anarchique, qui entourait les 3 dessinateurs à la fin des années 40. Bravo, donc, et merci à Yann et Schwartz !
Ah ? Comment sais-tu que Yann et Schwartz ont bien restitué cette ambiance ? Tu ne l'as pas connue, tu n'as pas participé au voyage, vu que tu n'étais pas né... En plus, on l'a assez dit, tout le monde reconnaît qu'il n'y a rien de plus fluctuant et flou que la mémoire... Alors, la déformation due aux mémoires sélectives, ajoutée à la déformation et aux interprétations de l'esprit torturé de Yann, ça donne quoi, en finale ? Ca donne UNE restitution, et en outre au travers du regard de Yann, qui est quand même particulier. Ce que j'attendais personnellement, c'est que tout soit vrai d'un bout à l'autre.