Merci pour la réponse. Justement, d'après l'interview de Yann dans Casemate de janvier, on comprend que le scénariste avait recueilli beaucoup de souvenirs et de renseignements, et qu'il en a sélectionné relativement peu pour sa BD. Y a-t-il des anecdotes que tu regrettes qu'elles ne figurent pas dans l'album, qui auraient dû être racontées, et qui auraient pu satisfaire tout le monde (les familles concernées, les auteurs et les lecteurs) ? Qu'est-ce qui a présidé au choix de telle anecdote plutôt que telle autre ? Autre question : s'il était tenu à un format d'album type, et donc s'il devait sélectionner les anecdotes faute de place, pourquoi Yann a-t-il choisi d'inventer des scènes (donc d'ajouter), alors qu'il devait avoir largement assez de matière pour remplir son album ?
La question essentielle (pour moi) est : est-ce normal, admissible, que pour raconter une telle histoire, un scénariste sélectionne les anecdotes selon son idée à lui, et surtout qu'il les arrange à sa sauce à lui, jusqu'à inventer des scènes, des dialogues, etc., de son cru, et vus, interprétés à travers son "prisme déformant" personnel, sachant qu'il met en scène des personnages réels (et en outre aussi importants dans l'histoire de l'art du XXe siècle, que sont Jijé, Franquin et Morris) ?
Questions corollaires tout aussi essentielles : qu'aurait fait un autre scénariste pour écrire la même histoire à partir du même "matériel" ? Il aurait fait mieux, moins bien, différent, avec d'autres interprétations, avec d'autres "vérités" ? Autant de scénaristes, autant d'interprétations, autant de versions différentes des faits ? Faut-il être d'abord historien pour raconter cette aventure ?
Pour moi, ce n'est pas secondaire de montrer Jijé jurant en flamand ou portant un tricot de corps, alors que c'est apparemment faux, car cela peut dénoter un à peu près global dans la recherche documentaire pour ce scénario (certes, il y a eu une grosse recherche en amont, et il faut saluer ce travail de longue haleine et très important de la part de Yann, dont il faut saluer aussi l'à propos consistant à prendre des notes, pendant des années selon ce qu'il dit dans ses interviewes, à mesure que Franquin lui racontait ce voyage par bribes ; mais tout ceci n'est pas suffisant, apparemment...). Quand le lecteur apprend ces divergences avec la réalité, il se dit automatiquement : "Ben, le reste non plus ne doit pas être vrai". Personnellement, j'attendais le même album, mais avec des anecdotes vraies, justes et même "verrouillées", de sorte que les familles concernées puissent dire : "Oui, ça s'est bien passé comme ça, oui, on reconnaît bien nos parents, oui on reconnaît les décors" etc (voir ce que disent les enfants Gillain dans la brochure ajoutée dans l'album). Et là, le lecteur se retrouverait dans l'Histoire (avec un grand H), aux côtés de Jijé (et de sa famille), de Morris et de Franquin, et aurait eu le sentiment de vivre en prise directe les affres, les improvisations et les hasards de la Création (avec un grand C), puisqu'on comprend que ce voyage a (aussi) décidé de plusieurs aspects de la création de tel et tel album, de tel ou tel personnage. Ben oui, mais si tout ce qu'on lit dans Gringos Locos n'est pas vrai...? Déception et vague sentiment de tromperie.
A mon avis, entre l'album tel qu'il est, et le style "Oncle Paul" que tout le monde semble rejeter, il y avait moyen de trouver un juste milieu. Il n'est pas question de censure de la part des familles, ni qu'elles défendent la statue du commandeur, simplement qu'elles fassent ajuster le tir quand certains propos, attitudes, etc., ne reflètent manifestement pas la réalité. Plus il y a de petites touches vraies, y compris dans les aspects apparemment secondaires, plus le scénario exalte et s'impose.
Je rappelle aussi que mon avis sur un fait très secondaire (là, je reconnais que c'est secondaire, d'autant que l'anecdote ne figure pas dans l'album) avait été publié dans le courrier des lecteurs de la revue Casemate de février, suite à l'interview de Yann dans le numéro de janvier. Quand j'ai lu l'interview fin décembre 2011 et quand j'ai envoyé un mail à la rédaction de Casemate dans les quelques jours qui ont suivi, j'ignorais totalement la polémique qui se développait et qui a éclaté publiquement peu après. Mais ce qui est moins secondaire, et nous en apprenait déjà un peu plus sur la difficulté du travail effectué par Yann en vue de cet album, c'est la réponse de Yann lui-même, que la rédaction avait sollicité exprès :