Il n'y avait pas que le dernier Jacques Gipar qui sortait ce samedi, mais aussi le nouvel album de
Spirou. C'était donc un week-end dédié à la BD classique.
Je commencerai d'emblée en évoquant la controverse du "Spirou alcoolique" qu'imagine Yann. Il faut bien convenir qu'il me laisse une impression curieuse. En fait, ses manières ne correspondent pas vraiment à ce que l'on a vu jusqu'à présent du personnage imaginé par Franquin ou Jijé. J'ai donc eu (comme la plupart des lecteurs, je suppose) de la peine à croire aux séquences consacrées à la "dive bouteille". Spirou est-il vraiment capable de faire cela ? Quelque soit l'explication que donne le scénariste (en l'occurrence, c'est la mort d'une jeune femme aimée), il me semble finalement que ce comportement est en désaccord avec la logique du personnage.
Cette bizarrerie étant relevée, le reste du récit se lit d'une façon assez plaisante. L'histoire est datée d'une manière précise (à savoir l'année 1946) et les auteurs s'attachent donc à nous montrer les voitures, les costumes et l'aspect des villes de cette époque. Cette tentative de "revival" est assez réussie !
De nombreux personnages vedettes sont également invités dans cette reconstitution : Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Boris Vian, Juliette Gréco ... Yann nous raconte ainsi la légende de Saint-Germain-des-Prés.
Divers clins d'œil au monde de la BD surgissent ça et là, comme par exemple le capitaine Alan qui semble sorti tout droit d'un album d'Hergé. Mais la citation la plus savoureuse est certainement l'apparition des deux "spiroulogues" patentés que sont Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault. Les physionomies sont légèrement adaptées, et le nom légèrement modifié, mais il s'agit tout de même d'un hommage bien mérité.
Mais qu'y a t-il derrière tous ces ornements ? En fait, il s'agit d'un début d'aventure dont la seconde partie paraîtra dans une année, et qui s'intitulera
le Maître des Hosties Noires. L'histoire parait ainsi (paradoxalement) assez courte, mais on a tout de même droit à une poursuite sur les toits de Bruxelles, à un enlèvement de savants nazis par une mystérieuse organisation, à une promenade parisienne au temps des existentialistes, et surtout à l'apparition d'une voluptueuse femme noire habillée en tenue léopard, qui rend jalouse la petite amie de Fantasio (eh oui, il en a une). Cela permet en passant à Yann d'imaginer une malicieuse bataille de femmes, mais ... serait-ce pour choquer les derniers puritains qui existent chez Dupuis ?
Il y a ainsi beaucoup d'idées, de "private jokes" et de malice dans ce premier volume d'un dyptique qui me parait prometteur. Son thème rappelle un peu celui de "Coeur d'Acier", l'aventure inachevée de Spirou dessinée il y a plus de 30 ans par Yves Chaland, et je me demande d'ailleurs à quel point la suite va chercher à s'écarter de son modèle ? C'est en tout cas un album d'un intérêt indéniable, qui renouvelle "la franchise Spirou" (j'utilise cet américanisme car je n'ose plus utiliser le terme de série), même si la tentative de donner une "psychologie" au personnage principal n'est pas pleinement réussie.
Comme d'autres albums déjà scénarisés par Yann, c'est une BD qui va irriter certains amateurs, et qui intéressera sans doute le grand public.
C'était en tout cas l'album du week-end !