Avec "
Mickey's craziest adventures", Lewis Trondheim et Keramidas vont encore plus loin dans la provocation que l'album de Cosey. Ils osent en effet publier une oeuvre incomplète, à laquelle il manque volontairement un certain nombre de pages.
Cette idée de ne publier que des fragments d'un récit est audacieuse, mais au fond, elle n'est pas totalement nouvelle. Chaland et Cornillon avaient en effet déjà eu cette audace au cours des années 80, avec leur album parodique intitulé "
Captivant". Ils avaient alors démontré la fascination que peuvent éveiller chez le lecteur de simples extraits de planches. Bien sûr, l'intérêt d'un album fragmentaire semble relever davantage de l'exercice de style que de la lecture au premier degré, mais l'utilisation ingénieuse des gags (en fin de page) ou de la parodie est bien souvent suffisante pour captiver les simples amateurs de BD.
D'ailleurs, les bédéphiles d'un certain âge gardent le souvenir des grands hebdomadaires, dans lesquels il était difficile de lire chaque semaine la suite des interminables aventures de leurs héros favoris. Pendant les années 50 et 60, combien de fois avons nous dû "combler les vides" et imaginer une transition scénaristique, dans l'attente (hypothétique) d'un album qui permettrait une lecture complète de l'histoire. La lecture fragmentaire fait ainsi partie du "bagage" de l'ancien amateur de BD qui, dans un tel modèle de récit, se retrouve un peu devant une "madeleine de Proust".
De plus, il est probable la suppression de certaines planches va assez peu gêner la nouvelle génération de lecteurs, celle-ci étant entraînée à "zapper" d'un sujet à l'autre, à sauter certaines séquences dans un récit, et à lire des BD modernes qui laissent une part de plus en plus grande à l'ellipse, ou au non-dit. La suppression de certaines séquences permet aussi d'accélérer le récit, de lui donner un rythme plus syncopé, et de passer sous silence des intermèdes de liaison, considérés (souvent à tort) comme ennuyeux.
Bref, c'est une BD très lisible, et aux conceptions très modernes, que nous donnent les auteurs, même si certains regretteront peut être quelques pages manquantes. Elle donne la priorité au plaisir simple de suivre une action trépidante, et de découvrir les (nombreuses) astuces scénaristiques permettant aux auteurs de sortir leur personnages des pièges (improbables) dans lesquels sont tombés leurs personnages. De ce côté là, Lewis Trondheim ne manque pas d'idées, et il prend manifestement du plaisir à multiplier les retournements de situation ou les changements de décor, imitant ainsi avec justesse la fantaisie de Carl Barks et de Floyd Gottfredson. Keramidas, de son côté, essaie autant qu'il peut d'arrondir la nervosité de son dessin, afin de lui donner le fameux "style Disney". Là aussi, le résultat graphique est tout à fait honorable, et l'excitation des images accompagne avec justesse le rythme trépidant du récit.
S'il fallait faire un reproche à cet album, cela pourrait concerner la présence de l'oncle Picsou qui, à ma connaissance, n'a jamais participé à une aventure de Mickey. Il est toutefois certain que cet argument possède peu de poids en face d'une oeuvre qui est volontairement transgressive, et qui associe avec une certaine ironie les Rapetous avec Pat Hibulaire. Il n'y avait au fond pas de raison de s'en priver.
Ainsi, cet album provoque et séduit tout à la fois, en retrouvant le charme de l'aventure pour l'aventure, et en osant adopter une posture naïve, permettant de justifier toutes les audaces.
C'est au fond un Mickey beaucoup plus classique que celui de Cosey, car son style provocateur correspond assez bien aux origines du personnage. Il suffit de revoir
Steamboat Willie, son premier dessin animé, pour réaliser que Mickey se permettait au départ toutes les idées et toutes les audaces.
Mais c'est aussi un Mickey un peu transgressif, qui laisse une certaine place (ironique) à la méchanceté, et qui promène avec férocité ses personnages dans des situations diverses, sans toujours y ajouter des explications logiques.
Les "craziest adventures" sont ainsi à la fois fidèles et infidèles, par rapport aux œuvres classiques de Gottfredson. Elles renouvellent avec intelligence le récit d'aventures, mais je me demande si les amateurs des œuvres classiques de Disney vont les apprécier ?
J'attends avec intérêt les critiques qui vont suivre.