L'événement du week end, c'est peut être la sortie du nouveau Corentin, mais il y a encore plus fort ! J'ai en effet découvert en librairie le nouvel album de Larcenet, à savoir le
tome 2 du
Rapport de Brodeck.
On se demandait ce que Larcenet pouvait encore créer après cet énorme et interminable chef d'oeuvre qu'était
Blast. Allait-il dessiner une histoire comique toute simple ? Et bien non ! Il remet ça, avec une nouvelle oeuvre séduisante et vénéneuse, brillante de cruauté et noire de pessimisme, à la fois austère, sauvage, et somptueusement décorée de paysages gothiques.
Je n'avais pas trop parlé de la sortie du tome 1, en son temps. L'album était sombre et magnifique, certes, mais je me demandais un peu où l'auteur voulait en venir. Pour comprendre toutes les énigmes, il fallait simplement lire le récit jusqu'au bout. Et une fois achevé ce tome 2, j'ai pu relire avec délectation le tome 1, dont je comprends maintenant les silences lourds de menaces, et le désespoir latent au sein de cette famille éclatée qui vit autour de Brodeck.
A l'origine,
Le Rapport de Brodeck est un roman de Philipe Claudel, qui semble assez inspiré par l'ambiance et la philosophie de Sartre. En effet, perdu en pleine campagne, le lieu où vit Brodeck est une sorte de "
Huis clos". C'est un village où règnent de noirs secrets, et où tout le monde sait tout sur tout le monde. Les villageois ont en fait "
les mains sales", et le maire demande à Brodeck d'écrire un rapport sur de récents événements qui perturbent la conscience collective. En faisant son enquête. Brodeck subit l'hostilité générale, et au milieu cette nature sauvage et désolée, il apparait rapidement que "
l'enfer, c'est bien les autres".
Chaque oeuvre de Larcenet possède en fait sa propre marque graphique. Il y a eu le genre "ligne claire" du "Combat ordinaire" et du "Retour à la terre", le style satyrique (proche de celui de Blutch) pour "Bill Baroud", et le dessin instinctif et angoissant de "Blast". Pour "Brodeck", le dessinateur choisit cette fois un noir et blanc finement ciselé, presque gothique et proche de certaines œuvres de Mike Kaluta et Bernie Wrightson.
J'éviterai bien sûr de raconter cette histoire qu'il faut découvrir avec une certaine patience. Sachez simplement que cette oeuvre splendide et cruelle nous séduit d'abord par ses ambiances et ses mystères, avant de nous éblouir par ses explications et ses évidences cruelles. On y découvre finalement une sorte de chronique de la haine ordinaire, qui démonte de plus le racisme qui est enfoui en chacun de nous. Cet ouvrage inquiétant et tourmenté est ainsi une oeuvre complètement morale.
On en reparlera certainement au cours de l'année.