J'ai lu le week-end dernier les séries Les terres creuses (en collaboration avec Luc Schuiten, le frère de François) et Métamorphoses (en collaboration avec Claude Renard), que je ne connaissais pas encore.
J'ai été littéralement soufflée par ces deux séries de François Schuiten, qui ont précédé Les cités obscures ou du moins qui ont été réalisées à une époque où naissaient Les cités obscures.
C'est tout simplement époustouflant de voir à quel point, les éléments, l'univers des Cités Obscures et d'autres œuvres de François Schuiten, est déjà présent, ou en quelque sorte annoncé dans ces albums.
Il y a une foule de parallèles tous plus intéressants les uns que les autres, qu'il serait sans doute trop fastidieux d'énumérer. Mais je vais en citer quelques uns, comme ça, pour le plaisir.
- Le tram 81 apparaît déjà, à la fin du récit Carapaces dans l'album du même nom.
- Un récit entier Aux médianes de Cymbiola (hors épilogue) a pour personnage central l'homme aux oiseaux, qu'on verra réapparaître dans L'archiviste, annonciateur là aussi, de quelque déséquilibre à venir...
- La structure métallique par laquelle la jeune Olive parvient aux "frontières" de sa planète dans La terre creuse (devenu Zara dans les éditions suivantes), est déjà une ébauche du réseau d'Urbicande
- La façon dont Olive (toujours dans La terre creuse) "mesure" que sa planète penche soumise à une force de gravitation extérieure, n'est pas sans rappeler L'enfant penchée
- Il y a aussi ces histoires de tour ou de ville/tour dans la série Métamorphoses qui préfigurent l'album La tour. Le parallèle entre le cristal à placer en haut de la pyramide/tour dans Aux médianes de Cymbiola et La théorie du grain de sable est saisissant (lorsque Mary von Rathen et ses compagnons rejoignent le territoire Bugti pour aller replacer un bijou à sa place dans une tour...)
- Les serres du village des brumes dans Carapaces rappellent étrangement Calvani, qui est d'ailleurs sûrement une évocation des serres royales de Bruxelles.
- Le rail semble préfigurer l'album La douce par certains aspects, avec entre autre cette histoire de vieille locomotive reconstruite dans un cas, sauvée de la "casse" et de l'oubli dans l'autre...
- Les statues féminines sculptées dans la brume dans le récit Le tailleur de brume (album Carapaces) ou dans l'album Nogegon ont comme un lien de parenté avec les statues géantes émergeant du sol dans Les mers perdues (avec Jacques Abeille). Le côté "pétrification" a un parfum de Taxandria ou d'Eternel présent.
- Il y a aussi les fanelles des Terres creuses qui permettent de voyager, de "passer" d'une planète à l'autre, comme des passeurs... comme les "passages" permettent de passer du monde réel aux Cités Obscures ???
- Et surtout, il y a ce mélange absolument génial de dessin N&B au trait et de dessin en couleur tout en nuances extrêmement fines et réalistes dans le récit Carapaces, l'utilisation tantôt du N&B, tantôt de la couleur dans un même album (La terre creuse futur Zara, et Le rail), ou encore des albums majoritairement ou complètement en couleur (Le Rail, Nogegon...) et un autre tout en N&B Aux médianes de Cymbiola. Savant mélanges des média, dont Schuiten nous gratifiera ensuite dans les Cités Obscures, les albums en couleur alternant avec les albums N&B, ou encore la couleur surgissant au cœur du N&B dans La tour, le mélange du gris et noir avec des insertions de blanc dans La théorie du grain de sable.
Et pour ouvrir encore un peu plus le champ d'utilisation des média dans un livre, il y aura dans L'enfant penchée par exemple, une partie du récit en photos, où parfois même, la photo s'imbriquera dans le dessin et vice-versa, de sorte qu'on ne sait plus bien où l'on est... partout à la fois, et nulle part... ravi d'être "perdus" dans un labyrinthe aussi gigantesque, qui nous mène de surprises en surprises, de trouvailles en trouvailles... Dans le même esprit L'écho des cités, à la forme narrative insaisissable, se termine sur une photographie en N&B avec une incrustation en couleur (une porte ouvrant sur un ciel bleu azur)...