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Le monde de François Schuiten

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1Le monde de François Schuiten Empty Le monde de François Schuiten Lun 28 Fév - 23:41

Raymond

Raymond
Admin

Il fallait bien que j'ouvre une fois un sujet consacré à ce dessinateur. Schuiten est est un de mes auteurs préférés.

Pour ceux qui ne le savent pas encore, mes premières interventions dans le monde du Web se sont faites il y a plus de 10 ans, grâce au forum des Cités Obscures. C'était alors mon premier "passage". Par ailleurs, ce n'est pas un hasard si mon avatar est extrait d'une grande illustration de Schuiten. Au départ, c'était une couverture conçue pour l'hebdomadaire américain le Times, mais elle a été reprise ensuite dans divers ouvrages. Vous la connaissez peut être déjà, mais je vous la montre quand même.  Wink

Le monde de François Schuiten Schuit10


C'est un peu de cette manière que j'envisage la bande dessinée.  Very Happy



Dernière édition par Raymond le Dim 14 Déc - 11:55, édité 1 fois


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Raymond

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On ne le sait plus aujourd'hui, mais l'entrée de François Schuiten dans le monde de la BD a été fulgurante. Sa première BD a représenté un véritable coup de tonnerre.  Cool

Si on oublie deux ou trois histoires courtes qui ressemblaient à des essais, la première BD de Schuiten s'intitule Carapaces. C'est une histoire courte (8 pages) qui est parue en 1977 dans Métal Hurlant.

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Essayez de vous rappeler ce que représentait Métal Hurlant en 1977 ! C'était la meilleure revue de BD du monde, tout simplement. Initialement axée sur la science-fiction, ce journal avait rapidement intégré d'autres styles plus traditionnels de bande dessinée. La revue  privilégiait en fait les belles images et visait une esthétique moderne et insolite. Elle publiait de nombreuses vedettes (Moebius, Druillet, Corben, Mandryka, Tardi, Mézières et j'en passe) et les premiers numéros proposaient un festival de nouveautés.

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C'est alors que le numéro 13 de "Métal" a sorti Carapaces, une histoire cruelle et poétique créée par deux inconnus : les frères Schuiten (Luc, le frère, étant le scénariste). Cette fable sur le monde moderne faisait preuve d'une maîtrise éclatante, autant par l'intelligence du scénario que l'esthétique surprenante de son dessin. J'étais ébloui par le passage progressif de ce noir et blanc impitoyable vers des couleurs plus veloutées ... qui finissent dévorées par un essaim d'insectes. Malgré la présence de Moebius, de Druillet, de Corben et de quelques vedettes incontestables, la réussite dominante de ce N° 13 était bien Carapaces. Elle a d'emblée fasciné le public aussi bien que les critiques et, en une seule histoire, "les Schuiten" étaient devenus des vedettes.

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Dans un futur dangereux et dominé par les insectes, les humains sont contraints de revêtir des carapaces métalliques afin de survivre. Un homme et une femme, qui cherchent à retrouver l'amour originel, enlèvent leurs costumes protecteurs et ils paieront cette audace de leur vie. J'ai toujours soupçonné que ce conte futuriste était en fait une jolie réflexion de François Schuiten sur lui-même, sa carapace envers le monde étant une nette tendance à l'intellectualisme (aïe ... les copains du forum des CO vont m'écharper si ils découvrent ça).  Wink

Le monde de François Schuiten Schuit14

D'autres belles histoires ont succédé à Carapaces : le tailleur de brume, la débandade, la crevasse ... et elles sont toutes des réussites incontestables, même si leur message est différent. Elles ont été recueillies dans un album et j'ai longtemps pensé que François Schuiten n'avait pas fait mieux par la suite. J'ai fini par changer d'avis, bien sûr, mais je reste toujours fasciné par ces courtes histoires qui affichent une étonnante maturité.



Dernière édition par Raymond le Dim 14 Déc - 11:57, édité 1 fois


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L'année 1978 est marquée par l'apparition du mensuel belge A Suivre. Ce journal se distinguait par son ambition de qualité et sa volonté de publier des "romans graphiques". François Schuiten s'est immédiatement intéressé à cette revue dont l'idéal rejoignait sa propre conception de la BD.

La première BD de Schuiten pour A Suivre apparait dans le N° 3, et c'est une première version de la Terre creuse qui sera ensuite reprise dans Métal Hurlant. Cet essai ne fait pas long feu et l'histoire s'interrompt après 2 numéros, mais Schuiten retrouve quelques temps après son vieux complice Benoit Peeters, avec qui il avait animé pendant son adolescence un journal d'école. Ils créent ensemble en 1982 un véritable roman graphique intitulé les Murailles de Samaris, qui remporte d'emblée un succès d'estime. Dans un monde qui semble dominé par l'esthétique de Victor Horta et l'humour de José Manuel Borges, un voyageur se perd dans un ville fantôme qui se révèle être un théâtre d'ombres. Cette oeuvre inclassable mélangeait le charme de l'Art déco, l'angoisse d'une nouvelle de Kafka et la volonté de trouver un nouveau classicisme. C'est le type même de BD qui intrigue plus qu'elle ne séduit, mais elle a aujourd'hui bien vieilli.

Le monde de François Schuiten Samari10

En 1983, Schuiten et Peeters imaginent une deuxième histoire pour A Suivre, qui est à nouveau centrée sur le thème de l'architecture. Le rédacteur en chef, Jean-Paul Mougin, leur propose alors d'en faire une série dont le titre sera "les Cités Obscures". Cette idée fait rapidement son chemin, et tout en concevant le récit de la Fièvre d'Urbicande, les auteurs imaginent une série de cités qu'ils mettent bien en évidence sur une carte affichée dans le bureau d'Eugen Robick. Cette image apparait sous de multiples angles au début du récit, et elle va être le point de départ d'une immense aventure.

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Dernière édition par Raymond le Dim 30 Oct - 9:34, édité 2 fois


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En 1985 survient un nouveau coup de tonnerre : la Fièvre d'Urbicande reçoit à Angoulême le prix de la meilleure BD de l'année. François Schuiten prend ainsi officiellement sa place parmi "les grands", et il n'a que trente ans.

La même année, le tirage de tête de la Fièvre d'Urbicande propose en tant que bonus un mystérieux petit fascicule aujourd'hui très recherché par les collectionneurs : les Carnets de voyage d'Eugen Robik. Le lecteur découvre pour la première fois de simages d'Alaxis, de Mylos, de Calvani ou de Brüsel. C'est en fait le premier "collector" (un peu méconnu) dans la série des Cités obscures, et il y en aura bien d'autres par la suite.

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En 1986, les Cahiers de la BD lui consacrent une analyse très fouillée dans leur N° 69. Cette reconnaissance critique correspond à un véritable adoubement. François Schuiten se trouve dès lors à une place celle qui égale celle des plus grands.

Le monde de François Schuiten Schuit17



Dernière édition par Raymond le Dim 14 Déc - 12:00, édité 1 fois


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Comment ! Je ne fais aucun commentaire sur la Fièvre d'Urbicande ?

Mais si ! Wink

Rappelez-vous de cet article en deux parties, écrit il y a bientôt trois ans :

http://lecturederaymond.over-blog.com/article-19261674.html


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En 1985, toujours, le journal A Suivre proposait l'achat d'un curieux ouvrage aux amateurs de Schuiten. Ce petit livre s'intitulait le Mystère d'Urbicande.

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De quoi s'agissait-il ? Tout simplement d'un ensemble de commentaires et de critiques concernant le fameux cube de Robik, illustrés par une série de dessins de François Schuiten. Signé par le mystérieux professeur de Brok, ce texte parodique était en fait écrit par Thierry Smolderen. Chaque page était en plus annotée par des commentaires au ton indigné, ces notes étant attribuées à Eugen Robik lui-même.

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Véritable petit chef d'oeuvre d'humour féroce, cet opuscule minutieusement confectionné n'avait au départ pas d'autre but que le plaisir du canular. Son intérêt principal allait cependant rapidement se modifier, cette plaquette devenant un objet "culte", et fort recherché par les fans du monde des Cités obscures. En effet, pourquoi ne pas voir ce petit livre comme la preuve tangible de l'existence d'un monde parallèle. Le Mystère d'Urbicande devenait ainsi une sorte d'OVNI, ou plutôt un objet littéraire de provenance non identifiée. C'est avec ce livre que commença à naître une légende, et que des chercheurs décidèrent de s'intéresser au "monde obscur".  Wink

Le monde de François Schuiten Schuit20


Aujourd'hui, ce petit album se vend à des prix fous (entre 100 et 200 euros) mais ... vous avez de la chance. Le contenu du livre a été entièrement scanné, avec l'assentiment des auteurs, et il est mis à disposition du grand public. Vous pourrez le découvrir (en même temps que d'autres archives rarissimes) sur le site de Quentin, qui s'intitule "Des villes claires aux cités obscures". Cela se trouve ICI !



Dernière édition par Raymond le Dim 14 Déc - 12:02, édité 2 fois


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Quelques années après, pour la plus grande joie des amateurs, une image de l'album "Brüsel" montrait Eugen Robik en train d'annoter furieusement un exemplaire du Mystère d'Urbicande.

Le monde de François Schuiten Schuit21

Le cercle des références s'était refermé, et la mise en abîme était complète.  Very Happy



Dernière édition par Raymond le Dim 14 Déc - 12:03, édité 1 fois


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A l'intention et à l'attention de...Raymond. Wink


http://www.graphivore.be/interview-de-francois-schuiten-a-la-brafa-news-4022.html

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Merci Treblig. Il y a un tableau original de Schuiten que je ne connais pas, mais l'image est malheureusement un peu tronquée.


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http://www.actuabd.com/Schuiten-filiation-Paris

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"Schuiten filiation" est un livre bien connu, déjà paru il y a deux ans si je ne me trompe.

Le monde de François Schuiten Couv_s11

Actua BD avait mis en ligne un billet à ce sujet.

http://www.actuabd.com/Schuiten-Filiation-une-monographie-familiale

Avec ce livre, les amateurs de Schuiten peuvent mieux comprendre l'origine de son dessin. En effet, son style s'est créé à partir de diverses influences qui proviennent de sa famille, en particulier son père et son frère Luc. C'est donc un livre capital. Wink


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Je reviens à ma "chronique Schuiten". J'en étais resté à l'année 1985 et au Mystère d'Urbicande. Cool

Une des caractéristiques de Schuiten, c'est son ambition de dessiner quelque chose de différent à chaque nouvel album. C'est ainsi qu'après "Urbicande", qui était un simple roman graphique en noir et blanc, est paru l'Archiviste, un livre au format géant qui proposait un petit texte illustré. Ce troisième album récupérait des dessins et des affiches publicitaires et esquissait une petite histoire sensée se dérouler dans le monde des Cités obscures. Avec cet "opus" atypique, la série était véritablement lancée.

L'année suivante apparaissait la Tour, qui reste encore aujourd'hui l'album préféré de beaucoup d'amateurs de Schuiten.

Le monde de François Schuiten Schuit11

Cet album est à nouveau bien différent des précédents, bien que son format reste plutôt standard. La Fièvre d'Urbicande était un histoire caustique remplie d'allusions politiques, tandis la Tour est un récit intimiste, qui ressemble presque à une aventure mythologique. Urbicande se déroulait dans un monde urbain construit dans un effrayant style futuriste, tandis que la Tour nous promène un monument plutôt médiéval, qui ressemble aux prisons de Piranese. Urbicande se distinguait de bout en bout par son dessin anguleux, et son noir et blanc sévère, tandis que les images de la Tour sont modelées par de fines trames ou enrichies de couleurs aussi suprenantes que chaleureuses.

Le monde de François Schuiten Schuit12

Bref, si la Fièvre d'Urbicande doit manifestement beaucoup aux oeuvres de Hugh Ferris et de Sant'Elia, la Tour se réfère très explicitement aux toiles de Brueghel, de Velasquez ou de Delacroix.

Le monde de François Schuiten Schuit14

S'il fallait résumer ma pensée par une simple formule, je dirais que La Tour est une oeuvre mythologique et énigmatique ? Vous ne voyez probablement pas ce livre de cette manière, mais cette idée s'est imposée avec toujours plus d'évidence au fil des relectures. D'ailleurs, un jour, j'ai découvert sur le Web une dédicace des auteurs qui m'a définitivement convaincu. Cool

Le monde de François Schuiten Schuit15

Eh oui, La Tour ne serait rien d'autre qu'une "agréable ascension", ou plutôt une belle aventure ! Il y a peu de récits de ce genre dans l'oeuvre de Schuiten, et c'est pourquoi il a séduit tous les "obscurophiles". Very Happy


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Je ne vais pas présenter ici tous les albums des "Cités obscures", car ce serait une entreprise bien fastidieuse. Je vais plutôt m'arrêter sur les oeuvres qui sont les plus marquantes. Very Happy

Nous sommes donc à la fin des années 80 et Schuiten dessine beaucoup de choses (affiches, scénographies ou publicités). Il semble un peu s'écarter de la BD et ses créations les plus marquantes appartiennent alors au cycle des "Terres Creuses" (réalisé en collaboration avec son frère Luc). C'est ainsi qu'apparait en 1990 Nogegon, le seul "palindrome dessiné" que je connaisse.

Mais Schuiten et Peeters n'oublient pas les Cités obscures. Ils ont au contraire une idée qui va donner à leur série une dimension inattendue. C'est ainsi qu'apparait au festival d'Angoulême en 1990 une "exposition-spectacle" de dimension monumentale. Elle s'intitule le Musée des Ombres.

Le monde de François Schuiten Carte_10

Cete création va être reprise la même année dans les festivals de Sierre, de Paris et de Bruxelles, et celle de Sierre représente pour moi un souvenir mémorable. C'est en découvrant cette exposition que je suis devenu un "addict" des Cités obscures. Wink

Comme plus personne ne peut voir cette oeuvre remarquable (et oui, ce n'est qu'une expo mais elle fait partie de la série des Cités obscures), je vais la présenter ici d'une manière très détaillée. J'aurais besoin pour cela de plusieurs posts. Soyez donc patients. Cool

Au fait, est-ce que l'un d'entre-vous a eu la chance de voir cette expo ?


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Je me souviens que cette année-là, je visitais le festival de Sierre avec mon neveu (originaire de Sierre, justement). Il n'avait pas vraiment choisi de venir avec moi et arborait une mine un peu blasée. Il était probablement gêné d'être en compagnie d'un "vieux", sous le regard narquois ses copains. siffle

Le Musée des Ombres avait été installé dans une vieille maison de maître, et cela créait une ambiance assez sévère. On pénétrait d'abord dans une pièce de musée dont les murs étaient un peu "cradingues", et qui s'intitulait le "vieux musée". Cette première salle n'était pas très spectaculaire et exposait des planches de Schuiten sur ses murs. Une grande affiche "avertissait les visiteurs" que ces planches avaient été abîmées par un grand incendie, et que l'on découvrait les vestiges d'un art presque disparu, ayant autrefois rencontré un grand succès, à la fin du XXème siècle, et que cela s'appelait la bande dessinée. Wink

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Je me souviens de m'être tourné vers mon neveu avant de quitter cette pièce, et il avait l'air de s'ennuyer royalement. Very Happy


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En sortant du vieux musée, le spectateur avançait vers une impasse apparente. En fait, il se retrouvait devant une immense faille qui séparait le mur en deux parties.

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Vous l'avez bien sûr compris : cette faille n'était pas seulement la traversée d'un mur de la maison. C'était surtout un trou dans le temps et dans l'espace. En franchissait dans cette faille, le visiteur pénétrait dans un monde parallèle, à savoir le continent des Cités obscures.  Cool



Dernière édition par Raymond le Sam 26 Nov - 10:40, édité 1 fois


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Pour comprendre la fascination qu'a pu exercer le Musée des Ombres, il faut d'abord savoir que ce n'était pas une exposition silencieuse d'objets. C'était plutôt un spectacle "son et lumière", et chaque pièce se distinguait par un fond sonore étrange. Je ne sais pas qui avait composé ces petites pièces musicales mais elles créaient une ambiance musicale bien particulière, capable de saisir l'imagination du visiteur. Comme cette musique est assez proches des compositions de Bruno Letort (ce dernier a plusieurs fois collaboré avec Schuiten), je vous propose donc de continuer "la visite" en écoutant un extrait de ses compositions. Cela vous mettra tout de suite dans l'ambiance. Very Happy



Sinon, en traversant "la faille", le visiteur devait franchir une passerelle qui passait par dessus une petite cour vide. Cette ascension se déroulait bien sûr en musique et elle créait une sorte de suspense. Ce passage était cependant particulier à la ville de Sierre et cette partie de l'expo changeait en fonction de la ville qui l'accueillait. La succession des salles n'était d'ailleurs pas partout identique, car les auteurs adaptaient leur scénographie en fonction de l'espace architectural qui l'entourait. Vous pouvez voir ci-dessous un schéma de Schuiten qui explique l'organisation générale du Musée des Ombres.

Le monde de François Schuiten Musae_13

Petit souvenir amusant : en montant cette passerelle, je me suis retourné pour voir où était mon neveu. Il suivait, bien sûr, mais il semblait visiblement étonné et n'affichait plus son air blasé. Very Happy


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En arrivant au bout de la passerelle, on pénétrait dans une grande salle qui présentait le bureau d'Eugen Robick.

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On reconnaissait sur les murs circulaires de la pièce la fameuse carte du Continent obscur, déjà contemplée dans les premières planches de la Fièvre d'Urbicande. Robick était assis devant son bureau et il était en fait représenté par un mannequin immobile. On entendait périodiquement une voix sonore qui répétait : "Echec ... échec complet. Jamais je n'arriverai à fabriquer ce cube. Comment pourrai-je fabriquer ce que la nature nous avait offert ? (...)". Mille excuses mais je me permets d'abréger un peu sa litanie. Wink

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Cette pièce racontait donc au spectateur la suite de l'histoire de la fièvre d'Urbicande. Eugen Robick ne s'est jamais remis de la disparition du réseau, qu'il a vainement continué à chercher pendant le reste de sa vie.

J'étais bien sûr à côté de mon neveu, qui ne comprenait pas grand chose à tout cela (il n'était pas un grand lecteur de BD). Ses yeux étaient semblables à deux grosses billes et il gardait une mine interloquée. Malgré son ignorance, il était tout de même saisi par l'ambiance. Wink


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En quittant le bureau de Robick, le visiteur se retrouvait dans un sombre couloir, entouré par les rayonnages d'une bibliothèque qui contenait des livres géants. Sur le dos de ces livres, on retrouvait parfois le nom de quelques écrivains familiers comme Kafka, Borges ou Jules Vernes, mais il y avait aussi des titres plus mystérieux comme "Yliaster", "Urformen der Kunst" ou "L'Echo des Cités".

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J'avoue ne pas avoir été impressionné sur le moment par cette immense Bibliothèque où Schuiten et Peeters avaient introduits de petits détails amusants, destinés à donner l'impression d'un grand désordre. Ce n'est que bien plus tard que j'ai réalisé que cette mise en scène racontait tout simplement la suite de l'histoire de l'Archiviste. Rolling Eyes


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Le couloir de la Bibliothèque amenait le promeneur dans une nouvelle pièce qui était consacrée à Mylos. Une partie de la pièce était plongée dans l'obscurité et on entendait d'emblée la forte voix d'un commentateur qui racontait l'histoire de la ville. Dans un coin de la pièce, une caméra projetait en même temps un film "documentaire" consacré à Walther Schliwinsky et de Klaus Von Rathen, les fondateurs de l'empire industriel qui gouvernait Mylos.

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C'était manifestement un film de propagande, qui s'intitulait "Instructions aux futurs inspecteurs". En fait, ce petit film ressemblait beaucoup à certains reportages filmés que l'on pouvait voir en France ou en Amérique il y a une cinquantaine d'années. Wink

L'autre moitié de la salle permettait de découvrir l'intérieur d'une appartement à Mylos. Ses murs tristes et ses meubles misérables permettaient d'imaginer la triste vie que devaient affronter les citoyens de cette ville.

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Que devenait mon neveu au milieu de tout cela ? Eh bien, il continuait à écarquiller des yeux, et à penser que les adultes sont des fous. Il n'avait plus la mine de l'ado blasé. Smile



Dernière édition par Raymond le Dim 10 Avr - 20:00, édité 1 fois


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Une simple porte permettait d'accéder tout de suite à la salle suivante, qui était consacrée à l'atelier d'Axel Wappendorf.

Ceux qui ont lu les Cités obscures savent qu'Axel Wappendorf est un inventeur ingénieux, qu'il apparait dans plusieurs albums et qu'il a créé de nombreux véhicules de transport. La salle qui lui rendait hommage frappait d'abord le spectateur par l'émission d'une voix triste et cassée, qui était celle du savant arrivé à la fin de sa vie. Il racontait en boucle ses nombreuses recherches et ses déceptions.

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La pièce était remplie de machines diverses, de plans et de maquettes qui démontraient l'intense travail du savant.

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Malgré le discours nostalgique d'Axel Wappendorf et l'aspect lugubre de certains objets, cette salle était en fait fort drôle. Le savant racontait en effet en détail ses mésaventures techniques et il finissait pas apparaître malgré lui comme une sorte de gaffeur patenté. Very Happy


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Pour accéder à la dernière salle de l'exposition, consacrée à la ville de Calvani, il fallait attendre un peu car les auteurs avaient conçu une mise en scène qui exigeait d'y entrer au bon moment.

Le visiteur devait ensuite monter vers une terrasse d'où il pouvait voir les toits de Calvani. L'ensemble du décor était représenté par des dessins de Schuiten, qui formaient un sorte de demi-cercle autour du visiteur.

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Le décor restait fixe mais on découvrait tout de même l'image d'un dirigeable qui traversait le ciel au dessus de la ville. On pouvait également écouter la voix d'une hôtesse, sensée se trouver dans ce dirigeable, qui racontait l'histoire des immenses serres de Calvani. On entendait ensuite un dialogue entre l'homme et la femme qui se trouvaient sur le balcon en face des spectateurs, mais il était bien difficile de comprendre pourquoi l'homme se lamentait.

Tandis que ces conversations racontaient une petite histoire que le spectateur avait bien de la difficulté à comprendre, la lumière changeait progressivement dans la pièce et le décor devenait bleuté. La nuit tombait sur Calvani et le spectateur finissait ainsi sa visite.

Le monde de François Schuiten Musae_21

Curieusement, cette dernière salle aux conceptions ingénieuses et ambitieuses était presque décevante. C'était probablement lié à l'immobilité du décor, qui contrastait avec la vie qui émanait des salles précédentes. Rolling Eyes


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Voilà, j'ai terminé mon petit reportage sur le Musée des Ombres. J'ajouterai simplement que cette exposition n'aura plus jamais lieu. J'ai en effet demandé une fois à Benoit Peeters, lors d'une séance de dédicaces, ce qu'il advenais du "Musée" et il m'a appris que la plupart des pièces construites à cette époque étaient fort abîmées et qu'elles étaient devenues inutilisables. Cette destruction est malheureusement très logique, car le Musée des Ombres était un spectacle. Ce genre d'oeuvre ne peut avoir qu'une existence très momentanée.

Signalons tout de même que quelques objets restés intacts (comme par exemple les murs de la bibliothèque) ont été rassemblés au dernier étage de la Maison Autrique. C'est un petit musée de Bruxelles, dans le quartier de Schaerbeek, qui a été restauré grâce à François Schuiten. Cette maison (construite par Victor Horta) est devenue un lieu de pélerinage pour les obscurophiles.

Pour ma part, j'ai un tel souvenir de cette visite que j'ai de la peine à croire que cet événement s'est passé il y a 20 ans. Il est vrai que l'univers des cités obscures s'inscrit dans le temps aussi bien que dans l'espace. Wink

Quelques mois après, un coffret était publié par Casterman et il s'intitulait le Musée A. Desombres. Il contenait un petit livre cartonné ainsi qu'un CD.

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Je crus d'abord qu'il s'agissait d'un "coffret souvenir", mais je découvris très vite qu'il s'agissait d'une oeuvre nouvelle, n'ayant presque aucun rapport avec le "Musée" lui-même. Le CD était en fait une "dramatique sonore", comparable aux histoires que l'on racontait autrefois à la radio, tandis que le livre était un catalogue d'images et de dessins attribués à un peintre nommé Augustin Desombres. C'étaient les prémices d'une grande histoire qui allait plus tard s'intituler l'Enfant penchée ... mais j'anticipe un peu trop. Je vous raconterai tout cela une autre fois. jap



Dernière édition par Raymond le Mar 15 Mai - 20:50, édité 1 fois


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Lion de Lisbonne

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Raymond a écrit:Je reviens à ma "chronique Schuiten". J'en étais resté à l'année 1985 et au Mystère d'Urbicande. Cool

Une des caractéristiques de Schuiten, c'est son ambition de dessiner quelque chose de différent à chaque nouvel album. C'est ainsi qu'après "Urbicande", qui était un simple roman graphique en noir et blanc, est paru l'Archiviste, un livre au format géant qui proposait un petit texte illustré. Ce troisième album récupérait des dessins et des affiches publicitaires et esquissait une petite histoire sensée se dérouler dans le monde des Cités obscures. Avec cet "opus" atypique, la série était véritablement lancée.

L'année suivante apparaissait la Tour, qui reste encore aujourd'hui l'album préféré de beaucoup d'amateurs de Schuiten.
Le monde de François Schuiten Schuit11

Cet album est à nouveau bien différent des précédents, bien que son format reste plutôt standard. La Fièvre d'Urbicande était un histoire caustique remplie d'allusions politiques, tandis la Tour est un récit intimiste, qui ressemble presque à une aventure mythologique. Urbicande se déroulait dans un monde urbain construit dans un effrayant style futuriste, tandis que la Tour nous promène un monument plutôt médiéval, qui ressemble aux prisons de Piranese. Urbicande se distinguait de bout en bout par son dessin anguleux, et son noir et blanc sévère, tandis que les images de la Tour sont modelées par de fines trames ou enrichies de couleurs aussi suprenantes que chaleureuses.

Le monde de François Schuiten Schuit12

Bref, si la Fièvre d'Urbicande doit manifestement beaucoup aux oeuvres de Hugh Ferris et de Sant'Elia, la Tour se réfère très explicitement aux toiles de Brueghel, de Velasquez ou de Delacroix.

Le monde de François Schuiten Schuit14

S'il fallait résumer ma pensée par une simple formule, je dirais que La Tour est une oeuvre mythologique et énigmatique ? Vous ne voyez probablement pas ce livre de cette manière, mais cette idée s'est imposée avec toujours plus d'évidence au fil des relectures. D'ailleurs, un jour, j'ai découvert sur le Web une dédicace des auteurs qui m'a définitivement convaincu. Cool

Le monde de François Schuiten Schuit15

Eh oui, La Tour ne serait rien d'autre qu'une "agréable ascension", ou plutôt une belle aventure ! Il y a peu de récits de ce genre dans l'oeuvre de Schuiten, et c'est pourquoi il a séduit tous les "obscurophiles". Very Happy
Je ne le connais pas très bien, mais je n'ais jamais trop aimé cet Univers.
Par contre, j'aime bien 'La Tour', qui est pour moi aussi un album que je trouve d'une très grande qualité Exclamation Very Happy

Raymond

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Lion de Lisbonne a écrit:
Je ne le connais pas très bien, mais je n'ai jamais trop aimé cet Univers.
Par contre, j'aime bien 'La Tour', qui est pour moi aussi un album que je trouve d'une très grande qualité Exclamation Very Happy
Pour aimer les BD de Schuiten, il faut bien sûr y trouver des repères; en particulier les lectures ou les images de ton enfance.

Je suppose que la Tour avec son univers médiéval, ses références aux peintres classiques, et ses gravures "à la Piranèse" te propose plus de repères familiers que les autres livres qui lui sont ultérieurs.

Le monde des Cités Obscures est imaginaire mais il utilise beaucoup de références littéraires ou graphiques. Ce processus d'incorporation crée de surprenantes affinités et il en résulte un univers étrange, précis et impalpable, à la fois familier et étranger, qui séduit les amateurs de fantastique.

Une des références plus évidentes dans la série est représentée par les livres de Jules Vernes, mais on peut citer d'autres écrivains comme José Luis Borgès, Adelbert von Chamisso, Franz Kafka, René Daumal ou Aldolfo Bioy Casares. Ces références ne sont pas des copies, mais plutôt des sortes d'annotations qui donnent une dimension supplémentaire à l'histoire principale. Elle sont utilisées de manière ludique et c'est probablement ce genre d'appropriation dans un univers qui reste perpétuellement en construction qui fascine les amateurs (eux-même se nomment parfois les "obscurophiles"). Wink



Dernière édition par Raymond le Sam 23 Avr - 16:54, édité 2 fois


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Raymond

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Bien sûr, tandis qu'ils préparaient ce mémorable Musée des Ombres, Schuiten et Peeters ne faisaient pas beaucoup de bandes dessinées. Le journal A Suivre publiait toutefois de manière intermittente quelques planches "de commande", qui ne semblaient pas suivre un projet narratif bien défini. Elle montraient un homme solitaire qui errait dans la ville de Paris, et cette cité ressemblait à un labyrinthe.

Le monde de François Schuiten Pass110

Ces pages correspondaient à un projet qui s'intulait les Passages. C'était l'histoire d'un homme qui passait involontairement de Paris dans le "monde obscur" (c'est l'appellation consacrée Smile ) grâce à de mystérieux lieux de passages qui étaient disséminés un peu partout. C'était bien sûr le prolongement du thème du Musée des Ombres mais (était-ce de la lassitude), ce grand récit n'a jamais été achevé. L'idée des "passages" sera toutefois réutilisée dans quelques images et surtout dans les albums suivants.

Le monde de François Schuiten Schuit10

Après être tombées dans l'oubli pendant une vingtaine d'années, ces planches des "Passages" seront finalement réintégrées dans la série en 2007. Regroupées sous le titre de "Mystères de Pahry", elles ont été ajoutées en tant que deuxième récit dans l'édition actuelle des "Murailles de Samaris".

Le monde de François Schuiten Mystar10


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