On ne le sait plus aujourd'hui, mais l'entrée de François Schuiten dans le monde de la BD a été fulgurante. Sa première BD a représenté un véritable coup de tonnerre.
Si on oublie deux ou trois histoires courtes qui ressemblaient à des essais, la première BD de Schuiten s'intitule
Carapaces. C'est une histoire courte (8 pages) qui est parue en 1977 dans
Métal Hurlant.
Essayez de vous rappeler ce que représentait
Métal Hurlant en 1977 ! C'était la meilleure revue de BD du monde, tout simplement. Initialement axée sur la science-fiction, ce journal avait rapidement intégré d'autres styles plus traditionnels de bande dessinée. La revue privilégiait en fait les belles images et visait une esthétique moderne et insolite. Elle publiait de nombreuses vedettes (Moebius, Druillet, Corben, Mandryka, Tardi, Mézières et j'en passe) et les premiers numéros proposaient un festival de nouveautés.
C'est alors que le numéro 13 de "Métal" a sorti
Carapaces, une histoire cruelle et poétique créée par deux inconnus : les frères Schuiten (Luc, le frère, étant le scénariste). Cette fable sur le monde moderne faisait preuve d'une maîtrise éclatante, autant par l'intelligence du scénario que l'esthétique surprenante de son dessin. J'étais ébloui par le passage progressif de ce noir et blanc impitoyable vers des couleurs plus veloutées ... qui finissent dévorées par un essaim d'insectes. Malgré la présence de Moebius, de Druillet, de Corben et de quelques vedettes incontestables, la réussite dominante de ce N° 13 était bien
Carapaces. Elle a d'emblée fasciné le public aussi bien que les critiques et, en une seule histoire, "les Schuiten" étaient devenus des vedettes.
Dans un futur dangereux et dominé par les insectes, les humains sont contraints de revêtir des carapaces métalliques afin de survivre. Un homme et une femme, qui cherchent à retrouver l'amour originel, enlèvent leurs costumes protecteurs et ils paieront cette audace de leur vie. J'ai toujours soupçonné que ce conte futuriste était en fait une jolie réflexion de François Schuiten sur lui-même, sa carapace envers le monde étant une nette tendance à l'intellectualisme (aïe ... les copains du forum des CO vont m'écharper si ils découvrent ça).
D'autres belles histoires ont succédé à
Carapaces : le tailleur de brume, la débandade, la crevasse ... et elles sont toutes des réussites incontestables, même si leur message est différent. Elles ont été recueillies dans un album et j'ai longtemps pensé que François Schuiten n'avait pas fait mieux par la suite. J'ai fini par changer d'avis, bien sûr, mais je reste toujours fasciné par ces courtes histoires qui affichent une étonnante maturité.