Tout est à vendre, de nos jours, et cette mini-série semble jongler habilement avec cette idée. Mais en fait, cela m'énerve tellement que je ne suis as sûr d'avoir envie de lire cette BD.
Lefranc, Alix, Jhen ... et les autres
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eleanore-clo a écrit:René·e aux bois dormants est une BD scénarisée et dessinée par l'illustratrice Usdin.
René.e vit avec sa mère à Toronto. Solitaire et mal à l'aise dans la grande ville, l'enfant se réfugie dans les rêves. Durant l'un d'entre eux, il part à la recherche de sa peluche. Il va ainsi se promener dans des mondes fantasmagoriques, issus de la mythologie amérindienne, et peuplés de créatures étranges, parfois aidantes, mais le plus souvent agressives voire même terrifiantes. Une succesion de métamorphoses permettent à René.e de progresser dans son voyage et surtout de découvrir le secret de son identité.
Le scénario vise à dénoncer un évènement historique, la rafle des années 60. A cette époque, des gouvernements provinciaux canadiens séparèrent des milliers d'enfants autochtones de leur famille pour les confier à des familles blanches : https://fr.wikipedia.org/wiki/Rafle_des_ann%C3%A9es_60. Mais peut-on dire qu'une histoire engagée est une bonne histoire ? Je ne le pense pas. Le mariage entre l'onirisme, la mythologie et le combat politique aboutit à une intrigue d'une grande complexité, difficile à suivre. Les scènes et les mythes se succèdent dans une logique apparemment sans queue ni tête avant que la finalité de l'histoire et l'unification de tous les récits ne soient dévoilées. La BD doit être lue et relue pour en saisir l'essence. Surtout, l'émotion, à part une peur sourde, est absente. Nous sommes ici dans une thérapie et chacun des actes de l'histoire correspond à une visite chez le psychothérapeute, où le patient confie ses rêves afin que la praticien lui fasse découvrir, doucement, pas à pas, la source de sa souffrance.
Côté dessin, Usdine a étudié aux Arts Décoratifs de Paris et son parcours se ressent dans le graphisme, très inspiré de l'art contemporain. A titre personnel, a minima pour le traitement des couleurs, j'y ai perçu l'influence de Nicolas de Staël. L’enchaînement des vignettes nous emmène dans une galerie d'art. L'artiste déploie son talent dans une succesion d’œuvres abstraites, appelant au rêve ou à l'interrogation. Nous sommes ici à mille lieues de la BD franco-belge et l'éditeur, Sarbacane, confirme ici une lignée éditoriale audacieuse et intellectualiste. Le lecteur peut donc être dérouté d'autant plus que l'accès au dessin n'est pas aisé et demande appétence et temps.
Nicolas de Staël Syracuse, 1954
Nicolas de Staël Méditerranée, Le Lavandou, 1952
Les critiques du dBD Magazine ont beaucoup apprécié cette œuvre puisque la moyenne de leurs appréciations place le travail d'Usdin au premier rang des BD publiées le mois dernier. Je confie être beaucoup plus mitigée. On peut faire des bandes dessinées engagées beaucoup plus digestes . Oleg de Peeters ou Un océan d'amour de Lupano et Panaccione abordent avec sensibilité et légèreté les travers de notre société. Leurs regards sont critiques mais jamais moralisateurs ou abscons. Enfin, je préfère mille fois l'absurdité de Lewis Carol (Alice in Wonderland) ou l'onirisme de Fred (Philémon), plus poétiques et moins désespérés ou cruels. Au final, ma note sera donc quelque peu sèche.
E
Eléanore
Dernière édition par eleanore-clo le Ven 28 Jan - 16:07, édité 1 fois
Raymond a écrit:
Mais au final, je suis un peu honteux puisque c'est peut-être moi qui t'ai incité à lire une simple "BD de genre".
Merci en tout cas pour le compte rendu.
eleanore-clo a écrit:Bonjour Raymond
Merci d'avoir lu Le poids des héros .
Je ne partage pas totalement votre point de vue sur la puissance graphique de la BD. Le dessin est ici inspirant, infatigable, souverain. Plusieurs styles cohabitent au gré des scènes comme vous l'avez si bien démontré en mettant en parallèle le dîner familial et la pendaison. Il est vrai que la richesse foisonnante de détails colorés des vignettes peut faire peur. A titre personnel, je me suis immergée dans l'image et l'ai bue avec délice.
Un point que nous n'avons que peu mentionné est la thérapie libératoire de la BD. Sala a grandi dans l'ombre tutélaire de héros, ce qu'il résume d'ailleurs dans le titre de son ouvrage. Et son parcours vers la paternité est aussi un parcours vers la constitution du moi.
On peut aussi dire que la BD se veut intellectualiste, peut être d'ailleurs un peu trop.
En tout cas, je suis très heureuse d'avoir lu votre avis. J'hésite toujours à faire rentrer ce livre dans ma bibliothèque et votre avis m'aidera dans ma décision ! Et est-ce que d'autres membres du forum ont lu le roman graphique ? Les critiques des médias généralistes cités plus haut sont quand même unanimes et on voit que l'ouvrage sort du champ du genre "BD" pour entrer dans le champ universel de la littérature.
Eléanore
Raymond a écrit:J'avais acheté un "roman graphique" en librairie il y a quelques semaines et j'ai enfin fini par le lire le week-end dernier, dans mon train qui allait vers Paris. Il s'intitule la Servante écarlate et il est dessiné par l'artiste canadienne Renée Nault.
C'est en fait l'adaptation en BD d'un roman de Margaret Atwood qui est paru en 1985 et qui a rencontré un grand succès à l'époque. Il n'est donc pas surprenant que soient apparus ensuite un film (de Volker Schlöndorff), un ballet, une série télévisée et maintenant une BD. C'est comme ça, l'industrie du spectacle !
Toutes ces considérations auraient normalement dû me faire reculer mais ... en le feuilletant, il m'a semblé que c'était quand même pas mal du tout ! Le dessin était à la fois sobre et efficace, sans aucune fioriture inutile (Stravinski aurait même dit "sans gras" ) et l'ensemble ne manquait par ailleurs pas de style. Comme j'aime de temps en temps faire un pas de côté, avec l'espoir d'être surpris, j'ai préféré ce petit album intriguant à certaines grosses cylindrées fortement promotionnées par les grands éditeurs. Et je ne l'ai pas regretté.
Mais que raconte la Servante écarlate ? C'est en fait un roman d'anticipation qui se passe dans un futur proche, au XXIème siècle, dans un monde qui est devenu complètement totalitaire. La trame de ce roman est en fait assez proche du fameux "1984" de Georges Orwell, car Margaret Atwood imagine que les USA (devenus la république de Giiead) sont complètement revenus en arrière, et qu'il s'est installé une véritable dictature qui refuse aux femmes tout droit citoyen. Ces dernières se retrouvent ainsi dans une position asservie et purement utilitaire, et elles deviennent des *Martha" (c'est à dire des femmes de ménage), des "Epouses" (qui sont cantonnées à la maison et qui n'ont pas de pouvoir) ou des "Servantes", qui portent des tenues écarlates et dont le rôle est purement dévolu à la reproduction de la race humaine. Quant aux femmes qui n'appartiennent pas à ces catégories (car trop âgées, infertiles ou inefficaces), elle sont déportées dans des "colonies" où elles doivent manipuler des déchets toxiques.
L'héroïne du livre, qui se nomme Defred, est donc une servante écarlate qui doit continuellement feindre la soumission et qui se remémore de l'époque où elle avait encore des droits. Elle pense beaucoup à sa fille dont elle a été séparée et dont elle voudrait avoir des nouvelles. Elle noue aussi de dangereuses amitiés (car elle pourrait être dénoncée) avec d'autres servantes et rêve de s'évader de ce monde dictatorial. A la longue, elle finit par découvrir certaines réalités qui se cachent derrière les apparences et qui vont la mettre en danger.
Je ne dévoilerai pas trop cette intrigue, qui est bien sûr très pessimiste, et je m'attarderai plutôt sur le style élégant de cette BD qui évite intelligemment toute surenchère inutile. L'œil est au départ frappé par la dominance de teintes grises et rouges plutôt foncées, qui révèlent l'ambiance de cette société sinistre où les hommes ne sont pas plus heureux que les femmes. Par la suite, au cours de ses promenades, Defred découvre par moments des ambiances plus légères et le dessin économe et inventif de Renée Nault devient alors franchement séduisant.
Cette BD est avant tout l'adaptation d'un livre à succès, mais l'étiquette de roman graphique ne me parait pas du tout usurpée. Renée Nault illustre en effet avec sensibilité et sans pathos cette dystopie inventive et cynique, qui nous fait un peu peur en imaginant un ordre social nouveau. Heureusement, un tel monde me parait aujourd'hui bien peu probable, puisque ce serait plutôt vers une dictature des femmes que nous nous dirigeons aujourd'hui.
Et s'il fallait résumer tout cela avec une note, j'accorderai volontiers un EEE à cet album élégant et bien raconté.
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