Bonjour
Géante est un recueil de contes médiévaux, à dominantes féministe et morale. La BD est scénarisée par Jean-Christophe Deveney et illustrée par Nuria Tamarit.
Jean, un fermier, trouve un bébé abandonné dans une ravine. Ce bébé est géant. Il ramène le nourrisson chez lui et son épouse et lui décident de l'adopter. L'enfant prénommée Céleste est élevée dans une campagne reculée. Et lorsque ses frères quittent le cocon familial, elle éprouve aussi le besoin d'explorer le vaste monde...
Le cycle forme un récit initiatique, même si chacun des 12 récits se lit indépendamment et porte une morale ou une thématique différentes.
Le sujet de l'adoption me semble être au cœur du premier conte. Pourquoi adopter ? Quelle place pour l'enfant adopté ? Comment annoncer sa filiation à l'enfant adopté ? Etc. A noter que le scénariste s'est amusé en multipliant les allusions au
Petit Poucet ( https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Petit_Poucet). Si sept enfants composent la fratrie, comme chez Perrault, le plus jeune n'est pas cette fois le plus petit par la taille mais le plus grand ! Et à l'instar de son illustre prédécesseur, Céleste va aider sa famille à se sortir des pires difficultés.
Le deuxième chapitre traite de l'abus de confiance. Un colporteur emmène Céleste découvrir le bourg voisin. Et il profite de la force et de la naïveté de la jeune femme pour escroquer les villageois. L'auteur nous invite ainsi à réfléchir sur l’honnêteté et le respect de l'innocence.
Le troisième récit lorgne du côté du roman de chevalerie (https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Roman_de_chevalerie). Un chevalier nommé Parangon (de vertu?) s'amourache de Céleste. J'y vois surtout une réflexion sur l'amour et la différence. A l'époque du mariage pour tous, cette scénette apparaît d'actualité.
La quatrième histoire fait référence à Rabelais, plus précisément à Gargantua et aux guerres picrocholines (https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Gargantua) et nous y voyons Céleste utiliser sa force pour combattre et vaincre à elle seule une armée ennemie.
Le cinquième conte aborde le féminisme. Céleste est jugée par un tribunal religieux pour avoir bien involontairement détruit un clocher. Sauf que le juge est un inquisiteur et que les codétenues de la géante sont des prisonnières dont le principal crime est leur sexe. Toute tentative d’émancipation dans cette société puritaine semble vouée aux geôles par un système oppresseur.
Un répit nous est offert avec le sixième récit. Céleste est sauvée du bûcher par la "sorcière", une femme intelligente ayant fondé une communauté où la mansuétude et l'intelligence sont de mises.
Avec les septième et huitième contes, Céleste trouve l'amour, d'abord chez un funambule puis chez un roi. L'amour au-delà de la différence et donc la tolérance constituent l'ossature des deux récits.
Dans la neuvième histoire, nous assistons à l'ascension et à la chute de Céleste. Devenue reine de Dorsodoro, la Venise locale, la géante ne peut concevoir et est donc chassée du trône. La BD est clairement féministe et dénonce la réduction de la femme à sa seule matrice.
Devenue novice dans le dixième récit, Céleste s'éloigne du monde matériel pour s'enfoncer dans un monde spirituel stérile. Elle sera sauvée par un de ses frères. Le sectarisme est au cœur de ce conte qui réfute les outrances d'une religion par trop aveugle et stricte.
Le onzième récit reprend le thème de la guerre des sexes. Après l'intolérance des hommes, voilà celle des femmes. Aussi Céleste se retrouve dans une société rappelant celle des amazones. Et après Venise, nous sommes invités dans les îles grecques (les toits bleus des maisons).
La quête de la jeune femme se termine dans le douzième récit. Elle fonde la cité de Laelith, le pendant de l'abbaye de Thélème (https://fr.wikipedia.org/wiki/Abbaye_de_Th%C3%A9l%C3%A8me).
Le dessin manque de finesse et je confie ne pas avoir été séduite.
Le travail sur les yeux m'a notamment gênée. Je trouve ainsi qu'ils manquent de vie.
D'une façon générale, les vignettes pourraient faire preuve de plus de dynamisme.
Et Tamarit n'est pas Peter Jackson ! Elle ne réussit pas à faire cohabiter harmonieusement une géante et des êtres humains "normaux" dans la même illustration.
Au final, je confie être restée sur ma faim. Certes, la BD est intelligente et humaniste. Certes l'objet livre est magnifié par une couverture avec des dorures faisant penser à des enluminures. Mais le scénariste n'est ni Rabelais ni Voltaire et qui trop embrasse mal étreint. Céleste n'a pas la verve de Gargantua ni la brillance de Micromégas (https://fr.wikipedia.org/wiki/Microm%C3%A9gas). Et le dessin pseudo naïf est bien éloigné du style médiéval. Néanmoins l'ouvrage reste malgré tout agréable à lire.
Eléanore