Raymond a écrit:J'ai en fait une impression contraire. Il m'a toujours semblé que les péplums les mieux réalisés, les moins fantaisistes et les plus respectueux de l'histoire antique étaient ceux qui mettent en vedette les chrétiens de l'Antiquité. Cela provient certainement du fait que l'histoire de l'époque chrétienne était mieux connue du grand public que les autres périodes de l'Antiquité.
Je n'ai pas répondu plus tôt, car je suis en train de rédiger un dossier sur une BD christique qui me gave un peu (entendez par là que je ne souhaite pas attaquer l'auteur dans ses convictions religieuses, mais que je n'ai pas non plus l'intention d'amener mon pavillon).
J'ai les plus grands doutes en ce qui concerne l'historicité des péplums "paléo-chrétiens". La conjuration de l'historiographie suétonienne rencontrant les délires des Pères de l'Eglise a mis à l'index la plupart des "12 césars" du Ier s. de n.E. - pour l'anecdote, Jacques Martin s'étonnait que, dans les textes que je lui écrivais, j'usais de l'expression "avant notre Ere", plutôt que "avant Jésus-Christ" :
"Qu'est-ce qu'il vous a fait, Jésus ? - Rien, justement." A côté du plaisir naïf que j'ai à regarder les films, il y a le désagrément que me procure dans LA TUNIQUE et, surtout, sa séquelle LES GLADIATEURS, le fait que Caligula soit présenté comme un persécuteur des chrétiens. Ce qui n'a jamais été le cas. Les auteurs chrétiens comme Tertullien font démarrer les persécutions à partir de Néron, en 64. Caligula était mort depuis longtemps (en 41, si ma mémoire est bonne). Je loue l'intelligence des scénaristes, qui ont arrondi quelques monstrueuses imbécillités distillées par le stylo de Lloyd C. Douglas, auteur du roman LA TUNIQUE (1945). Non seulement il ne connaît rien à la famille julio-claudienne, inventant des personnages à sa guise sans tenir compte de ce qu'on en sait, mais aussi par exemple, lorsqu'un personnage païen se rend à Jérusalem il se scandalise des sacrifices sanglants que pratiquent chaque jour les Juifs dans leur Temple. Or sur ce point là, Juifs et païens étaient bien d'accord, justement. Je m'interroge sur la valeur scientifique d'une telle littérature baba-cool. Sûrement pas de rendre ses lecteurs plus intelligents.
Autre exemple : Néron. Je veux bien admettre que quand on porte à l'écran QUO VADIS, on est censé suivre la trame du roman. Y compris ses erreurs. Mais qu'on ne me dise pas que ces films sont historiquement sérieux. J'apprécie la performance clownesque de Peter Ustinov dans la version 1951; j'apprécie beaucoup aussi la fidélité de la version polonaise de 2001 de Jerzy Kawalerowicz! En particulier le supplice de Lygie sur l'échine de l'aurochs, qui est un beau morceau de bravoure cinématographique.
Mais le pauvre Néron, dans tout ça ? Certes le fils d'Agrippine n'avait pas l'étoffe d'un empereur romain. C'était un artiste et un joyeux drille... Déjà que la classe patricienne/sénatoriale n'appréciait pas l'idée d'un Empire annulant les principes de la République. Alors oui, on lui prête tous les vices. Classique (*).
Sienkiewicz, comme tous les intellectuels polonais de son temps, lisait couramment le latin et ne s'endormait jamais sans avoir lu dans le texte quelques pages de Tacite. Mais il était aussi catholique et se servait de l'histoire antique pour écrire une fable visant la Russie orthodoxe persécutant sa pauvre Pologne catholique uniate.
Alors que Tacite/Suétone parle seulement de chrétiens livrés aux crocs des molosses ou brûlés dans les Jardins du Vatican, Sienkiewicz compile d'après
L'Histoire du Christianisme d'Ernest Renan, paru peu avant,toute une collection de supplices plus tardifs glanés dans les IIe-IIIe s., et souvent même de pseudos snuff-movies empruntées aux pantomimes du théâtre. Il en rajoute ainsi une douzaine; et Guy Hocquenghem, à qui nous devons une version "gay" de QUO VADIS (LA COLERE DE L'AGNEAU) les multiplie encore par trois (il en énumère près de quarante, toute sa bibliothèque y est passée). Rien d'historique à celà.
J'arrête ici. Mon goût pour la mythologie et le paganisme m'a amené à m'intéresser à l'histoire des religions, au paléo-christianisme et à ses contrevérités. Les sottises que j'ai pu lire, genre : le magistrat romain qui s'étonne d'entendre dire par les Chrétiens que le Christ est ressuscité. Rien de surprenant à cela, le paganisme connaissait ces "dieux qui meurent" et ressuscitent : Adonis, Tammnuz, Osiris. Hercule, Ulysse, Enée, Orphée, Thésée tous sont descendus aux Enfers... et en sont revenus. Zeus lui-même avait connu la mort, et une tradition crétoise montrait son tombeau sur le mont Iouktas. En Grèce aux Anthestéries, à Rome aux Lemuralia les défunts revenaient sur terre hanter leurs familles pendant deux jours.
Il serait plus honnête de dire que la morale du paganisme n'était pas très différente de celle des premiers chrétiens (on n'invente jamais rien, n'est-ce pas), mais que les deux s'opposaient essentiellement sur le principe du poly- ou du monothéisme. Pour un monothéiste, il est inacceptable de reconnaître un autre Dieu que le sien. Pour le polythéiste, il est loisible d'honorer autant de dieux que l'on veut, sous réserve d'honorer aussi ceux de l'Empire. Y déroger serait impie, et provoque un dérèglement cosmique.
Les Romains, qui étaient tolérants, ont fini par accepter que les Juifs
prient pour l'Empire, à défaut de
prier l'Empire. En ce qui concerne les Chrétiens, cette tolérance était inconcevable dans la mesure où elle ne concernait que les Juifs de souche. Les non-juifs qui se convertissaient à un culte monothéiste reniaient du même coup le culte de leurs ancêtres, et donc s'inscrivaient dans le processus de dérèglement cosmique.
En matière de persécutions, il me semble du reste que les chrétiens entres eux (des catholiques orthodoxes aux ariens, donatistes, monophysites, ophites et j'en passe... sans oublier au moyen âge le Grand Schisme, puis les Cathares, les Hussites, enfin la Réforme, l'Inquisition) n'étaient pas mal ! Et comme l'Histoire se répète, on en aperçoit déjà une nouvelle qui se pointe dans nos banlieuses...
Alors l'Antiquité romaine catéchétique... encore heureux que le cinéma simplifie bien des niaiseries; mais tout de même...
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(*) Dans L'HISTOIRE AUGUSTE, Septime Sévère reproche à ces gens honorables qui ont provoqué la chute de Commode, d'avoir souvent été plus débauchés que celui-ci.