Mea culpa, Jacques Martin a non seulement vu le film de 1924, mais — contrairement à ce que j'affirmais plus haut — il a également lu le livre. Je vous renvoie à ALIX & ALII :
«J'ai vu Ben Hur
quand j'étais enfant [Jacques Martin naquit à Strasbourg le 21 septembre 1921],
avec Ramon Novarro sur son char. C'était un très bel homme. Je ne connais pas le nom du metteur en scène. Je me souviens confusément de certaines scènes impressionnantes : la mère et la sœur lépreuses... et quelques fragments comme ça. Mais c'est tout.
Bien sûr, j'ai également lu le livre. Mais il ne m'a jamais fortement intéressé. J'avais davantage à l'esprit les images du film, lorsque j'ai commencé Alix. (...)
Cette page était un projet, un prototype qui ne devait pas avoir de suite. D'ailleurs le roman était complètement gommé dans ma mémoire» (propos recueillis par Michel Éloy à Bruxelles (novembre 1979)).
• (Affiche de
Salammbô, 1925 de Marodon. Sur la photo : Rolla Norman (Mathô) et Jeanne de Balzac (Salammbô).)
Par ailleurs, Jacques Martin a également été fort impressionné par le
Salammbô de Pierre Marodon, avec la grassouillette Jeanne de Balzac dans le rôle de Salammbô !
«On m'avait emmené voir le film Salammbô,
dont les images rejaillirent lorsque je lus le roman de Flaubert pendant la guerre. Je sus, dès les premières lignes, que je voulais voir ces ciels, ces couleurs de l'Antiquité et qu'il me fallait placer des aventures dans ces décors» (Jean-Maurice de Montrémy,
Lire, n° 184, janvier 1991). Mais à cette superproduction franco-autrichienne il manquait le morceau de bravoure, la scène-clé du sacrifice des enfants à Moloch, sur laquelle Martin est maintes et maintes fois revenu
(L'île maudite, Le Tombeau étrusque, Le spectre de Carthage, Les proies du volcan). Comment d'ailleurs restituer ce dieu mystérieux, dont l'archéologie punique ne nous a conservé aucun témoignage ? Quelqu'édition illustrée du roman y pourvoira — à moins que ce ne fût des images du film
Cabiria (1914), où Piero Pastrone reconstitua l'idole d'airain avec un grand luxe de détails...
Le dieu dévorant de
Ile Maudite est là, superbe, tournant le dos au port, quoique pas tout à fait comme dans le roman où il était muni de bras articulés. Autour de lui la foule hystérique de ses adorateurs, et le cortège de prêtres et de danseurs maquillés de couleurs vives, les psylles tout droit sortis des pages de Flaubert. Les fanatiques font cortège au pauvre Enak, emmené, traîné, pantelant... sans défense entre les mains de la brute qui s'apprête à le précipiter dans la fournaise sacrificielle...
Pour ceux que les visionnages de Jacques Martin intéressent,
L'Avant-Scène Opéra (HS, juillet 1991), a publié un dossier sur ce film de 1925, «Salammbô (Musique de Florent Schmitt)» à l'occasion de «L'été Florent Schmitt — Avignon — Opéra de Paris Garnier — Montpellier — La Roque d'Anthéron», avec de nombreux photogrammes. Les fouineurs essaieront de retrouver le film raconté «Salammbô»,
La Petite Illustration Cinématographique, n° 3, 19 septembre 1925.
• (
Cabiria, BD d'Antonio Canale, d'après le film
Cabiria.)Je reviens sur les sacrifices d'enfants dans les films. Je crois bien que le seul film à les avoir montrés est
Cabiria (1913). Encore voit de fort loin le grand-prêtre officiant, et aucun plan rapproché ne montre les enfants destinés à être sacrifiés. Sauf justement l'héroïne, Cabiria, que Maciste va arracher à ses bourreaux. En général, les cinéastes préfèrent montrer des adultes. Un homme, volontaire, se jette dans les flammes de Baal dans
Le fils prodigue (Richard Thorpe, 1955), et plus tard Lana Turner, la grande prêtresse, l'y rejoindra volontairement - suicide. Anne Heywood réchappera aux flammes de Moloch dans
Carthage en flammes. Dans le
Salammbô de 1959, c'est traité par ellipse : on voit quelques jeunes filles pourchassées par les gardes, devant un rideau de flammes. La séquence est tout bonnement absente dans la version 1925, comme je l'ai dit. Un mention particulière pour
L'Histoire de Ruth (Henry Koster, 1960 — disponible en DVD) : un collège de fillettes sont éduquées par les prêtresses de Qemosh, le dieu des moabites. C'est un honneur pour elles que d'être sacrifiées au dieu (et Ruth est bien désolée de ne pas avoir été choisie). Elles ne sont pas brûlées vives mais égorgées en haut d'un autel pyramidal, et la prise de vue en contreplongée permet d'éluder une représentation trop explicite. Il n'y a vraiment que la BD, dans le sillage de Jacques Martin, qui a fait ses choux gras des sacrifices d'enfants [et d'adultes]. Je pourrais vous en produire une liste assez impressionnante, de
Velthur le Pacifique à «Corian le Crétois» de Debruyne ! Pour quelle raison ? Je l'ignore. Sans doute le support papier. Le cinéma épique est destiné à un public très large, enfants et adultes confondus. N'importe qui. Même destinée à un public ado, la BD est relativement plus «intellectuelle» (il faut la lire, savez-vous). Et puis, sauf la reproduction du classique de la littérature qu'est, en France, Flaubert, il faut bien reconnaître que les héros de BD échappent toujours à cette fin cruelle ! C'est un peu comme dans la peinture historique ou religieuse, qui regorge de scènes de supplices, mais jamais gore (en général, l'artiste saisit l'instant qui précède le moment fatidique, les tenailles qui s'approchent de la poitrine de Sainte Agathe de Catane, p.ex.) - c'est ce qui s'appelle une litote !
• (... et Anne Heywood, nue et pantelante, dans
Carthage en flammes. Aaaaah ! En ces temps-là on savait se divertir !
Carthage en flammes est une adaptation d'un roman d'Emilio Salgari — le «Jules Verne» italien, auteur de «Sandokan» et d'une multitude de «Corsaire Noir», «Vert» ou «Rouge» —, qui a, ici, largement repompé Flaubert.)