Un autre secret d'un bon scénario, ce sont les dialogues. Puisque la lecture, la compréhension et la fluidité d'une histoire en BD passent par les dialogues et comme la plupart des BD ont des dialogues plus ou moins étoffés, ils ont donc une importance primordiale. D'autant plus quand le scénariste mise sur l'humour, le jeu de mots, etc (Goscinny par exemple ; retirez les dialogues d'Astérix et d'Iznogoud, il ne restera pas grand chose, si j'ose dire...). Mais qu'est-ce que de bons dialogues ? Personnellement, je vais avoir du mal à répondre, car on dirait qu'à chaque scénariste sa définition ou au moins sa façon de considérer les dialogues, et à chaque lecteur sans doute aussi.
Un bon dialogue est-il un dialogue bien écrit, en bon français littéraire ? Est-ce un dialogue reproduisant la façon de parler des gens, avec les défauts, les répétitions, les tics ou bégaiements, l'accent (difficile à rendre), le niveau de langage, etc ? Ou faut-il au contraire un dialogue "lisse" et d'un style uniforme ? Est-ce un dialogue efficace ? (oui, sans doute, mais encore...?). Faut-il privilégier les images par rapport aux dialogues ? Faut-il des dialogues denses, épais, qui "donnent à lire", ou au contraire lapidaires et secs ? Les dialogues servent-ils l'action, ou peut-on - doit-on - s'en passer ? Trop de bavardage tue-t-il la BD ? Faut-il du réalisme dans les dialogues des pilotes d'aviation militaire, au point de les rendre incompréhensibles ? Un dialogue est-il un "plus", doit-il être neutre ou alors effacé, invisible ? Ce sont pourtant les dialogues qui permettent de "tenir en haleine", de captiver, le lecteur. Un cas à part et anecdotique, celui des dialogues dans les reprises de Blake & Mortimer : faut-il conserver les textes et dialogues façon Jacobs dans les années 50, parfois lourds et souvent redondants, ou faut-il innover, moderniser, s'adapter aux BD d'aujourd'hui ?
Etc !
Problème pour le scénariste : comment rédiger de bons dialogues qui accrochent le lecteur ? Il y a une façon d'écrire, d'aligner les phrases les unes après les autres, de les placer dans telle et telle bulles, comme on accroche les wagons d'un train, ou comme on dispose des dominos à la queue leu leu ; ça ne se fait pas vraiment au pifomètre, histoire de remplir des blancs. Il y aurait beaucoup à dire sur la façon de "fabriquer" un dialogue (de BD, j'entends), mais c'est souvent d'instinct qu'un scénariste travaille (l'expérience au fil des années joue aussi beaucoup, bien sûr) ; il a le don pour ça, et comme pour tout don, ce n'est pas facile à expliquer, car assez mystérieux. Ensuite - ou en même temps - viennent le vocabulaire, le choix du bon mot, de la bonne expression, la culture du scénariste. Mais il y a bien une façon d'accrocher l'attention du lecteur, et de ne pas lui faire lâcher prise - uniquement par le choix des mots et des phrases,et par la façon de les agencer les uns à la suite des autres. Il y a un truc à apprendre : le début d'une bulle (les premiers mots ou la première phrase de cette bulle) est la suite logique des derniers mots ou de la dernière phrase de la bulle précédente, comme si un fil invisible les reliait. Cela paraît banal de le dire et sans doute banal d'appliquer cette recette, mais pourtant, ce n'est pas facile... Les derniers mots de la bulle d'avant et les premiers mots de la bulle d'après se choisissent, se calibrent, et la césure entre les deux bulles ne se fait pas non plus au hasard. Ce calcul tient aussi au don du découpage du scénariste (voir ce que j'ai dit ici, il y a quelque temps, au sujet du don du découpage, au sein de ce même sujet de discussion).
Pour se rendre compte du travail de perfectionnement des dialogues dans une BD, voir de nombreuses études sur Hergé, avec des reproductions de brouillons de dessins voire carrément de planches de Tintin, sur lesquels Hergé, dans les marges, a griffonné, raturé, réécrit X fois une phrase, un mot, inversé des bouts de phrase pour trouver le rythme, le mot juste et le vocabulaire qui coulent le mieux. C'est tout un travail que le lecteur ne verra jamais, et je me demande si beaucoup de scénaristes actuels préparent ainsi leurs dialogues ; je me souviens avoir vu - dans les préfaces des Intégrales de Barbe-Rouge je crois - la reproduction de bouts de papier montrant les recherches de mots et de phrases par JM Charlier, pour peaufiner des dialogues dans telle ou telle de ses BD ; il cherchait partout et tout le temps, au restaurant, dans divers moyens de transport et ailleurs, en griffonnant lui aussi sur tout ce qui lui tombait sous la main ; on comprend que JM Charlier était en permanence en état de réflexion, qu'il avait en permanence en tête ses projets de scénarios (appel est lancé aux autres scénaristes du forum, ou à ceux qui ont des connaissances sur les façons de faire de scénaristes connus ; je lis pas mal d'interviewes de scénaristes, dans Casemate par exemple, ou sur Internet, et le sujet ne me semble pas souvent abordé ; peut-être parce que ça n'intéresse pas grand monde ? Pourtant, on est là au coeur de la création, dans le cerveau du scénariste).
Un truc aussi à savoir (et à appliquer ou non, cela dépend des scénaristes et de leur façon de faire), c'est qu'au sein d'une planche, on peut rédiger les dialogues dans une bande (un strip) comme si on racontait une petite histoire ou une anecdote (au sein de la planche et de l'histoire globale) avec une forme d'introduction, un développement et une chute qui termine ce strip - mais cette chute ne termine pas le dialogue : elle doit forcer le lecteur à passer automatiquement au strip suivant, simplement parce que la façon dont est tourné le dialogue force inconsciemment l'oeil et l'attention du lecteur à lire la suite, à passer automatiquement à l'étape suivante.
Pour arriver à tout cela, c'est, de la part du scénariste, toute une gymnastique, et même une gymnastique épuisante... Cela doit être le cas des scénaristes d'autres types d'oeuvres - que je n'ai pas pratiqués : cinéma, téléfilm, pièces radiophoniques, pièces de théâtre, etc. -, sauf que, en BD, il y a une contrainte de plus avec ce devoir de bien découper ces dialogues et bien les semer au fil des cases et de bien les disposer dans les bulles.
A noter un cas exceptionnel dont je me souviens : dans Hello-Bédé, au début des années 90, une BD, genre saga mythologique, était écrite presque en vers, en tout cas avec des phrases et des dialogues comme dans un poème épique. J'avais d'ailleurs envoyé un courrier au scénariste, Xavier Josset, pour le féliciter. Malheureusement, je ne crois pas qu'il ait fait son trou dans la BD... L'histoire d'Hello Bédé était intitulée La quête de la fille aux cheveux d'or. Déjà, rien que le titre m'avait bien plu (et me plaît toujours)...
Si d'autres auteurs (scénaristes mais aussi dessinateurs) voulaient bien donner leurs avis, témoignages, expériences... Mais les lecteurs de BD peuvent aussi apporter leur éclairage sur ce qui leur paraît correct ou non, utile ou non, gênant ou non, au niveau des dialogues...