"C'était à Khorsabad" est un album un peu inégal, cela étant dû, à mon avis, au changement de dessinateur en cours de route et à un scénario assez hésitant. C'est pourtant une histoire intéressante, dont certains aspects auraient mérité un meilleur développement, et je laisse chaque lecteur juge de ce qu'il aurait privilégié : la recherche de la famille d'Alix, la lutte contre Arbacès, les divergences politiques entre Orodès et Suréna, les plus ou moins bonnes fortunes d'Enak... A chacun son idée et son choix.
En ce qui concerne les commentaires, nous arrivons aux derniers albums publiés, de telle sorte que bien des renseignements vous ont déjà été donnés à l'occasion des analyses précédentes ; c'est le cas ici : j'ai déjà longuement parlé des Parthes et de la géographie régionale dans "La tiare d'Oribal", et je ne vois pas la nécessité d'y revenir.
Ces commentaires vous paraîtont donc peut-être un peu marginaux par rapport au récit, mais c'est la conception et le déroulement de ce dernier qui veulent cela. Quoi qu'il en soit, en route pour Khorsabad !
C'ETAIT A KHORSABAD
Vingt-cinquième aventure d'Alix
Le résumé
Nous retrouvons Alix en visite très officielle dans le royaume des Parthes où il est reçu par le roi Orodès et son général en chef et premier ministre Suréna. Les deux vainqueurs de Crassus à la bataille de Carrhes veulent confier à Alix un présent pour César. Alix veut en profiter pour retourner à Khorsabad et rechercher ce que sont devenus les membres de sa famille qui ont disparu après la bataille. A Khorsabad, il rencontre le gouverneur de la région, un étrange personnage : ce grec nommé Andrinoüs se fait appeler Sargon et joue au monarque Assyrien. Il ne tarde pas à découvrir qu'il s'agit en réalité de son vieil ennemi Arbacès, ce qui promet une nouvelle confrontation dont le premier acte n'est pas à l'avantage d'Alix...
Quand cela se passe-t-il ?
Toujours dans la même période de temps, entre -52 et -50, puisque César nous dit qu'il est toujours occupé par la pacification de la Gaule.
Où cela se passe-t-il ?La ville où Orodès et Suréna reçoivent Alix, au début de l'histoire, n'est pas nommée : il s'agit probablement de la capitale du royaume des Parthes, Séleucie du Tigre, qui se trouve sur la rive droite du Tigre, au sud de Bagdad ; la nouvelle capitale, Ctésiphon, sur la rive gauche du fleuve, était encore en construction à cette époque juste en face de Séleucie et servit d'abord de résidence d'hiver aux rois Parthes. La plus grande partie de l'histoire se déroule ensuite à Khorsabad et dans ses environs. Après cela, Alix prend la mer à Tyr, passe à Rhodes, et nous le retrouvons sur la route de l'Italie, par le détroit de Messine, puis les îles Éoliennes et le volcan Stromboli. Le voyage s'achève à Herculanum, puis à Baïa ( Baies ).
Les villes en italique sont décrites dans l'article « Les lieux », ci-après. Voir aussi « Alix l'intrépide » pour d'autres articles sur Khorsabad et Rhodes.
Le contexte historique
Des articles ont déjà été consacrés aux Parthes et aux pays de la région : le lecteur les trouvera dans les commentaires sur « La tiare d'Oribal ».
La guerre entre les Romains et les Parthes s'étant donc achevée avec le désastre de l'armée de Crassus, le 28 mai -53, il ne restait plus qu'à négocier des conditions de paix honorables pour Rome et avantageuses pour les Parthes. Ces derniers, malgré leur incontestable victoire, ne devaient pas se sentir trop sûrs d'eux, car la conclusion des négociations fut que la frontière entre les deux empires serait fixée sur l'Euphrate, ce qui laissait à Rome la plus grande partie de l'Asie mineure, la Syrie et la Palestine, tandis que les Parthes gardaient le glacis protecteur du désert dont les légionnaires de Crassus avaient conservé un si mauvais souvenir lorsqu'ils s'y étaient aventurés.
Dans les années suivantes, le jeu diplomatique consista essentiellement à se disputer le royaume d'Arménie, qui tombera sous l'influence, tantôt de Rome, tantôt des Parthes, selon les rapports de force. En -36, Marc Antoine voulut mettre fin à cette situation et engagea une nouvelle campagne contre les Parthes. Celle-ci se termina piteusement, quoique pas de manière aussi catastrophique qu'avec Crassus. Marc Antoine se consolera en contrôlant l'Arménie ( il célèbrera, en -34, à Alexandrie, un triomphe aux dépends de son roi ), et surtout en épousant Cléopâtre.
Au moment où se déroule cette histoire, les négociations de paix doivent être terminées, car il n'y est fait aucune allusion. On peut seulement se demander pourquoi le roi Orodès tient à offrir un présent à César, alors que celui-ci n'était absolument pas concerné par les négociations en question, lesquelles étaient du ressort du Sénat et du consul en exercice, en l'occurrence : Pompée. L'un des négociateurs pour Rome était Cassius, qui fera partie plus tard du complot des Républicains pour éliminer César. Ce dernier avait-il déjà manifesté son intérêt pour la région ? On sait qu'il préparait au moment de son assassinat une expédition en Orient, celle que Marc Antoine ne réussira pas à mener à bien, et qui était destinée moins à venger Crassus qu'à se tailler un nouvel empire aux dépends des Parthes.
On voit aussi que l'empire Parthe était en fait une sorte de fédération assez lâche. Les Parthes n'oubliaient pas que, deux ou trois siècles plus tôt, ils étaient encore majoritairement des nomades, même s'ils sont à présent sédentarisés et vivent dans de belles villes qu'ils reconstruisent et améliorent. Outre le royaume Parthe proprement dit, l'empire était constitué de plusieurs petits États, plus ou moins autonomes, et, dans une province comme l'ancienne Assyrie, on voit que le gouverneur jouissait d'une grande liberté pour entreprendre ce qu'il voulait à sa manière, dès l'instant qu'il payait l'impôt au pouvoir central. Celui-ci, pour les mêmes raisons, n'était pas non plus très regardant sur les origines du dit gouverneur. Il ne fait en réalité que recopier un modèle existant dans la région depuis longtemps : bien avant cette époque, les satrapes perses étaient de véritables rois très indépendants, et c'est pour cela que le monarque supérieur portait le titre de « Roi des rois ».
Les lieux
Séleucie du Tigre
Comme Alix se rend de la capitale à Khorsabad par le fleuve, et que le voyage est assez long, cette ville est celle qui me paraît le mieux correspondre.
Elle fut fondée sur la rive droite du Tigre à la fin du -IV° siècle par Séleucos 1er, ancien général d'Alexandre le Grand et son héritier pour le royaume du Proche-Orient ( de la Méditerranée à l'Indus ). Ce fut l'une des plus grandes métropoles du temps, avec Rome et Alexandrie : elle occupait 500 ha. Ville royale au temps des souverains hellénistiques, elle le resta au temps des Parthes, qui l'agrandirent. Elle devait sa prospérité au commerce international et à ses activités artisanales, notamment de céramiques, de figurines et de sculptures en bronze. Dans les ruines de ses Archives, incendiées dans la seconde moitié du -II° siècle, on a retrouvé 30 000 cachets d'argile, cuits, mais des documents de papyrus et de parchemin, il ne restait évidemment plus que des cendres. La ville demeura le centre de la culture grecque le plus vivant de l'Asie non méditerranéenne.
Khorsabad
Cet album aurait dû s'intituler « C'était à Dour-Sharroukin », car tel était alors le nom de cette ville, soit : « la forteresse de Sargon ». Khorsabad n'est que le nom arabe, attribué beaucoup plus tardivement, au village voisin. A cette époque, elle était abandonnée depuis six siècles, et en ruines. Elle fut construite en tant que capitale à partir de -717 par Sargon II, qui avait pris le pouvoir en Assyrie à la suite d'un coup d'État, et abandonnée après sa mort en -705. On y a retrouvé des résidences de grands personnages, dont celle du prince héritier, Sennachérib, une ziggourat et plusieurs temples dont celui du dieu Nabou.
Tyr
Alix n'y fait qu'une brève escale pour s'embarquer vers l'Italie, mais la ville fut assez importante pour qu'on lui consacre un article.
La ville phénicienne ( « le rocher » ) se nommait Dura en égyptien, Tùrios en grec, Tyrus, Tyros ou Sarra en latin, Sur en syriaque. Ce dernier nom, repris par l'arabe, reste aujourd'hui en usage.
Selon Hérodote, elle aurait été fondée en -2750. Le plus curieux, c'est que cette date a été confirmée par l'archéologie.
Tyr occupa d'abord deux petites îles rocheuses qui furent unies et élargies au -X° siècle. Séparées de la terre ferme par un détroit de 700 m de large, elles mesuraient alors 4 km de périmètre et 1600 m de long, mais étaient dépourvues de sources : un système complexe de canalisations amenait l'eau potable depuis le rivage où des faubourgs ne tardèrent pas à s'élever. Tyr possédait de puissantes fortifications et deux ports. Ces travaux furent entrepris par le roi Hirôm 1er, un souverain bâtisseur, puisque ce fut aussi lui qui fournit à Salomon les matériaux et les ouvriers nécessaires pour construire le Temple de Jérusalem.
Tyr semble avoir longtemps eu de bonnes relations avec ses voisins, non seulement avec Israël, mais aussi avec les Égyptiens, les Assyriens et le royaume d'Ougarit. Elle maîtrisait la mer et fonda de nombreuses colonies en Méditerranée, dont Carthage. Puis les choses se gâtèrent avec les Assyriens et Israël : la région tombe alors sous la mainmise des Assyriens, puis des Babyloniens, et enfin des Perses, jusqu'à ce que Alexandre le Grand arrive par là. Après un siège de 7 mois, et la construction d'une digue dans le détroit, la ville tombe en -332 ; la partie insulaire est conservée, mais la partie terrestre est détruite.
La période romaine apportera à Tyr une nouvelle prospérité économique.
Les îles Éoliennes et le Stromboli
Nos voyageurs ne font que passer au large de cet archipel, également dénommé îles Lipari, du nom de l'île principale ; il comprend 17 îles, dont 7 sont habitées. Toutes sont d'origine volcanique, mais seules Stromboli et Volcano ont encore des volcans actifs.
La légende veut qu'Eole ait colonisé l'archipel pendant la guerre de Troie. C'est plus sûrement le fait d'Italiens méridionaux, et cela dès la Préhistoire, pour y exploiter l'obsidienne, pierre tranchante d'origine volcanique, et de Grecs qui y débarquèrent en -580. Une bataille y eut lieu entre les flottes romaines et carthaginoise en -260, que Rome perdit.
L'archipel est inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco, ce qui n'empêche pas les promoteurs immobiliers de s'y intéresser de près.
Herculanum
C'est là que débarque Alix à la fin de son périple maritime. Cette ancienne colonie grecque essaya d'obtenir le droit de cité romain pendant la guerre sociale de -90/-89, mais ne l'obtint finalement qu'en l'an 30 de notre ère. Comme toute la baie de Naples, c'était une station balnéaire appréciée des riches Romains. Elle fut détruite par l'éruption du Vésuve en 79, en même temps que Pompéi ; il y subsiste de nombreux et magnifiques vestiges, non seulement des constructions, mais aussi des peintures ( à voir sur plusieurs sites Internet ).
Baïa ( ou Baies )
Cette autre ville balnéaire, située au sud du golfe de Naples, était connue depuis longtemps pour ses sources thermales chaudes, sulfureuses ou salines, en raison du volcanisme de la région. A la fin de la République, de nombreux notables Romains s'y firent construire des résidences d'été, non seulement César, comme on le voit ici, mais aussi Marius, Crassus, Pompée et Cicéron.
Sous l'Empire, Baies aura d'autres résidents célèbres : Auguste, Ovide ( qui en parle dans « L'art d'aimer » ), Caligula, ( qui y reçut Hérode Antipas ), Agrippine, Néron et Hadrien ( qui y mourut ).
Le site antique est aujourd'hui en partie submergé en raison d'affaissements de terrains. Les vestiges encore visibles sont constitués principalement par un vaste ensemble thermal et le palais impérial.
Le souvenir de l'Assyrie
Il peut paraître étonnant qu'un aventurier ressuscite le souvenir des Assyriens dont l'Empire s'était effondré cinq siècles plus tôt. Pourquoi eux, puisque les Babyloniens, les Perses, les Grecs et les Parthes leur avaient succédé dans la région, et sans démériter ? A cause du costume aussi somptueux qu'impressionnant ? Ou de leur réputation guerrière et leur férocité qui n'étaient pas surfaites ? En tout cas, il semble que Sargon-Arbacès veuille effacer les cinq siècles d' « intérim » et recommencer comme si son prédécesseur homonyme venait juste de quitter la vieille citadelle de Sargon II... qui n'avait jamais servi. Mais qu'avait donc l'Assyrie d'aussi fascinant ?
L'Assyrie, le pays d'Assour ( Mat Ashshur en akkadien ) est la région qui entourait l'ancienne ville d'Assour ( aujourd'hui Qualat Sherquat, en Irak ), située sur la rive droite du Tigre, à 110 km au sud de Mossoul. Assour était aussi le nom du dieu local, seul « roi » légitime de cette région où prospéraient l'agriculture et l'élevage, mais aussi les échanges commerciaux ( métaux, minéraux, produits finis de l'artisanat ) avec les États voisins : Zagros, Anatolie, Syrie, Mésopotamie du sud.
A la fin du III° millénaire, la région dépend de l'Empire d'Akkad, le premier qui unifia la Mésopotamie, puis acquiert progressivement son indépendance contre un autre suzerain, l'Empire Mittanien, qui contrôle la Mésopotamie du nord, en devenant une grande puissance militaire qui utilise notamment le char de combat ( -XIII° siècle ).
L'Assyrie sera un royaume important dès le -XV° siècle, qui s'étendra et finira par dominer politiquement tout le Proche-Orient à partir du -IX° siècle : elle englobera les territoires de Babylone et de Suse, les vallées mésopotamiennes du Tigre et de l'Euphrate en entier, la Syrie, la Phénicie, la Palestine et enfin l'Égypte, mais les Mèdes finiront par abattre l'Empire Assyrien, affaibli, en -609.
L'Empire Assyrien était dirigé par un roi, représentant terrestre du dieu Assour, assisté par une puissante noblesse. L'armée était très bien organisée et encadrée, composée essentiellement de fantassins « conscrits », mais avec une cavalerie professionnelle.
La société ne se reconnaissait officiellement que deux classes : les libres et les non-libres, mais avec pour les premiers de nombreux niveaux de fortune et d'indépendance, les seconds étant des esclaves.
On cultivait des céréales, des légumes, des arbres fruitiers et la vigne. Les Assyriens exportaient de l'étain et des textiles, et importaient du cuivre, qui, avec l'étain, servait à fabriquer le bronze.
Les principales villes étaient Assour et Ninive, dont les palais étaient décorés de peintures et de bas-reliefs représentant notamment des scènes de batailles.
Les nomades de la « mer des herbes »
En mettant nos pas dans ceux d'Alix, nous avons eu l'occasion de croiser des représentants de nombreux peuples, mais assez rarement des nomades. Ce mode de vie est pourtant loin d'être rare à cette époque, y compris dans des régions où les vallées cultivées interrompent des étendues propices à l'élevage des troupeaux ou au déplacement des caravanes. En effet, ces nomades sont généralement des pasteurs, et n'ont plus rien à voir avec leurs ancêtres chasseurs-cueilleurs de la Préhistoire qui migraient pour accompagner le gibier et le mûrissement des fruits.
Ce nomadisme apparaît au début du -I° millénaire dans un milieu de gens issus de communautés pratiquant l'agriculture, mais qui, sous l'influence de facteurs divers et grâce à la maîtrise du cheval monté, entreprennent de se spécialiser dans l'élevage. Pour nourrir leurs troupeaux, ils renoncent à un habitat fixe et partent avec familles et biens pour exploiter les immenses territoires de pâture que constituent les steppes d'Eurasie, du Fleuve Jaune ( Huang He ) au Danube, et qu'ils appellent la « mer des herbes ».
Leurs formes de mobilité sont diverses : transhumance « verticale » entre plaine et montagne, déplacements horizontaux entre lieux d'estive et d'hivernage, parcours saisonniers en boucles, à moins que des évènements climatiques ou guerriers ne les contraignent à des migrations définitives. L'amplitude de ces déplacements peut atteindre des centaines, voire des milliers de kilomètres. Le nomadisme n'est pas une errance absolue et ne se conçoit qu'avec une étroite interdépendance avec les sédentaires sur les plans économiques et culturels ; l'enrichissement mutuel est d'ailleurs l'une des caractéristiques des contacts entre ces deux modes de civilisations.
En Mésopotamie, puisque c'est là que se déroule notre histoire, c'est l'utilisation du chameau, à partir du -I° millénaire, qui fera apparaître le grand nomadisme. Auparavant, les pasteurs ne s'éloignaient jamais beaucoup des lieux occupés par les sédentaires. Ces derniers, agriculteurs ou artisans, échangeaient leurs produits contre la viande et la laine fournie par les pasteurs. Il s'agissait d'ailleurs la plupart du temps des mêmes peuples dont une partie optait pour l'un ou l'autre mode de vie, de manière permanente ou non.
Les nomades mésopotamiens sont représentés dans les bas-reliefs assyriens. Certains groupes, contrôlant les grandes routes caravanières, créeront des entités politiques stables, mais la plupart continuèrent leur genre de vie qui était encore connu à l'époque de notre histoire et jusqu'à l'Hégire.
Les nomades que l'on voit ici semblent être originaires d'Asie centrale ( probablement des turco-mongols ) qui se seraient aventurés jusqu'en Mésopotamie, peut-être en suivant la route de la soie, ou tout simplement attirés par un espace libre et peu contrôlé au cours d'une période troublée.. En tout cas, l'intervention de la jeune fille prouve que la région leur est bien connue.
Le naphte
Le mot « naphte » désigne les affleurements de pétrole qu'on trouve fréquemment au Moyen-Orient et en Asie centrale. Ils proviennent d'un gisement souterrain dont une partie migre vers la surface par le biais d'une faille ou d'un sous-sol poreux. C'est un liquide noir, visqueux et inflammable. A ne pas confondre avec « naphta », mot récent désignant un produit issu de la distillation du pétrole.
Le mot français « naphte » est la traduction du grec « naphta », emprunté à l'iranien ancien, désignant une huile minérale plus ou moins raffinée, utilisée en Mésopotamie comme combustible. On retrouve la même racine dans l'arabe « naft » qui signifie lui aussi pétrole ou bitume.
Le naphte a vraisemblablement été distillé de longue date par les Arabes et d'autres peuples : au IX° siècle, Al-Razi décrit la distillation et l'alambic. Naft-Khaneh ( Maison du pétrole, en persan ) est l'endroit où l'on découvrit l'un des tout premiers gisements de pétrole en 1909, à la frontière Iran-Irak. De nombreux noms de villes sont construits à partir de cette racine : Maidan-I-Naphtun, premier site d'exploitation de l'Anglo-Persan Oil Company, Neft-Chala, au sud de Bakou, etc.
Dans l'Antiquité, Pline l'Ancien décrivait ainsi le naphte : « On appelle ainsi une substance qui coule comme du bitume liquide, dans les environs de Babylone et dans l'Astacène, une province de la Parthie. Le feu a une grande affinité pour elle et il s'y jette dès qu'il est à sa portée. C'est ainsi qu'on rapporte que Médée brûla sa rivale : celle-ci, au moment où elle s'approchait de l'autel pour y faire un sacrifice, eut sa couronne aussitôt envahie par le feu. »
L'huile de naphte a pu être l'un des composants du « feu grégeois », utilisé dans l'Empire Byzantin jusqu'au XIV° siècle.
Comment est racontée l'histoire ?
Dans « Avec Alix », je relève deux observations de Jacques Martin.
A propos d' « Alix l'intrépide » ( page 98 ) : « Il n'est pas exclu qu'Alix retourne à Khorsabad dans un épisode futur. Si je décide un jour de mettre un terme à ses aventures, j'aimerais assez qu'Alix se perde dans la ville même où il est apparu. Par ce retour aux sources, la boucle serait bouclée. »
A propos du présent album ( page 250 ) : « Le vrai retour aux sources puisque c'est dans cette ville que les lecteurs découvrirent Alix en 1948. Pour parfaire les retrouvailles, Arbacès sera là et fera enfermer les deux compagnons avec des lépreux. »
Bon, Alix est bien retourné à Khorsabad, mais il ne s'y est pas perdu, ce ne n'est pas encore pour cette fois-ci, et si Arbacès est bien là, en revanche les lépreux font défaut. Changement d'inspiration ou aléas de l'aventure éditoriale ?
Cette histoire est un peu une mal-aimée et on comprend pourquoi : le changement de dessinateur aux deux tiers de l'album ne plaide pas pour la cohérence de l'ensemble. Et pourtant, la prestation de C. Hervan reste honorable, même si elle n'atteint pas les sommets de Jacques Martin, ni la reprise par Christophe Simon qui conclut l'album ; il faut reconnaître que ce dernier, dans un style plus personnel, notamment par les soins apporté aux expressions des visages et des regards, approche de la perfection.
Reste l'histoire elle-même. Nous n'arrivons à Khorsabad qu'à la page 11 et nous quittons la ville page 29 ; autrement dit, plus de la moitié de l'aventure se déroule hors de la ville qui ne semble plus être qu'un prétexte pour fournir un titre parlant ; elle n'est qu'un point fixe provisoire, ni un départ, ni un aboutissement.
En fait, le véritable fond du récit, c'est la raison et le sort du vase d'or, offert par Orodès à César. On a donc deux histoires, serties l'une dans l'autre et sans grand rapport entre elles. Oui, mais me direz-vous : c'est déjà arrivé qu'Alix mène deux aventures simultanément dans le même album, avec le même décor et les mêmes comparses, par exemple dans « Le dieu sauvage », ou « Le cheval de Troie », qui sont des réussites. Ici, on a une simple juxtaposition qui à mon avis ne s'imposait pas et ce manque d'homogénéité dessert le récit. C'est le cas du récit d'Alix racontant son arrivée à Khorsabad : intéressant dans le cas d'un retour sur la présence, pas évidente, d'Alix en Orient, il n'est pas assez développé pour être explicatif et n'apporte rien à la suite de l'histoire.
On a l'impression que les enjeux de l'histoire incluse, c'est à dire le voyage privé d'Alix à Khorsabad, compliqué par la présence et la vengeance d'Arbacès, et qui propose une véritable trame dramatique plusieurs fois relancée ( le supplice qui attend Alix et Enak, le sort des esclaves, le pillage de la ville, la mort de Sirva ), alors que cela aurait pu faire l'objet de développements passionnants, sont négligés par rapport à l'histoire-support, qui reste assez banale malgré quelques efforts pour susciter l'intérêt ( le sort de la famille d'Alix, la scène sur le navire, l'attaque des pirates et l'éruption du Stromboli, la chute du vase ) et qui se conclut par l'attitude désinvolte de César, que le présent et l'avertissement d'Orodès n'impressionnent nullement.
Même une scène comme celle du marché et de la statuette ( pages 38 à 40 ), qui aurait pu être utile pour approfondir le caractère d'Enak, ne paraît pas ici à sa place, elle interrompt l'action sans la bonifier ni l'expliquer. Une piste intéressante, comme la recherche de la soeur d'Alix, est évoquée deux fois, puis simplement abandonnée ; alors, pourquoi aborder ce sujet, si c'est pour n'en rien faire ? Le récit n'est pas en manque de péripéties, mais leur exploitation n'est pas convaincante, l'accumulation ne suffit pas à faire une véritable histoire, on sent les coutures, et c'est gênant.
Plus encore que le changement de dessinateur en cours de route, les hésitations du scénario, qui ouvre une quantité de pistes et n'en exploite aucune à fond, sont la véritable faiblesse de cette histoire dont seul le titre est prometteur.
Les personnages
Alix : il s'est rarement posé autant de questions au début d'une aventure ; qu'est devenue sa famille, qu'il a perdu de vue après la bataille de Carrhes ? Que lui veut exactement le roi des Parthes avec cet étrange cadeau qu'il doit convoyer jusqu'en Italie ? Qui est ce non moins étrange gouverneur qui joue au monarque Assyrien ? Et quel est son but réel ? Si le premier point ne sera jamais élucidé au cours de ce récit ( nous prenons date pour une prochaine fois ), et si le deuxième se conclura par un voyage mouvementé, ce sont surtout les deux derniers qui lui poseront des problèmes, et quels problèmes, puisqu'il n'a jamais été aussi près de perdre la vue et peut-être la vie. Cette fois-ci, c'est lui qui aura besoin d'un sauveur, et il ne tardera pas à le trouver, sa qualité de citoyen romain et le prestige de Rome faisant assez de poids pour le tirer d'embarras. Et ensuite, c'est tout naturellement qu'il prendra la tête de l'opposition au faux Sargon, qu'il fera fuir, puis viendra à bout d'un capitaine de navire un peu trop avide. S'il se montre toujours aussi audacieux malgré l'adversité, au point de renverser au profit de sa cause des situations délicates ( pages 18, 21, 31, 37 ), on le voit confus devant César, comme un gamin pris en faute ( page 47, image 2 ), pour avouer que la mission confiée par Orodès n'a pas été entièrement réussie, mais il se ressaisit aussitôt pour plaider en faveur de son allié Scevolla. C'est bien toujours le même caractère, généreux avant tout.
Enak : suivre Alix n'est jamais une sinécure, il a eu maintes fois l'occasion de s'en rendre compte. Mais cette fois-ci, en marge d'aventures où il se conduit en garçon courageux, le pire ne lui sera pas épargné. Je ne veux pas parler du supplice que lui réserve Arbacès ( il faudrait s'interroger une bonne fois sur les raisons pour lesquelles Arbacès semble détester Enak encore plus qu'Alix ), mais de ces filles qui s'intéressent à lui d'un peu trop près. Même si on avait vu que le mariage n'était pas dans ses objectifs immédiats, on ne le croyait pas misogyne à ce point ! Il acceptera quand même l'aide de la gentille Sirva, ce qui sera fatal à la jeune fille. Plus positivement, il sera le premier à reconnaître Arbacès sous son accoutrement de Sargon, preuve qu'il est toujours aussi physionomiste. Mais son grand drame reste que personne ne le prend au sérieux quand il affirme être prince d'Egypte ; il est vrai qu'un prince avec seulement quatre sesterces sur lui... Alix ne lui donne donc pas d'argent de poche ? Une suggestion à une fille qui voudrait le séduire : commencer par le saluer du titre de prince, et on verrait bien !
Et, par ordre d'entrée en scène :
Crassus : je cite pour mémoire Marcus Licinius Crassus Dives, c'est à dire « le riche » ( -115/-53 ), puisqu'il a disparu bien avant le début de ce récit. Il est vrai qu'il l'avait bien cherché : à pied d'oeuvre en Orient dès l'automne -54 ( donc avec Alix et les autres cavaliers auxiliaires Gaulois ), il a perdu son temps ( mais pas son argent... ) à piller la région jusqu'en mai -53, avec les conséquences que l'on sait.
Suréna : ( voir la rubrique qui lui est consacrée dans « Alix l'intrépide » ). Ce grand seigneur Parthe faisait de l'ombre au roi Orodès, qui admettait difficilement qu'il soit plus heureux que lui à la guerre, et le fera assassiner pour éviter qu'il lui vienne l'idée de lui disputer le trône. Suréna est présenté ici comme un homme d'honneur, énergique, compréhensif et fiable.
Orodès : il fut roi des Parthes de -54 à -38. Pour lui, la victoire de Carrhes fut une divine surprise qu'il s'efforça de consolider par la suite, car il se doutait bien que les Romains n'en resteraient pas là. Il commença donc par éliminer Suréna, qu'il estimait son concurrent le plus dangereux en raison de sa victoire et de sa popularité dans l'armée et dans le peuple, et s'efforça de neutraliser son voisin le roi d'Arménie. Cela ne lui réussit pas mal, jusqu'à ce qu'il reçoive le paiement de sa traîtrise envers Suréna. En -40, il associa au trône son fils aîné, Pacorus, mais le fils cadet, Phraatès IV, les exécuta tous les deux, s'empara du pouvoir après avoir liquidé le reste de la famille, par prudence, et s'assura ainsi un règne de 40 ans. Un détail de sa rencontre avec Alix ( page 6 ) est assez peu vraisemblable : ces princes orientaux étaient cultivés et comprenaient au moins le grec, il n'aurait donc guère eu d'effort à faire pour suivre la conversation ! D'ailleurs par la suite ( page 33 ) il discute avec lui sans difficulté ni fatigue !
Claudius Marcellus Caravia : ce nouveau personnage est intéressant, et, malgré son infirmité, il n'hésite pas à rendre à Alix les services qu'il peut ; sans doute en conserve-t-il un excellent souvenir. Il est dommage que son rôle soit assez peu développé et qu'on l'abandonne avant la fin de l'histoire.
Arbacès, alias Andrinoüs, alias Sargon : trois noms pour lui tout seul, quelle richesse ! Il est vrai qu'il n'aime que ça, la richesse, et qu'il se démène une fois de plus comme un beau diable pour assurer sa fortune. Il y était presque arrivé, avec en plus la confiance – relative... - du roi Orodès, qui le considère comme un simple tueur à gages. Et une fois de plus, ça ne marchera pas. Nous l'avions laissé pirate déconfit à Ikarios, le voici qui rebondit en Assyrie, en jouant les Assyriens. Il faut dire qu'il mettait quelques chances de son côté : un pouvoir pas trop proche et pas trop regardant sur les moyens, une région excentrée à exploiter, un décorum qui le fait prendre au sérieux... Au moment où il croit pouvoir enfin se débarrasser d'Alix, voilà que la solidarité entre Romains retourne la situation à son détriment : s'il ne s'était pas méfié de ça, c'est qu'il est très mauvais politique. Il s'en tire plutôt bien, en se faisant couper la barbe, mais c'était ça ou recevoir une flèche. Dès lors, les jeux sont faits, il ne fait plus peur, et rien ne va plus pour lui. Si, avant de s'éclipser, sa vengeance finale semble le satisfaire, le résultat obtenu n'est pas grand chose par rapport à ce qu'il pouvait espérer. Que lui rapporte l'assassinat de Suréna, à part un sauf-conduit fourni par le roi ? Et le voilà qui disparaît bien avant la fin de l'histoire, pour une fois sans dommages pour lui ( il n'est ni noyé, ni écrasé, ni pendu ), et sans même vérifier si sa vengeance a réussi : les traditions se perdent...
Curius Scevolla : sans doute le personnage le plus intéressant de cet épisode. Ce soldat perdu est passé de la légion romaine au mercenariat, au service de Sargon, mais sa nostalgie du pays et de son armée le font se retrouver dès qu'il peut entrer en contact avec des compatriotes, et on peut compter sur Alix pour lui vanter la fidélité et la loyauté à Rome, même si son interlocuteur l'agace par son insistance. Aussi, lorsqu'il faut défendre des citoyens romains contre Sargon l'aventurier sans patrie, il n'hésite pas longtemps pour changer d'allégeance. Après cela, on va néanmoins le retrouver perplexe devant l'alternative que lui propose Albanus : vaut-il mieux tenir ( le vase d'or ) que courir ( après un hypothétique pardon de César ) ? Les choses n'ayant pas tourné à l'avantage du capitaine, il préfère rentrer dans le rang et livrer son complice d'un jour aux autorités. Mais c'était sans compter avec César qui a du service militaire une conception autrement moins souple que celle d'Alix : ce sera pour Scevolla le retour à la case départ.
Shar-Kal et Shin-Li : les chefs nomades sont les alliés de Sargon ou de ses adversaires selon ce qui les arrange, c'est à dire ce que leur propose le plus offrant ( en l'occurrence, Alix et Scevolla ). Voilà à quoi tient leur engagement, sachant qu'en plus il leur sera permis de piller Khorsabad. On peut regretter ici qu'Alix ait fait bon marché de la liberté et même de la vie des habitants de la ville. Ce n'est pas dans ses habitudes, même s'il invoque les lois de la guerre ( il sait à quoi s'en tenir à ce sujet ), et à voir les attitudes et à suivre les paroles de ses alliés occasionnels, on se doute qu'ils ne laisseront rien derrière eux qui ait de la valeur.
Sirva : la jeune fille nomade est le seul rôle féminin important de cette histoire. Elle a la fâcheuse idée de s'amouracher d'Enak, dont on a vu qu'il n'avait pas les mêmes intentions à l'égard de la gent féminine. Pour se faire bien voir de lui, elle voudra lui rendre un service qui lui coûtera la vie. Mais son sacrifice involontaire permettra de sauver la ville ( que les siens ont déjà mise à sac ). Un comble pour une nomade.
Arius Albanus : le capitaine du « Triton » est un marin dans la grande tradition de l'Antiquité : un peu commerçant, un peu pirate. Il compte mettre la main sur le vase d'or et s'assure un complice en la personne de Scevolla, en qui il a sans doute deviné le moins assuré de ses passagers pour ce qui est de l'honnêteté. Son stratagème échouera parce que son complice rejoindra pour la seconde fois le parti du droit, personnifié par Alix, dont il attend beaucoup pour soutenir sa loyauté renouvelée à Rome.
César : encore une fois, c'est lui qui conclut l'histoire. On le retrouve dans la baie de Naples, où il n'aurait pas dû se trouver, puisque son domaine, c'est la Gaule, et seulement elle pour l'instant. Passons sur cette entorse à l'Histoire et retrouvons-le tel qu'en lui-même. S'il est prêt à pardonner à Alix une maladresse dont ce dernier n'est pas responsable, il n'est pas le moins du monde convaincu par l'argumentation du roi des Parthes ; il comptait bien d'ailleurs aller le lui expliquer en personne. Et s'il réintègre Scevolla dans l'armée romaine, c'est à ses conditions et elles seules : il faut savoir qui est le maître !
Conclusion
Malgré les imperfections de cette histoire, la partie qui se déroule à Khorsabad reste la plus intéressante et aurait mérité un plus large développement. Les autres parties auraient pu être aussi passionnantes, à condition d'être mieux développées, à commencer par la recherche d'Alexia. Au total, une bonne occasion manquée partiellement.
J'aurais quand même bien aimé voir Alexia de plus près !...
Sources : mes supports habituels, à savoir « L'histoire du monde », de Jean Duché ( Flammarion ) et « Le dictionnaire de l'Antiquité », de Jean Leclant ( PUF ).
La prochaine fois : L'Ibère ( Ibérie, Hispanie ; la bataille de Munda ; une brève histoire de César ).
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