Le titre est un hommage appuyé de Jacques Martin à Flaubert et on pouvait imaginer un album flamboyant à l'image de l'œuvre qu'il évoque. Et à vrai dire, il y a dans cette album une richesse inouïe de thématiques et de pistes qui auraient pu en faire, qui sait, un album majeur. En comparaison, certains Alix 100% Martin sont bricolés sur des synopsis franchement étiques.
Comme quoi le meilleur des terreaux ne garantit pas la plus belle des fleurs, et c'est vraiment dommage. C'est toute cette matière et cette potentialité qui m'empêchent de détester cet album même si les critiques sans appel de PEB sont implacables mais malheureusement justes.
Petit détail qui n'a pas été signalé : la scène ci-dessous est mentionnée de façon totalement factuelle.
Étonnant quand, quelques albums plus tôt, Alix s'indignait vertement d'être tiré par des femmes et se joignait à elles dans
La Tour de Babel. Ici, il accepte ça sans broncher comme étant un état de fait du monde antique qui ne lui cause aucun sentiment particulier, ce qui rejoint son attitude désabusée quant aux "lois de la guerre" (page 24). Une attitude que je trouve du reste beaucoup plus logique par rapport aux réalités de l'époque, contrairement à l'indignation tapageuse de
La Tour de Babel que je trouvais ridicule et sonnant faux, plutôt destinée à présenter le héros comme "politiquement correct" vis-à-vis des valeurs de ses lecteurs du XXème siècle. La scène ci-dessus remet donc en quelque sorte les pendules à l'heure à posteriori, avec un Alix moins boy scout et plus crédible.
De façon assez amusante d'ailleurs, c'est Énak qui, à la page 24 précitée, incarne en quelque sorte les possibles pensées du lecteur pour confronter Alix au côté peu "politiquement correct" de ses actions (vis-à-vis de la mentalité du XXIème siècle en tout cas) voire pour confronter le scénariste lui-même à l'oubli complet d'Alexia!
À ce titre il me fait penser à une version inattendue du "lecteur" présent dans certains albums de la série
Les Petits Hommes où il incarne une forme de distanciation humoristique qui casse le 4ème mur.
Et après tout... C'est une idée qui me vient de façon inopinée, mais n'y aurait-il pas là une piste d'analyse à creuser quant au rôle du personnage d'Énak dans les albums tardifs ? Il y apparaît moins comme la "demoiselle en détresse" des débuts et fait preuve de davantage de compassion vingt-et-unième-sièclienne que l'Alix de ces mêmes albums, plus passif et fataliste (je pense en particulier au
Fleuve de Jade où cet aspect est particulièrement marqué). Faut-il voir en lui un possible avatar du lecteur ?
Je suis sûr que cette idée farfelue ne tiendrait sûrement pas la route bien longtemps si on prend vraiment le temps de l'examiner, mais elle jette un nouvel éclairage (plutôt rigolo) sur la misogynie exacerbée (et ridicule) d'Énak dans cet album (ou dans
Le Fleuve de Jade d'ailleurs) : les lecteurs d'Alix sont des garçons et les filles c'est trop nul !
Oké, c'est complètement bidon comme hypothèse vu que ça fait belle lurette que le lectorat d'Alix n'est plus principalement constitué de jeunes garçons, mais plutôt de leurs (grands-)pères... et sûrement de filles aussi !
Comme PEB, j'ai été consterné par Arbacès qui passe, le temps d'un claquement de doigts, du statut de nabab mégalomane qui tient son territoire sous le joug de la terreur... à celui de comparse insignifiant qui se sauve la queue entre les jambes et joue les exécuteurs au rabais pour Orodès. Ça ne tient pas debout.
Je termine avec l'histoire du vase que je semble être le seul à avoir appréciée. L'Histoire et la Littérature raffolent d'objets légendaires autour desquels se nouent de ces épisodes inoubliables dont on fait les chansons : en vrac l'épée d'Arthur ou de Damoclès, le vase de Soissons, le nœud gordien, la couronne d'or de Viserys... Les aventures d'Alix sont riches de ce type d'artefacts emblématiques : la tiare d'Oribal, la dieu sauvage, le cheval de Troie... On peut regretter que ces vases ne se hissent pas à la hauteur de ces illustres précédents, tant s'en faut de beaucoup. Ils sont décevants, complètement anecdotiques et oubliables, mais l'idée de départ était très bonne (et très martinienne, je crois?).