Revenons à mes petites chroniques !
Au début des années 2000, les éditions Casterman traversaient une bien mauvaise passe.
Rachetée par Flammarion et en litige avec ses dessinateurs, la vieille entreprise de Tournai semblait vouée à un déclin précipité. C'est alors qu'au début des années 2000, le nouvel éditeur responsable décida de faire appel à Benoit Peeters en tant que conseiller. Après avoir essayé d'apaiser les conflits avec les auteurs, ce dernier proposa (entre autres) de lancer une nouvelle collection d'albums (reprenant le format des romans graphiques) et une nouvelle revue qui devait être emblématique de la "qualité Casterman". C'est ainsi qu'apparu
Bang au cours de l'automne 2003.
Editée en partenariat avec
Beaux Arts Magazine et imprimée sur un épais papier glacé,
Bang ressemblait à première vue à ces luxueuses revues que l'on feuillette avec plaisir chez son médecin ou son dentiste, en se gardant toutefois de les acheter devant leur coût dispendieux. En parcourant de plus près ce journal, on pouvait y découvrir des interviews de dessinateurs (tel que Schuiten dans le N° 1), des rééditions d'oeuvres rares, quelques BD inédites, des articles de type thématique ou historique, des critiques d'albums et des chroniques personnelles. Pas mal, pas mal ! Tout cela ne vous rappelle rien ? Cherchez un peu ... vous ne voyez pas ... réfléchissez ... mais si, mais si ! Bon sang mais bien sûr !
C'est exactement ce que l'on trouvait autrefois dans nos bons vieux fanzines.
Parcourons un peu ce N°8 avec une couverture de Franquin ! Le dessinateur interviewé se nomme Yoshihiro Tatsumi et c'est le maître du "manga social" (on commence à le connaître chez nous
). On découvre ensuite un récit complet de ce dernier (intitulé l'Exhibitioniste), suivi d'une courte BD de Tony Millionnaire, d'une chronique sur l'"Histoire de la BD" consacrée à Franquin, d'une histoire complète (et en couleurs) de Plastic Man, d'une petite étude sur la mode de la couleur directe, d'une présentation de Myriam Katin (avec un extrait de son album sur le point d'être publié) et de quelques critiques "très sélect" sur les dernières nouveautés. Bref, du cultivé, de l'intelligent, du moderne !
Louvoyant ainsi avec habileté entre les classiques consensuels, les trésors méconnus et l'avant-garde la plus radicale,
Bang cherchait manifestement à définir les tendances modernes du bon goût. La revue pouvait même être considérée comme une sorte d'apothéose du "bon chic bon genre", légèrement élitiste mais pas trop, un peu canaille (petite allusion à quelques BD érotiques occasionnelles) mais tout de même intelligente. Offrant un panorama varié et parfois surprenant de la BD actuelle, l'éditeur pouvait être satisfait (à juste titre) de sa publication.
Après huit numéros de ce genre, cette élégante publication commençait toutefois à faire long feu (le comptable de Casterman a peut être trouvé que les ambitions culturelles étaient coûteuses
). C'est ainsi qu'une deuxième formule de
Bang apparut en 2005, publiée cette fois-ci en collaboration avec les
Inrockuptibles. Edités dans un format plus simple et distribués trimestriellement en kiosque, quelques numéros thématiques consacrés au sexe, au Japon ou à l'avenir de la BD allaient sortir pendant l'année suivante. Ils ne rencontrèrent qu'une indifférence polie.
En fait, la décadence de
Bang fut tout aussi rapide que son ascension, car la "deuxième formule" ne faisait que reprendre des thèmes souvent ressassés. Il publiait par ailleurs de nombreuses pages de jeunes auteurs, inititiative certes hardie et sympathique, mais plutôt suicidaire de la part d'un journal de prestige. C'est ainsi qu'en 2006, après six numéros, le nouveau
Bang disparaissait dans l'indifférence générale.
Malgré mon ton un peu ironique, il faut admettre que j'ai été un grand fan de ce journal qui réussissait à mettre sur un pied d'égalité la BD et le grand art. Cela reste une revue qui ne ressemble pas aux autres et que, par défaut, je considère un peu comme "un fanzine d'éditeur".
Aujourd'hui, les 8 premiers numéros sont alignés dans ma bibliothèque et je les relis toujours volontiers. J'y redécouvre 5 ou 6 ans après des oeuvres auxquelles je n'avais pas accordé grande attention sur le moment, et qui tendent à s'imposer avec le temps. Dans certains domaines,
Bang avait tout de même un regard précurseur.