JYB a écrit:
Vaste problème, mais j'ai peur que tu voies les choses de façon tordue et plus compliquée qu'elles ne sont... Etant éditeur et en contact avec des imprimeurs, je suis surpris d'apprendre qu'il y aurait une magouille pour faire du fric en vendant des BD plus chères si on les met en couleur... Oui, il y a du fric à faire en vendant des BD chères (elles sont forcément plus chères que si elles étaient en N&B, puisqu'une BD couleur coûte, à la fabrication, quatre fois plus cher ; d'où une répercussion sur le prix de vente ; je n'appelle pas ça une magouille...). Mais comme je ne demande pas mieux qu'apprendre la vie, alors éclaire-moi en citant des exemples, des preuves, des témoignages... Cela dit, comment se fait-il qu'un éditeur qui sort une édition en N&B l'imprime à un nombre d'exemplaires bien moindre que si elle était en couleur, et pourquoi la vend-elle assez chère ? Si ce n'est pour s'y retrouver financièrement - malgré une vente réduite, vu qu'on sait à l'avance que ça se vendra moins bien...
Les lecteurs qui veulent des albums cartonnés : c'est pour ne plus avoir les mêmes problèmes que du temps des albums brochés à couverture souple, chez Dupuis en particulier, autrefois : les pages se détachaient après deux ou trois manipulations, et quand on les rangeait dans sa bibliothèque, on ne pouvait en voir le titre car le "dos" (la tranche, quoi) est trop fin pour que quelque chose puisse y être inscrit. Les auteurs ont été les premiers à râler et si Goscinny a basculé Lucky Luke chez Dargaud, c'est parce que Dupuis refusait de lui imprimer ses albums sous couverture cartonnée dure. Goscinny, qui est loin d'être un ignare en matière d'édition, avait sûrement des raisons éprouvées...
Avec une couverture cartonnée, le "dos" est épais et le nom de la série, du titre et des auteurs y figure.
Les mangas ont un format plus petit et la brochure tient mieux sans doute avec un meilleur encollage, les pages ne se décollent plus (me semble-t-il, puisque je ne lis pas de mangas... j'en ai juste feuilleté comme ça, pour voir ; ça a l'air de tenir, mais je n'ai pas tiré dessus pour le constater). De toute façon, un album à couverture cartonnée rigide tient mieux en main qu'un souple ; c'est une question de sensation (on m'a déjà dit qu'il fallait que je publie des albums à plus grand format que ceux que je publie actuellement, et à couverture plus épaisse : ça en impose ; Pix me l'avait demandé pour notre série Allan Mac Bride, mais j'ai refusé, arguant que mes albums doivent être tous du même format, pour l'harmonie de mes collections ; j'ai peut-être eu tort... Cela dit, mon imprimeur, qui s'y connaît, me disait que mes séries sont "tout public" et doivent donc être d'un format des BD traditionnelles et tout public de chez Dupuis/Dargaud/Le Lombard ; et donc mes séries sont de ce format).
Tu parles d'Hugo Pratt : ses albums N&B se sont "très, très bien" vendus pendant des années, dis-tu. Tu es sûr ? J'aimerais avoir des chiffres. Et de toute façon :
1) pourquoi des albums N&B de Corto Maltese ont-ils été republiés en couleur ? Il doit y avoir une raison (qui n'est sûrement pas la magouille éditeur/imprimeur, ou alors trouve-moi des preuves).
2) le dessin de Pratt ne se prête pas tellement à la couleur et est fait pour être publié en Noir et blanc.
Tu parles de Reiser : c'est autre chose. Un dessin minimaliste, pas fini, rigolo... l'essentiel est dans l'humour et le public pour ce genre d'humour ne recherche pas les belles mises en couleur.
Tu parles de Binet, Gotlib.... là non plus ce n'est pas le genre à être en couleur ; la force de l'humour prime sur cet aspect.
Tu parles de Manara : il s'agit de ses BD de cul ? Mais le cul se vend toujours très bien, couleur ou pas couleur...
Tu parles de BD réédités en N&B récemment chez Casterman, Dupuis, etc. Lesquelles, quel pourcentage représentent-elles par rapport à l'ensemble de la production, et quel fut leur succès ?
Je ne prétends pas de "t'apprendre la vie" JYB, je posais juste une question (il y a un point d'interrogation).
Je ne suis pas "tordu" : j'essaie de comprendre les choses en profitant de la présence de professionnels sur ce forum.
J'essaie d'illustrer chacun de mes arguments avec des exemples concrets (je n'ai évidemment pas les chiffres) alors que toi-même tu affirmes des choses ("les lecteurs veulent de la couleur") sans aucune preuve.
"Binet et Gotlib ne sont pas le genre à être en couleur" ??? Eh bien ça alors, je suis content que tu me l'apprennes, je ne m'en étais pas aperçu. Effectivement, ce doit être scientifiquement prouvé si tu l'affirmes. Et c'est quoi "le genre à être en couleurs" , stp ?
"Le cul se vend en noir et blanc ou en couleur" ? Il faudra prévenir les producteurs de films porno, ils feront peut-être des économies. Et non, désolé, Manara a fait ses plus belles histoires chez Casterman en noir et blanc. C'est à "Jours de Colère" que je pensais. Et ce n'est pas du "cul".
J'en profite pour te poser une autre question JYB : l'éditeur de Milwaukee m'a expliqué à St Malo que ça couterait plus cher d'éditer ses BD (Paul Foran, Colin Colas, etc) en Noir et Blanc qu'en couleurs. Est-ce exact, d'après toi ? Pourrais_tu nous dire quelques mots là-dessus, s'il te plait ?
"Reiser c'est autre chose". Tu le fais exprès ? Ah ? D'accord. éliminons effectivement les arguments qui me donnent raison, ce sera plus simple pour ta démonstration.
Je cite de mémoire les titres donnés par l'ACBD, je ne les invente pas.
Je ne connais effectivement pas les chiffres de vente de Pratt, mais tout ce que je sais c'est que ses livres sont toujours présents au catalogue de Casterman depuis des années, toujours ré-imprimés , et tiens, je l'avais oublié mais puisque tu veux des exemples concrets, Casterman vient même de ré éditer récemment les Corto Maltese en tout petit format, en noir et blanc et broché... On se demande effectivement pourquoi : Je te retourne ta question. Tu pourras la poser à tes confrères éditeurs.
Ce que je voulais simplement dire, c'est que je pense qu'une bonne histoire trouvera toujours son public, avec ou sans couleur, mais que par contre une daube infâme ne pourra effectivement se VENDRE (puisqu'apparemment ce qui importe le plus dans une BD ce sont les CHIFFRES et pas les LETTRES) en supermarché sans avoir été coloriée au préalable pour faire passer la pilule. Toi qui es contre la surproduction, tu devrais comprendre cela quand-même ! Plaire au plus grand nombre ? Mais c'est ce qui tuera la Bande Dessiné, JYB (enfin, c'est mon opinion personnelle, hein).
Mais évidemment, je n'ai pas de preuve... et je ne connais pas non plus les chiffres de vente de Tardi, Schuiten, du Grand Pouvoir du Schninkel, des Idées Noires, de Goossens (ah, non. Pas Goossens : il ne "vend" pas...).
Allez, bon week-end, je vous laisse : j'ai du Noel Sickles et du Milton Caniff à finir (des trucs pas intéressants, quoi).