Je vais exprimer une petite voix discordante par rapport au jugement émis par mes deux prédécesseurs sur cet album.
Pour m'efforcer de cerner au plus près
Léna, je me suis replongé dans les numéros
97,
98 et
99 de
BoDoï (aujourd'hui disparu en tant que version papier) qui a prépublié la première aventure de ce personnage, dont une seule histoire (ou one-shot selon la terminologie employée actuellement) avait été prévue au départ.
A cette époque (2006),
Juillard souhaitait faire une pause dans son travail de reprise de Blake et Mortimer et, grâce au scénario conçu par Pierre Christin, il a pu dessiner une nouvelle héroïne ayant un "cousinage physique" (le nez excepté !!) avec la "Louise" du "Cahier Bleu".
Il
confiait alors à BoDoï (n° 97, page 38) que "
Léna est une jeune femme que j'aurais pu créer, très cérébrale, dont les émotions passent par les silences et les regards. Ce que j'aime dans un personnage c'est son intériorité".
Je pense que pour un dessinateur, si talentueux soit-il, restituer les états d'âmes d'un personnage constitue un défi très difficile à réaliser.
Dans le dernier album, Léna ne m'est pourtant pas parue dépourvue totalement de sentiments, quand elle se trouve par exemple à la piscine avec Souad (page 45, case 7 et 8 ) ou quand elle imagine le sort qui sera réservé à Halima ( page 47, dernière case ); on voit aussi que parmi les trois jeunes femmes "recrutées" par les terroristes, seule la dénommée Ahlem affiche des convictions guidées par le seul fanatisme.
Il ne faut jamais perdre de vue non plus que, compte tenu de la dangerosité des missions qui lui sont confiées par les services spéciaux et alors que sa vie privée a été anéantie, Léna sait pertinemment que "rester de marbre" constitue le meilleur moyen de ne jamais "se trahir".
D'ailleurs, dans Casemate n° 19, Christin indique que "
Léna repart en mission parce qu'elle souffre d'un manque"(...) "Elle va passer à l'action pour ne plus penser à son sort".
Le scénariste déroule son récit un peu à la manière de certains films noirs américains où c'est le personnage principal qui raconte l'histoire aux spectateurs.
Il montre bien cette fracture qui perdure entre le monde occidental d'un côté et la fraction islamiste la plus radicale de l'autre.
Son scénario m'a séduit justement parce qu'il évoque ce sujet tout à fait contemporain des "bombes humaines" incitées à sacrifier à tout instant leurs vies de gré ou de force.
Autrement dit, un monde sans fioriture où toute humanité est bannie à jamais.