Bonjour
Le tome 4 des
Vieux Fourneaux,
La Magicienne, poursuit l'exploration de cet univers écolo-anarcho-rural.
Les trois premiers tomes nous confiaient les secrets (inavouables) de la vie des trois héros. Il restait à découvrir celui de Sophie, la petite fille d'Antoine, mère-célibataire de Juliette. Et bien évidemment, nous allons apprendre l'identité du papa de la petite fille. Qu'on se rassure ! Lupano, grand maître ès suspens, ne répond pas à toutes les interrogations qu'il s'est fait un malin plaisir de semer ici ou là. C'est dit ! Nous ne saurons donc pas ce qu'est le fameux trésor, enterré voilà bien longtemps par nos trois compères. Et, cerise sur le gâteau, le scénariste ouvre une nouveau piste, dont on pressent qu'elle va être au cœur du tome 5, piste d'ailleurs déjà déjà effleurée dans le tome 3 : le père de Sophie est-il le fils de l'industriel Garan-Servier ?
Le titre,
La magicienne, provient du nom d'un insecte vivant dans le sud de la France : https://fr.wikipedia.org/wiki/Saga_pedo. Et, Lupano relie brillamment une des surprenantes caractéristiques de cette sauterelle avec la vie de Sophie (page 48)... Oui ! C'est bien là tout l'ART du scénariste. Derrière l'apparente légèreté de la série se cache un professionnalisme sans faille. Rien est laissé au hasard, et chaque détail compte. La construction, telle celle d'un mur inca à Cuzco, ne laisse aucun vide, aucun interstice. Toutes les techniques de la BD sont mises en œuvre. Le comique de répétition, si cher à Franquin (la signature du contrat entre les Éditions Spirou et la société Demesmaeker...), est exploré ici à travers le couvreur, persuadé que les roms ont envahi le petit village. D'autres ingrédients de la BD classique comme le méchant de service sont aussi mis en œuvre. Jacobs a choisi Olrik, Lupano opte pour les laboratoires Garan-Servier !
Les personnages sont toujours profondément émouvants. La naïveté d'Antoine face aux manigances de l'industriel, sa foi militante dans le développement économique sauce 19ème siècle sont touchantes et éminemment sympathiques. Et que dire de Mimile qui cherche désespérément à séduire Berthe ? Une galaxie de seconds rôles, tous plus caricaturaux les uns que les autres, peuplent ce petit monde. Je confie avoir été éblouie par Zébu. Cet ancien militaire, cet ex-baroudeur, est déconstruit et transformé en un gentil épouvantail, qui finit d'ailleurs par jouer aux jeux vidéos avec les enfants du village. Le geek, hyper-connecté et ultra-urbain, est aussi savoureux dans sa recherche d'un réseau wifi !
La série véhicule toujours son écologisme post-soixante-huitard. Cette naïveté est pleinement assumée. Ainsi le "
Salut les ploucs ! V'là les parigots !" de Pierrot (page 20) est-t-il une critique des ruraux productivistes et prisonniers des "Trente glorieuses", ou de l'auto-dérision ? Des thèmes modernes et d'actualité sont soulevés avec une grande sensibilité comme les maladies professionnelles des agriculteurs surexposés aux produits phytosanitaires (page 18) ou encore les déserts médicaux (page 22). Le racisme est aussi combattu, et avec beaucoup de subtilité. La réplique d'Antoine à une rouspéteuse, "
c''est mon arrière petit-fils Jean-Moustapha" (page 5), est savoureuse. La Chope figure l'archétype du café du commerce. Les discussions sociétales et économiques y côtoient les pires ragots. On se croirait dans le Bar de la Marine de Pagnol !
Le dessin est fouillé, peuplé d'une multitude de détails qui lui assurent une très forte authenticité. Il n'est qu'à voir la publicité pour la garage Lacoustille sur la voiture de prêt de Sophie (page 31). Le petit village du Tarn y acquière une belle crédibilité. Et les pages se saluent à distance, comme en témoigne la publicité sur la fougasse (écriteau de la dernière vignette en page 29 puis 1ere vignette de la page 40). Cauuet multiplie les plans avec un incroyable brio. Nous passons de la vue panoramique à la contre-plongée en quelques vignettes, et tout fleure bon le naturel, la cohérence.
Voili, voilà, voilou. J'ai été très heureuse de parler de cette BD. Un peu à l'instar du couple Goscinny/Uderzo, Lupano/Cauuet construisent un univers intelligent et tendre. En immenses pédagogues, ils nous font rire en traitant de sujets d'actualité. Novembre est frisquet, gris et pluvieux. Nous pouvons donc remercier les éditeurs d'avoir choisi ce moment pour publier la rayonnante
Magicienne. Même si, en digne disciple des trois "vieux fourneaux", je soupçonne plutôt que les dieux de la vente aient choisi le 4ème trimestre du fait des achats de Noël !
Bon week-end
Eléanore