Merci de t'intéresser à mes conseils de lecture, Patrice !
Je dois te confier une chose. J'ai lu Don Quichotte au moins une dizaine de fois et ne crois pas l'avoir lu une fois de bout en bout. C'est un album que je contemple avec ravissement, où je grapille certains aspects, où j'apprécie la beauté des pages, l'humour au second degré et la folie des détails. Jacovitti fait partie de ces auteurs "graphiques" dont les livre se savourent d'une autre façon que ceux des vrais narrateurs. Il est clair que Hergé, Jacobs, Jacques Martin ou Peyo sont de véritables conteurs d'histoires, mais d'autres "artistes" comme McCay, Druillet, Moebius, F' Murr, Herriman, Chris Ware, Chaland, Basil Wolverton ou Mattoti peuvent être lus d'une autre façon, qui est beaucoup moins méthodique et qui accorde la priorité à la fascination des images. Quand j'ouvre Don Quichotte, ce livre me fascine et je choisis les pages presque au hasard. Je le parcoure dans le désordre le plus complet, comme on peut le faire avec un bel objet, et je trouve mon miel un peu au hasard, en m'épatant devant certaines images qui me surprennent.
Détail amusant ! J'ai acheté par la suite d'autre albums de Pipo (le personnage central de la série) et comme il n'existent pas en français, je les ai acheté en italien. Eh oui ! Je ne parle pas cette langue, mais le langage des images de Jacovitti reste bien compréhensible, avec son mélange de folie et d'humour, de bagarres et de surprises, de maniaquerie du détail et de vertige éperdu de ses grandes images sans fin, où l'on se perd complètement.
Le sujet du forum nous montre au fond très bien cet aspect sauvage et primitif de Jacovitti, qui est très proche du slapstick et du dessin animé.
Et quand j'y pense, c'est de cette façon que j'ai apprécié Jacovitti dès le début, quand je lisais Charlie Mensuel durant les années 70 ! C'était un grand feuilleton en noir et blanc où je recherchais les gags et les surprises, sans accorder trop d'importance à l'intrigue. L'histoire n'était qu'une sorte de squelette destiné à amener des gags imprévisibles et féroces, un peu comme dans les films de Louis de Funès.
Tu as sinon complètement le droit d'être à contre courant ! On ne peut pas tout aimer. Tu as d'ailleurs méthodiquement désossé cet album mais ce genre d'approche ne permet pas toujours de saisir le charme d'une BD. Je crois que j'aime Jacovitti parce que j'ai appris à l'aimer il y a presque 50 ans, en lisant chaque mois un bout de récit dans un journal anticonformiste, et en prenant petit à petit des repères dans ce monde plein de bêtises, que l'on pourrait considérer comme "anti-intellectuel".
De mon côté, il y a aussi des humoristes remarquables que je n'arrive pas à apprécier, comme Goossens par exemple (j'ai presque honte de faire cet aveu). J'ai lu son dernier album paru il y a une année et je me suis royalement ennuyé. Il y a comme ça des incompréhensions qui sont irrémédiables. On n'y peut rien !