Le Figaro consacre un article élogieux à Bombes H sur Almeria :
La nouvelle aventure du journaliste créé par Jacques Martin met en scène un épisode ahurissant de l’histoire hispanique, l’accident de Palomares. Le dessinateur Régric, qui vit à Valence, décrypte une planche de ce formidable 35e album.
Il fait partie de ces inoxydables grands héros de l’âge d’or de la BD franco-belge qui poursuivent leurs aventures encore aujourd’hui. Guy Lefranc demeure envers et contre tout un intrépide journaliste imaginé par le créateur d'Alix, Jacques Martin (1921-2010), dans les colonnes du Journal de Tintin, en 1952. Avec des albums tels que La Grande Menace , L'Ouragan de feu ou Le mystère Borg, ce héros redresseur de torts, qui écrit des articles contrairement àTintin, passe son temps à vivre de palpitantes aventures au parfum nostalgique situées dans les années 50-60 au plus fort de la Guerre froide.
Le 35e tome des aventures de Lefranc, Bombes H sur Almeria, n’échappe pas à la règle. L’intrigue située au printemps 1963, met en scène notre vaillant reporter aux prises avec un vieux mystère familial: la disparition de son oncle Antoine Lefranc durant la guerre civile espagnole. Lefranc part enquêter dans la province d’Almeria où il fait la connaissance de la femme de son oncle et de sa fille.
À peine arrivé, il est confronté à un drame terrifiant. Deux avions militaires américains sont entrés en collision et ont explosé en vol. Des tonnes de débris sont tombées sur le sol. Parmi ceux-ci, quatre bombes H... En quelques heures, la région est plongée dans l’angoisse d’une catastrophe nucléaire.
Régric (de son vrai nom Frédéric Legrain), le dessinateur qui a repris la saga Lefranc depuis 2003 sous les auspices bienveillants du «maître», s’est particulièrement amusé sur ce nouvel album. «Comme j’habite à Valence en Espagne, j’ai eu vent il y a trois ou quatre ans de la catastrophe de Palomares, raconte-t-il. En 1966, des vols américains avaient lieu quotidiennement au-dessus de l’Europe dans le cadre de l’opération «Chrome Dome», un programme du Strategic Air Command de l'US air force mis en place à l’apogée de la guerre froide.»
Et Régric de poursuivre: «En janvier 1966, un accident a lieu au large des côtes méditerranéennes espagnoles. À la suite d’une fausse manœuvre lors du ravitaillement en vol, un avion ravitailleur gorgé de kérosène percute un B52 porteur de bombes H. Le crash est tragique et libère de forts taux de radioactivité au-dessus de la région d’Almeria. Les compteurs Geiger s’affolent encore aujourd’hui à certains endroits de cette province espagnole.»
Avec le scénariste Roger Seiter (historien de formation qui a repris la série Lefranc depuis une douzaine d’années), Régric décide alors d’orchestrer une aventure de Lefranc, en transposant les tragiques événements de Palomares du côté de Garrucha en Andalousie. «Il est toujours important de mettre en place une forme de décalage, précise-t-il, car cela favorise l’éclosion de la fiction.»
Bombes H sur Almeria qui vient de paraître aux éditions Casterman augure déjà de très bons résultats. Tiré à plus de 45.000 exemplaires, l’album s’est même payé le luxe d’être classé numéro 1 des ventes durant quelques semaines. «L’album est très remarqué, note le dessinateur. Il est fort possible que la thématique liée à la bombe atomique ait un peu joué en sa faveur. Mais cela prouve surtout que la BD classique n’est pas morte. Tout en restant rétro et vintage, la saga Lefranc reste toujours au goût du jour. Avec Roger Seiter, nous veillons à ce que la série reste en résonnance avec l’actualité, en racontant le monde d’aujourd’hui par le prisme de la géopolitique des années 60. Un peu comme Astérix raconte la société française à partir du fameux village d’irréductibles Gaulois qui résiste à l'envahisseur romain en 50 avant Jésus-Christ...»
La page 37 de cette aventure est particulièrement intéressante. Séquence d’action trépidante, cette planche cursive raconte la course-poursuite entre un camion phalangiste et l’automobile de Guy Lefranc sur une route de campagne.
«Avant tout, je voulais montrer le choc violent entre le camion et la voiture de Lefranc, détaille Régric. J’ai choisi de survoler l’action grâce à une vue aérienne de la situation. Car mon souci permanent est de rendre claire l’action. La voiture du héros est une Seat 600, l’équivalent d’une petite Fiat 500, une vraie petite boule. Quant au fourgon, c’est un camion Citroën. Je fais toujours attention à ce que rien ne soit anachronique. Dans ce genre de série, il faut avoir le sens du détail vrai.»
La deuxième case est vue en contre-plongée. «L’avantage avec la bande dessinée, explique l’auteur, c’est que l’on est son propre metteur en scène. Ici, on donne l’occasion au lecteur de suivre le plongeon de la voiture dans le ravin en contre-champ pour montrer l’impact de l’engin contre l’arbre.»
Un autre détail possède son importance: la nuit. «L’action se déroule dans l’obscurité, reconnaît Régric. Forcément, une séquence d’accident nocturne permet d’augmenter la tension dramatique. Les phares qui viennent remplir l’image permettent d’installer une atmosphère de polar très satisfaisante. En imaginant cette scène, j’ai bien sûr repensé au film de Steven Spielberg Duel, qui m’avait tant marqué lorsque je l’avais vu, notamment par son économie de moyen pour un impact si fort.»
Après avoir découvert que son passager était ensanglanté, Guy Lefranc s’extirpe de son véhicule avec difficulté. «Une fois que Lefranc sorti d’affaire, analyse le dessinateur, il affronte le mystérieux conducteur du camion qui vient terminer le travail. Il dégaine un couteau à cran d’arrêt, qu’on appelle en Espagne une »navaja« et traite Lefranc de «Franchute». C’est une expression typiquement espagnole qui signifie à peu près «le petit français». »
La planche se termine par un suspense insoutenable: Lefranc va-t-il se faire poignarder? «Les pages d’action sont toujours un peu le point d’orgue dans un album de BD, conclut Régric. C’est quelque chose que j’adore faire. C’est là que l’on voit que j’ai été nourri par des bandes dessinées comme Ric Hochet, Michel Vaillant ou la série Les Casseurs dans Le Journal de Tintin...»